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Date : 20071003

Dossier : T-505-07

Référence : 2007 CF 1014

Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 3 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

 

LA SUCCESSION DE KENNETH CHRISTIE

représentée par SANDRA CHRISTIE, EXÉCUTRICE

 

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 1er février 2007 par un représentant du ministre qui a rejeté une demande d’exonération présentée en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi). Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la demande doit être rejetée.

 

Historique

[2]               Environ un mois avant son décès, le 17 novembre 2000, Kenneth Christie avait rédigé un testament (qui contredisait la planification successorale qu’il avait réalisée avec l’aide de son avocat et de son conseiller financier) par laquelle il cédait à sa nouvelle épouse son fonds enregistré de revenu de retraite (FERR). Presque en même temps, son épouse concluait un accord de fiducie qui définissait les conditions particulières quant aux versements provenant du FERR et à la disposition du capital. Après le décès de M. Christie, sa veuve a omis de faire authentifier l’accord de fiducie.

 

[3]               Les exécuteurs de la succession ont refusé de reconnaître la veuve comme propriétaire légitime du FERR. Le FERR (dont la valeur approximative s’élevait à 159 000 $ au moment du décès de M. Christie) n’avait pas été déclaré dans la dernière déclaration de revenus T1 du défunt, déposée le 30 avril 2001. Les négociations entre la veuve et la succession ont duré deux ans et demi. Un accord n’a été conclu que lorsque les exécuteurs ont menacé d’intenter une poursuite. Entre‑temps, l’établissement financier avait refusé de mettre fin au FERR.

 

[4]               Le 16 octobre 2003, la succession a déposé une demande de rajustement du feuillet T1 afin d’ajouter la juste valeur marchande du FERR à la dernière déclaration de revenus de M. Christie. Une obligation fiscale de 78 000 $ a été acquittée à ce moment‑là. Un avis de nouvelle cotisation rendant compte de la cession du FERR a été émis le 5 mai 2005 et il précisait le montant de l’arriéré des intérêts (17 312,85 $).

 

[5]               Le 27 juillet 2005, l’un des exécuteurs (également le bénéficiaire final du FERR et ci‑après appelé l’exécuteur) a demandé à l’Agence du revenu du Canada (ARC), en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, d’annuler les intérêts cotisés à l’égard du compte, en raison de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Le motif invoqué pour justifier la demande était la suivante : [traduction] « La succession, représentée par ses exécuteurs, refusait de faire homologuer le testament avant que la veuve fasse authentifier l’accord. L’établissement financier refusait de mettre fin au FERR avant que l’homologation soit effectuée. L’affaire n’a été tranchée que plus de deux ans plus tard. » De plus, [traduction] « il n’était pas clair que le FERR devait être déclaré dans la dernière déclaration de revenus du défunt avant que l’affaire avec la veuve soit réglée; la seule façon d’éviter les intérêts, c’était d’accepter que la veuve de M. Christie ait pleine propriété du FERR, ce qui allait à l’encontre des désirs du défunt ainsi que de tous les principes d’équité et de justice ».

 

[6]               À la suite d’une révision à deux niveaux, par lettre en date du 15 novembre 2005, un représentant du ministre a informé l’exécuteur que l’arriéré des intérêts serait annulé pour les 18 mois qu’il avait fallu à l’ARC pour effectuer les rajustements, mais que, cela mis à part, la demande serait rejetée.

 

[7]               Le 28 mars 2006, l’avocat de l’exécuteur a sollicité une deuxième révision de la demande d’annuler l’arriéré des intérêts. Dès sa réception, le dossier fut transféré à d’autre agents que ceux qui avaient révisé la première demande. Une deuxième révision à deux niveaux a été réalisée. Par lettre en date du 1er février 2007, le directeur du Bureau des services fiscaux de Nouvelle‑Écosse (le directeur), ARC, a informé l’exécuteur de ce qui suit :

·        l’arriéré des intérêts pour la période du 27 avril 2006 au 5 février 2007 serait annulé (en raison du temps qu’il avait fallu pour traiter la demande);

·        étant donné qu’une nouvelle allégation avait été faite, soit que la succession n’était pas en mesure de payer les impôts sans éprouver d’importantes difficultés, la demande serait examinée en fonction de l’impossibilité de payer et serait soumis à un examen fondé sur l’équité selon la disposition sur les difficultés financières;

·        les circonstances ne correspondaient pas aux conditions [soit d’être indépendantes de la volonté du contribuable] permettant l’annulation du montant total.

