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Date : 20070920

Dossier : IMM-6745-06

Référence : 2007 CF 945

Toronto (Ontario), le 20 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

ZILI CUI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Zili Cui, est un citoyen adulte de la République populaire de Chine. Il est entré au Canada avec un autre citoyen adulte de ce pays, Xin Zhi Deng (dont la demande est également examinée par la Cour dans l’affaire IMM‑4071‑06), au moyen de visas de visiteur valides. Leurs visas ont expiré. La prolongation de ces visas leur ayant été refusée, MM. Cui et Deng ont demandé l’asile en août 2003. Le 21 août 2003, ils ont été arrêtés et détenus en vue d’une enquête parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir commis des crimes graves visés au paragraphe 36(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à savoir une fraude majeure.

[2]               Le demandeur Cui a fait l’objet de deux procédures différentes. La première était une enquête. Le 24 juin 2004, M. Cui a été jugé non interdit de territoire. L’appel interjeté par le ministre à l’encontre de cette décision est toujours en instance. La deuxième procédure était l’audition de la demande d’asile, laquelle a commencé le 16 mars 2005 et s’est poursuivie le 21 juin 2005. Le ministre, qui a pris part à cette audition en vertu de l’alinéa 170e) de la LIPR, a invoqué l’alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés parce que le demandeur aurait commis des crimes graves. Le 24 novembre 2006, un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a statué que le demandeur Cui était exclu de la protection en vertu de l’article 98 de la LIPR car il était visé à l’alinéa 1Fb). Il a ajouté que, même s’il n’était pas exclu pour cette raison, le demandeur n’avait pas qualité de réfugié ni celle de personne à protéger. Il était d’avis qu’il ne disposait pas d’une preuve crédible ou digne de foi lui permettant de rendre une décision favorable au demandeur, et il a rejeté la demande d’asile. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

 

[3]               M. Cui soulève une seule question dans sa demande : le ministre, son avocat ou ses mandataires ont‑ils agi irrégulièrement pour obtenir un certain document qui a ensuite été produit en preuve lors de l’audience tenue devant la Commission en mars et en juin 2005. Le document en question s’intitule [traduction] « Avis d’annulation du certificat notarié no 10630 de C. Z. Zi (2003) », dont l’original en chinois figure aux pages 1057 et 1058 du dossier du tribunal, et la traduction anglaise, à la page 1059 de ce dossier. Ce document fait partie d’une liasse de documents désignée comme la pièce M‑4 à l’audience.

 

[4]               Dans son mémoire des arguments, l’avocat de M. Cui demande qu’une nouvelle audition ait lieu et que le ministre [traduction] « démontre qu’il n’a pas commis d’actes contraires à la loi ».

 

[5]               La thèse de M. Cui repose sur l’alinéa 166c) de la LIPR, qui prévoit que les procédures comme celles en cause en l’espèce « sont tenues à huis clos ».

 

[6]               Les tribunaux ne semblent pas s’être déjà penchés sur la portée de l’expression « à huis clos ». Par contre, la juge Tremblay‑Lamer a examiné le sens du mot « procédure » dans Gagné c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 711, où elle a notamment adopté, aux paragraphes 27 et 28, la définition contenue dans le Black’s Law Dictionary, selon laquelle une « procédure » désigne [traduction] « la progression régulière et ordonnée d’une poursuite, y compris tous les actes et faits qui surviennent entre le moment de l’introduction de la cause et le prononcé du jugement ». Ainsi, on entend par « procédure » – ou « affaire » à l’alinéa 166c) de la LIPR – non seulement l’audience, mais également tout ce qui survient entre l’introduction de la cause et la décision finale.

 

[7]               Le document en question est un document d’annulation d’un certificat notarié. Il a pour but d’annuler un certificat délivré par une étude de notaire en Chine le 23 avril 2003, au  motif que des faux documents ont été fournis par l’avocat chinois de M. Cui à l’époque. Le certificat notarié du 23 avril 2003 ne semble pas se trouver dans le dossier du tribunal. Un autre certificat notarié, daté du 11 septembre 2002 celui‑là, se trouve à la page 771 du dossier du tribunal. Ce certificat atteste que M. Cui [traduction] « n’a commis aucune infraction criminelle pendant qu’il résidait en Chine, jusqu’au 29 août 2002 ». Lorsque interrogé au sujet du certificat de 2002, M. Cui a déclaré dans son témoignage que ce certificat était destiné à être utilisé lors de voyages d’affaires, mais dans aucun pays en particulier. Il a dit aux pages 94 et 95 de la transcription :

[traduction]

L’AVOCAT DU MINISTRE : D’accord. Vous nous avez présenté un certificat notarié attestant que vous n’aviez pas de casier judiciaire en Chine. Ce certificat est daté de septembre 2002. Pour quelle raison avez‑vous obtenu ce certificat en septembre 2002?

 

LE DEMANDEUR (Z. CUI) : Parce que je voulais demander un visa en vue d’un voyage d’affaires.

 

L’AVOCAT DU MINISTRE : Quel visa?

