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 Date :  20071001

Dossier :  IMM-1157-07

Référence :  2007 CF 978

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2007

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

SARBIT SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à la suite d’une décision négative de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rendue le 13 février 2007. Le tribunal a refusé la demande d’asile et a conclu que le demandeur n’était pas une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la Loi.  Le tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner la demande sous l’article 96.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

1.      Est-ce que le tribunal a erré en omettant de considérer l’applicabilité de l’article 96?

 

2.      Est-ce que le tribunal a erré en omettant de considérer l'ensemble de la preuve testimoniale?

 

3.      Est-ce que le tribunal a erré en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon capricieuse, arbitraire et sans tenir compte de la preuve?

 

4.      Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer l’incapacité de son pays de le protéger?

 

5.      Est-ce que le tribunal a erré en concluant que le demandeur peut bénéficier d’un refuge interne?

 

 

[2]               Pour les motifs ci-dessous, je réponds de façon positive à la première question et considère qu'il n'est pas nécessaire de répondre aux autres questions. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

CONTEXTE FACTUEL

[3]               Le demandeur d’asile, Sarbjit Singh, est un citoyen de l’Inde qui arrive au Canada le 4 mai 2004 et réclame le statut de réfugié. Sa demande de protection fait suite à des troubles avec son voisin, membre actif de l’organisation Babar Khalsa.

 

[4]               Le 6 juillet 1999, le demandeur et son frère aperçoivent leur voisin, Mangal Singh, courir pour se sauver des policiers. Ils dirigent ces derniers à l'endroit où se cache ce voisin. Mangal Singh est alors tué lors d’un échange de coups de feu.

 

[5]               Le père du demandeur avertit ses fils que ce voisin est membre de Babar Khalsa, une organisation terroriste. Quelques jours plus tard, le fils de Mangal Singh, Ajmer Singh, téléphone au père du demandeur et l'informe qu'il vengera son père. La famille du demandeur reçoit plusieurs appels de cette nature, et en informe la police.

 

[6]               Le 25 septembre 1999,  alors qu’il se rend au travail, le frère du demandeur est assassiné par Ajmer Singh et ses hommes.  La famille du demandeur dénonce ce geste à la police, et un procès en résulte, ainsi qu’une condamnation.  Néanmoins, Ajmer Singh est libéré au mois de décembre 2003.

 

[7]               La famille continue de recevoir des appels de menaces pendant le procès. Le demandeur s’enfuit à Chypre et poursuit ses études.  Pendant son absence, les hommes de main d’Ajmer Singh détruisent les plantations de la famille du demandeur, leur causant ainsi des problèmes financiers. Le demandeur revient alors en Inde.

 

[8]               Aussitôt libéré, Ajmer Singh commence à menacer la famille de nouveau et, le 4 janvier 2004, accompagné de ses hommes, il tire des coups de feu sur le demandeur.  Le 24 janvier 2004, la maison de la famille est saccagée.  Le demandeur se cache dans une autre province de l’Inde, mais il est toujours poursuivi. Il quitte l’Inde pour le Canada le 18 avril 2004.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[9]               Le tribunal décide qu’il n’y a pas de motif de demande d’asile en vertu de l’article 96 et souligne que le demandeur n'a pas fait de demande en vertu de cet article. Il entreprend l’analyse uniquement en vertu l’article 97, et rejette la demande d’asile. Le demandeur conteste cette décision par le présent contrôle judiciaire.

 

[10]           En premier lieu, le tribunal invoque le fait que le demandeur est retourné en Inde après son séjour en Chypre pour conclure qu’il n’y avait pas de crainte subjective de persécution.

 

[11]           Dans un deuxième temps, le tribunal conclut que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver qu’il ne peut pas bénéficier de la protection de son pays.  À l’appui de cette conclusion, le tribunal invoque le fait qu’il y a eu un procès et une condamnation suite au meurtre de son frère. Il invoque aussi le fait que, selon le formulaire de renseignements personnels, le demandeur n’a pas dénoncé les incidents perpétrés par les membres de Babar Khalsa suite au procès. Dans son témoignage, le demandeur relate que la famille a porté plainte, mais le tribunal ne trouve pas cette mention crédible.

