Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20070829

Dossier : IMM-402-07

Référence : 2007 CF 868

Montréal (Québec), le 29 août 2007

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ANDRES ALEJANDRO RAMIREZ CEVALLOS

CARMEN GERARDA RAYGADA TRELLES

DANIELA EUGENIA RAMIREZ RAYGADA

et

DIEGO ANDRES RAMIREZ RAYGADA

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                La présente porte sur une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), rendue le 3 janvier 2007 ayant pour effet de rejeter la demande d’asile des demandeurs.

 

[2]                Les demandeurs demandent à cette Cour de casser la décision de la Commission et d’ordonner le renvoi du dossier pour audition devant un tribunal autrement constitué.

 

Les faits

[3]                Le demandeur principal, Andres Alejandro Ramirez Cevallos, son épouse, Carmen Gerarda Raygada Trelles, et leurs enfants, Daniela Eugenia Ramirez Raygada et Diego Andres Ramirez Raygada, sont tous citoyens du Pérou. Ils arrivent au Canada le 19 mars 2003, date à laquelle ils demandent le statut de réfugié.

 

[4]                Les faits à l’origine de la demande prennent naissance alors que le demandeur principal crée un organisme de bienfaisance, appelé Junta Vecinal Talarita, dans la Ville de Piura au Perou.

 

[5]                En 2002, dans le cadre de son mandat de président de cet organisme, le demandeur principal approche le député de la région, un certain Humberto Requena Oliva (le député Requena), afin d’obtenir des fonds pour mettre en place des programmes d’aide aux démunis. Le député Requena lui aurait alors promis une aide financière si on lui présentait une demande de fonds appuyée de 200 signatures, ce qui fut fait. Toutefois, la promesse du député ne s’est jamais concrétisée.

 

[6]                Le 28 novembre 2002, alors que le demandeur se rend au bureau du député pour s’informer de sa demande d’aide financière, la secrétaire de ce dernier l’informe que l’argent a bel et bien été reçu par le député, mais que ce dernier l’a utilisé à d’autres fins.

 

[7]                Outré de la tournure des événements, le demandeur aurait alors accusé le député de détournement de fonds et d’abus de pouvoir. Il aurait même déposé une plainte au bureau du Procureur public et du maire de Piura, mais ces derniers lui auraient refusé leur intervention.

 

[8]                À partir de ce moment, le demandeur dit avoir été menacé par la police, qui l’aurait arrêté sous de faux chefs d’accusation et torturé. Le demandeur allègue également que son fils aîné a été l’objet d’une attaque par des policiers habillés en civil.

 

[9]                Le demandeur aurait alors démissionné de son emploi pour déménager chez son oncle afin de fuir ses agresseurs. Parallèlement, l’épouse du demandeur aurait engagé un avocat pour obtenir de l’information sur l’enquête dont son mari faisait l’objet, mais ce sans succès.

 

[10]            Quelque temps plus tard, le demandeur aurait été victime une fois de plus de menaces. Le demandeur et sa famille ont donc fait les démarches nécessaires à l’obtention de passeports et se sont réfugiés à Lima où leurs agresseurs les auraient repérés et menacés une fois de plus. Les demandeurs quittent donc le Pérou pour le Canada, le 15 mars 2003 et y arrivent le 19 mars 2003.

 

[11]            Il convient de noter que la demande d’asile des demandeurs est refusée par la Commission une première fois, le 2 septembre 2004, mais que cette décision est annulée par le juge Sean Harrington de la Cour fédérale, qui renvoit le dossier des demandeurs pour reconsidération.

 

 

Décision contestée

[12]            Le 3 janvier 2007, la Commission rejette pour une deuxième fois la demande d’asile des demandeurs, au motif qu’elle ne croit pas les éléments essentiels du récit du demandeur principal.

 

[13]            En effet, bien que la Commission accepte que le demandeur ait pu créé un organisme de bienfaisance à Piura et qu’il ait pu avoir quelques problèmes avec un député qui lui aurait promis une aide financière, elle ne croit pas que le demandeur a fait l’objet de représailles en raison de ces problèmes.

