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Date : 20070914

Dossier : IMM-3745-06

Référence : 2007 CF 902

 

ENTRE :

MOHAMMED SAIYAD ALI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE O'KEEFE

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui vise une décision, rendue le 5 juin 2006, par laquelle un agent d'immigration a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au titre de membre de la catégorie des époux au Canada. 

 

[2]               Le demandeur demande à la Cour d'ordonner l'annulation de la décision de l'agent et le renvoi de l'affaire à un autre agent pour nouvel examen.

Le contexte

 

[3]               Le demandeur, Mohammed Saiyad Ali, est citoyen des îles Fidji. Il est venu au Canada en mai 1996 muni d'un visa d'étudiant. Il est resté au Canada jusqu'en février 1999, auquel moment il est retourné aux Fidji. Le demandeur a épousé sa première femme canadienne en avril 1998 et elle a parrainé sa première demande de résidence permanente. Il a aussi présenté une demande, fondée sur des motifs d'ordre humanitaires, d'exemption du critère selon lequel il doit présenter sa demande de résidence permanente hors du Canada. Cette demande a été abandonnée quelques mois plus tard lorsque l'épouse du demandeur a décidé de ne plus le parrainer.  Le divorce aux termes de la loi a été prononcé en mai 2000. 

 

[4]               Le demandeur s'est rendu aux États-Unis comme visiteur et y est resté de novembre 1999 jusqu'en juillet 2000. Il a épousé sa deuxième femme le 30 mai 2000. Le demandeur n'a pas pu prolonger son séjour aux États-Unis et il ne souhaitait pas retourner aux Fidji. Il a prétendu craindre la détérioration des conditions dans le pays parce qu'il est Indo-fidjien. Il a décidé d'entrer illégalement au Canada en juillet 2000 et il ne s'est pas présenté à un port d'entrée à son arrivée.

 

[5]               Le demandeur a présenté une deuxième demande de résidence permanente en juillet 2000, qui était parrainée par sa deuxième épouse. Il a aussi présenté une demande d'exemption fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée en octobre 2001. Le demandeur a présenté une demande d'asile en février 2001, qui a été rejetée en mars 2003. La demande d'autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée en août 2003. Le demandeur et sa deuxième épouse ont divorcé en octobre 2003.

 

[6]               Le demandeur a présenté une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) en octobre 2003, qui a été rejetée en janvier 2004. La demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision d'ERAR a été rejetée. Le demandeur a épousé sa troisième femme en novembre 2003. Il a présenté une troisième demande de résidence permanente, parrainée par sa troisième épouse. Il a aussi demandé une exemption fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée en janvier 2005. Le demandeur a obtenu l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision; cependant, le contrôle a ensuite été rejeté. 

 

[7]               Le 18 février 2005, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) a établi une politique qui facilite le processus de demande de résidence permanente pour les demandeurs qui habitent avec leur époux ou leur conjoint de fait au Canada (la politique conjugale). En vertu de cette politique, les demandeurs qui présentent une demande de résidence permanente à titre de membres de la catégorie des époux au Canada ne sont plus tenus d'obtenir un statut d'immigration temporaire. Le 5 mai 2006, le demandeur a présenté une demande en vertu de cette politique, demande qui a été rejetée le 5 juin 2006. Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision de l'agent, qui rejetait la demande de résidence du demandeur à titre de membre de la catégorie des époux au Canada.

 

Les motifs de l'agent

 

[8]               Le demandeur n'a pas établi qu'il satisfaisait aux critères d'admissibilité prévus au sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) parce qu'il était interdit de territoire en vertu de l'alinéa 41a) de la LIPR, alinéa qui prévoit qu'un étranger est interdit de territoire s'il a contrevenu à la LIPR. Les renseignements inscrits au dossier démontrent que le demandeur n'a pas respecté les exigences suivantes :

            1. Paragraphe 18(1) de la LIPR : Quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se soumettre au contrôle visant à déterminer s’il a le droit d’y entrer ou s’il est autorisé, ou peut l’être, à y entrer et à y séjourner.

