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Date : 20070907

Dossier : IMM-865-07

Référence : 2007 CF 891

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

CHANTA OUK

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Chanta Ouk, une citoyenne canadienne, demande le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une commissaire de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté, en date du 5 février 2007, l’appel qu’elle avait interjeté à l’encontre du rejet, par un agent des visas, de sa demande de parrainage visant Thorn Sambo, son mari, qui voulait obtenir la résidence permanente au Canada.

 

[2]               Mme Ouk a fait la connaissance de M. Thorn au cours d’un long voyage au Cambodge en 2001. Ils ont maintenu des liens par téléphone après le retour de Mme Ouk au Canada. Le couple s’est fiancé au début de 2004, lorsque les parents de Mme Ouk se sont rendus au Cambodge pour rencontrer M. Thorn et sa famille. Plusieurs mois plus tard, Mme Ouk et M. Thorn se sont mariés lors d’une cérémonie au Cambodge. Mme Ouk a ensuite demandé l’autorisation de parrainer M. Thorn au Canada en qualité de membre de la catégorie du regroupement familial, en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[3]               Dans le Questionnaire de l’époux, M. Thorn a énuméré les noms de cinq frères et sœurs, dont aucun ne vit au Canada. L’un des frères et l’épouse de celui‑ci ont dit séparément à l’agent des visas que la famille comptait sept enfants. Informé de cette divergence, M. Thorn a prétendu qu’ils étaient confus. L’agent des visas a rejeté la demande de visa, notamment parce que, selon lui, la divergence révélait l’existence d’un plan visant à faire venir la famille au Canada.

 

[4]               Mme Ouk a interjeté appel de la décision de l’agent des visas à la SAI en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi. À l’audience, le lien de communication avec M. Thorn au Cambodge n’a pas permis à ce dernier de témoigner par téléconférence. Mme Ouk a témoigné et a produit des éléments de preuve afin de démontrer que la divergence concernant le nombre de frères et sœurs de M. Thorn s’expliquait en partie par le fait que M. Thorn gardait depuis longtemps rancune à sa demi‑sœur, Thorn Sary, qui était née d’une liaison entre son père et une autre femme et qu’il ne considérait pas comme sa sœur. Thorn Sary était comprise dans le nombre de frères et sœurs mentionné par le frère et la belle‑sœur de M. Thorn, mais l’attitude de ce dernier envers elle l’avait amené à ne pas l’inscrire dans la liste de ses frères et sœurs.

 

[5]               Mme Ouk a déclaré dans son témoignage que Thorn Sary vivait avec sa famille en raison des liens qui existaient entre sa mère et le mari de Mme Thorn depuis qu’ils avaient fait connaissance dans un camp de réfugiés au Vietnam. Cette situation a fait l’objet de nombreuses questions de la part de la commissaire de la SAI.

 

[6]               Le dernier nom mentionné par le frère et la belle‑sœur de M. Thorn était soi‑disant celui de la mère de Mme Ouk. Cette anomalie n’a pas été examinée de manière exhaustive par la commissaire de la SAI et elle n’est pas incluse dans les motifs pour lesquels l’appel a été rejeté et n’est donc pas en cause dans le présent contrôle judiciaire. Quoiqu’il en soit, Mme Ouk a expliqué qu’elle était attribuable à la confusion découlant de la traduction de termes cambodgiens désignant des membres de la famille.

 

LA DÉCISION DE LA COMMISSAIRE

 

[7]               La commissaire n’a pas jugé que les explications de Mme Ouk et la preuve étaient crédibles. Elle a statué que le fait de ne pas avoir révélé l’existence de Mme Thorn Sary était une tentative délibérée de dissimuler à l’agent des visas des éléments de preuve qui pouvaient nuire à la demande de résidence permanente de M. Thorn Sambo. Le tribunal a conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi. En conséquence, l’appel a été rejeté.

LA QUESTION EN LITIGE

[8]               Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique?

 

L’ANALYSE

[9]               La norme de contrôle qui s’applique à la question de savoir si un mariage est authentique est celle de la décision manifestement déraisonnable : Donkor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1089 (Donkor).

 

[10]           Toutefois, comme l’a expliqué mon collègue le juge Hughes, l’application de critères inappropriés pour déterminer l’authenticité d’un mariage est une erreur de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1490 (Khan).