 

[8]               C’est la décision rendue le 1er février 2007 par le représentant du ministre, qui a refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi, qui fait l’objet de la présente demande.

 

Les dispositions légales

[9]               Les dispositions légales pertinentes sont les paragraphes 146.3(6) et 220(3.1) de la Loi. Le paragraphe 220(3.1) est généralement désigné comme étant l’une des dispositions d’équité.

Loi de l’impôt sur le revenu,

L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1

 

146.3(6) Le dernier rentier dans le cadre d’un fonds enregistré de revenu de retraite est réputé, s’il est décédé, avoir reçu, immédiatement avant son décès, un montant dans le cadre d’un tel fonds égal à la juste valeur marchande des biens du fonds au moment de son décès.

 

 

 

 

220.(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Income Tax Act,

R.S.C. 1985, c. 1 (5th Supp.)

 

146.3(6) Where the last annuitant under a registered retirement income fund dies, that annuitant shall be deemed to have received, immediately before death, an amount out of or under a registered retirement income fund equal to the fair market value of the property of the fund at the time of the death.

 

 

220.(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

Les questions en litige

[10]           Les observations écrites de la demanderesse contiennent diverses allégations d’erreur de la part du représentant du ministre. À l’audience, l’avocat de la demanderesse a franchement, et à mon avis, avec raison, renoncé à tous les arguments sauf un. Le seul point encore litigieux consiste à savoir si le représentant du ministre a omis de tenir compte de la « propriété en common law » du FERR pour la période allant du décès de M. Christie jusqu’à la date de conclusion du règlement.

 

La norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires rendues par le ministre en vertu des dispositions d’équité de la Loi a été déterminée par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts de principe suivants : Lanno c. Agence du revenu du Canada (2005), 334 N.R. 348 (C.A.F.) (Lanno); Comeau c. Agence du revenu du Canada (2005), 361 N.R. 141 (C.A.F.). La norme de contrôle qui s’applique aux décisions du ministre est la décision raisonnable. Depuis l’affaire Lanno, la Cour fédérale applique la décision raisonnable aux décisions rendues en vertu du paragraphe 220(3.1); voir Succession Dort c. Le ministre du Revenu national, [2005] 4 C.T.C. 233 (C.F.); Succession Dobson c. Canada (Procureur général), [2007] 4 C.T.C. 93 (C.F.); Carter-Smith c. Canada (Procureur général), [2007] 1 C.T.C. 163 (C.F.); Young c. Canada (Procureur général), [2007] 1 C.T.C. 124 (C.F.); Ross c. Canada (Agence du revenu) (2006), 289 F.T.R. 160, [2006] 3 C.T.C. 42 (C.F.); Hauser c. Canada (Agence du revenu), [2007] 2 C.T.C. 152 (C.F.).

 

Analyse

[12]           La demanderesse affirme que la Circulaire d’information IC92-2 de l’ARC, intitulée Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités, précise que les lignes directrices ne sont pas exhaustives et ne doivent pas être interprétées comme limitant l’esprit ou l’intention de la législation. La demanderesse soutient qu’en raison des faits particuliers de l’espèce, une mesure d’exonération aurait dû être approuvée. Le représentant du ministre a commis une erreur en ce sens qu’il a omis de tenir compte du statut « relevant de la common law » du FERR au moment de rendre sa décision.

 

[13]           Bien que je compatisse aux difficultés de la demanderesse, j’estime qu’il n’est pas juste de dire que l’observation susmentionnée n’a pas été examinée. Deux agents ont donné suite à la deuxième demande de révision. Leur recommandation a été acceptée et approuvée par le directeur. Par conséquent, il importe de se pencher sur le contenu de la recommandation ainsi que sur la lettre du directeur.