            2. Paragraphe 27(1) du Règlement : […] la personne qui cherche à entrer au Canada doit sans délai, pour se soumettre au contrôle prévu au paragraphe 18(1) de la Loi, se présenter à un agent à un point d’entrée.

            3. Paragraphe 27(2) du Règlement : […] si la personne cherche à entrer au Canada à un point autre qu’un point d’entrée, elle doit se présenter au point d’entrée le plus proche.  

 

[9]               Le demandeur ou son parrain a présenté des preuves selon lesquelles le demandeur était interdit de territoire au Canada et ne satisfaisait pas aux exigences de la politique conjugale. La demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux au Canada a donc été rejetée. La « note au dossier » du 5 juin 2006 de l'agent décrivait l'historique d'immigration et d'antécédents criminels du demandeur et résumait les observations de l'avocat. À la page 5 de sa note, l'agent a écrit :

[traduction] M. Ali n'a pas de preuve de sa dernière entrée au Canada. Il semble qu'il soit entré sans avoir le visa requis, qu'il soit entré ailleurs qu'à un point d'entrée et qu'il ne se soit pas présenté à un point d'entrée par la suite.

 

Le 1er déc. 2003, il a déclaré (paragraphe 15) [traduction] « Comme je n'avais pas d'autre choix, j'ai décidé d'entrer au Canada illégalement. Je suis arrivé en Colombie-Britannique le 1er juillet 2000. »

 

[...]

 

Dans des notes manuscrites qu'il semble avoir écrites vers le 19 février 2001, un agent de CIC a notamment mentionné ceci au sujet de son entrevue avec M. Ali : [traduction] « A payé une personne qui l'a aidé à entrer au Canada. Est entré en traversant un fossé.  Ne s'est pas présenté à l'Immigration ou aux douanes. Saviez‑vous que c'était illégal. Oui. Pourquoi êtes-vous entré de cette façon. Je n'avais pas le choix parce qu'il y avait un [coup militaire] dans mon pays. Quand êtes-vous entré. L'été dernier, vers le 2 juillet 2000. Entre le 2 juillet 2000 et le 19 février 2001, avez-vous signalé votre présence à un agent d'immigration. Oui parce qu'il a présenté une demande d'établissement le 28 juillet 2000. »

 

[...]

 

Pour être reconnus comme faisant partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, les demandeurs doivent avoir le statut de résident temporaire (alinéa 124b) du Règlement). […]

 

La politique publique du ministre du 18 février 2005 exempte M. Ali de satisfaire à cette exigence. Cependant, d'autres motifs d'interdiction de territoire de la LIPR s'appliquent toujours. La politique publique ne modifie pas les interdictions portant sur la sécurité et les antécédents criminels.

 

[...]

 

À mon avis, M. Ali est interdit de territoire aux termes de l'alinéa 41a) de la LIPR parce que, à son entrée au Canada,

 

-         il ne s'est pas présenté pour examen

 

-         il ne s'est pas présenté à un agent à un point d'entrée

 

-         il ne s'est pas présenté pour examen au point d'entré le plus proche de l'endroit où il est entré au Canada.

 

 

Les questions en litige

 

[10]           Le demandeur a présenté les questions suivantes :

     1. L'agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la politique conjugale parce qu'il était entré au Canada sans autorisation et sans se présenter pour examen à un point d'entré?

2. Le demandeur a-t-il présenté une demande aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR?

3. L'agent a-t-il entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant la politique conjugale, qui restreignait sa capacité à déterminer si les motifs d'ordre humanitaire l'emportaient sur l'interdiction de territoire du demandeur?