 

LE DEMANDEUR (Z. CUI) : Pour septembre 2002. Mais, en fait, le certificat pouvait être utilisé (inaudible). Il peut être utilisé dans n’importe quel pays.

 

L’AVOCAT DU MINISTRE : Bien. Mais ce que je voulais savoir, c’est pour quelle raison vous avez obtenu le certificat en 2002. Vous avez dit que vous aviez demandé – bon. Vous avez dit que vous aviez demandé un visa et vous venez tout juste de dire que c’est pour n’importe quel voyage d’affaires à venir. Est-ce ---

 

LE DEMANDEUR (Z. CUI) : Oui.

 

 

[8]               Il n’est question d’aucun autre certificat notarié ni du document d’annulation en cause dans la transcription.

 

[9]               Il y a, aux pages 777 et 778 du dossier du tribunal, un document qui provient manifestement du site web du département d’État américain et qui explique ce qu’est un certificat notarié chinois. Ce document indique notamment :

[traduction] Il y a des études de notaire dans toutes les grandes villes ainsi que dans des comtés ruraux en Chine. Ces études font partie de la structure du ministère de la Justice, mais sont séparées du système judiciaire populaire.

 

Les fonctions des notaires en Chine sont différentes de celles de leurs homologues américains. Les notaires chinois apposent leur signature et leur sceau officiel sur des certificats qui attestent la légalité des demandes faites par les demandeurs. La réglementation confère aux notaires le pouvoir de délivrer des certificats seulement après avoir conclu que les prétentions du demandeur sont véridiques. Les certificats de naissance, de mariage, de divorce, d’absence de casier judiciaire et d’adoption avant 1981 qui sont notariés constituent tout au plus des éléments de preuve secondaire des faits qu’ils visent à attester. Ils sont néanmoins utilisés parce que la preuve primaire n’est pas normalisée, est facile à fabriquer et est difficile à apprécier. Les certificats notariés sont plus faciles à interpréter que des éléments de preuve primaire et ils représentent théoriquement le jugement d’un expert – le notaire – sur les faits attestés.

 

Les certificats peuvent être fondés sur une preuve primaire, sur une preuve secondaire, sur le témoignage du demandeur ou d’autres parties ou sur une enquête effectuée par le notaire. La plupart des certificats de naissance ou d’adoption notariés reposent principalement sur le registre des ménages, lequel semble pouvoir faire très facilement l’objet de fraudes et de manipulations, en particulier si son détenteur habite à l’extérieur d’une grande région métropolitaine. Il est rare que les certificats notariés précisent ce sur quoi ils sont fondés*.

 

Aussi, un certificat ne peut pas en lui‑même constituer une preuve suffisante des faits invoqués, et le mieux, c’est de l’utiliser avec une preuve primaire et avec une preuve secondaire contemporaine.

 

 

[10]           Ainsi, un certificat notarié semble avoir une valeur probante limitée et constituer tout au plus une preuve secondaire. En l’espèce, ni le certificat du 25 avril 2003 ni le document d’annulation n’ont été mentionnés dans les témoignages ou dans les motifs de la Commission.

 

[11]           À l’audience de mars 2005, le conseil de M. Cui a fait référence à une liasse de documents déposée par le ministre le 7 février 2005, qui constituait le volume 3 de la preuve de ce dernier. Le document d’annulation en cause en l’espèce faisait partie de cette liasse. Le conseil de M. Cui a fait valoir principalement qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps pour préparer une réponse à ces documents. Il n’a pas fait expressément référence au document d’annulation. Il a indiqué que, si l’affaire avait été de nature pénale, ce qu’il avait appelé les principes établis par la Cour suprême du Canada aurait été pertinent. Il ne s’est toutefois pas opposé à l’admissibilité de la liasse de documents qui incluait le document d’annulation. Tout ce qu’il demandait, c’était une prorogation de délai, ce qu’il a obtenu. Il a mentionné notamment dans sa longue plaidoirie, aux pages 6 et 9 de la transcription de l’audience du 16 mars 2005 :

[traduction] Mais le document du 7 février soulève de nouvelles questions très importantes. Le document du 7 février 2005, intitulé « Volume 3 de la preuve du ministre », consiste en un grand nombre de documents qui nous ont été communiqués pour la toute première fois avec une lettre datée du 7 février 2005. Il s’agit d’allégations concernant des crimes qui auraient été commis par chacun des deux demandeurs et de prétendues transcriptions d’enquêtes sur différents soi‑disant témoins de la China Life Insurance. Certaines d’entre elles portent une date nettement postérieure à la fin des enquêtes concernant ces deux hommes. En conséquence, soit elles ont été rédigées après les enquêtes, soit certaines d’entre elles étaient disponibles et auraient pu être présentées à l’enquête, mais elles ne l’ont pas été.

 

Par ailleurs, si la présente affaire était de nature pénale, ce qui n’est pas le cas, si l’enquête était de nature pénale, ce qui n’est pas le cas, les principes établis par la Cour suprême du Canada au sujet de la communication de la preuve n’auraient clairement pas été respectés. Mais comme je l’ai dit, l’affaire qui nous intéresse n’est pas de nature pénale. Je fais seulement une analogie ici.

