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Date : 20070917

Dossier : T-942-06

Référence : 2007 CF 921

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2007

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

HARRY IAN ROUNTHWAITE

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]                Par la présente requête, le défendeur, le ministre de l’Environnement (le ministre), demande à la Cour de rejeter la demande de mandamus du demandeur, Harry Ian Rounthwaite, parce que l’affaire est devenue théorique.

 

[2]                Dans la demande de contrôle judiciaire principale, le demandeur sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de donner son avis, en conformité avec l’article 29 de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29 (la LEP), sur la question de savoir si la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw est menacée de façon imminente.

 

[3]                Le ministre était d’avis que la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw était menacée de façon imminente. Conformément au paragraphe 29(1) de la LEP, il a recommandé au gouverneur en conseil de modifier la Liste des espèces en péril (la Liste) pour y inscrire le saumon sockeye du lac Sakinaw comme espèce en voie de disparition. Le 17 mai 2007, le gouverneur en conseil a publié un décret faisant état de sa décision de refuser de modifier la partie 2 de l’annexe 1 de la LEP et d’inscrire le saumon sockeye du lac Sakinaw comme espèce en voie de disparition.

 

2.         Les faits

[4]                L’Oncorhynchus nerka, le saumon sockeye du lac Sakinaw, est une espèce sauvage au sens de la LEP, qui fraye exclusivement dans le lac Sakinaw. Ce lac est situé sur la Sunshine Coast, au nord de Pender Harbour, en Colombie‑Britannique, et s’écoule dans les eaux du détroit de Georgia.

 

[5]                Le 25 octobre 2002, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (le COSEPAC) a effectué une évaluation d’urgence de la situation du saumon sockeye du lac Sakinaw et a recommandé au ministre de l’époque d’inscrire cette espèce à l’annexe 1 de la LEP comme espèce en voie de disparition.

 

[6]                Par une lettre datée du 23 avril 2004, le ministre a fait savoir au président du COSEPAC qu’il avait décidé que l’inscription d’urgence du saumon sockeye du lac Sakinaw sur la Liste n’était pas justifiée et que l’ajout de cette espèce à la Liste serait examiné dans le cadre de la procédure normale.

 

[7]                Le 23 octobre 2004, le ministre a annoncé qu’il ne recommanderait pas au gouverneur en conseil d’ajouter le saumon sockeye du lac Sakinaw à l’annexe 1 de la LEP.

 

[8]                Il n’y a eu que 99 saumons sockeye adultes du lac Sakinaw qui sont retournés dans le lac Sakinaw en 2004. Ce nombre a chuté à 28 en 2005 et, en 2006, une seule femelle adulte est retournée frayer dans le lac Sakinaw.

 

[9]                Le 10 février 2006, le demandeur a demandé au COSEPAC de procéder d’urgence à une évaluation de la population de saumon sockeye du lac Sakinaw, en vertu du paragraphe 28(1) de la LEP.

 

[10]            Le 20 février 2006, le président du COSEPAC a fait savoir au ministre qu’il avait créé un sous‑comité d’évaluation d’urgence du saumon sockeye du lac Sakinaw.

 

[11]            Par une lettre datée du 20 avril 2006, le président du COSEPAC a annoncé au ministre que la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw était menacée de façon imminente et a recommandé que cette espèce soit ajoutée d’urgence à l’annexe 1 de la LEP.

 

[12]            Le 20 avril 2006, la chef intérimaire du Développement des politiques de la Direction des politiques du ministère des Pêches et des Océans (le MPO), région du Pacifique, Mary Hobbs, a reçu la deuxième évaluation du saumon sockeye du lac Sakinaw effectuée d’urgence par le COSEPAC.

 

[13]            Le 24 avril 2006 et le 29 mai 2006, le demandeur a écrit au ministre pour lui demander s’il était d’avis que la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw était menacée de façon imminente.

 

[14]            Par un courriel daté du 23 mai 2006, le ministre a accusé réception d’un courriel du 23 avril 2006 du président du COSEPAC l’informant de l’évaluation d’urgence et de la recommandation concernant le saumon sockeye du lac Sakinaw.

 

[15]            Mme Hobbs a formé une équipe intersectorielle au MPO, qui s’est réunie le 12 juillet 2006. Elle a alors demandé à l’équipe de recueillir des renseignements sur le nombre de saumoneaux en 2006 et sur les taux d’exploitation de 2006 et d’examiner le Plan de gestion intégrée des pêches de 2006. L’équipe s’est réunie de nouveau le 18 septembre 2006. À la suite de ces deux réunions, Mme Hobbs a présenté au Comité régional de gestion (le CRG) du MPO un document pour décision le 26 septembre 2006.

