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Date : 20071001

Dossier : IMM-4409-06

Référence : 2007 CF 985

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

JESUS GIRON SOBERANIS

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), à l’égard de la décision, en date du 17 juillet 2006, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur sollicite ce qui suit :

            1.         une ordonnance de certiorari annulant la décision de la Commission;

            2.         une ordonnance de mandamus enjoignant à la Commission d’accorder au demandeur une nouvelle audience devant une formation de la Commission différemment constituée.

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur, Jesus Giron Soberanis, est un citoyen du Mexique. Il a allégué craindre avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir les homosexuels. Il a également fait valoir qu’il était une personne à protéger. Les circonstances qui ont amené le demandeur à demander l’asile figurent dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[4]               Le demandeur a expliqué qu’il avait fait l’objet de discrimination et de harcèlement et qu’il avait été victime d'agressions dans sa ville natale parce qu’il était homosexuel. Sa famille est très religieuse et s’oppose vivement à son style de vie. Il a affirmé avoir essayé de se suicider à cause des agressions psychologiques qu’il a subies. Le demandeur savait qu’au moins dix homosexuels avaient été tués au cours des cinq dernières années; cependant, rien n’avait été fait pour élucider ces décès. Le demandeur a déménagé à Acapulco pour échapper aux agressions, mais il a continué à faire l’objet de discrimination.

 

[5]               Le demandeur a rencontré Oscar Irrar en janvier 2003 et ils ont commencé une relation. La relation a bien commencé, mais elle est devenue violente. Oscar travaillait pour le parti politique officiel (PRI) et il a demandé au demandeur de l’aider à faire campagne dans la région où il avait habité. Le demandeur devait inciter les électeurs à voter pour le PRI en les contactant et en leur offrant une assurance-accident pour les enfants d’âge scolaire. Ce manège a été découvert à la fin de la campagne électorale, ce qui a été politiquement coûteux pour le PRI. On a soupçonné le demandeur d’avoir laissé transpirer de l’information à ce sujet.

 

[6]               Le demandeur n’a jamais dit à Oscar qu’il avait parlé de ce manège à son ami, Merced Morales. Cela n’a cependant pas empêché Oscar de se mettre en colère contre le demandeur et de le frapper parce qu’il avait ruiné sa carrière politique. Le demandeur a par la suite appris que Merced avait reçu des coups de couteau le jour de l’élection; il serait peut-être la prochaine cible. Il a été voir sa famille, mais son père avait été informé de son orientation sexuelle. Le neveu du demandeur avait entendu son père dire qu’il préférait qu’il soit mort plutôt qu’homosexuel.

 

[7]               Le demandeur est retourné à Acapulco et a été enlevé par deux hommes. Les hommes l’ont tailladé avec une lame de rasoir et lui ont introduit un bâton dans l’anus. Il a perdu connaissance et lorsqu’il a repris conscience, il s’est réfugié chez un ami. Il ne s’est pas fait soigner par un médecin parce qu’il avait honte de l’incident et craignait d’aggraver la situation. Suivant les conseils de son ami, le demandeur a signalé l’agression à la police. Les policiers l’ont insulté et ont ri de l’agression. Ils l’ont fait attendre pendant des heures et n’ont pas pris sa plainte au sérieux, disant qu’il avait certainement aimé être agressé. Les policiers ont refusé de préparer un rapport officiel et le demandeur et son ami ont donc quitté le poste de police.

 

[8]               Le demandeur a appelé Oscar, qui lui a demandé s’il s’amusait. Le demandeur a demandé à Oscar s’il allait l’assassiner comme il avait assassiné Antonio. Oscar était sorti avec Antonio et l’avait fait assassiner plus tard. Oscar lui a répondu en disant que le demandeur savait ce qui allait lui arriver. Le demandeur n’a pas cherché à se faire protéger d’Oscar, parce qu’il craignait que ce dernier ne se venge. De plus, il pensait que la police ne prendrait pas sa plainte au sérieux. Le demandeur a affirmé qu’il craignait les policiers mexicains parce qu’ils maltraitaient les homosexuels. Il a fourni plusieurs exemples de mauvais traitements.

