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Date : 20070926

Dossier : IMM-5013-06

Référence : 2007 CF 967

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 septembre 2007

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

RAGINI RAJESWARAN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Ragini Rajeswaran est une femme tamoule de 45 ans. Originaire du Sri Lanka, elle est arrivée au Canada prétendument après avoir passé sept années en Inde. Dès son arrivée, elle a demandé l’asile au Canada.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de Mme Rajeswaran. La Commission a sérieusement mis en doute la crédibilité de son témoignage sur ses années passées en Inde, et elle s’est interrogée sur les allées et venues de la demanderesse durant les années précédant son arrivée au Canada. Ces doutes ont mené la Commission à conclure que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée au Sri Lanka et a par conséquent rejeté sa demande d’asile.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que certaines des conclusions défavorables de la Commission concernant la crédibilité étaient manifestement déraisonnables. Par surcroît, la Commission a commis une erreur en n’évaluant pas adéquatement le risque couru par Mme Rajeswaran au Sri Lanka, au vu de ses expériences antérieures dans ce pays. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et la décision de la Commission sera annulée.

 

Résumé des faits

[4]               Mme Rajeswaran a déclaré qu’à l’époque où elle vivait au Sri Lanka, son frère a été abattu par la Force indienne de maintien de la paix. Elle a elle-même été forcée de s’embrigader dans les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), sous peine d’un châtiment sévère si elle refusait. Mme Rajeswaran ajoute que les TLET ont extorqué de l’argent à elle et à sa famille.

 

[5]               Elle raconte par ailleurs qu’elle a été détenue par les forces armées srilankaises à deux occasions, et qu’elle a alors été agressée physiquement. Après sa remise en liberté, affirme-t-elle, des représentants des TLET sont venus la voir pour lui demander si elle avait coulé de l’information aux autorités srilankaises. Les TLET ont aussi fait pression sur elle pour qu’elle joigne leurs rangs.

 

[6]               En 1998, craignant pour sa vie, Mme Rajeswaran aurait quitté le Sri Lanka pour l’Inde, où elle serait restée jusqu’à sa venue au Canada pour y demander l’asile, en 2005. Elle n’avait pas pu demander l’asile en Inde parce que le pays n’a pas signé la Convention sur les réfugiés. Pendant son séjour en Inde, Mme Rajeswaran a épousé un concitoyen srilankais. Bien qu’il y fût sans statut, le couple a réussi à vivre et à travailler en Inde moyennant des pots-de-vin à des fonctionnaires bien placés.

 

[7]               Mme Rajeswaran a affirmé qu’elle avait peur de retourner au Sri Lanka. Comme elle a déjà été arrêtée deux fois par les autorités srilankaises, elle craint des récidives. Elle prétend également craindre que les TLET tentent de nouveau de la recruter. Enfin, elle craint les tirs croisés des forces adversaires, dont les combats se sont intensifiés au Sri Lanka.

 

[8]               Malgré les doutes évidents de la Commission quant à la crédibilité du témoignage de Mme Rajeswaran sur la période s’étendant de 1998 à 2005, elle n’a pas établi clairement le manque de crédibilité de son témoignage concernant les événements survenus au Sri Lanka avant 1998. Il semble que la Commission ait adhéré au récit de Mme Rajeswaran concernant ce qui lui est arrivé dans ce pays.

 

Analyse

[9]               Je suis d’avis que plusieurs des conclusions défavorables de la Commission quant à la crédibilité et à l’existence d’une crainte subjective de Mme Rajeswaran posent problème. Notamment, celle-ci a déclaré qu’elle avait obtenu son passeport en 1990 parce qu’elle projetait d’aller travailler dans un autre pays afin de venir en aide à sa mère malade et à ses frères et sœurs cadets. Selon la Commission, Mme Rajeswaran aurait affirmé qu’elle avait renoncé à ce projet parce que sa mère était malade et que ses frères et sœurs étaient jeunes. La Commission a conclu que ce témoignage était « contradictoire » et qu’il entachait sa crédibilité.

 

[10]           À mes yeux, cette conclusion est clairement déraisonnable. Il ressort de la transcription de son témoignage que Mme Rajeswaran a dit qu’après avoir envisagé de travailler à l’étranger pour aider sa mère souffrante et ses jeunes frères et sœurs, elle a changé d’idée quand la santé de sa mère s’est détériorée. Je ne vois rien de foncièrement incohérent dans cette déclaration.

 

[11]           Mme Rajeswaran a aussi mentionné que la détérioration de leur situation en Inde leur a fait craindre, à elle et à son mari, d’être renvoyés au Sri Lanka, où les conditions avaient empiré. C’est pour cette raison qu’elle a décidé de venir au Canada et d’y demander l’asile. Son mari est resté en Inde, mais il fait des démarches pour partir et venir au Canada.

 

[12]           Dans ses commentaires au sujet du témoignage de Mme Rajeswaran sur la situation de son mari, la Commission souligne qu’il est resté en Inde et se demande pourquoi. Il semble que des raisons financières l’aient contraint à rester mais, souligne la formation, la demanderesse a elle-même déclaré que son mari est marchand de légumes.

 

[13]           En toute déférence, le fait que le mari de Mme Rajeswaran peut subvenir à ses besoins en Inde en vendant des légumes ne signifie pas qu’il dispose des ressources financières nécessaires pour rétribuer un agent qui l’aidera à venir au Canada. La conclusion de la Commission à cet égard est clairement déraisonnable.

 

[14]           La Commission souligne enfin que bon nombre de ressortissants du Sri Lanka sont rentrés chez eux en 2002 et 2003, ce qui remet en cause la sincérité de la crainte subjective de Mme Rajeswaran d’y être persécutée. Or, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant d’établir si la situation de ces personnes était similaire à celle de Mme Rajeswaran.

 

[15]           En d’autres termes, il est impossible de savoir si des personnes rentrées au Sri Lanka avaient déjà été persécutées par les TLET et les autorités srilankaises. À défaut de cette preuve, le retour de certaines personnes au Sri Lanka n’était aucunement pertinent pour apprécier la revendication de Mme  Rajeswaran : Sabaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 901.

 

[16]           Même si les conclusions analysées précédemment forment quelques-uns seulement des motifs invoqués par la Commission pour mettre en doute la crainte subjective de Mme Rajeswaran d’être persécutée au Sri Lanka, il est manifeste qu’elles ont nui considérablement à l’interprétation de son récit. Je ne puis donc souscrire à la conclusion de la Commission selon laquelle Mme Rajeswaran n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée.

 

[17]           Qui plus est, après avoir admis que Mme Rajeswaran avait jadis été persécutée par les TLET et les autorités srilankaises, la Commission était tenue d’apprécier le bien-fondé de ses prétentions relativement à la probabilité que ces deux entités la persécutent de nouveau. La Commission a manifestement manqué à cette responsabilité.

 

Conclusion

[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Question à certifier

[19]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

 

            LA COUR ORDONNE ET ADJUGE :

 

            1.         que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision;

 

            2.         qu’aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5013-06

 

INTITULÉ :                                       RAGINI RAJESWARAN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 septembre 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE :                                               Le 26 septembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane                                                                          Pour lademanderesse

 

Jamie Todd                                                                              Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     Pour la demanderesse

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           Pour le défendeur

 

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