 

[16]            Le document pour décision conclut qu’il n’y a aucune raison de rejeter la conclusion du COSEPAC selon laquelle le saumon sockeye du lac Sakinaw est en péril et que l’inscription d’urgence sur la Liste ne permet pas une évaluation des répercussions sociales et économiques qui pourraient en découler, ni la consultation des personnes susceptibles d’être touchées. Le MPO a aussi conclu que le ministre devait consulter des ministres du gouvernement de la Colombie‑Britannique, conformément à l’entente conclue entre la province et le Canada sur les espèces en péril, et que ces consultations n’avaient pas encore eu lieu.

 

[17]            En juin 2006, le demandeur a déposé une demande de mandamus visant essentiellement à enjoindre au ministre de donner son avis, en conformité avec l’article 29 de la LEP, sur la question de savoir si la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw était menacée de façon imminente.

 

[18]            Il ressort de la preuve produite par le défendeur que le ministre a formulé une recommandation à l’intention du gouverneur en conseil selon laquelle la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw était menacée de façon imminente. Toutefois, le décret DORS/2007‑102 daté du 17 mai 2007, qui a été publié dans la partie I de la Gazette du Canada le 30 mai 2007, faisait état de la décision suivante du gouverneur en conseil :

Son Excellence la Gouverneure générale en conseil, ayant considéré la recommandation du ministre de l’Environnement, faite en vertu du paragraphe 29(1) de la Loi sur les espèces en péril, et des facteurs sociaux, économiques et autres, refuse de modifier la partie 2 de l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril pour y inscrire le saumon sockeye (saumon rouge), population du lac Sakinaw, comme espèce en voie de disparition.

 

3.         La question en litige

[19]            La présente requête soulève la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce que l’affaire est devenue théorique.

 

4.         Le droit

[20]            L’arrêt de principe sur la question du caractère théorique est l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. Dans cet arrêt, la Cour suprême a donné des indications sur l’application de la doctrine du caractère théorique, en particulier dans les cas où les tribunaux devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire de s’écarter de la pratique habituelle de ne pas trancher des questions hypothétiques ou abstraites. Elle a établi le principe général suivant : un tribunal ne devrait pas rendre un jugement si sa décision n’aura aucun effet sur le règlement d’un litige touchant les droits des parties. En outre, au paragraphe 15 de ses motifs, elle a affirmé que si, après l’introduction des procédures, surviennent des événements qui font disparaître le litige entre les parties, l’affaire est considérée comme théorique.

 

[21]            Au paragraphe 16 de ses motifs, la Cour suprême a énoncé une analyse en deux étapes pour déterminer si une affaire est théorique. Premièrement, il faut déterminer s’il reste un litige actuel. Si le litige a disparu, alors l’affaire sera considérée comme théorique. Deuxièmement, si l’affaire est théorique, la Cour doit décider si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre tout de même l’affaire. Les trois facteurs suivants doivent être pris en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire : 1) l’exigence du débat contradictoire; 2) l’économie des ressources judiciaires; 3) l’obligation, pour la Cour, de prendre en considération sa fonction véritable dans l’élaboration du droit.

 

5.         Analyse

[22]            Le demandeur sollicite les mesures de redressement suivantes dans son avis de demande :

[traduction]

1.         une ou des ordonnances :

 

a) déclarant que le retard du ministre à répondre à la demande que lui a faite le demandeur de faire une recommandation concernant le saumon sockeye du lac Sakinaw, conformément au paragraphe 29(1), constitue un refus de faire une telle recommandation;

 

b) déclarant que le refus du ministre de recommander que le gouverneur en conseil recommande d’urgence que la Liste soit modifiée afin que le saumon sockeye du lac Sakinaw y soit inscrit comme espèce en voie de disparition, conformément au paragraphe 29(1), est déraisonnable ou manifestement déraisonnable;

 

c) déclarant que la recommandation faite au gouverneur en conseil par le ministre conformément au paragraphe 29(1) ou les motifs de ne pas faire une recommandation doivent être rendus publics;

 

d) déclarant que l’évaluation d’urgence du COSEPAC, l’avis du ministre des Pêches et des Océans et les données scientifiques et biologiques concernant directement l’imminence d’une menace concernant la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw à l’état sauvage au Canada sont les seuls éléments dont le ministre doit tenir compte pour donner un avis en vertu du paragraphe 29(2) et que les facteurs suivants ne sont pas pertinents au regard de l’avis du ministre visé au paragraphe 29(1) :

 

