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Date : 20070924

Dossier : IMM-631-07

Référence : 2007 CF 936

 

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry

ENTRE :

KALTOUMA AHMAT KARAMBAL

ALI IBRAHIM MAHAMAT

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à la suite d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rendue le 23 janvier 2007.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Ce litige comporte deux questions :

1.    Est-ce que le tribunal a erré en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon capricieuse, arbitraire et sans tenir compte de la preuve?

2.    Est-ce que le tribunal a erré en n’évaluant pas les documents soumis au soutien de la revendication?

 

[3]               Pour les motifs ci-dessous, je réponds par la négative à ces deux questions et la demande sera donc rejetée.

 

CONTEXTE FACTUEL

[4]               Les demandeurs sont des citoyens de la République du Tchad. Le 24 juin 2005, le père de la demanderesse est arrêté par des hommes en tenue militaire. Par la suite, la demanderesse et sa famille reçoivent des visites journalières des agents de l’Agence nationale de sécurité (ANS) qui interrogent, intimident et harcèlent des membres de la famille et arrêtent certains cousins et oncles.

 

[5]               Lors de l’incident du 24 juin, la demanderesse demeure avec ses parents parce qu’elle est enceinte et éprouve des problèmes de santé liés à sa grossesse. Elle indique que lors des interrogatoires menés par l’ANS, les agents vocifèrent contre elles, la bousculent et la menacent avec un fusil.

 

[6]               Le 27 juin 2005, le colonel Ousmane Teguene, ami de la famille et homme influent dans la hiérarchie militaire du Tchad, vient chercher les demandeurs pour assurer leur protection. Ils restent avec lui jusqu’au 20 septembre 2005, et quittent alors le Tchad pour rejoindre l’oncle de la demanderesse au Canada. Ils s’arrêtent aux États-Unis jusqu'au 29 octobre 2005 en raison de problèmes de santé reliée à la grossesse de la demanderesse. Ils se présentent à la frontière Canadienne et y sollicitent l’asile.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[7]               Le tribunal conclut que les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de prouver qu’il existe une « possibilité sérieuse » qu’ils soient persécutés, ou exposés à un risque de torture, de menace à leur vie ou de traitements ou peines cruelles et inusitées. Le tribunal énumère les motifs pour en arriver à cette conclusion :

a)       Une omission de la part de la demanderesse lors de l’entrevue avec l’agent d’immigration à la frontière, ce dernier lui a demandé si son père était un homme politique et elle a répondu : « C’est un administrateur, il travaille dans des… je ne sais pas. » La preuve documentaire déposée par l'agent l'immigration indique que son père est un ancien ministre du gouvernement du Tchad, cependant lors de l’audience, la demanderesse a témoigné que son père avait quitté le Tchad pendant une période de plus d’un an pour des raisons politiques.

b)      Elle a allégué qu’on ne lui avait rien dit lors de l’arrestation de son père, alors que son témoignage révèle que des agents de l’ANS sont revenus plus tard la même journée pour l’interroger. 

c)      Le tribunal a trouvé incohérent le fait que la demanderesse ne se soit pas réfugiée chez son époux vu que ce dernier avait témoigné que les autorités ignoraient l’endroit où il habitait. La demanderesse a témoigné qu’en allant chez son mari, elle aurait exposé sa mère à des représailles de la part de l’ANS. Le tribunal a trouvé davantage incohérent le fait que le colonel Ousmane Teguene, l’ami d’enfance du père de la demanderesse, n’ait pas aussi amené la mère de la demanderesse à se cacher chez lui le 27 juin 2007, lorsqu’il a amené la demanderesse. Elle n’a pas pu expliquer pourquoi sa mère n’avait pas fui avec elle.

d)      Le tribunal a remarqué que le demandeur n’a pas été interpellé malgré que, selon les demandeurs, l’ANS croyait qu’il était le complice du père de la demanderesse, que son emploi était connu des autorités et que sa maison était située sur la même rue que celle des parents de cette dernière. De plus, la demanderesse ne s’est pas fait arrêter malgré les visites répétées des agents de l’ANS. 

e)      Le tribunal a tiré des inférences négatives au sujet de l’absence de preuve documentaire au sujet de l’arrestation et la disparition de M. Karambal alors que la preuve documentaire déposée par la demanderesse relate une décision du Tribunal du Travail opposant le père de la demanderesse à Air Afrique et mentionne que ce dernier a démissionné alors qu'il était ministre et membre du bureau exécutif du parti au pouvoir. Le tribunal a conclu qu’un incident tel qu’une arrestation d’ordre politique devrait raisonnablement être appuyé par une preuve documentaire.

f)        C'est ainsi que le tribunal a déterminé que la lettre de l’oncle de la demanderesse, l’acte de témoignage de sa mère et la lettre d’un ami du demandeur, constituaient des documents de complaisance.

