Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20071004

Dossier : IMM-4009-06

Référence : 2007 CF 999

ENTRE :

ALEKO SHOLLA

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait le 27 juillet 2006 que le demandeur n’était pas un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               La Commission a jugé que la question fondamentale portait sur la protection de l’État. Elle a indiqué que les exigences auxquelles il faut satisfaire pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État sont élevées dans les démocraties, mais que l’Albanie, en tant que jeune démocratie, n’est pas assujettie à des exigences aussi strictes. La Commission a conclu que, même si la protection offerte par l’État en Albanie avait été inadéquate en raison de la situation générale qui règne dans ce pays, le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

[3]               La Commission a jugé que la protection de l’État, offerte en réponse à la plainte déposée par le demandeur auprès de la police relativement au meurtre de son cousin, avait été inefficace en 1997, mais qu’au printemps 2002, tout cela avait changé. La police a procédé à une enquête et puis elle a arrêté et accusé un individu qui a par la suite été déclaré coupable et condamné à purger une peine d’emprisonnement. La Commission a conclu que la police avait montré par ses actes qu’elle est disposée à intervenir dans la mesure où elle a une preuve suffisante, et que les tribunaux sont prêts à agir, pourvu qu’ils disposent d’une preuve suffisante. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’était plus disposé à s’adresser à la police pour obtenir de l’aide en vue de faire cesser les menaces continues dont sa famille était victime. La Commission a indiqué que le demandeur n’avait aucune raison de croire que la police n’était pas disposée à agir comme elle l’avait fait au printemps 2002.          

 

[4]               La Commission a souligné qu’il n’était pas possible de passer en revue toute la preuve documentaire, mais elle a fait mention d’un rapport indiquant que l’Albanie avait demandé à l’Union européenne de l’aider à lutter contre la corruption. Selon le rapport, le président de l’Albanie a déclaré que le gouvernement avait déjà entrepris une réforme considérable, et la Commission a conclu que la différence entre les mesures prises par la police au printemps 2002 et celles qu’elle a mises en œuvre en 1997 le démontrait bien.

 

[5]               La Commission a conclu ce qui suit :

[traduction]

[. . .] je ne suis pas convaincu que l’intervention inadéquate de la police en 1997 permet de conclure que le demandeur, dans cette affaire particulière, est fondé par la suite à ne plus jamais faire confiance à la police. J’estime, à la face même du dossier, que la police semble être intervenue de façon appropriée en 2002 et que, pour cette raison, il conviendrait que le demandeur d’asile s’adresse de nouveau aux autorités avant de venir au Canada pour demander l’asile.

 

 

[6]               La présente demande soulève les questions suivantes :

-     La Commission a-t-elle appliqué le critère approprié en matière de protection de l'État?

 

-     La Commission a-t-elle raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État?

 

-     La Commission a-t-elle restreint indûment son pouvoir discrétionnaire en mentionnant dans sa décision qu’il existe un processus d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR)?

 

 

 

Critère relatif à la protection de l’État

 

[7]               Le demandeur soutient que la Commission a appliqué un mauvais critère en matière de protection de l’État en concluant que l’État doit faire des efforts sérieux pour assurer une protection plutôt que fournir une protection efficace. Il met en évidence la conclusion suivante de la Commission pour établir que cette dernière n’a pas appliqué le bon critère :

 

[traduction]

En conclusion, je suis convaincu que l’État de l’Albanie fait des efforts sérieux pour assurer une protection adéquate, qui n’est certes pas parfaite, de personnes comme le demandeur d’asile.

 

 

 

[8]               Le demandeur semble plaider que, puisqu’elle a utilisé l’expression [traduction] « efforts sérieux » au lieu de [traduction] « protection efficace », la Commission ne s’est pas demandée s’il existait une protection de l’État efficace. Je ne suis pas de cet avis. La Commission s’est effectivement penchée sur la question de l’existence d’une protection de l’État efficace lorsqu’elle a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

[. . . ] Ces efforts sérieux sont manifestes dans le traitement du demandeur en 2002 et je suis convaincu que le demandeur n’a pas prouvé que ces efforts ne suffisent pas à lui assurer une protection s’il devait retourner en Albanie aujourd'hui.

 

 

 

[9]               À mon avis, la Commission a examiné non seulement la question de savoir si l’Albanie avait fait des efforts sérieux pour offrir une protection de l’État mais aussi celle de savoir si ces efforts sérieux avaient permis d’assurer une protection de l’État adéquate au demandeur.

 

Conclusion de la Commission sur l’existence d’une protection de l’État

[10]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il existait une protection de l’État efficace, puisqu’elle n’a fondé son examen que sur un seul élément, à savoir le fait que l’État a poursuivi en justice l’auteur des agressions dont il a été victime en 2002. Le demandeur allègue que la Commission a omis de tenir compte de la preuve documentaire qui indique que la protection de l’État en Albanie est inadéquate.

