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Date: 20071001

Dossier: IMM-895-07

Référence: 2007 CF 980

Ottawa, (Ontario), le 1er octobre 2007

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

MARIA GUADALUPE DOMINGUEZ BANDO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), rendue le 6 février 2007, selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).  

 

I.  Faits

[2]               Née le 9 octobre 1980, la demanderesse est citoyenne mexicaine. Elle est arrivée au Canada le 26 février 2006 et n’a réclamé l’asile que le 16 mai 2006, soit trois mois plus tard.

 

[3]               Entre le 3 décembre 2004 et le 26 février 2006, la demanderesse a été victime de harcèlement, d’extorsion, de chantage et de sévices sexuels par le médecin ophtalmologiste Julio Cesar Machorro ainsi que par ses cousins habillés en policiers. Alors qu’elle travaillait avec le médecin, ce dernier l’aurait violé pendant un déplacement d’affaires le 22 février 2005. En outre, la demanderesse l’aurait dénoncé à trois reprises auprès du Ministère public soit le 15 juin, le 10 août et le 13 décembre 2005. Ses efforts pour rejoindre son frère aîné aux Etats-Unis n’ayant pas aboutis, elle a pris l’avion pour le Canada le 26 février 2006.

 

[4]               Après avoir examiné toute la preuve, la SPR a conclu que la demanderesse était crédible à l’égard de son histoire de violence sexuelle commise contre sa personne ainsi que les propos qu’elle relate suite aux événements.

 

[5]               Toutefois, la SPR a décidé qu’elle n’était ni une réfugiée ni une personne à protéger en raison de l’existence d’une possibilité de refuge interne. La demanderesse n’a pas établi qu’elle ne pourrait bénéficier de la protection de l’État du Mexique en rentrant au pays. À cet égard, le tribunal a exprimé ce qui suit :

Les incidents allégués par la demandeure se seraient produits à Puebla. Ils seraient le fait du médecin spécialiste Julio Cesar Machorro et de ses deux cousins habillés en policier, selon le témoignage oral et écrit de la demandeure.

 

 

 

 

 

 

Or, selon la preuve documentaire déposée par l’agent chargé de la protection des réfugiés (APR), le Mexique compte plus de 120 millions d’individus sur son vaste territoire. Cette preuve nous démontre que le Mexique est un État fédéral qui compte 31 états, en plus du District Fédéral de Mexico. De plus, il existe plusieurs villes de plus d’un million d’individus, exemples : Guadalajara, Leόn et aussi Monterrey. Interrogée sur la possibilité de trouver un refuge dans l’une de ces villes, par exemple, la ville de Monterrey, la demandeure a répondu qu’il serait facile de la retrouver où qu’elle soit, sur le vaste territoire mexicain, sans jamais pouvoir expliquer comment. Elle a, de plus, indiqué que son but était de fuir le Mexique.

 

La demandeure n’a pas démontré que la possibilité de refuge interne était déraisonnable dans son cas. La demandeure est jeune, articulée, débrouillarde et à l’aise dans la vente. Le tribunal estime qu’elle a une possibilité de refuge interne dans une des grandes villes mexicaines. De plus, le tribunal ne croit pas que son présumé persécuteur, dont la profession est de haut niveau, médecin ophtalmologiste, abandonnerait sa réputation et son renom, pour risquer d’avoir une autre plainte sur les épaules et ainsi, salir sa réputation pour investir des ressources financières et humaines afin de bourlinguer sur l’ensemble du vaste territoire mexicain, à la recherche de la demandeur.

[. . .]

 

La demandeure n’a pas démontré que la possibilité de refuge interne était, dans son cas, déraissonable.

 

 

[6]               La SPR a également trouvé insuffisantes les explications que la demanderesse a données concernant le délai de trois mois écoulé entre son arrivée au Canada et la déposition de sa demande d’asile. Lors de son témoignage, la demanderesse s’est exprimée ainsi :

Copies certifiées, p. 157 :

Q.                Pourquoi vous êtes venue au Canada, Madame?

R.                 Je suis venue au Canada parce que j’avais peur, je ne pouvais pas continuer dans mon pays.

Q.                Pourquoi vous attendez trois mois, Madame, pour demander la protection au Canada?

R.                 Bien que j’avais [sic] l’intention de venir ici après avoir tenté d’aller aux Etats-Unis, je n’avais aucune connaissance sur le gouvernement d’ici du Canada et que je pouvais demander le refuge.

