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Date : 20070918

Dossier : IMM-1070-07

Référence : 2007 CF 928

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

JASWANT KAUR NIJJAR

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Kulbir Singh Nijjar est‑il le mari prodigue qui a reconnu ses erreurs et qui a épousé son épouse de nouveau par amour pour elle et pour sa famille ou l’a-t‑il épousée dans le but d’obtenir l’admission au Canada? La Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le mariage n’était pas authentique et a été conclu principalement pour que M. Nijjar acquière un statut ou un privilège au Canada, et ce, en contravention de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.


LES FAITS

[2]               Les familles de M. Nijjar et de Jaswant Kaur ont convenu que ceux‑ci se marient en Inde en 1974. Ils ont peut‑être eu un mariage heureux jusqu’en 1991. Cette année‑là, M. Nijjar a quitté son épouse et ses trois enfants en Inde afin d’aller rendre visite à sa sœur en Allemagne pendant deux mois.

 

[3]               M. Nijjar est finalement demeuré en Allemagne pendant cinq ans. Très tôt, il s’est mis à avoir une liaison avec l’une des amies allemandes de sa sœur et, dans le mois qui a suivi son arrivée, il a demandé l’asile. Le dépôt de sa demande était manifestement une tactique pour demeurer auprès de l’Allemande et pour obtenir un permis de travail. Il a toutefois continué de subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants qui vivaient en Inde.

 

[4]               En 1996, la demande d’asile de M. Nijjar a été rejetée. Il est retourné en Inde et il a rejoint sa femme. Tout n’allait pas pour le mieux. Il était malheureux, violent et s’était mis à boire. Il a dit qu’il voulait divorcer. Au début, son épouse ne voulait rien entendre, mais, après avoir réalisé ce qu’il était devenu et comment il la traitait, elle a entrepris des procédures de divorce.

 

[5]               La demande de divorce a été entendue ex parte. Le véritable motif du divorce était l’adultère, mais, semble‑t‑il, Mme Nijjar était trop gênée pour en parler. La requête en divorce ne figure pas au dossier, mais le décret renvoie à des allégations selon lesquelles M. Nijjar aurait expulsé Mme Nijjar de la maison pour une période de cinq ans, qu’il se plaignait de la dot et qu’il buvait. Mme Nijjar et son frère ont témoigné en cour de la véracité de ces allégations.

 

[6]               Le divorce a eu lieu en 1997, et M. Nijjar a épousé sa copine en 1998, ce qui lui a permis de retourner en Allemagne muni d’un permis de travail renouvelable à tous les ans.

 

[7]               En 2001, la fille de M. Nijjar a appelé ce dernier pour lui dire que Mme Nijjar était très malade et qu’elle devait subir une chirurgie cardiaque. M. Nijjar est retourné en Inde et il est demeuré avec Mme Nijjar pendant plusieurs semaines. Il a également contribué à défrayer le coût de l’opération. Au cours de cette période, il a avoué que son mariage en Allemagne n’allait pas très bien et qu’il voulait se réconcilier. Il a également appris que l’un de leurs fils qui était allé vivre au Canada parrainait Mme Nijjar, un parrainage qui s’est matérialisé en 2002.

 

[8]               M. Nijjar a divorcé son épouse allemande en 2004 et il a marié une nouvelle fois Mme Nijjar en 2005, alors qu’elle était en visite en Inde. Elle vivait alors au Canada et elle a par la suite tenté de le parrainer.

 

[9]               Selon l’agent des visas, le mariage n’était pas authentique. Mme Nijjar a interjeté appel, mais, comme il a déjà été mentionné, la Section d’appel de l’immigration partageait la même opinion.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]           La norme de contrôle applicable à une conclusion de fait portant qu’une partie n’a pas contracté un mariage de bonne foi est celle de la décision manifestement déraisonnable (Grewal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 960, [2003] A.C.F. no 1223; Jaglal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 685, [2003] A.C.F. no 885).

