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Date : 20070927

Dossier : IMM-4725-06

Référence : 2007 CF 968

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

ERICKA MARLENE MARTINEZ REQUENA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission ou la SPR) doit faire preuve d’équité procédurale à l’endroit des demandeurs d’asile. Cette obligation est exprimée à l’alinéa 170e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), lequel prévoit que la SPR doit, lors de toute audience, donner « à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations ». Elle l’est également à la règle 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, qui régit la communication de documents. On prévoit ainsi au paragraphe (2) de la règle 29 que, pour utiliser un document à l’audience, la SPR doit en transmettre une copie aux parties avant l’audience. En outre, il est prescrit à la partie 5 de la Politique sur les cartables de renseignements sur les pays d’origine aux fins des demandes d’asile que la Commission a pour politique « de créer, de mettre en œuvre et d’utiliser des cartables uniformisés de renseignements sur les pays d’origine pour communiquer de l’information pendant toutes les procédures de la Section de la protection des réfugiés ». [Non souligné dans le texte.]

 

[2]        Avant chaque audience, conformément à cette politique, l’index du cartable sur le pays d’origine concerné est communiqué au demandeur d’asile. L’index est ensuite produit à titre de pièce au début de l’audience. Cette introduction étant faite, tournons-nous maintenant vers l’affaire dont la Cour est saisie.

 

[3]        Il s’agit en l’espèce d’une demande d’asile présentée par Ericka Marlene Martinez Requena, une citoyenne de la Bolivie. Celle-ci affirme être une défenseure des droits des paysans qui craint d’être persécutée par les autorités et les forces de sécurité en Bolivie, y compris l’armée et la police.

 

[4]        Au début de l’audience relative à la demande d’asile, la Commission a confirmé verbalement que les documents qu’elle utiliserait pour trancher la revendication seraient certains documents reçus par les autorités canadiennes de l’immigration lors de l’arrivée de Mme Martinez Requena au Canada ainsi que le cartable de renseignements intitulé « Bolivie 2003 ». Ces documents ont été désignés respectivement pièces R-1 et R-2.

 

[5]        On n’a toutefois pas communiqué à Mme Martinez Requena, au moyen du cartable sur le pays d’origine ou autrement, la Réponse à la demande d’information BOL 43345.E datée du 10 février 2005 (la Réponse). Or, la Commission s’est abondamment appuyée sur ce document pour conclure que Mme Martinez Requena pouvait, et peut toujours, se réclamer de la protection de l’État en Bolivie.

 

[6]        Je suis pour ma part convaincue que la Commission, en se fondant sur un document non communiqué à Mme Martinez Requena, a privé cette dernière de la possibilité de valablement participer à l’audience relative à sa demande d’asile et, partant, a manqué à son égard à son obligation d’équité procédurale. L’importance et la pertinence de la Réponse étaient manifestes au regard de la demande d’asile de la demanderesse, et le fait que la Commission se soit fortement appuyée sur ce document dans ses motifs vient l’attester. La Réponse aurait dû être communiquée à Mme Martinez Requena avant l’audience.

 

[7]        Avant de me pencher sur les conséquences du défaut d’avoir communiqué la Réponse, je ferai remarquer que ce n’était pas là la seule erreur commise par la SPR. Elle a aussi commis une erreur, en effet, en concluant que Mme Martinez Requena n’avait pas une crainte subjective de persécution en Bolivie du fait qu’elle y était retournée en 2004, en provenance du Chili, et en 2005, en provenance de l’Uruguay. Quant à la conclusion, il importe de relever deux éléments. Premièrement, la Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de Mme Martinez Requena. Il faut ainsi présumer que la Commission a jugé véridique son témoignage. Deuxièmement, le simple fait qu’un demandeur d’asile retourne dans son pays de nationalité n’est pas déterminant quant à savoir s’il est ou non animé d’une crainte subjective. S’il est démontré, par exemple, que le demandeur croyait que la situation avait changé dans son pays ou qu’il y a effectué une visite temporaire tout en se tenant caché, cela ne permet pas de conclure à l’absence de crainte subjective. 

