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Date : 20071003

Dossier : IMM-2913-06

Référence : 2007 CF 1009

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

ENTRE :

JADINE VALDANA RICHARDSON

VALDINE RICHARDSON

(alias VALDINE SHADONN RICHARDSON)

JAELDINE ELSA RICHARDSON

demanderesses

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour statue sur une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 3 mai 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse principale (la demanderesse) n’était pas crédible et qu’elle n’avait par conséquent ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Les deux enfants mineures de la demanderesse fondent leur demande d’asile sur celle de leur mère.

QUESTIONS EN LITIGE

 

[2]               Les questions en litige sont les suivantes :

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant certains éléments de preuve ou en ne motivant pas son rejet des explications données par la demanderesse pour justifier son retard à demander l’asile?

b)      La Commission a-t-elle commis une erreur dans les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la protection de l’État?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la Cour répond par la négative à ces deux questions. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

 

CONTEXTE DE L’INSTANCE

[4]               Née le 28 mai 1977, la demanderesse, Jadine Valdana Richardson, est une citoyenne de Saint‑Vincent-et-les Grenadines.

 

[5]               Dès son plus jeune âge, la demanderesse a été élevée par sa mère et son beau-père. Lorsqu’elle avait une dizaine d’années, la demanderesse a commencé à subir de la part de son beau‑père des violences verbales qui ont fini par dégénérer en violences physiques et sexuelles. La violence ainsi que les menaces à sa vie dont elle a fait l’objet ont précipité sa fuite du pays, en octobre 2003.

 

[6]               La demanderesse relate divers incidents de mauvais traitements. Le premier épisode d’agression sexuelle s’est produit alors qu’elle avait 12 ou 13 ans. Son beau-père a tenté de la forcer à regarder un film pornographique alors qu’il se frottait les jambes contre sa poitrine. Elle a fait part de l’incident à sa mère, qui a confronté le beau-père mais, prise de peur, elle s’est plutôt tournée vers les services sociaux. Un représentant des services sociaux les a éconduites en leur disant que l’incident devait être attribuable au comportement indiscipliné de la demanderesse.

 

[7]               La demanderesse a signalé de nombreux cas de viol dont elle aurait été victime à partir de l’âge de 15 ans et jusqu’à l’âge adulte. Son beau-père la violait lorsque sa mère était absente.

 

[8]               À un certain moment, la mère de la demanderesse a parlé au pasteur des abus sexuels répétés en question. Le pasteur est venu rencontrer le beau-père. Furieux de l’intervention du pasteur, le beau-père a menacé la demanderesse avec une machette, lui disant qu’il la tuerait si elle parlait de nouveau de l’abus à qui que ce soit. La demanderesse a couru jusqu’au poste de police pour porter plainte. Les policiers lui ont promis qu’ils iraient parler à son beau-père chez lui, mais ils ne l’ont jamais fait.

 

[9]               À l’audience, la demanderesse a fait part de nombreuses autres visites qu’elle avait effectuées au poste de police pour signaler des abus. Chaque fois, le résultat était le même : la police lui disait que quelqu’un irait parler à son beau-père, mais personne n’y allait.

 

[10]           Le 24 octobre 2003, la demanderesse s’est enfuie pour le Canada, où elle a habité chez sa belle-mère. Elle a passé les six premiers mois au Canada avec le statut de visiteur puis a poursuivi son séjour illégalement. Elle n’a demandé l’asile qu’après avoir parlé à un conseiller de la maison d’hébergement Robertson de Toronto, une quinzaine de mois après avoir perdu son statut de visiteur. Elle a alors été informée pour la première fois de la possibilité de demander l’asile.

 

[11]           Les deux enfants mineurs ont rejoint leur mère au Canada en février 2006.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

[12]           La Commission a refusé de reconnaître aux demanderesses d’asile le statut de réfugiées au sens de la Convention ou celui de personnes à protéger. La Commission a également conclu que les demandes d’asile ne reposaient sur aucun fondement subjectif ou objectif. La Commission a fondé sa décision sur les motifs suivants :

a)      Le fait que la demanderesse n’avait entrepris aucune démarche pour sortir de la maison de son beau-père, même alors qu’elle était une adulte, qu’elle avait des revenus et qu’elle avait deux enfants mineurs minait sa crédibilité.

b)      La Commission a estimé que le fait que la demanderesse avait vécu illégalement au Canada pendant plus de 15 mois sans demander l’asile, risquant ainsi l’expulsion vers le pays même qu’elle avait prétendument fui, démentait une crainte fondée de persécution ou un besoin de protection et dénotait une absence de crainte subjective, ce qui nuisait à sa crédibilité.

c)      La Commission a tiré une inférence négative au sujet de la crédibilité de la demanderesse en raison du témoignage contradictoire donné par celle-ci au sujet du nombre de fois où elle s’était adressée aux autorités pour obtenir leur protection. Dans son FRP, elle affirmait s’être adressée à eux une seule fois, alors qu’à l’audience, elle prétendait avoir demandé leur aide à cinq reprises.

d)      La Commission a conclu que la réponse que la demanderesse avait obtenue des services sociaux (que la Commission appelle la maison Marion et que la demanderesse nomme le ministère du Bien-être de l’enfance), en l’occurrence que c’était son comportement indiscipliné qui était la cause de l’abus, contredisait la preuve documentaire au sujet de l’aide présentement offerte aux victimes de violences à Saint-Vincent. La Commission a conclu que la demanderesse ne s’était pas prévalue de la protection de l’État et que la présomption de la protection de l’État n’avait pas été réfutée.