 

Les observations du demandeur

 

[11]           Le demandeur soutient que l'annonce du ministre au sujet de la politique conjugale, le 18 février 2005, ne précisait pas de quels types d'interdiction de territoire les demandeurs seraient dispensés. L'annonce précisait que les époux au Canada, peu importe leur statut d'immigration, pourraient présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada en vertu de la politique conjugale. Le bulletin opérationnel 018 (BO 018) précisait les infractions qui seraient pardonnées en vertu de la politique conjugale. La politique avait pour effet de dispenser les demandeurs de l'exigence prévue à l'alinéa 124b) du Règlement, selon laquelle ils devaient avoir le « statut de résident temporaire », et des exigences prévues au paragraphe 21(1) de la LIPR et au sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement, selon lesquelles les personnes sans statut sont interdites de territoire. 

 

[12]           Au sens de la politique conjugale, une personne sans statut est une personne : 1) qui a dépassé la durée du séjour autorisée par son visa, sa fiche de visiteur, son permis de travail ou son permis d'études; 2) qui a travaillé ou étudié sans y être autorisé aux termes de la LIPR; 3) qui est entrée au Canada sans le visa ou les autres documents requis aux termes du Règlement; 4) qui est entrée au Canada sans un passeport valide ou un titre de voyage. Le BO 018 précise aussi les infractions entrainant l'interdiction de territoire d’une personne en vertu de la politique conjugale : 1) ne pas avoir obtenu l'autorisation requise d'entrer au Canada après avoir été renvoyée 2) être entrée au Canada à l'aide d'un faux passeport, titre de voyage ou visa ou d'un passeport, titre de voyage ou visa obtenu de façon irrégulière et avoir utilisé le document en question pour faire de fausses déclarations aux termes de la LIPR; 3) personne visée par une mesure de renvoi ou qui doit faire face à une procédure d’exécution de la loi pour des raisons autres que celles liées à l’absence de statut mentionnées plus haut.

 

[13]           Le demandeur soutient que le fait qu'il soit entré au Canada sans se présenter pour examen ne fait pas partie des infractions qui causent une interdiction de territoire. Il soutient que l'agent a commis une erreur en concluant qu’il n'a pas satisfait aux critères de la politique conjugale en raison de la façon dont il est entré au Canada.

 

[14]           Le demandeur soutient que les demandes présentées en vertu de la politique conjugale sont équivalentes aux demandes pour motifs d'ordre humanitaire (demande CH), présentées en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Il a été noté que les demandeurs qui présentent une demande en vertu de la politique conjugale, mais qui sont interdits de territoire pour d'autres motifs, ne peuvent pas demander un nouvel examen fondé sur des motifs d'ordre humanitaire. Le 7 juin 2006, le ministre a diffusé un énoncé de politique dans lequel il était mentionné que les agents qui examinent les demandes CH doivent tenir compte de tout critère d'exemption de la LIPR, y compris les interdictions de territoire, lorsque l'étranger demande une telle exemption ou s'il est évident qu'il souhaite obtenir une exemption. On soutient que, dans le cas du demandeur, l'agent avait l'obligation d'examiner si les facteurs d'ordre humanitaire l'emportaient sur les facteurs d'interdiction de territoire qui n'étaient pas exemptés par la politique conjugale.

 

[15]           Le demandeur soutient qu'en suivant la politique conjugale, l'agent a entravé son pouvoir discrétionnaire de soupeser l'interdiction de territoire et les facteurs d'ordre humanitaire. Il fait valoir que la politique conjugale entravait le pouvoir discrétionnaire des agents d'offrir, en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, un allégement des exigences de la LIPR. On soutient que la date de l'énoncé de la politique au sujet des motifs d'ordre humanitaire (juin 2006) n'est pas pertinente, puisque le libellé de l'article 25 de la LIPR n'a pas changé et que l'expression « tout ou partie des critères et obligations applicables » était assez vague pour inclure l'interdiction de territoire prévu au paragraphe 18(1) de la LIPR et aux paragraphes 27(1) et 27(2) du Règlement.

