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Date : 20070921

Dossier : IMM-3344-07

IMM-3363-07

 

Référence : 2007 CF 948

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2007

En présence de monsieur le juge Frenette

ENTRE :

DAVID MAKORI NYACHIEO, ELECTA TERESA NYACHIEO,

BRENDA NYABOKE NYACHIEO (MINEURE),

LINDA MONGINA NYACHIEO et

FRED GEORGE NYACHIEO (MINEUR)

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

ENTRE :

 

DAVID NYACHIEO, ELECTA NYACHIEO,

BRENDA NYACHIEO, LINDA NYACHIEO et

FRED NYACHIEO, représenté par son tuteur à l’instance,

DAVID NYACHIEO

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1]               Il s’agit de requêtes visant l’obtention pour les demandeurs d’une ordonnance de sursis à l’encontre d’une mesure de renvoi prévue pour le 17 septembre 2007, dans l’attente du jugement d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative de renvoi datée du 6 septembre 2007 rejetant la requête de report de la mesure de renvoi des demandeurs.

 

EXPOSÉ DES FAITS

[2]               Le demandeur principal, David Makori Nyachieo, est un citoyen du Kenya. Il est arrivé aux États-Unis en 1999. Sa famille, composée de sa femme Electra Teresa Nyachieo (la demanderesse) et de leurs enfants, Brenda Nyaboke Nyachieo, Linda Mongina Nyachieo et Fred George Nyachieo, sont tous citoyens du Kenya. Brenda est demeurée aux États-Unis après 1999. La demanderesse est arrivée aux États-Unis avec sa fille Brenda en 2000. Pendant ce temps, le demandeur principal est demeuré au Kenya avec ses enfants Linda et Fred. Pendant tout leur séjour aux États-Unis, soit entre 1999 et 2004, aucun des demandeurs n’a présenté de demande d’asile.

 

[3]               En novembre 2004, toute la famille, à l’exception d’Electra, est entrée au Canada. Cette dernière n’est arrivée qu’en février 2005. Ils ont immédiatement présenté des demandes d’asile au Canada, alléguant la persécution de la famille au Kenya par des membres du parlement kenyan. Ils y allèguent avoir été menacé parce que le demandeur principal, qui est un éducateur, travaillait à sensibiliser sa communauté sur les droits de la personne, le VIH/sida et les mutilations génitales féminines.

 

[4]               En 1998, l’oncle du demandeur a été tué en raison de son implication dans la communauté. Les tueurs ont également battu et torturé son frère. La crainte des demandeurs pour leur sécurité et leur vie a suscité leur décision de déménager en Amérique. Ils n’ont pas obtenu de visa aux États-Unis avant 2004.

 

[5]               Les demandeurs ont déposé une nouvelle demande de contrôle judiciaire de la dernière décision du 7 août 2007. Cette requête n’a pas encore été autorisée.

 

[6]               Le dossier révèle que le demandeur principal travaille comme conseiller dans le domaine de la déficience développementale. La demanderesse est une infirmière auxiliaire autorisée depuis le 26 juillet 2007. Les enfants visés par la présente demande sont tous étudiants dans des écoles et universités canadiennes. Linda terminera sa 12e année la session prochaine. Les membres de la famille sont activement impliqués dans une Église africaine.

 

DÉCISIONS

[7]               La demande d’asile des demandeurs a été rejetée par une décision du 12 août 2005 de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La décision, rendue par le commissaire L. Fournier, était fondée sur l’absence de crainte ou de risque pour les demandeurs et l’absence de fondement permettant de les croire lorsqu’ils affirment qu’un renvoi au Kenya les mettrait en danger. L’agent a principalement tenu compte du fait que les demandeurs n’ont pas demandé l’asile aux États-Unis. Le demandeur a expliqué qu’ils n’ont pas fait cette démarche, car le système américain n’était pas aussi généreux que le système canadien.

 

[8]               Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision, qui a été entendu le 11 juillet 2006 par le juge Beaudry. Ce dernier a rejeté la requête et fait siens la plupart des motifs de la SPR. Le juge Beaudry a également tenu compte du défaut des demandeurs de demander l’asile aux États-Unis. Ce facteur a été pris en considération dans les décisions suivantes : Torres Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 A.C.F. no 1965; Mesikano et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-4433-06, 17 septembre 2007; Qureshi et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-4462-06, 14 septembre 2007.