(i) les répercussions socio-économiques de la modification de la Liste visant à y inscrire le saumon sockeye du lac Sakinaw comme espèce en voie de disparition;

 

(ii) les répercussions, sur la pêche du saumon sockeye sur la côte Ouest ou sur les relations intergouvernementales, de l’inscription du saumon sockeye du lac Sakinaw sur la Liste comme espèce en voie de disparition;

 

2.         une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au ministre de se conformer à l’obligation prévue à l’article 29 de la LEP de recommander au gouverneur en conseil de modifier d’urgence la Liste afin d’y inscrire le saumon sockeye du lac Sakinaw comme espèce en voie de disparition;

 

3.         toute autre ordonnance ou mesure que la Cour estime juste.

 

[23]            Comme il a été mentionné précédemment, le ministre a fait une recommandation au gouverneur en conseil. Le demandeur écrit au paragraphe 13 de son mémoire des faits et du droit :

[traduction] Le demandeur reconnaît que la partie de la demande de contrôle judiciaire qui porte sur une ordonnance de la nature d’un mandamus est théorique. Par suite de la recommandation faite par le ministre conformément au paragraphe 29(1), il n’est plus nécessaire que la Cour décide si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder une ordonnance de mandamus. [Non souligné dans l’original.]

 

Le demandeur soutient cependant qu’il reste un litige actuel entre les parties concernant l’interprétation qu’il convient de donner aux articles 25 et 27 de la LEP, de sorte que la demande de contrôle judiciaire n’est pas théorique. Il soutient en outre que le ministre a omis d’inscrire une réponse dans le registre dans un délai de 90 jours, comme l’exige le paragraphe 25(3) de la LEP. Il soutient que cette disposition impose une obligation distincte qui ne découle pas de l’avis du ministre visé au paragraphe 29(1). Le demandeur affirme également que le ministre et son ministère ont délibérément fait fi de la volonté du législateur en ne respectant pas l’échéancier lié au paragraphe 27(1.2) de la LEP. Cette disposition exige du ministre qu’il mette dans le registre, avec l’agrément du gouverneur en conseil, une déclaration énonçant les motifs du refus d’ajouter le saumon sockeye à la Liste comme espèce en voie de disparition.

 

[24]            Le défendeur soutient que la demande de mandamus devrait être rejetée puisque le ministre a donné un avis et qu’il a fait une recommandation au gouverneur en conseil, comme la LEP l’exige. Selon lui, il n’y a plus aucun litige actuel, de sorte que la question soulevée dans la demande principale est théorique.

 

[25]            À mon avis, le litige actuel ou concret décrit dans l’avis de demande n’existe plus. La demande du demandeur avait essentiellement pour objet d’enjoindre au ministre de se conformer à l’obligation que la Loi lui imposait et de donner un avis sur la question de savoir si la survie du saumon sockeye du lac Sakinaw était menacée de façon imminente, ce que le ministre a fait. L’obligation imposée au ministre au paragraphe 25(3) de la LEP est peut‑être séparée et distincte de celle de donner un avis qui est prévue au paragraphe 29(1), mais la question n’a pas été soulevée dans l’avis de demande. La mesure de redressement déclaratoire qui est sollicitée dans l’avis de demande est fondée sur l’omission du ministre d’avoir fait une recommandation. À mon avis, le fondement de la demande du demandeur a disparu et la question est devenue théorique.

 

[26]            Je ne crois pas non plus que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire tout de même l’affaire. L’avis de demande tel qu’il est libellé ne permet pas le débat contradictoire qui assure un examen approfondi des questions subsidiaires soulevées par les parties. Le fond de la demande principale ne crée pas le contexte approprié pour la préparation d’un dossier de preuve complet qui permettrait que ces questions soient exposées de manière exhaustive dans l’argumentation. Dans ces circonstances, en l’absence d’un débat contradictoire approprié et compte tenu de la fonction juridictionnelle de la Cour et de l’économie des ressources judiciaires, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et d’instruire la demande.

 

6.         Conclusion

[27]            Pour les motifs exposés ci‑dessus, la requête sera accueillie et la demande de contrôle judiciaire principale sera rejetée en raison de son caractère théorique.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La requête est accueillie.

 

2.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée en raison de son caractère théorique.

 

3.         Le défendeur a droit à ses dépens.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       T-942-06

 

INTITULÉ :                                                      HARRY IAN ROUNTHWAITE

                                                                           c.

                                                                           LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 6 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 17 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Rounthwaite

 

         POUR LE DEMANDEUR

Tracy King

 

         POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Rounthwaite

 

          POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

          POUR LE DÉFENDEUR

 

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