 

[16]           Le demandeur reconnaît le droit du défendeur d'établir des directives en vertu de l'article 25 de la LIPR, mais soutient qu'il ne devrait pas s'agir d'exigences étroites (voir Yhap c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 1 C.F. 722, (1990) 34 F.T.R. 26 (1re inst.)). Il fait valoir que la politique conjugale ne laissait aux agents aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l'examen des facteurs d'ordre humanitaire qui pourraient l'emporter sur l'interdiction de territoire. Le demandeur soutient que le BO 018 imposait une restriction à l'article 25 de la LIPR, qui ne faisait pas partie de la LIPR ni du Règlement. Il fait valoir que l'agent a commis une erreur de compétence en se fondant sur cette restriction pour rejeter la demande (voir Hui c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 96, (1986) 65 N.R. 69 (C.A.F.); Cabalfin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 235, (1990) 40 F.T.R. 147 (1re inst.)).   

 

Les observations du défendeur

 

[17]           L'article 25 de la LIPR prévoit que le ministre peut lever des critères en ce qui a trait à l'immigration au Canada. Le ministre, agissant en vertu de l'article 25 de la LIPR, a levé le critère selon lequel les demandeurs de résidence permanente qui sont membres de la catégorie des époux au Canada doivent avoir le statut de résident temporaire. On soutient que la politique conjugale ne dispensait pas les demandeurs des critères d'appartenance à la catégorie des époux au Canada qui ne faisaient pas partie de la liste d'exemption. En particulier, la politique conjugale ne dispensait pas les demandeurs du critère selon lequel ils ne doivent pas être interdits de territoire pour défaut de s'être présenté pour examen à un point d'entrée avant d'entrer au Canada. 

 

[18]           L'article 25 permet aussi aux demandeurs de demander une exemption de tout critère prévu par la LIPR ou par le Règlement. Lorsqu'il reçoit une telle demande, le ministre doit déterminer si l'exemption est justifiée. Le demandeur n'a pas présenté de demande CH dans le contexte de sa demande à titre de membre de la catégorie des époux au Canada et l'agent n'avait donc pas l'obligation d'examiner si une exemption pour des motifs d'ordre humanitaire était justifiée (voir Phan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 137 A.C.W.S.  (3d) 407, 2005 CF 184). 

 

[19]           Le demandeur a reconnu qu'il était entré illégalement au Canada, sans se présenter à un point d'entrée. On a fait valoir que, de son propre aveu, le demandeur était interdit de territoire au sens de l'alinéa 41a) de la LIPR. Le défendeur soutient que la politique conjugale ne dispensait pas le demandeur de l'exigence selon laquelle il devait se présenter à un point d'entrée à son arrivée au Canada. Le demandeur n'a pas demandé à être dispensé de ce critère et, par conséquent, il était loisible à l'agent de conclure que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères de la catégorie des époux au Canada.  

 

Réponse du demandeur

 

[20]           Le demandeur soutient que l'article 25 de la LIPR n'exigeait pas qu'un demandeur demande expressément l'exemption de l'application de certains critères.  Il ajoute que sa demande en vertu de la politique conjugale était une demande visée à l'article 25 de la LIPR. Par conséquent, une demande a été présentée au ministre afin qu'il détermine si une exemption était justifiée. Le demandeur soutient que la décision Phan, précitée, se distingue de son cas puisque la décision portait sur un parrain qui n'avait pas présenté de demande de parrainage fondée sur des motifs d'ordre humanitaire pour son enfant. Le demandeur soutient que sa demande de résidence permanente n'était pas une demande à titre de membre de la catégorie des époux au Canada, mais une demande en vertu de la politique conjugale créée au sens de l'article 25 de la LIPR. Il fait valoir qu'il avait par conséquent droit à une décision quant à savoir si les facteurs d'ordre humanitaire l'emportaient sur son interdiction de territoire. 