 

[9]               Le demandeur a également affirmé que deux hommes dans une voiture avaient tiré sur lui. Lorsqu’il est retourné au travail, un collègue lui a dit que deux hommes le recherchaient. Leur description correspondait à celle des hommes qui avaient tiré sur lui plus tôt. Le demandeur a craint pour sa vie et a pris ses dispositions pour quitter le pays. Il a quitté le Mexique à destination du Canada le 5 mars 2005 et a demandé l’asile le 22 mars 2005. L’audience relative à la demande d’asile du demandeur a eu lieu le 4 avril 2006 et sa demande a été rejetée par la Commission dans une décision datée du 17 juillet 2006. Le présent contrôle judiciaire vise la décision de la Commission.

 

Les motifs de la Commission

 

[10]           Les questions déterminantes en l’espèce consistent à savoir si la crainte du demandeur d’asile est fondée et s’il existe une protection de l’État. À la lumière des preuves documentaires établissant que le Mexique fait des efforts sérieux pour protéger ses citoyens, la Commission a conclu que la crainte du demandeur n’avait pas de fondement objectif. Quant à la question de la potentielle criminalité et violence de son ancien partenaire et de la crainte de subir de la discrimination, la Commission a estimé que le gouvernement mexicain prend des mesures adéquates pour faire appliquer les lois qui interdisent les comportements criminels.

 

[11]           Selon la preuve documentaire, le Mexique offrait au demandeur d’asile une protection étatique. S’il y a beaucoup de crimes au Mexique, la preuve indique clairement que le gouvernement déploie des efforts considérables pour lutter contre la criminalité et la corruption. La Commission a fait remarquer que la présomption de la protection de l’État s’appliquait au Mexique, puisqu’il s’agit d’une démocratie fonctionnelle (voir Canada (Procureur général) cWard, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1). Le demandeur n’a pas réussi à réfuter cette présomption et la Commission a indiqué que les échecs locaux quant au maintien efficace de l’ordre n’équivalent pas à une absence de protection étatique (voir Zhuravlev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, (2000) 187 F.T.R. 110 (1re inst.)).

 

[12]           Le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État parce qu’il craignait la vengeance de son ancien partenaire et qu’il croyait que la police maltraitait les homosexuels. La Commission a estimé que la preuve documentaire était plus crédible que l’opinion du demandeur au sujet de la protection de l’État. La preuve documentaire a démontré qu’il existe au Mexique des institutions législatives, correctionnelles et chargées de faire appliquer la loi qui protègent les victimes de la corruption et du crime. Le Mexique fait également des efforts pour enrayer la corruption et a élaboré des mécanismes de contrôle internes pour régler les problèmes d’inconduite au sein de la police.

 

[13]           La Commission a conclu qu’il était déraisonnable que le demandeur n’ait pas pris de mesures pour assurer sa propre protection (voir Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n1614 (QL)). Elle a indiqué qu’il n’est pas nécessaire que la protection assurée par l’État soit parfaite. La Commission n’était pas convaincue que le Mexique ne déploierait pas des efforts sérieux pour protéger le demandeur s’il devait retourner dans ce pays (voir Zalzali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605, (1991) 126 N.R. 126 (C.A.F.)).   

 

[14]           La Commission a reconnu qu’il existe un fort sentiment homophobe au Mexique, qui se traduit par de la discrimination, du harcèlement et des arrestations. Elle a toutefois conclu que le Mexique s’occupe de manière adéquate des problèmes auxquels font face les homosexuels par ses lois et politiques et que les minorités sexuelles ont enregistré des succès politiques dans les régions métropolitaines. Le demandeur ne s’était pas acquitté de l’obligation de demander à l’État de le protéger, alors que les documents indiquent que cette protection était offerte. La Commission a tenu compte du rapport psychologique préparé par Mme Judith Pilowsky pour évaluer l’état psychologique du demandeur, mais elle a estimé qu’il n’était pas pertinent à l’égard de sa conclusion sur la protection de l’État. La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

 

Les questions en litige

 

[15]           Le demandeur a formulé les questions suivantes :

            [traduction]

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision abusive ou arbitraire en ne tenant pas compte de façon appropriée des éléments de preuve figurant dans le dossier du demandeur?