 

[14]            Le doute de la Commission repose, entre autres, sur l’absence de preuve fournie par le demandeur quant à la plainte de détournement de fonds qu’il aurait déposée contre le député Requena. Vu l’absence de preuve documentaire ou autre pour corroborer le récit du demandeur, la Commission trouve difficile à accepter que le député Requena, membre du Parti Frente Independiente Moralizador (FIM), soit un parti d’opposition, aurait senti le besoin de poursuivre le demandeur et de le faire menacer et arrêter par les autorités locales.

 

[15]            À ceci s’ajoute le fait que le député Requena, de même que les autres membres de son parti, ont tous été défaits lors des élections du 9 avril 2006, perdant ainsi, en déduit la Commission, tout pouvoir sur les autorités locales. Dans ces nouvelles conditions, la Commission estime que les demandeurs pouvaient non seulement retourner au Pérou sans danger, mais le demandeur principal pouvait même, s’il le voulait, poursuivre sa plainte de détournement de fonds contre l’ancien député Requena.

 

[16]            La Commission accepte par ailleurs la preuve médicale présentée par le demandeur principal, faisant état de blessures que lui et son fils ont subies, tout en précisant que cette preuve n’établit pas pour autant que ces blessures leur ont été infligées par des policiers à la demande du député Requena.

 

[17]            La Commission n’accorde aucune valeur probante aux pièces P-20, P-21, P-24 et P-30, soit des lettres de soutien adressées au demandeur par des membres de sa famille, au motif qu’il s’agit de documents de complaisance. Elle a également rejeté la pièce P-30, soit une dénonciation faite par l’oncle du demandeur, datée du 5 octobre 2006, puisqu’elle estime invraisemblable que le demandeur soit toujours recherché par les autorités quatre ans après son départ du pays. La Commission note cependant que ce dernier document contredit le document P-29 qui précise qu’en date du 25 mai 2004 il n’existait aucun rapport criminel ou d’enquête concernant le demandeur.

 

[18]            Finalement, la Commission souligne que les demandeurs peuvent très bien se relocaliser ailleurs au Pérou, puisque leur persécuteur, l’ancien député Renequa, n’est plus en position d’autorité et n’a plus de moyen pour les retracer.

 

Question en litige

[19]            L’unique question soulevée dans la présente instance est de savoir si la Commission a erré dans sa détermination des faits?

 

Norme de contrôle

[20]            Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux questions touchant à l’appréciation des faits et aux déterminations de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL)).

 

Analyse

[21]            Le demandeur soulève en l’instance que la Commission a erré dans son évaluation de la preuve présentée.

 

[22]            Il souligne en premier lieu que la Commission erre lorsqu’elle déclare que le député Requena a refusé d’accorder une subvention à l’organisme dont il était le président. Le demandeur a raison puisqu’il a toujours été question dans son témoignage que la subvention ne venait pas du député, mais bien de l’aide international et/ou du gouvernement; et que le député Requena n’a pas refusé d’accorder à son association une subvention. Il a aussi toujours été question du détournement par le député de fonds destinés à son association.

 

[23]            Le défendeur est d’avis que la question de la provenance des fonds n’est pas pertinente en l’espèce. La Cour ayant relu les motifs de la Commission partage son point de vue sur ce point. Ces motifs démontrent très clairement que la Commission n’a pas fait grand cas de la provenance des fonds destinés à l’association dont le demandeur était président, et qu’elle accepte le fait que celui-ci a pu avoir des problèmes avec le député en raison d’un détournement de fonds.

 

[24]            Le demandeur soutient ensuite que la Commission erre en concluant qu’il n’avait aucune preuve que le député Requena ait détourné les fonds qui lui étaient destinés. Mais le défendeur, souligne pour sa part, avec raison, que le demandeur a lui-même admis ne détenir aucune preuve lui permettant d’établir que le député avait détourné des sommes destinées à son association et aucune preuve documentaire pour établir qu’une demande de financement avait bel et bien été présentée au député.

 

[25]            Dans le mesure où le demandeur admet lors de son témoignage n’avoir aucune preuve pour corroborer ses allégations de détournement de fond à l’encontre du député Requena, on peut difficilement reprocher à la Commission d’avoir conclu comme elle l’a fait.