 

Observations supplémentaires du défendeur

 

[21]           Le défendeur soutient que le point de vue du demandeur était fondé sur une mauvaise compréhension de la politique conjugale. Le défendeur note la présomption du demandeur selon laquelle la politique conjugale créait une « demande en vertu de la politique conjugale », qui était en fait une demande d'exemption de critères d'immigration au sens de l'article 25 de la LIPR. Le défendeur soutient que l'agent n'a seulement l'obligation d'examiner les facteurs d'ordre humanitaire de l'affaire, en vue de déterminer si certains critères devraient être levés, que lorsqu'un demandeur de résidence permanente présente une demande CH.

 

[22]           Le défendeur soutient que la politique conjugale n'a pas créé de « demande en vertu de la politique conjugale » et que les demandes à titre de membre de la catégorie des époux au Canada présentées en vertu de la politique conjugale n'équivalaient pas à une demande CH. Il fait valoir que la politique conjugale accordait une exemption de certains critères pour les membres de la catégorie des époux au Canada, notamment l'interdiction de territoire pour les personnes sans statut. Il soutient que l'interdiction de territoire du demandeur n'était pas visée par la définition de « personne sans statut » de la politique et qu'il ne pouvait pas se prévaloir de l'exemption. Par conséquent, sa demande a été correctement rejetée.

 

[23]           Le défendeur note deux problèmes qui sont nés de la mauvaise compréhension du demandeur au sujet de la politique conjugale.

(1)     si toutes les demandes dans la catégorie des époux au Canada qui commandent l'application de la politique conjugale étaient des demandes CH, les agents auraient a réexaminer les facteurs d'ordre humanitaire et à substituer leur pouvoir discrétionnaire à celui du ministre (c'est-à-dire que les agents pourraient rejeter des demandes de demandeurs qui satisfont aux critères de l'exemption du ministre ou de la politique conjugale);

(2)     si un agent qui examine une demande dans la catégorie des époux au Canada, qui commande l'application de la politique conjugale, doit déterminer s'il lève une interdiction de territoire prévue par la LIPR, les agents pourraient alors lever tout critère prévu dans la catégorie des époux au Canada, y compris l'exigence portant sur le mariage.

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

[24]           La demande de résidence du demandeur à titre de membre de la catégorie des époux au Canada a été rejetée parce qu'il n'avait pas satisfait à certaines exigences de la Loi. Dans Apaza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2006), 146 A.C.W.S. (3d) 887, 2006 CF 313, aux paragraphes 7 à 11, la juge Heneghan a recouru à l'approche pragmatique et fonctionnelle afin de déterminer la norme de contrôle applicable :

Le premier facteur est neutre, puisque la Loi ne prévoit aucune disposition privative ni d'appel de plein droit. Le contrôle judiciaire est disponible, s'il est autorisé.

 

Les agents d'immigration doivent constamment évaluer des demandes de résidence permanente et la validité de mariages. Leur expertise relativement plus importante que celle de la Cour mérite la déférence.

 

L'objectif général de la Loi est de réglementer l'admission des immigrants au Canada et de maintenir la sécurité de la société canadienne. Ceci implique qu'il faut examiner divers intérêts qui pourraient entrer en conflit. Il faut faire preuve d'une certaine déférence envers les décisions prises dans un contexte polycentrique.

 

Le dernier facteur à considérer porte sur la nature de la question. En l'espèce, l'agente d'immigration devait exercer son pouvoir discrétionnaire et tirer des conclusions de fait. Ce pouvoir discrétionnaire doit s'inspirer de la Loi et du Règlement et il comprend un élément d'interprétation de la législation. L'application des dispositions légales et réglementaires à la preuve donne lieu a une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle pour une telle question est la décision raisonnable simpliciter.

 

Tout compte fait, les quatre facteurs militent en faveur d'accorder une certaine déférence à la décision de l'agente d'immigration. Je conclus que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable simpliciter. La Cour suprême du Canada a appliqué cette norme dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), [1999] 2 R.C.S. 817, au sujet d'une décision discrétionnaire d'un agent d'immigration.

 

Je souscris au raisonnement de la juge Heneghan en ce qui a trait à la norme de contrôle et j'appliquerai la décision raisonnable comme norme à la décision de l'agent.