            2.         La Commission a-t-elle violé le droit du demandeur à la justice naturelle et à l’équité procédurale en arrivant à sa décision?

 

[16]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait accès à la protection de l’État?

            2.         La Commission a-t-elle violé les principes d’équité procédurale en étayant sa décision par un renvoi à un document non divulgué?

 

Les observations du demandeur

 

[17]           Le demandeur a fait valoir que la Commission n’a pas examiné de façon appropriée la preuve concernant les efforts qu’il avait faits pour obtenir la protection de l’État au Mexique (voir Gagliano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n1629 (QL) (C.F. 1re inst.)). La Commission affirme dans ses motifs que le demandeur n’a pas cherché à obtenir la protection de l’État au Mexique. Le témoignage du demandeur et l’exposé circonstancié de son FRP montrent toutefois qu’il a demandé à la police de le protéger et qu’il a expliqué pourquoi il n’avait pas continué à chercher de l’aide.

 

[18]           Le demandeur a soutenu que la Commission avait mal interprété les éléments de preuve qu’il a présentés lorsqu’elle a tiré la conclusion suivante :

[D]ans son témoignage et sa preuve écrite, le demandeur d’asile a affirmé qu’il n’avait pas demandé la protection de l’État parce qu’il avait peur de la vengeance d’Oscar et parce qu’il croyait que la police [traduction] « maltraitait les gais ».

 

[19]           Le demandeur a fait remarquer que sa déclaration avait été prise hors contexte. Son avocat lui a demandé de parler des efforts qu’il avait faits pour obtenir la protection de la police et le demandeur a répondu en décrivant l’incident au cours duquel il n’avait pas réussi à obtenir l’aide des policiers. Dans son FRP, le demandeur a mentionné qu’il craignait la vengeance d’Oscar et qu’il pensait que les policiers ne protégeaient pas les gais. Le demandeur a affirmé que l’expérience qu’il avait eue la fois où il avait demandé l’aide de la police avait conforté sa croyance selon laquelle la police ne le protégerait pas.

 

[20]           Le demandeur a fait valoir qu’à la lumière de la preuve documentaire faisant état de la corruption de la police, il était raisonnable qu’il ne continue pas à chercher à obtenir la protection de la police après que celle‑ci eut refusé de l’aider. Il a soutenu que la Commission n’avait pas tenu compte de l’impact de la corruption au Mexique sur le demandeur. Il a ajouté que la Commission n’avait pas suffisamment tenu compte du rapport psychologique. Il y aurait eu lieu de lui accorder un plus grand poids, étant donné qu’il montrait l’effet psychologique qu’avait eue sur le demandeur l’omission de l’État de le protéger.

 

[21]           Le demandeur a affirmé que la Commission avait violé les principes d’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve qui ne figuraient pas dans le dossier (voir Noormohamed c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 67 F.T.R. 66 (C.F. 1re inst.); Chalal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 232 F.T.R. 36, 30 Imm. L.R. (3d) 17). On a fait valoir que le demandeur ne connaissait pas les arguments qu’il devait réfuter et qu’il ne pouvait commenter un document qui ne lui avait pas été communiqué. De plus, on a soutenu que la Commission avait agi contrairement à l’article 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles) en omettant de lui communiquer le document en question. 

 

Les observations du défendeur

 

[22]           Le défendeur a soutenu que, même en faisant abstraction du document non communiqué, il existait suffisamment d’éléments de preuve, pour conclure que le Mexique offrait une protection étatique. Il a affirmé que le demandeur n’avait pas précisé en quoi il aurait modifié sa demande s’il avait eu accès à ce document et qu’ il n’avait pas, par conséquent, démontré que l’équité procédurale n’avait pas été respectée (voir Monteagudo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 135 A.C.W.S. (3d) 904, 2004 CF 1687).