 

[8]        Étant donné l’explication donnée par Mme Martinez Requena pour son retour en Bolivie, la Cour ne pouvait conclure en l’absence d’une crainte subjective de persécution à moins de conclure également que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible (une conclusion que la Commission n’a pas tirée). Tel que l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shanmugarajah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 583 (C.A.F.), au paragraphe 3, « il est presque toujours téméraire pour une Commission, dans une affaire de réfugié où aucune question générale de crédibilité ne se pose, d’affirmer qu’il n’existe aucun élément subjectif de crainte de la part du demandeur ».

 

[9]        Pour en revenir maintenant aux conséquences des erreurs ainsi commises, l’avocat du ministre soutient que la conclusion déterminante de la Commission c’était que Mme Martinez Requena n’avait pu réfuter la présomption de protection offerte par l’État. Il serait donc futile, d’ajouter l’avocat, de renvoyer l’affaire à la SPR.

 

[10]      Cette prétention soulève deux problèmes selon moi. Premièrement, comme l’a souligné mon collègue le juge Blanchard dans Chalal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 497 (1re inst.), au paragraphe 47, rares sont les cas où un redressement a été refusé à un demandeur alors que l’erreur tenait à la négation du droit à une preuve pleine et entière et à une audition équitable. J’estime aussi, en second lieu, que la prétention du ministre ne tient pas valablement compte du fait que, en l’espèce, c’est l’État bolivien lui-même qu’on dit être l’agent de persécution et que le témoignage de Mme Martinez Requena a été trouvé crédible.

 

[11]      Au paragraphe 8.427 de son ouvrage Immigration Law and Practice, 2e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2005), Lorne Waldman écrit ce qui suit à cet égard :

[traduction]

[…] il convient d’établir une distinction entre les cas où des représentants de l’État eux-mêmes sont les agents de persécution et les cas où l’État n’est pas en mesure de protéger ses citoyens. Dans la première situation, on ne devrait apprécier la demande d’asile qu’en fonction de la volonté du demandeur de ne pas se réclamer de la protection de l’État. C’est là une déduction nécessaire du fait que la persécution est crainte de la part de représentants de l’État. Si les agents de persécution sont des représentants de l’État, il n’y a alors aucune raison, pour évaluer la demande d’asile, d’apprécier l’incapacité du demandeur de se réclamer de la protection de l’État. Lorsque les persécuteurs sont des représentants de l’État, la question de l’incapacité de se réclamer de la protection ne se pose pas. Il ne pourrait y avoir exception à ce principe que dans les cas où les agents de persécution agissent de leur propre chef sans que l’autorité centrale le sache ou y consente. Pour que cela soit le cas, il faudrait toutefois qu’il y ait une preuve convaincante selon laquelle l’autorité centrale n’était pas au courant des agissements de ses représentants locaux et serait en mesure à l’avenir d’offrir sa protection. La seule question que doit par conséquent examiner la Commission, dans les cas où les agents de persécution sont des représentants de l’État ou des personnes qui agissent au nom de l’État, est celle de savoir si le demandeur d’asile a une crainte fondée de subir un préjudice grave au point que cela constitue de la persécution et si, du fait de cette crainte, il ne veut pas se réclamer de la protection de l’État. [Non souligné dans l’original.]

 

[12]      Compte tenu du témoignage non contesté de Mme Martinez Requena quant à la façon dont elle a été traitée en Bolivie, et comme celle-ci ne veut pas se réclamer de la protection de l’État dans ce pays, je ne puis conclure que, du point de vue juridique, il serait futile de renvoyer la présente affaire à la Commission. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie.

 

[13]      Les avocats n’ont proposé aucune question à certifier, et je suis convaincue que la présente affaire n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue le 4 août 2006 est par la présente annulée.

 

2.         L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                 IMM-4725-06

 

INTITULÉ :                                                ERICKA MARLENE MARTINEZ REQUENA

                                                                     c.

                                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 18 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                      LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                     LE 27 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron M. Thomas                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

Asha Gafar                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron M. Thomas                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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