 

[9]               Les demandeurs ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a été rejetée le 18 janvier 2007.

 

[10]           Ils ont également tenté de faire ouvrir de nouveau leur demande d’asile en novembre 2006. Cette demande a été rejetée dans une décision datée du 7 août 2007.

 

OBSERVATIONS DES DEMANDEURS AU SOUTIEN D’UN SURSIS À LA MESURE DE RENVOI

            (i)         La décision de renvoi

[11]           Un résumé de la décision du 5 septembre 2007 rendue par l’agente Nancy Holdsworth de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) (dont les notes font 11 pages) démontre qu’elle a tenu compte des éléments suivants :

1-                 La question de la possibilité pour les demandeurs, qui sont trois jeunes adultes, de terminer leur année scolaire;

2-                 Le risque lié au retour au Kenya;

3-                 L’impossibilité de poursuivre la demande négative pour motifs d’ordre humanitaires s’il y a renvoi;

4-                 L’état de santé de Linda Mongina Nyachieo.

 

[12]           L’agente a examiné toutes ces questions et a conclu qu’il n’existait pas de circonstances exceptionnelles justifiant un report.

 

[13]           Plus précisément, elle a cité le DWaddell de la direction médicale, selon qui il n’y a pas d’indications que Linda Mongina Nyachieo ne pourrait pas voyager et ne voyait aucun problème pour qu’elle obtienne les traitements médicaux appropriés aux États-Unis ou au Kenya.

 

(ii)        Les questions en litige

[14]           Les questions soulevées par la présente procédure ont déjà été abordées devant l’agente de renvoi, soit :

1.                  Le risque lié au retour au Kenya et la crainte engendrée par ce retour;

2.                  La plus récente demande pour motif d’ordre humanitaire, qui a été déposée le 7 août 2007 et qui n’est toujours pas autorisée;

3.                  La possibilité pour trois des demandeurs de terminer leurs études;

4.                  L’état de santé et les traitements médicaux de la demanderesse Linda Mongina Nyachieo.

 

[15]           Les demandeurs ont plaidé que le refus de reporter la mesure de renvoi était déraisonnable et qu’un sursis devrait être accordé dans l’attente d’une décision sur la demande de contrôle judiciaire pour motifs d’ordre humanitaire. En résumé, le défendeur a fait valoir que la décision était raisonnable et qu’elle devait faire l’objet d’une grande déférence.

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE EN L’ESPÈCE

[16]           Le paragraphe 48(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) prévoit ceci :

48(1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48(1) Enforceable removal order--A removal order is enforceable is it has come into force and is not stayed.

 

(2) Effect--If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

S’il existe une mesure de renvoi valable et exécutoire, le renvoi immédiat devrait être la règle, et le report l’exception (voir Chowdhury c. Canada (Procureur général), 2006 CF 663, au paragraphe 4).

 

[17]           Selon une certaine jurisprudence, puisque le pouvoir discrétionnaire de l’agent de renvoi est très restreint, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148; Bharat c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1720; Labiyi c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1493; Hailu c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 229; Griffiths c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 127.

 

[18]           Un autre groupe de décisions ont plutôt déterminé que la norme de contrôle dans une telle situation est la norme raisonnable simpliciter (soit un critère moins strict). Voir Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385; Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1045; Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1785, au paragraphe 9; Vidaurre Cortes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 78. Je suis d’avis que la présente affaire en est une d’une question mixte de droit et de fait et doit être tranchée en fonction de la norme intermédiaire de la décision raisonnable simpliciter. Le critère de la norme de la décision raisonnable demande à la Cour de tenir compte des motifs qui ont été soulevés par le passé, mais également des motifs d’ordre humanitaire.

 

[19]            Comme le juge O’Reilly l’a déclaré dans la décision Ramada c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112 au paragraphe 3, « (...) les motifs valables peuvent être liés à la capacité de voyager de la personne (maladie ou absence de documents de voyage appropriés), à la nécessité de satisfaire à d’autres engagements (obligations scolaires ou familiales) ou à des circonstances personnelles impérieuses (raisons d’ordre humanitaire) ». Toutefois, le fait qu’une personne ait déposé une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas suffisant pour justifier le sursis au renvoi.