 

[23]           Dans la décision Noormohamed, précitée, le document non divulgué avait joué un rôle important dans la décision de la Commission. La décision Chalal, précitée, se fondait uniquement sur des preuves non divulguées. Le défendeur a prétendu qu’il est possible d’établir une distinction entre ces affaires et la présente espèce, étant donné que le document non divulgué n’était qu’un des nombreux documents concernant l’existence d’une protection de l’État. En outre, il a soutenu que le document n’avait pas joué un rôle important dans la décision. Dans Uppal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), 289 F.T.R. 196, 2006 CF 338, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas eu violation de l’équité procédurale parce que le demandeur était au courant des arguments qu’il devait réfuter et avait eu la possibilité de participer au processus.

 

[24]           Le défendeur a soutenu que même si la Commission n’avait pas mentionné le document ou si elle l’avait communiqué, cela n’aurait pas changé sa décision. Il a été affirmé qu’il serait futile de faire droit à une demande de contrôle judiciaire en raison de la non‑divulgation d’un document (voir Yassine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308, 27 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.F.)).

 

[25]           Le défendeur a affirmé qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, on présume que le Mexique pouvait protéger le demandeur (voir Ward ci‑dessus). Il a prétendu que le demandeur était tenu de fournir des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter cette présomption. Le défendeur fait remarquer qu’il n’y avait pas seulement la police, mais également des agences de l’État ou des agences financées par l’État qui pouvaient accorder cette protection. Il a signalé que le demandeur n’avait pas essayé de demander la protection de l’État après l’unique signalement qu’il avait fait à la police (voir Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 123 A.C.W.S. (3d) 737, 2003 CFPI 698). Le défendeur a soutenu qu’à la lumière de la preuve documentaire, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur pouvait avoir accès à la protection de l’État. Il a été affirmé que la Cour ne devait pas procéder à une nouvelle appréciation de la preuve.

 

[26]           Le défendeur a ajouté qu’étant donné que le Mexique est un État démocratique, un unique signalement à la police ne suffisait pas pour réfuter la présomption de la protection de l’État. Il a soutenu que plus l’État est démocratique, plus le demandeur doit avoir épuisé toutes les possibilités d’obtenir une protection (voir N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, 206 N.R. 272 (C.A.F.)). Le demandeur n’a cherché qu’une seule fois à obtenir une protection au Mexique. Le défendeur a prétendu que la Commission pouvait fort bien conclure qu’il n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État.

 

[27]           La Commission n’a pas mentionné l’unique tentative qu’a faite le demandeur pour obtenir une protection, mais le défendeur a soutenu qu’il était loisible à la Commission de conclure qu’il n’avait pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État. La Commission a indiqué que des échecs locaux en matière de services de police ne peuvent être assimilés à une absence de protection de l’État. Le défendeur a fait valoir que la Commission pouvait préférer la preuve documentaire au sujet de la protection de l’État aux éléments de preuve présentés par le demandeur (voir Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 49 A.C.W.S. (3d) 558 (C.A.F.)). Enfin, le défendeur a affirmé que le rapport psychologique était dépourvu de tout lien avec la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État.

 

La réplique du demandeur

 

[28]           Le demandeur a soutenu qu’il était impossible de savoir si la décision de la Commission aurait été la même sans le document non divulgué et, par conséquent, que la Cour ne pouvait permettre que la décision soit maintenue. À titre subsidiaire, il a fait valoir que la Cour ne devrait pas tolérer les actes irréguliers posés par la Commission dans la présente affaire. Le demandeur a prétendu qu’il n’était pas obligé de démontrer comment il aurait modifié sa demande si le document lui avait été communiqué.