 

[25]           Question n 1

            L'agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la politique conjugale parce qu'il était entré au Canada sans autorisation et sans se présenter pour examen à un point d'entré?

            Le 18 février 2005, dans un communiqué de presse, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a déclaré que les demandeurs dans la catégorie des époux au Canada étaient dispensés du critère selon lequel ils devaient avoir le statut de résident temporaire. Cette décision était fondée sur l'intérêt public, comme le prévoit le paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

[26]           L'alinéa 125b) du Règlement prévoit qu'un demandeur dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada doit avoir le statut de résident temporaire au Canada. Le 26 septembre 2005, la politique d'intérêt publique du ministre est entrée en vigueur dans le Bulletin opérationnel 018 (BO 018). À la page 2 de ce bulletin, les « personnes sans statut » au sens de la politique publique seulement sont définies ainsi :

personne qui dépasse la durée du séjour autorisée par son visa, sa fiche de visiteur, son permis de travail ou son permis d'études;

 

personne qui a travaillé ou étudié sans y être autorisé aux termes de la Loi;

 

personne qui est entrée au Canada sans le visa ou les autres documents requis aux termes du Règlement;

 

personne qui est entrée au Canada sans un passeport valide ou un titre de voyage (les documents valides doivent être acquis au moment où CIC accorde la résidence permanente).

 

 

[27]           L'OB 018 précise aussi à la page 2 que :

Le L25 est utilisé pour faciliter le traitement dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada de tous les cas d’époux ou de conjoints de fait authentiques qui sont sans statut et où un engagement a été présenté. Les demandes CH de conjoint, en attente, qui sont assorties d’un engagement seront aussi traitées dans cette catégorie. L’effet de cette politique est de dispenser le demandeur de l’obligation prévue au R124b) d’avoir un statut d’immigration et des exigences prévues au L21(1) et au R72(1)e)(i) de ne pas être interdit de territoire pour absence de statut; cependant, toutes les autres exigences de la catégorie s’appliquent et les cas des demandeurs seront traités en fonction des lignes directrices de l’IP2 et de l’IP8.

 

 

L'un des autres critères pour un demandeur dans cette catégorie est qu'il ne doit pas être interdit de territoire au Canada au sens de l'article 41 de la LIPR.

 

[28]           Le demandeur est entré au Canada sans passer par un poste frontalier, mais par un autre endroit, tout simplement en traversant la frontière au Canada. Le paragraphe 27(2) du Règlement prévoit qu'une personne qui entre au Canada comme l'a fait le demandeur « doit se présenter au point d'entrée le plus proche ». L'article 18 de la LIPR prévoit que quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se soumettre au contrôle visant à déterminer s'il a le droit d'y entrer ou s'il est autorisé, ou peut l'être, à y entrer et à y séjourner. D'après la preuve au dossier, le demandeur ne s'est jamais soumis au contrôle; en fait, sa présence au Canada n'a été révélée qu'après qu'un agent d'exécution de CIC a examiné un dossier d'un tribunal pénal et le dossier de détention d'immigration consécutif du demandeur.

 

[29]           Le demandeur a contrevenu à la Loi et au Règlement en ne se présentant pas pour examen après son entrée au Canada. L'énoncé de la politique publique du ministre, le 18 février 2005, dispensait certains demandeurs du critère d'avoir le « statut de résident temporaire » qui était exigé pour les demandes de résidence permanente présentées à titre de membre de la catégorie des époux au Canada en vertu de la politique conjugale. La politique prévoyait que les personnes sans statut suivantes étaient dispensées de ce critère :

personne qui dépasse la durée du séjour autorisée par son visa, sa fiche de visiteur, son permis de travail, son permis d'études ou son permis de résident temporaire;

 

personne qui a travaillé ou étudié sans y être autorisé aux termes de la Loi;

 

personne qui est entrée au Canada sans le visa ou les autres documents requis aux termes du Règlement;

 

personne qui est entrée au Canada sans un passeport valide ou un titre de voyage (les documents valides doivent être acquis au moment où CIC accorde la résidence permanente).