 

[12]           Finalement le tribunal conclut qu’il y a une possibilité de refuge interne.  Il ne croît pas que le demandeur soit recherché partout en Inde et détermine que malgré son état de fragilité, le demandeur peut aller s'installer à New Delhi.

 

ANALYSE

1.         Est-ce que le tribunal a erré en omettant de considérer l’applicabilité de l’article 96?

[13]           Le demandeur soumet que le tribunal a commis une erreur de droit en omettant de considérer qu’il était un « réfugié au sens de la Convention » en vertu de l’article 96.  Il invoque qu’il craint d’être persécuté du fait de ses opinions politiques. 

 

[14]           La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte : Kaburundi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 361, [2006] A.C.F. no 427 (QL) aux paragraphes 41 et 42 :

Le demandeur allègue que le tribunal a commis une erreur de droit en ne traitant pas du fond de la demande d'asile du demandeur, c'est-à-dire la possibilité de son inclusion dans les catégories de « réfugié au sens de la Convention ».

 

La norme de contrôle applicable à une telle erreur de droit serait celle de la décision correcte (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).

 

 

 

[15]           Avant de déterminer si le tribunal a correctement décidé la question, je tiens à examiner un argument soulevé par le défendeur.  Il invoque le fait que le demandeur n’a pas coché la boîte correspondant aux motifs de persécutions, et donc n’a pas fait de demande en vertu de l’article 96. Cet énoncé est erroné. La Cour suprême dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 s'est prononcée de la façon suivante à ce sujet :

Je remarque que le Guide du HCNUR, à la p. 17, paragraphe 66, précise qu'il n'incombe pas au demandeur d'identifier les motifs de persécution.  Il incombe à l'examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies; […]

 

 

[16]           En s’exprimant ainsi dans sa décision, la Cour considère qu'il s'agit d'une erreur révisable (dossier du tribunal, page 4, deuxième paragraphe) :

 

Pour ce tribunal, il n'a pas de motif (sic) de demande d'asile sur l'article 96 d'autant plus que le demandeur, originalement, n'a pas demandé sur l'article 96 mais uniquement sous l'article 97 (1) a) et b) et après une discussion avec le conseil du demandeur, le tribunal en vient à la conclusion que cette demande d'asile n'est basée que sur l'article 97 puisqu'il ne s'agit que d'une question de vengeance tel quel. »

 

 

[17]           Il est vrai qu'il y a eu une discussion au sujet des articles 96 et 97 lors de l'audition. On ne peut pas en conclure cependant qu'il y a eu renonciation de la part du procureur du demandeur à ce qu'une analyse se fasse en vertu de l'article 96. C'est le décideur lui-même qui a déterminé que la demande était basée uniquement en vertu de l'article 97 puisqu'il ne s'agissait selon lui que d'une question de vengeance.

 

[18]           D’une part, la preuve documentaire au sujet de l'organisation terroriste Babar Khalsa est probante. D'autre part, tant dans ses documents écrits que dans sa preuve testimoniale, le demandeur allègue une crainte de persécution bien fondée à l'égard de cette organisation. D'ailleurs le tribunal écrit ceci (dossier du tribunal, page 4) :

Le père du demandeur leur aurait fait part qu'ils ont fait une erreur d'avoir fait part à la police de l'endroit où se situait le voisin car l'organisation à laquelle il faisait partie était très dangereuse.

 

 

 

[19]           Devant une telle affirmation et la preuve au dossier, la Cour ne comprend pas pourquoi le tribunal a décidé de baser son analyse uniquement sous l'article 97.

 

[20]           Il est vrai que la vengeance est un élément important dans l'énoncé de persécution de la part du demandeur. Cependant l'aspect de l'organisation terroriste Babar Khalsa dans l'histoire du demandeur aurait dû être analysé en vertu de l'article 96. Cette erreur justifie l'intervention de la Cour (Jawaid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), 2003 CFPI 220, [2003] A.C.F. no 305 (QL)).

 

[21]      Les parties n'ont soumis aucune question à certifier.

 

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné pour être analysé et décidé par une nouvelle formation. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1157-07

 

INTITULÉ :                                       SARBIT SINGH ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                           L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1er octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Michel Le Brun                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

 

Christine Bertrand                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun                                                             POUR LE DEMANDEUR

Lasalle (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LA DÉFENDERESSE 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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