 

[8]               En raison du manque de crédibilité des demandeurs, le tribunal n'a pas cru que ces derniers étaient ciblés au Tchad.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[9]               Lorsqu’il s’agit d’une question portant sur la crédibilité d’un demandeur d’asile, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), paragraphes 2 à 4 :

Le procureur de l'appelant s'est appuyé, dans son mémoire, sur l'arrêt rendu par cette Cour dans Giron c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration pour soutenir que la cour saisie d'une demande de contrôle judiciaire peut plus facilement intervenir lorsqu'il s'agit d'une conclusion d'implausibilité. Comme l'arrêt Giron est de plus en plus souvent utilisé par les procureurs, il nous a semblé utile de le replacer dans une juste perspective.

 

Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de "plausibilité" ou de "crédibilité".

 

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

 

 

Prétentions des demandeurs

[10]           Les demandeurs soumettent quatre arguments à l’appui de leur demande.  Je les examinerai à tour de rôle.

 

[11]           Premièrement, ils allèguent que le tribunal a commis une erreur au sujet de la crédibilité de la demanderesse lorsqu'elle a omis de dévoiler la carrière politique de son père. Étant donné que l'agent d'immigration avait posé sa question dans le temps présent, il était normal pour elle de déclarer que son père était présentement un administrateur.

 

[12]           La Cour ne peut donner suite à cet argument car le tribunal est définitivement mieux placé pour statuer sur des questions de faits et en arriver à une conclusion négative devant une omission semblable Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1108, [2005] A.C.F. no 1374 (QL) aux paragraphes 23 et 24 :

Dans l'ensemble, il ne faut pas oublier que l'évaluation de la crédibilité fondée sur des contradictions, des omissions, des réponses vagues et l'absence de détails dans la preuve fait partie intégrante du pouvoir discrétionnaire de la Commission, en tant que juge des faits. […]

 

Il appartient à la Commission d'évaluer la preuve présentée devant elle, dans son ensemble, et de déterminer la valeur qu'elle doit attribuer à la crédibilité du témoignage des demandeurs. Dans un cas comme celui-ci, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable, puisque les arguments reposent seulement sur la remise en cause des conclusions de faits tirées par la Commission.

 

 

[13]           Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une autre erreur en tirant des conclusions négatives en mentionnant l’absence de preuve documentaire au sujet de l’arrestation ou la disparition de M. Karambal (père de la demanderesse). Ils réfèrent au document Country Report on Human Rights Practices 2005 qui indique que la situation au Tchad est telle que la presse n’est pas libre et qu’il y a peu de chance qu’un tel incident soit rapporté.

 

[14]           Cependant le tribunal est libre de tirer des conclusions négatives à partir d’une absence de preuve documentaire. La Cour a énoncé ce principe récemment dans la cause Morka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 315 au paragraphe 18 (la version en français n’est pas encore disponible) :

Lack of supporting documentary evidence is sufficient to rebut the presumption that the claimant's sworn testimony is true (Adu v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1995] F.C.J. No. 114 (F.C.A.); Diadama v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2006] F.C.J. No. 1518, 2006 FC 1206; Kahiga v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2005] F.C.J. No. 1538, 2005 FC 1240 at para. 10; Oppong v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1995] F.C.J. No. 1187 at para. 5). Consequently, in these particular circumstances, it was not patently unreasonable for the Board to draw an adverse inference from a lack of information in documentary evidence that might reasonably be expected to be mentioned in the circumstances.

 

 

[15]           En troisième lieu, les demandeurs soumettent que le tribunal s'est trompé en refusant de croire à leur récit. Ils soutiennent que la preuve documentaire sur le Tchad corrobore leur version. La Cour ne croit pas que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable. Par exemple, la seule preuve des agissements des agents de l’ANS envers les demandeurs provient de leur propre récit. Il était tout à fait raisonnable pour le tribunal de tirer des conclusions concernant leur manque de crédibilité. Dans Neame c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (23 mars 2000) IMM-847-99, (C.F. 1ère inst.), le juge Lemieux s'est exprimé ainsi au paragraphe 21 :

De plus, j’estime que le propos du juge MacGuigan dans l’arrêt Sheikh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1990] 3 C.F. 238, à la page 244, trouve application en l’espèce :

 

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l’égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n’est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu’il n’existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d’audience pour faire droit à la demande.

 

[Je souligne]

 

[16]           Finalement, les demandeurs allèguent que le tribunal a commis une erreur révisable en analysant leur récit sans tenir compte des circonstances propres au Tchad. En particulier, ils contestent les inférences négatives tirées par le tribunal du fait que la mère de la demanderesse ne se soit pas cachée avec M. Teguene. Selon la Cour, le tribunal a plutôt constaté des contradictions, des invraisemblances et des incohérences dans le témoignage de la demanderesse. Les motifs du tribunal sont bien expliqués et appuyés par la preuve.

 

[17]           L'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

 

[18]           Les parties n'ont pas proposé de questions à certifier et ce dossier n’en contient aucune.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-631-07

 

INTITULÉ :                                       KALTOUMA AHMAT KARAMBAL

ALI IBRAHIM MAHAMAT ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                           L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 30 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 24 septembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Stéphanie Valois                                                           POUR LES DEMANDEURS

 

 

Caroline Laverdière                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois                                                           POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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