 

 

 

[30]           Le demandeur n'était visé par aucune de ces exemptions. La politique a été modifiée le 6 octobre 2006, modification qui levait le critère suivant pour les demandes visées par la politique :

[…] personnes qui ne se sont pas présentées à l'examen à leur arrivée au Canada, mais qui s'y sont soumis par la suite.

 

 

Cette modification aurait été applicable pour le demandeur si elle avait été en vigueur au moment où il a présenté sa demande et s'il s'était présenté à l'examen.

 

[31]           Je suis d'avis que l'agent n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères de la politique conjugale parce qu'il est entré au Canada sans autorisation et sans se présenter pour examen à un point d'entrée.

 

 

[32]           Question n 2

            Le demandeur a-t-il présenté une demande aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR?

            J'ai examiné la demande du demandeur et je suis d'avis qu'elle ne comprenait pas de demande, pour des motifs d'ordre humanitaire, d'exemption de quelconque critère de la LIPR ou du Règlement.

 

[33]           Question n 3

            L'agent a-t-il entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant la politique conjugale, qui restreignait sa capacité à déterminer si les motifs d'ordre humanitaire l'emportaient sur l'interdiction de territoire du demandeur?

            Comme j'ai conclu que la demande dans la catégorie des époux au Canada du demandeur n'était pas une demande CH, je conclus que la décision de l'agent n'entravait pas son pouvoir discrétionnaire. Les trois demandes de résidence permanente précédentes du demandeur étaient accompagnées de demandes CH. La décision de l'agent n'était pas déraisonnable.

 

[34]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[35]           Les parties disposent d'une semaine à compter de la présente décision pour soumettre à mon attention toute question grave de portée générale, et d'une semaine supplémentaire pour présenter toute réponse, le cas échéant.

 

 

 

« John A. O'Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


ANNEXE

 

 

Dispositions légales pertinentes

 

 

La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

18.(1) Quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se soumettre au contrôle visant à déterminer s’il a le droit d’y entrer ou s’il est autorisé, ou peut l’être, à y entrer et à y séjourner.

 

25.(1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

 

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

18.(1) Every person seeking to enter Canada must appear for an examination to determine whether that person has a right to enter Canada or is or may become authorized to enter and remain in Canada.

 

 25.(1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and  [. . .]

 

 

 

Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :

 

27.(1) Sauf disposition contraire du présent règlement, la personne qui cherche à entrer au Canada doit sans délai, pour se soumettre au contrôle prévu au paragraphe 18(1) de la Loi, se présenter à un agent à un point d’entrée.

 

(2) Sauf disposition contraire du présent règlement, si la personne cherche à entrer au Canada à un point autre qu’un point d’entrée, elle doit se présenter au point d’entrée le plus proche.

 

72.(1) L’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

[…]

 

e) sauf dans le cas de l’étranger ayant fourni un document qui a été accepté aux termes du paragraphe 178(2) ou de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés:

 

 

(i) ni lui ni les membres de sa famille — qu’ils l’accompagnent ou non — ne sont interdits de territoire,

 

[…]

 

27.(1) Unless these Regulations provide otherwise, for the purpose of the examination required by subsection 18(1) of the Act, a person must appear without delay before an officer at a port of entry.

 

 

(2) Unless these Regulations provide otherwise, a person who seeks to enter Canada at a place other than a port of entry must appear without delay for examination at the port of entry that is nearest to that place.

 

72.(1) A foreign national in Canada becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that

 

[…]

 

(e) except in the case of a foreign national who has submitted a document accepted under subsection 178(2) or of a member of the protected temporary residents class,

 

 

 

(i) they and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible,

 

[…]

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3745-06

 

INTITILÉ :                                        MOHAMMED SAIYAD ALI

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 septembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Darryl W. Larson

 

POUR LE DEMANDEUR

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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