 

[14]           À l’égard des diverses observations de l’avocat de la demanderesse, le document qui renferme la recommandation fait expressément état de la position de la demanderesse selon laquelle [traduction] «  la succession n’avait juridiquement aucun droit au FERR avant le 31 juillet 2003 ». D’après les commentaires formulés dans la recommandation, si le FERR devenait la propriété de l’épouse, il n’y avait pas lieu de le déclarer dans la dernière déclaration de revenus du défunt. Les exécuteurs auraient dû savoir que, s’ils obtenaient gain de cause dans leur contestation du testament, ce revenu serait entièrement imposable à l’égard du défunt, mais ils n’ont pourtant pas tenté de réduire les frais d’intérêts. De plus, [traduction] « le revenu constitué par le FERR n’est pas un revenu de la succession, mais celui du défunt; les exécuteurs étaient entièrement au courant du FERR et de sa valeur approximative ». Les agents affirment aussi que l’ARC doit être convaincue que la succession a fait des efforts raisonnables pour se conformer à la Loi; c’est‑à‑dire que la succession était censée faire son possible pour éviter ou minimiser les retards quant au versement des montants dus. Les actions ou inactions d’un contribuable doivent correspondre à celles auxquelles on pourrait vraisemblablement s’attendre dans des circonstances semblables.

 

[15]           Le directeur a expliqué que parce que le produit du FERR n’était pas devenu la propriété de l’épouse, le montant total devait être déclaré comme revenu dans la déclaration de revenus du défunt pour l’année 2000. C’est ce qu’il faut faire lorsqu’un FERR est cédé à un bénéficiaire non qualifié. Il est nécessaire de le déclarer même si aucun feuillet d’information n’est fourni. En l’espèce, les exécuteurs étaient au courant du FERR et de sa valeur. Par conséquent, ils étaient censés savoir que ce revenu serait entièrement imposable à l’égard du défunt. L’impossibilité d’encaisser les fonds n’a pas pour effet d’éliminer ou de reporter les incidences fiscales. L’arriéré des intérêts qui s’applique au compte est comparable à celui normalement exigé dans des situations semblables. Le directeur a conclu que les circonstances ne correspondaient pas aux conditions [soit d’être indépendantes de la volonté du contribuable] permettant l’annulation du montant demandé.

 

[16]           Pour que sa demande soit accueillie, la demanderesse doit démontrer que la conclusion du représentant du ministre était déraisonnable. La décision raisonnable, comme norme, est définie comme suit dans l’arrêt  Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paragraphes 55 et 56 :

La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait.  Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour  de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56).  Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79)

 

Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision.  Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n’exige pas un résultat unique précis.  De plus, la cour ne devrait pas s’arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n’affectent pas la décision dans son ensemble.

 

[17]           Je ne peux pas conclure que le représentant du ministre a examiné de façon inappropriée les diverses observations présentées par la demanderesse. Il ressort de la documentation que les agents et le directeur étaient entièrement au courant des circonstances, notamment de l’observation sur la « propriété en common law » du FERR. Bien que j’eusse pu tirer une conclusion différente, il ne me revient pas de substituer mon opinion à celle du décideur. Les motifs invoqués dans la recommandation et la lettre du directeur en date du 1er février 2007 résistent à un examen assez poussé. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[18]           Les deux parties ont sollicité les dépens. Ni une ni l’autre n’a insisté sur la question à l’audience. Dans le cadre de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, la demande sera rejetée sans adjudication de dépens.


 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-505-07

 

INTITULÉ :                                       LA SUCCESSION DE KENNETH CHRISTIE, représentée par SANDRA CHRISTIE, EXÉCUTRICE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 octobre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  La juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

R. Alex Mills

 

POUR LA DEMANDERESSE

John Ashley

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

R. Alex Mills, avocat

Minto (N.-B.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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