 

ANALYSE

[20]           Les demandeurs affirment qu’il y a quatre questions sérieuses à trancher, référant aux questions précitées. Le défendeur répond qu’il s’agit de questions normales qui sont soulevées dans de nombreuses mesures de renvoi et d’expulsion, sinon dans la majorité. Un examen du dossier en l’espèce révèle que depuis leur arrivée au Canada en 2004, les demandeurs ont entrepris tous les recours légaux possibles en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Tous ces recours ont échoué. Ils ont présenté une demande pour motifs d’ordre humanitaire qui a été rejetée lors d’un contrôle judiciaire en 2006, en plus d’une ERAR, qui a également été rejetée en 2007. La question du risque posé par un retour au Kenya a déjà été tranchée. Les seules questions récentes restantes sont la fin des études de certains demandeurs et l’état de santé relatif aux blessures de la demanderesse Linda Nyachieo. Je suis d’avis que cette dernière question ne pose pas de problèmes puisque l’opinion du Dr Waddell est claire : le fait de voyager n’est pas un problème et les traitements médicaux nécessaires sont accessibles aux États-Unis et au Kenya.

 

[21]           La demande pour motifs d’ordre humanitaire du 7 août 2007 n’a pas encore été autorisée. Quoi qu’il en soit, cette demande peut être poursuivie même si les demandeurs sont à l’extérieur du Canada.

 

[22]           Pour ce qui est de l’interruption des études des demandeurs, il s’agit d’un problème, mais cette même situation se retrouve dans de nombreux cas de renvois ou d’expulsion. L’agente responsable de l’expulsion Nancy Holdsworth a examiné l’ensemble de faits présentés, de même que la plupart des arguments soulevés par les demandeurs devant la Cour. Elle a tenu compte des facteurs en cause et a décidé qu’il ne s’agissait pas de circonstances exceptionnelles justifiant un sursis de la mesure de renvoi. Conformément à la loi précitée, je ne peux conclure qu’en fonction de ces faits et de ces questions, sa décision était déraisonnable. Il n’est pas question ici de savoir si je suis en accord avec sa décision, mais plutôt d’établir si les faits soutiennent rationnellement sa décision.

 

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[23]           Le préjudice irréparable ne doit être ni spéculatif ni reposer sur de simples conjectures. Une cour de justice doit être convaincue qu’un préjudice irréparable sera causé (Atakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 826 (CF 1re inst.); Osaghae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-872-03, 12 février 2003 (CF 1re inst.). Le préjudice irréparable invoqué par l’un des demandeurs à l’égard de leur éducation est souvent un des préjudices causés par une mesure de renvoi ou d’expulsion. Les demandeurs devaient s’attendre à cette mesure puisque toutes leurs tentatives effectuées depuis 2004 pour demeurer au pays ont échoué. Ils ont soulevé la question du « préjudice irréparable », qui doit exister au-delà des conséquences inhérentes à une requête en renvoi ou en expulsion (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (CF 1re inst.), aux paragraphes 20 et 21). Les exigences nécessaires pour démontrer un préjudice irréparable existant au-delà des conséquences naturelles du renvoi n’ont pas été satisfaites en l’espèce.

 

PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[24]           Considérant qu’il s’agit d’un critère en trois volets et que les deux premiers n’ont pas été satisfaits, l’exercice devrait s’arrêter ici. En outre, l’intérêt public doit prévaloir sur les intérêts privés lorsque la preuve indique qu’il est improbable que les demandeurs souffrent d’un préjudice irréparable ou que des questions sérieuses à trancher n’ont pas été soulevées.

 

[25]           En résumé, le refus de l’agente d’expulsion d’accorder un sursis à la mesure de renvoi est raisonnable et les conditions du critère en trois volets n’ont pas été satisfaites.

 

[26]           Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

 

CONCLUSION

[27]           Ainsi, pour tous les motifs qui précèdent, la requête des demandeurs en sursis d’une mesure de renvoi est rejetée.

« Orville Frenette »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3344-07 et IMM-3363-07                

 

INTITULÉ :                                       NYACHIEO ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (Ontario)  

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 septembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE :                                               Le 21 septembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

David Kingwell

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Mary Matthews

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

David Kingwell

Mamann et Associés

74 rue Victoria, bureau 303

Toronto (Ontario) M5C 2A5

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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