 

[26]            Le demandeur soumet également avoir donné des explications plus que suffisantes pour justifier le refus des autres membres de l’association de dénoncer le député, soit leur crainte de représailles. Mais la Commission n’a en aucune façon rejeté les explications du demandeur quant aux raisons qui ont motivé le refus des autres membres de l’association de porter plainte. Le défendeur soulève de plus que ce point n’a été souligné par la Commission que pour évaluer la vraisemblance des allégations du demandeur suivant lesquelles le député craignait les allégations de détournement de fonds du demandeur et que c’est pour cette raison, qu’il sentait le besoin de le persécuter.

 

[27]            Une simple lecture des motifs de la Commission confirme l’approche préconisée par le défendeur. En effet, ce qui importait à la Commission était le fait que, vu l’absence de preuve du demandeur, sa plainte n’avait pas été retenue, sans compter que les autres membres de l’association avaient refusé quant à eux de porter plainte. Dans de telles circonstances, il devenait invraisemblable que le député ait senti le besoin de faire taire le demandeur. Les raisons qui expliquent le refus des membres de l’association d’assister le demandeur dans ses démarches n’étaient d’aucune pertinence dans le raisonnement utilisé par la Commission.

 

[28]            Le demandeur soumet ensuite que la Commission a conclu à tort que le maire et le procureur avaient refusé d’accepter sa plainte, puisque la preuve est muette sur cette question.

 

[29]            Le défendeur soumet pour sa part que le Formulaire de renseignements personnels du demandeur (FRP) faisait état du fait que ce dernier avait tenté de déposer une plainte tant auprès du Procureur qu’auprès du maire et que tous les deux auraient refusé de recevoir cette plainte. Le FRP du demandeur, à sa face même, confirme les dires du défendeur et rend difficilement contestable cette détermination de la Commission.

 

[30]            Le demandeur soumet également que la preuve présentée ne permettait pas à la Commission de déterminer que le FIM était un parti d’opposition. Quoique la preuve présentée devant la Commission n’en fait pas état, le demandeur soulève plutôt que le président du FIM était un très bon ami du parti au pouvoir, le Parti Pérou Possible.

 

[31]            Le défendeur est plutôt d’avis que la preuve documentaire permettait à la Commission de conclure que le FIM était une parti d’opposition, en ce sens où lors des élections 2001 le Parti P.P. avait obtenu 53.1% des voix aux élections présidentielles; que le cabinet n’était formé que des membres de ce parti à une exception près; que le FIM n’avait reçu que 9.9% des voix; que le Parti P.P. avait obtenu 45 sièges sur 82 et le FIM, 12. Qui plus est, la preuve plus récente démontre que le FIM n’a obtenu aucun siège au congrès lors des élections de 2006.

 

[32]            La preuve, selon laquelle le FIM et le Parti P.P. était en fait des partis alliés, à laquelle réfère le demandeur dans ses prétentions écrites, n’a pas été présentée à la Commission. Il est donc difficile pour la Cour de se baser sur une preuve que la Commission n’avait pas pour conclure que la Commission a manifestement erré. Au contraire, la preuve versée au dossier et analysée par la Commission supporte plutôt sa conclusion à l’effet que le FIM n’était qu’un parti minoritaire au sein du gouvernement.

 

[33]            Le demandeur soumet aussi que c’est à tort que la Commission a déterminé qu’il n’était pas plausible que le député ait envoyé des personnes à sa recherche et que ce dernier n’avait aucune raison de le poursuivre, alors que ces déterminations ne découlent pas de la preuve. Le demandeur ajoute que la preuve présentée à la Commission n’établit aucunement que les autres membres du FIM ont été défaits aux élections d’avril 2006. Le demandeur prétend également que la Commission ne pouvait valablement conclure qu’il serait en bonne posture s’il retournait au Pérou. Au soutien de cette prétention, le demandeur réfère cette Cour à un article de journal qui fait état de la présence de l’ancien député Requena au congrès en septembre 2006.