 

[11]           À cet égard, nulle conclusion n’est susceptible de vérification scientifique car une partie n’admettra pas qu’un mariage n’est pas authentique « et vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège aux termes de […] » la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le décideur est forcément dans une zone grise où il est difficile de distinguer les hypothèses et les spéculations

 

[12]           Comme l’a souligné lord Wright dans Grant c. Australian Knitting Mills, Ltd., [1935] All. E.R. Rep. 209, [1936] A.C. 85 : « Une démonstration mathématique ou purement logique est généralement impossible : en pratique, on exige des jurys qu'ils agissent selon la prépondérance raisonnable des probabilités, tout comme le ferait un homme raisonnable pour prendre une décision dans une situation sérieuse ». Une preuve directe est préférable parce qu'elle ne contient qu'une source possible d'erreur (la faillibilité de l'affirmation), tandis que la preuve indirecte en compte une seconde (la faillibilité de la déduction) (Phipson on Evidence, 15e édition, 3e supplément, paragraphe 1.06).

 

[13]           La distinction entre hypothèse et déduction est très importante. Lord Macmillan a déclaré ce qui suit dans Jones c. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, page 45 (C.L.) :

Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante.

 

[14]           La conclusion de la SAI selon laquelle on ne pouvait pas se fier aux Nijjars n’était pas manifestement déraisonnable. M. Nijjar n’a déposé aucune demande d’asile en Allemagne parce qu’il craignait d’y être persécuté. Il a déposé une demande de permis de travail afin de pouvoir vivre avec une Allemande. Lorsqu’on lui a parlé de la requête en divorce en Inde, M. Nijjar a affirmé que tout était faux, sauf pour ce qui est de la consommation d’alcool. Ils voulaient divorcer et ont laissé à leur avocat le soin de rédiger quelque chose. La requête fut, semble‑t‑il, rédigée en anglais, une langue que Mme Nijjar ne comprenait pas beaucoup. Toutefois, cela ne cadre pas très bien avec son témoignage et celui de son frère en cour quant à la véracité des allégations. De toute évidence, c’est la fin qui compte et non pas la vérité.

 

Si le mariage en Allemagne n’allait pas bien, M. Nijjar courait le risque que son permis de travail ne soit pas renouvelé. Il y a suffisamment d’éléments au dossier pour justifier que la conclusion de la SAI était une déduction plutôt qu’une pure hypothèse. Il est vrai que les motifs donnés par la SAI sont parfois exprimés de manière plutôt vague et que certains des points invoqués ne semblent pas pertinents, mais il y a néanmoins un certain fil conducteur; sa conclusion n’était ni fantaisiste, ni illogique.

 

[15]           Le juge Joyal a souligné ce qui suit dans Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 63 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.), [1993] A.C.F. no 437 :

S’il est vrai que des plaideurs habiles peuvent découvrir quantité d’erreurs lorsqu’ils examinent des décisions de tribunaux administratifs, nous devons toujours nous rappeler ce qu’a dit la Cour suprême du Canada lorsqu’elle a été saisie d’un pourvoi en matière criminelle où les motifs invoqués étaient quelque douze erreurs commises par le juge dans ses directives au jury. En rendant son jugement, la Cour a déclaré qu’elle avait trouvé dix‑huit erreurs dans les directives du juge mais que, en l’absence de tout déni de justice, elle ne pouvait accueillir le pourvoi.

 

C’est ce que j’essaie de démontrer en l’espèce. On peut examiner la décision de la commission et ensuite l’évaluer en fonction de la preuve se trouvant dans les notes sténographiques et des déclarations faites par le requérant pour tenter de justifier son objectif ainsi que ses craintes subjectives de persécution.

 

Me fondant sur cette analyse, je considère que les conclusions tirées par la Commission sont fondées compte tenu de la preuve. Certes, il est toujours possible qu’on ne s’entende pas sur la preuve; un tribunal différemment constitué pourrait également rendre une décision contraire. Quelqu’un d’autre pourrait tirer une conclusion différente. C’est notamment le cas lorsque la personne qui rend la décision souscrit à un système de valeurs différent. Toutefois, malgré l’exposé approfondi de l’avocat du requérant, je n’arrive pas à saisir le genre d’erreur qu’aurait pu faire la Commission dans sa décision et qui justifierait mon intervention. À mon avis, la décision de la commission est tout à fait compatible avec la preuve.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est soumise à la certification.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                 IMM-1070-07

 

INTITULÉ :                                                JASWANT KAUR NIJJAR

                                                                     c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LA CITOYENNETÉ

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 12 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 18 SEPTEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karen Swartzenberger

 

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCuaig Desrochers LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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