 

[11]           Le défendeur prétend que le demandeur aurait dû prendre les mesures raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État en demandant de l’aide à la police, étant donné que cette dernière avait prouvé qu’elle pouvait et voulait prendre des mesures contre la criminalité. Il a ensuite allégué que la Commission pouvait retenir la preuve documentaire qui indiquait que le gouvernement albanais avait entrepris une réforme plutôt que l’explication du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il ne s’était pas réclamé de la protection de l’État.

 

[12]           La Commission n’est pas tenue de résumer toute la preuve ni de mentionner chacun des éléments de preuve (Hassan c. Canada (M.E.I.) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.) et Florea c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)); cependant, lorsque la Commission ne mentionne pas expressément un élément de preuve important, le tribunal peut inférer de ce silence que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée (Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), [1998] F.C.J. no 1425 (1ère inst.) (QL)).

 

[13]           Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu que le fait que la Commission n’a pas  mentionné expressément la preuve documentaire relative à l’existence de la protection de l’État en Albanie implique qu’elle a tiré une conclusion de fait erronée. À cet égard, ma conclusion est fondée sur l’extrait suivant de la décision de la Commission :

 

 

[traduction]  

Le conseil a brossé un tableau général de la situation de la protection de l’État, et je conviens avec lui que ce tableau général des conditions en Albanie est loin d’être parfait et, dans certains cas, permet de penser qu’il n’est pas adéquat. Toutefois, je dois tenir compte de la preuve présentée dans cette affaire particulière et la refléter ou la superposer sur le tableau général brossé par le conseil.

 

 

 

[14]           Cet extrait montre que la Commission savait que la preuve documentaire indiquait que, de façon générale, la protection de l’État n’était pas adéquate. Je suis donc convaincu que la Commission n’a pas omis de tenir compte de la preuve documentaire.

 

[15]           Sauf dans le cas d’un effondrement de l’État, il existe une présomption selon laquelle un État peut et veut protéger un demandeur, et c’est à ce dernier qu’il revient de réfuter la présomption au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Le fait de présenter une preuve documentaire sur la situation générale qui règne dans un pays ne suffira pas toujours à réfuter cette présomption. À mon avis, il était tout à fait raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’une preuve documentaire générale, indiquant que la protection de l’État était de façon générale inadéquate, était insuffisante pour réfuter la présomption de protection de l’État, compte tenu du fait que le demandeur avait obtenu une telle protection dans le passé. Le demandeur n’a fait aucune démarche pour obtenir la protection de l’État même si celui‑ci lui avait antérieurement fourni une telle protection. Dans ces circonstances, je conclus que la décision de la Commission selon laquelle le demandeur avait l’obligation de demander la protection de l’État en Albanie était raisonnable.

 

Restriction indue du pouvoir discrétionnaire

[16]           Le demandeur soutient également que la Commission a restreint indûment son pouvoir discrétionnaire en mentionnant qu’il existait un processus d’ERAR. Le paragraphe que le demandeur conteste se lit comme suit :

 [traduction]

Je souscris à l’argument du conseil selon lequel si des éléments de preuve concluants ou même suffisants permettaient de croire qu’une personne se ferait tuer si elle devait retourner dans son pays d’origine, il conviendrait de protéger cette personne au Canada. Si c’est effectivement le cas dans l’affaire qui nous intéresse, je pourrais tout simplement répondre qu’il existe un processus d’examen des risques avant renvoi qui porte précisément sur cette question. Même si je considère que les actes de l’État assureraient une protection suffisante, sans forcément être parfaite, cette conclusion n’empêcherait pas le demandeur d’asile d’être protégé contre le renvoi.

 

 

 

[17]           Le demandeur allègue que cette observation révèle que la Commission croyait que le demandeur pouvait se prévaloir d’une autre mesure de protection depuis le Canada.

 

[18]           Le défendeur soutient que la Commission n’a mentionné le processus d’ERAR que dans un contexte théorique, en réponse aux prétentions de l’avocat du demandeur. Il allègue que la Commission n’a pas restreint indûment son pouvoir discrétionnaire puisqu’elle a examiné en détail la demande du demandeur, conclu que ce dernier n’avait pas réfuté adéquatement la présomption relative à la protection de l’État et rejeté sa demande pour ce motif.

 

[19]           Les observations de la Commission sont surprenantes et semblent laisser entendre que la Commission n’a pas considéré comme relevant de sa compétence la question de savoir si le demandeur se ferait tuer s’il retournait en Albanie. Néanmoins, je ne vois pas comment ces observations permettent d’établir que la Commission a restreint indûment son pouvoir discrétionnaire, en particulier compte tenu des remarques formulées par la Commission au paragraphe suivant :

 [traduction]

S’il existe des preuves susceptibles de convaincre un autre tribunal ayant un mandat différent, en ce qui a trait à la menace à sa vie en cas de retour, le recours à ce tribunal demeure possible. Pour ma part, je n’ai nullement pu en arriver à la conclusion que le demandeur d’asile se ferait tuer s’il devait retourner dans son pays. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

 

[20]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 4 octobre 2007

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., trad

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4009-06

 

INTITULÉ :                                                   ALEKO SHOLLA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 11 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 4 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard C. Gilbert                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Howard C. Gilbert                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.