 

[34]            Le défendeur, en réponse à ces différentes prétentions, souligne tout d’abord que le demandeur avait le fardeau d’établir le bien-fondé de sa crainte. Il ajoute que, dans la mesure où le demandeur a confirmé à l’audience que le député Requena avait été défait aux élections d’avril 2006 et qu’aucun membre du FIM n’est présent au congrès depuis ces élections, le demandeur ne peut raisonnablement soutenir craindre les autorités péruviennes en raison de l’autorité du député sur ceux-ci. Le défendeur souligne également que la seule preuve des activités politiques de l’ancien député Requena depuis les élections 2006 consiste en sa présence lors de la présentation d’un projet au congrès. Ainsi, selon le défendeur, la Commission était tout à fait bien fondée de conclure que le député Requena avait perdu son influence sur les autorités péruviennes.

 

[35]            La Cour partage le point de vue soutenu par le défendeur. La preuve documentaire l’établit et d’ailleurs le demandeur l’a admis : le député Requena a été défait aux dernières élections. Par ailleurs, la pièce P-2, qui consiste en une revue de presse portant sur les élections tenues au Pérou en 2006, confirme que le FIM n’a fait élire aucun de ses membres au congrès. Dans cette optique, la Commission pouvait raisonnablement conclure qu’il était invraisemblable que le demandeur soit menacé par l’ancien député Requena, puisque ce dernier n’exerce aucune influence politique sur les autorités en place.

 

[36]            Le demandeur soutient également que la Commission a erré en n’accordant aucune valeur probante aux pièces P-16 et P-17, soit des rapports médicaux faisant état de blessures que lui et son fils aurait subies. Le demandeur soutient effectivement que ces documents n’ont jamais été contestés et que la Commission devait en tenir compte dans l’appréciation des faits.

 

[37]            Cet argument ne tient pas car au contraire la Commission tient compte de ces éléments de preuve dans son appréciation des faits, mais compte tenu de ses conclusions sur la crédibilité du récit du demandeur elle a raison de dire que ces documents établissent uniquement que le demandeur et son fils ont tous deux été blessés, sans toutefois prouver qu’ils l’ont été par des personnes à la solde du député Requena.

 

[38]            Le demandeur soutient ensuite que la Commission erre lorsqu’elle conclut que la dénonciation faite par l’oncle en date du 5 octobre 2006, soit la pièce P-30, contredit la pièce P-29, soit un document établissant qu’en date du 17 décembre 2002 aucun rapport criminel ou investigation n’impliquait le demandeur.

 

[39]            La Cour ne voit pas plus en quoi ces deux documents se contredisent. Toutefois, cette conclusion de la Commission n’est pas le motif principal du rejet de la pièce P-30 car il apparaît que la pièce P-30 a été rejetée non pas pour ce motif mais bien parce que la Commission estimait invraisemblable que le demandeur soit toujours recherché par les autorités quatre ans après son départ du pays. L’erreur signalée par le demandeur n’est donc pas déterminante en soi.

 

[40]            Finalement, le demandeur soumet que la Commission a erré en décidant que les demandeurs pouvaient se relocaliser ailleurs au Pérou sans craindre d’être retrouvés par l’ancien député, puisque ce dernier ne détient plus de pouvoir politique sur les autorités. Au soutien de cette prétention, le demandeur soulève que l’ancien député est toujours actif en politique et détient donc toujours un pouvoir sur les autorités.

 

[41]            Après avoir relu la preuve, la décision de la Commission, et pesé le pour et le contre des arguments des deux parties, la Cour ne relève aucune erreur déraisonnable la justifiant d’intervenir dans cette affaire, et ce, d’autant plus que l’appréciation des faits et les conclusions à en tirer dépendent en grande partie de la crédibilité à accorder à la preuve verbale entendue. La Commission qui a entendu cette preuve était mieux placée pour apprécier cette preuve et le demandeur n’a pas convaincu la Cour que cette appréciation est déraisonnable.

 

[42]            La Cour pour ses motifs se doit donc de rejeter la demande et puisque les parties ne proposent, à bon droit, aucune question à certifier, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

  1. La demande soit rejetée;
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-402-07

 

INTITULÉ :                                       ANDRES ALEJANDRO RAMIREZ CEVALLOS

                                                            ET AL.

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 12 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 29 août 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean Cantin

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Patricia Nobl

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude Jean Cantin

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.