 

[…]

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Bien. Monsieur, vous ne vous opposez pas, selon ce que je comprends, à ce que ce document soit admis en preuve. Vous ne soulevez aucune objection.

 

LE CONSEIL : Non. Je ---

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Je veux seulement que les choses soient claires. C’est seulement une question de temps.

 

LE CONSEIL : Parfaitement admissible. Et si aucun autre document n’était présenté, je dirais de les exclure à la fin de l’audience. Vous comprenez? Parce que

 

 

[12]           Comme on peut le voir, le conseil de M. Cui a déclaré que les documents étaient [traduction] « parfaitement admissible[s] ». À la page 16 de la transcription de l’audience du 16 mars 2005, la liasse de documents a été admise en preuve sous la cote M‑4.

 

[13]           Aux pages 21 et 22 de la transcription du 16 mars 2005, le conseil de M. Cui a déclaré qu’il [traduction] « craignait que la transcription de la présente instance et la preuve produite par mes clients puissent se retrouver non pas au Canada, où la Charte s’appliquerait, mais en Chine ». Il a demandé que l’avocat du ministre s’engage à faire en sorte que la transcription et la preuve ne soient pas transmises à la Chine. L’avocat du ministre a répondu qu’[traduction] « aucun engagement de ce genre n’est exigé par la loi », mais que son bureau [traduction] « n’a pas l’intention de remettre les transcriptions de la présente audience aux autorités chinoises ». La question de savoir si la documentation deviendrait du domaine public advenant la présentation d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale a ensuite été analysée.

 

[14]           La Cour a été saisie d’une demande de contrôle judiciaire, et aucune ordonnance relative à la confidentialité n’a été demandée ou obtenue.

 

[15]           En aucun temps pendant l’audience, le conseil de M. Cui n’a soulevé une question concernant la manière dont le ministre avait pu obtenir les documents en cause en l’espèce, ni au sujet de l’opportunité de les utiliser en preuve.

 

[16]           La Cour d’appel fédérale a examiné la question de l’utilisation en preuve, au cours de l’audition d’une demande d’asile, de documents obtenus des autorités chinoises. Le juge Pelletier a conclu que, même si l’affaire dans le cadre de laquelle les documents ont été obtenus n’aurait pas dû se produire, cela ne signifie pas qu’elle était pour autant illégale ou illicite. Aux paragraphes 14 à 16 de Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ), [2005] 1 R.C.F. 304, il a écrit :

14     Mais ce n’est pas parce qu’une chose « n’aurait pas dû se produire » qu’elle est pour autant illégale ou illicite. Lorsqu’on a insisté pour qu’il explique les raisons pour lesquelles il soutenait que le mandat avait été obtenu illégalement, l’avocat a répondu qu’en signalant aux autorités chinoises la présence de sa cliente au Canada, le gouvernement avait augmenté les risques de cette dernière d’être torturée si elle devait retourner en Chine. Vu l’obligation imposée par la Convention contre la torture aux parties signataires de prendre des mesures pour empêcher la torture, le gouvernement s’est rendu coupable d’un manquement aux obligations que ce traité mettait à sa charge, manquement qui, en l’espèce, devrait être considéré comme un acte illicite.

 

15     La question de savoir si le fait de divulguer la demande d’asile de l’appelante a augmenté ses risques d’être torturée relève de la pure spéculation. Autant qu’on puisse en juger à la lecture des motifs de la Commission, les risques de torture augmentent lors de la détention qui a lieu au cours de l’enquête criminelle. Nous ne disposons d’aucun élément qui nous permette de penser que le fait de révéler qu’une demande d’asile a été présentée a une incidence sur ce risque précis ou crée de son propre chef un risque de torture.

 

16     Même en supposant que la note diplomatique chinoise donne une image fidèle des faits qui se sont produits, la présumée bévue des services consulaires ne permet pas d’affirmer que le mandat constitue un élément de preuve obtenu illégalement. En conséquence, la question de l’exclusion du mandat au motif qu’il déconsidère l’administration de la justice ne se pose pas.

 

[17]           En l’espèce, le conseil de M. Cui a reconnu que les documents étaient [traduction] « parfaitement admissible[s] » et n’a soulevé aucune objection devant la Commission quant à la manière dont ils avaient été obtenus. Aucune référence n’a été faite à ces documents dans les témoignages ou dans les motifs de la Commission. De toute façon, les documents constituent tout au plus des éléments de preuve secondaire.

 

[18]           J’estime que, compte tenu en particulier de la conduite du conseil de M. Cui devant la Commission, laquelle équivaut à une renonciation, la question de la provenance des documents ne peut pas être soulevée maintenant.

 

[19]           Aucune question ne doit être certifiée, la présente affaire dépendant de faits qui lui sont propres. Aucuns dépens ne seront adjugés.

 


 

JUGEMENT

Pour les motifs exposés ci‑dessus :

 

LA COUR STATUE :

            1.         La demande est rejetée.

            2.         Aucune question n’est certifiée.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-6745-06

 

INTITULÉ :                                                       ZILI CUI

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 20 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE HUGHES 

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 20 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Weisdorf, c.r.                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Weisdorf, c.r.                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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