 

ANALYSE

Première question : La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant certains éléments de preuve ou en ne motivant pas son rejet des explications données par la demanderesse pour justifier son retard à demander l’asile?

 

[13]      La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en ne motivant pas son rejet de l’explication donnée pour justifier son retard à demander l’asile. Dans l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 4, la Cour d’appel fédérale a expliqué que c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique au contrôle des questions touchant la crédibilité des demandeurs. La demanderesse soutient que la Commission commet une erreur justifiant l’annulation de sa décision lorsqu’elle ne formule aucun commentaire au sujet des explications fournies par un demandeur et qu’elle ne précise pas les raisons pour lesquelles ces explications devraient être écartées. Le défendeur soutient que toute explication donnée ne changerait rien à la conclusion de la Commission suivant laquelle, pendant 15 mois, la demanderesse n’a entrepris aucune démarche pour régulariser sa situation au Canada. La conclusion de la Commission au sujet de l’absence de crainte subjective n’est pas contredite par les explications de la demanderesse et on ne peut dire qu’elle ne repose pas sur la preuve. Je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur justifiant l’annulation de sa décision en ne mentionnant pas explicitement les explications de la demanderesse.

Seconde question : La Commission a-t-elle commis une erreur dans les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la protection de l’État?

 

[14]      S’agissant de la protection de l’État, la Commission a rejeté la demande pour deux motifs : le premier étant que la crédibilité de la demanderesse était entachée par les éléments de preuve contradictoires avancés au sujet du nombre de fois qu’elle s’était adressée aux autorités pour obtenir de l’aide, et le second étant la question de savoir si Saint-Vincent peut assurer une protection à la demanderesse. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique au contrôle des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité. C’est toutefois la norme de la décision raisonnable simpliciter qui s’applique à la question de la possibilité d’obtenir la protection de l’État (Chaves  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2006] A.C.F. no 232 (QL), aux paragraphes 9, 10 et 11; Turna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 202, [2006] A.C.F. no 265 (QL), au paragraphe 7; C.P.H. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 367, [2006] A.C.F. no 462 (QL), au paragraphe 26 (Hutchins)).

 

[15]      La demanderesse n’a pas contesté la conclusion tirée par la Commission au sujet de la possibilité d’obtenir la protection de l’État. Elle a limité son argument aux conclusions négatives tirées au sujet de sa crédibilité et à l’erreur commise par la Commission au sujet de sa visite à la maison Marion. La demanderesse affirme que ces éléments ont entaché négativement l’ensemble de la décision. Un examen du procès-verbal des audiences donne à penser que la Commission a effectivement commis une erreur en mentionnant les services réclamés par la demanderesse et par sa mère à la maison Marion. Cette erreur n’a toutefois eu aucune incidence sur l’issue de la décision.

[16]      Je retiens également l’argument du défendeur suivant lequel la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’elle ne pourrait bénéficier de la protection de l’État à l’avenir. Aucun argument n’a été présenté pour contester la conclusion suivante de la Commission :

[…]  même si le système de protection des femmes victimes de mauvais traitements comporte encore des failles, il est clair, d’après les documents consultés, que la situation continue de s’améliorer par suite des efforts sérieux et concertés déployés par le gouvernement pour régler le problème de la violence faite aux femmes, une prémisse acceptée par la Cour dans Hutchins. Il n’est pas nécessaire que la protection offerte soit parfaite, mais elle doit être adéquate (Zalzali).

 

Étant donné la preuve documentaire mentionnée ci-dessus, le tribunal est d’avis que la demandeure d’asile doit d’abord se prévaloir de la protection de son pays avant de demander la protection du Canada. Comme il est indiqué dans Ward, le demandeur d’asile doit fournir des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption selon laquelle l’État avait la capacité d’assurer sa protection. En l’espèce, le tribunal estime que la présomption de la protection de l’État n’a pas été réfutée. Le simple fait que le système comporte certaines lacunes n’est pas suffisant pour exempter la demandeure d’asile de l’exigence de demander la protection. La même décision vient également appuyer le principe selon lequel l’avis des psychologues n’est pas pertinent en ce qui concerne la question de la protection de l’État et la question visant à déterminer si sa crainte a un fondement objectif.

 

 

[17]      Le fait que Saint-Vincent est en mesure de lui assurer la protection de l’État est déterminant.

 

[18]      Aucune question à certifier n’a été suggérée et aucune ne se pose.

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2913-06

 

INTITULÉ :                                       JADINE VALDANA RICHARDSON

                                                VALDINE RICHARDSON

      (alias VALDINE SHADONN RICHARDSON)

   JAELDINE ELSA RICHARDSON  et

    MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                                                          ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 SEPTEMBRE 2007

 

MOI DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha Green                                                                            POUR LES DEMANDERESSES

                                                                                               

 

Amina Riaz                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green Willard                                                                           POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

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