 

[29]           Le demandeur a affirmé que la Commission n’avait pas compris qu’il avait sollicité la protection de la police et qu’on la lui avait refusée. Selon lui, si la Commission avait tenu compte de cette preuve, elle serait peut-être parvenue à une conclusion différente au sujet de la protection de l’État. Le demandeur a fait remarquer que la décision de la Commission ne mentionnait pas qu’il avait cherché à obtenir la protection de la police.

 

[30]           Le demandeur a fait valoir que l’examen approfondi de la preuve documentaire ne permettait pas de savoir si le demandeur pouvait effectivement bénéficier d’une protection adéquate de la part de l’État. Il a été soutenu que la Commission avait privilégié de façon inappropriée certains éléments de preuve pour étayer la conclusion qu’elle souhaitait tirer. Le demandeur a affirmé que la preuve documentaire au dossier suffisait pour démontrer qu’il arrivait souvent que la police n’accorde aucune protection aux homosexuels.

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

[31]           L’opinion généralement admise est que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’applique aux conclusions de fait sous‑jacentes mais que les conclusions de la Commission au sujet du caractère adéquat de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit qui est révisée selon la norme de la décision raisonnable (voir Machedon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 256 F.T.R. 211, 2004 CF 1104). Il est bien établi que la norme de la décision correcte s’applique aux violations des principes d’équité procédurale et de justice naturelle.

 

[32]           Première question en litige

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait accès à la protection de l’État?

            La Commission est parvenue à la conclusion suivante sur la question de la protection de l’État.

En l’espèce, le demandeur d’asile n’a pas pris toutes les mesures raisonnables. En effet, il n’a pris aucune mesure. Le tribunal est d’avis que le demandeur d’asile aurait dû montrer qu’il avait pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances avant de demander la protection internationale au Canada.

                                                           [Non souligné dans l’original.]

 

 

[33]           L’exposé circonstancié du FRP du demandeur contenait le passage suivant au sujet de la tentative qu’il avait faite pour obtenir la protection de la police au Mexique après avoir été sauvagement battu :

[traduction] Le lendemain, David m’a demandé d’aller au poste de police pour rapporter l’incident. J’hésitais à le faire, mais il a insisté, alors nous y sommes allés. Arrivés au poste de police, on nous a lancé toutes sortes d’insultes et des policiers, ainsi que les personnes qui devaient nous aider, se sont moqués de nous. C’est tout ce que nous avons obtenu. Ils nous ont d’abord fait attendre pendant trois heures pour nous dire ensuite que les pédés comme nous étaient une source de problèmes et que nous aimions nous plaindre de tout sauf d’avoir des choses dans le cul. Lorsqu’ils nous ont finalement demandé d’expliquer ce qui était arrivé, ils ont commencé par se moquer de mon récit et ils ont dit que ce qui était arrivé ne valait pas le papier qu’ils utilisaient parce que nous étions en train de décrire des choses que nous avions certainement aimées. Ils ont même dit que ce n’était pas de leur faute si parfois les jeux auxquels nous jouions tournaient mal. Ils ont refusé d’établir un rapport de l’incident. J’étais si en colère et frustré que j’ai demandé à David de partir, et c’est ce que nous avons fait. Après cela, je ne voyais pas pourquoi j’aurais été demandé aux services de police ou aux autres autorités de me protéger.

 

 

 

[34]           Voici ce qu’a déclaré le demandeur au sujet de sa tentative d’obtention d’aide de la police mexicaine :

[traduction]

AVOCAT DU DEMANDEUR D’ASILE : Quels sont les efforts que vous avez faits pour vous protéger d’Oscar, disons en vous adressant à la police ou à d’autres représentants de l’État?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Oui, j’ai été au poste de police.

 

AVOCAT : Et qu’est-ce qu’ils ont fait lorsque vous y êtes allé?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Je suis allé déposer une dénonciation au sujet des menaces et des choses qu’il me faisait.

 

AVOCAT DU DEMANDEUR D’ASILE : Avez-vous réussi à faire cette dénonciation et à obtenir une protection contre Oscar?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Nous avons essayé de déposer une dénonciation. Ils ne l’ont pas acceptée.