 

[11]           La demande de parrainage d’un membre de la catégorie du regroupement familial qui est présentée par un citoyen canadien ou un résident permanent peut être rejetée en vertu de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) :

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

* * * * * * * *

 

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

[12]           L’évaluation d’un mariage aux fins de l’article 4 du Règlement a été récemment réexaminée dans Donkor, précitée, où le critère établi dans Horbas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 359 a été reformulé dans les termes suivants :

  1. l’authenticité d’une relation doit être examinée au moment présent, de sorte qu’une relation qui n’était peut‑être pas « authentique » à l’origine a pu le devenir;

 

  1. il faut déterminer si la relation visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

Ce critère est cumulatif, en ce sens que les deux volets doivent être satisfaits pour qu’un mariage ne soit pas jugé authentique aux fins de l’article 4 du Règlement.

 

[13]           En ce qui concerne le premier volet, qui concerne l’« authenticité » du mariage, les critères applicables n’ont pas été explicitement énoncés : Khan, au paragraphe 20. Dans Khera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 632, la Cour a statué que la SAI avait eu raison de prendre en considération les facteurs suivants : la durée de la relation des époux avant leur mariage, leur différence d’âge, leur ancien état matrimonial et civil, leur situation financière et d’emploi respective, leurs antécédents familiaux, leur connaissance respective du vécu de l’autre, leur langue, leurs intérêts respectifs, leurs liens familiaux au Canada et les tentatives faites dans le passé par la personne parrainée pour venir au Canada (au paragraphe 10).

 

[14]           L’examen exigé par l’article 4 du Règlement porte sur la relation du couple. Même s’ils peuvent être considérés comme un facteur qui doit être pris en compte, les liens familiaux sont différents de la question de l’authenticité du mariage.

 

[15]           En l’espèce, le tribunal semblait convaincu que le mariage et la lune de miel avaient bien eu lieu et il n’a effectué qu’un examen superficiel de la relation entre la répondante et la personne parrainée. S’il était réellement préoccupé par l’authenticité du mariage, le tribunal n’a pas accordé toute l’attention nécessaire au premier volet du critère de Donkor. Des facteurs pertinents, comme ceux énumérés dans Khera, précitée, n’ont pas été pris en considération à l’audience ou dans la décision du tribunal.

 

[16]           Si le tribunal avait conclu correctement que le mariage entre Mme Ouk et M. Thorn n’était pas authentique, il aurait dû conclure également que le deuxième volet du critère de Donkor n’était pas satisfait pour refuser le parrainage en vertu de l’article 4 du Règlement. Pour conclure que le mariage de Mme Ouk et de M. Thorn visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi, le tribunal doit être en mesure de démontrer que cette conclusion est fondée sur la preuve. Or, je ne relève, dans la transcription ou dans les motifs de la décision, aucun raisonnement ou aucune analyse qui permet de conclure que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

[17]           Il ne fait aucun doute que le tribunal se posait des questions au sujet de la dynamique de la famille Thorn et du fait étrange que la demi‑sœur de la personne parrainée, dont le nom ne figurait pas dans la liste des frères et sœurs de celle‑ci, vivait avec la famille de la répondante. Bien que ces préoccupations soient valables, le tribunal aurait dû clairement en traiter séparément de la question de la validité du mariage de la répondante et de la personne parrainée. Le tribunal d’appel pouvait conclure que la personne parrainée était interdite de territoire pour fausses déclarations suivant l’article 40 de la Loi ou que le mariage n’était pas authentique, mais ces deux questions doivent demeurer clairement séparées.

 

[18]           Par conséquent, je conclus que la SAI a commis une erreur de droit en appliquant incorrectement le critère servant à déterminer l’authenticité du mariage en cause en l’espèce et en n’analysant pas les éléments pertinents au regard de ce critère. L’affaire devrait être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue en appel.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel de l’immigration afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-865-07

 

INTITULÉ :                                                           CHANTA OUK

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 28 AOÛT 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 7 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Loeback

 

              POUR LA DEMANDERESSE

Sharon Stewart Guthrie

 

              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loeback

Avocat

London (Ontario)

 

              POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

              POUR LE DÉFENDEUR

 

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