Q.         Qu’est-ce que vous avez fait pendant trois mois, Madame?

R.         D’abord, je suis arrivée dans un hôtel, j’étais dans une sorte d’auberge pour étudiants, je ne pensais pas rester non plus longtemps ici, je pensais retournais vite dans mon pays. J’ai vu que je ne pouvais pas y retourner et c’est pour cela qu’après trois mois, j’ai décidé de demander le refuge.

 

 

Ce retard, selon la SPR, mine l’élément de crainte subjective.  Pour ces raisons, sa demande a été rejetée.

 

IV.  Analyse

Norme de contrôle

[7]                Cette Cour a maintes fois déclaré que la norme de contrôle applicable aux décisions de la SPR lorsqu’il s’agit de la possibilité d’un refuge interne est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la cause Barrionuevo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 1908, 2006 CF 1519, le juge Yvon Pinard a souligné ce qui suit aux paragraphes 5 et 7 :

5     La norme de contrôle appropriée pour la conclusion de la CISR relativement à l'existence d'un refuge interne est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir, entre autres, Chorny c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2003] A.C.F. no 1263, 2003 CF 999 et Ramachanthran c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2003] A.C.F. no 878, 2003 CFPI 673) .

[. . .]

 

 

 

 

 

 

 

 

7     C'est au demandeur qu'incombe le fardeau de démontrer qu'il risque sérieusement d'être persécuté sur tout le territoire de l'Argentine, conformément au principe bien énoncé par la Cour d'appel fédérale dans Thirunavukkarasu, ci-dessus, à la page 595 :

   

D'une part, pour établir le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur, comme je l'ai dit plus haut, doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans son pays. Si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est soulevée, il doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans cette partie de son pays qui offre prétendument une possibilité de refuge...

 

[8]               En l’espèce, la demanderesse plaide que son agresseur l’avait violée à Teziutlan Puebla, le 22 février 2005. Lorsqu’elle a quitté l’État de Puebla le 17 juin 2005, pour vivre à México, l’agresseur et ses cousins l’ont poursuivie jusque là et depuis même par l’entremise de sa famille qui recevait des menaces depuis qu’elle est arrivée au Canada. Ils ont réussi à la contacter dans une grande ville mexicaine telle que Mexico, ce qui présage une volonté de leur part de la retrouver n’importe où au Mexique.

 

[9]               Le problème découlant de la présente décision est que la SPR détermine que la demanderesse a été de manière générale crédible mais qu’étant donné la possibilité d’un refuge interne, celle-ci ne fait pas droit au demandeur.

 

 

 

[10]           Pour en arriver à une telle conclusion, le tribunal considère que l’agent persécuteur et ses cousins habillés en policiers ne recherchent pas la défenderesse.  Toutefois, la preuve de la demanderesse démontre qu’ils la pourchassaient là où elle se trouve à Puebla, Mexico, et même au Canada par l’entremise de menace à son égard provenant d’eux par l’entremise de sa famille (voir dossier du tribunal aux pages 158, 159, 162 et 163 etc…).  Si la demanderesse est crédible, cette preuve demeure et le tribunal ne peut pas être d’avis que l’agent persécuteur et ses mandataires ne la « recherchent pas ».  La SPR note que la demanderesse n’a pas expliqué la façon que l’agent persécuteur pouvait la rejoindre partout sur le vaste territoire mexicain sans commenter la preuve des faits reliés à Mexico. Une telle détermination va à l’encontre de la preuve « crédible » de la demanderesse.  Ceci m’apparaît être une conclusion manifestement déraisonnable dans les circonstances.  S’il y a des nuances à faire au sujet de la crédibilité, le tribunal doit le faire.  Il faut qu’il y ait constance dans de telles décisions.  Il est important que la crédibilité de la demanderesse soit réévaluée à la lumière des demandes du dossier. 

 

[11]           Étant donné la précédente conclusion, la demande de contrôle judiciaire est acceptée et le dossier est retourné pour qu’il soit traité par un autre panel.

 

[12]           J’ai demandé aux procureurs s’ils avaient des questions à soumettre pour fin de certification, aucune ne fut soumise.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE QUE :

 

-         Cette demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision est annulée et le dossier est retourné pour qu’un nouveau tribunal étudie le dossier à nouveau dans son ensemble.

-         Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-895-07

 

INTITULÉ :                                       MARIA GUADALUPE DOMINGUEZ BANDO

et MINISTRE DE LA CITOYENNÉTÉ ET DE                             L’IMMIGRATION (MCI)

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Michel Le Brun                                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Lisa Maziade                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Lasalle (Québec)

 

John Sims, cr                                                                POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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