 

AVOCAT DU DEMANDEUR D’ASILE : Savez-vous pourquoi ils n’ont pas accepté votre dénonciation?

 

DEMANDEUR D’ASILE : J’étais avec un ami et ils se sont moqués de nous parce que nous étions des homosexuels. Ils nous ont fait attendre trois heures et en fin de compte – nous avons été obligés de quitter le poste de police parce qu’ils faisaient passer les autres mais pas nous.

 

AVOCAT DU DEMANDEUR D’ASILE : En fin de compte, le rapport a‑t‑il été fait?

 

DEMANDEUR D’ASILE : Non, ils ont dit qu’ils n’allaient pas gâcher du papier avec nos histoires, qu’ils ne pouvaient rien faire pour les homosexuels et que c’est nous qui avions cherché ces problèmes.

 

 

 

[35]           À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a fait aucun effort pour obtenir la protection de l’État est manifestement erronée. L’exposé circonstancié du FRP du demandeur et son témoignage exposent tous deux les circonstances dans lesquelles il a tenté d’obtenir la protection de la police mexicaine. Je fais remarquer que la Commission ne s’est pas prononcée au sujet de la crédibilité du demandeur. J’estime que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable à cet égard dans son analyse de la protection de l’État.

 

[36]           J’admets qu’un manquement de la part des représentants de l’État au niveau local ne permet pas nécessairement de résoudre la question de la protection étatique. Cependant, en l’espèce, je ne suis pas en mesure de savoir quelle aurait été la conclusion de la Commission au sujet de la protection étatique si elle avait pris en considération les preuves relatives à l’expérience qu’avait eue le demandeur avec la police mexicaine.

 

[37]           Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé sur la première question en litige, il n’est pas nécessaire que j’examine l’autre question.

 

[38]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l’affaire est renvoyée à une formation différemment constituée pour qu’elle procède à un nouvel examen.

 

[39]           Le demandeur a présenté la question suivante à titre de question grave de portée générale aux fins de certification :

 

[traduction] La Section du statut (le Tribunal) peut‑elle se fonder sur des preuves introduites après la fin de l’audience sans donner au demandeur d’asile (le demandeur) la possibilité de présenter des observations à cet égard?

 

Je ne suis pas disposé à certifier cette question parce qu’il existe déjà de la jurisprudence de la Cour sur ce point.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE qu’il soit fait droit à la demande de contrôle judiciaire et que l’affaire soit renvoyée devant une formation de la Commission différemment constituée pour qu’elle statue à nouveau sur l’affaire.

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente section.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS 2002/228 :

 

29.(1) Pour utiliser un document à l'audience, la partie en transmet une copie à l'autre partie, le cas échéant, et deux copies à la Section, sauf si les présentes règles exigent un nombre différent de copies.

 

(2) Pour utiliser un document à l'audience, la Section en transmet une copie aux parties.

 

 

(3) En même temps qu'elle transmet les copies à la Section, la partie lui transmet également une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon elle en a transmis une copie à l'autre partie, le cas échéant.

 

(4) Tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard:

 

a) soit vingt jours avant l'audience;

 

b) soit, dans le cas où il s'agit d'un document transmis en réponse à un document reçu de l'autre partie ou de la Section, cinq jours avant l'audience.

 

 

 

 

29.(1) If a party wants to use a document at a hearing, the party must provide one copy to any other party and two copies to the Division, unless these Rules require a different number of copies. 

 

(2) If the Division wants to use a document at a hearing, the Division must provide a copy to each party.

 

(3) Together with the copies provided to the Division, the party must provide a written statement of how and when a copy was provided to any other party.

 

 

 

(4) Documents provided under this rule must be received by the Division or a party, as the case may be, no later than

 

(a) 20 days before the hearing; or

 

(b) five days before the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4409-06

 

INTITULÉ :                                       JESUS GIRON SOBERANIS

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 1ER OCTOBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kirk Cooper

 

POUR LE DEMANDEUR

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kirk J. Cooper

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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