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Date : 20071004

Dossier : T-1619-06

Référence : 2007 CF 1021

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

VERNON JOHNSON

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits  de la personne (la Commission)datée du 11 août 2006 qui a approuvé conformément à l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (LCDP), les conditions de règlement que les parties ont négociées.

 

 

 

[2]               Le demandeur sollicite :

a)      une ordonnance annulant la décision du 11 août 2006 de la Commission;

b)      une ordonnance contraignant la Commission à constituer un tribunal pour instruire sa plainte initiale;

c)      à titre subsidiaire, une ordonnance enjoignant aux parties de reprendre les pourparlers de conciliation;

d)      les dépens afférents à la présente demande selon le montant fixé par la Cour, plus la TPS.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est un employé du gouvernement du Canada depuis septembre 1980. En novembre 1996, il a commencé à travailler au ministère de la Défense nationale (le ministère) où il occupait un poste AS-3. Il a été promu en 2002 et a commencé à travailler comme PE-2. Ses principales fonctions comprenaient la dotation, l’équité en matière d’emploi, la formation et les reconnaissances.

 

[4]               Le 2 avril 2003, le demandeur a déposé une plainte contre le ministère auprès de la Commission. Il allègue avoir été défavorisé au sens des articles 7 et 14 de la LCDP du fait de s’être vu refuser des promotions et d’autres avantages. Dans sa plainte, le demandeur allègue également avoir par ailleurs été victime à plusieurs reprises d’actes discriminatoires du fait de sa race et de sa couleur.

 

[5]               La Commission a mené une enquête préliminaire sur la plainte et a recommandé que l’affaire soit portée devant le tribunal des droits de la personne pour instruction. Ce faisant, la Commission a dit qu’il fallait dans le cadre de cette affaire procéder à une appréciation de la crédibilité des parties et de leurs éléments de preuve.

 

[6]               Le 21 février 2006, les parties ont participé à une session de conciliation à laquelle toutes deux étaient représentées par avocat. Le demandeur était représenté par son avocat du moment; il a depuis lors retenu les services d’un nouvel avocat. On n’a pas confronté les parties; le conciliateur allait et venait entre les salles où elles se trouvaient. À un certain moment pendant la session de conciliation, les avocats des parties se sont entretenus en privé, en l’absence du conciliateur. La conciliation a duré quatorze heures. Au terme de celle-ci, le conciliateur a ébauché une lettre d’entente qui a été signée par les parties, leur avocat et lui-même.

 

[7]               La lettre exposait les points sur lesquels les parties étaient tombées d’accord et prévoyait la rédaction et la signature par les parties d’un autre document intitulé procès-verbal de règlement. En outre, la lettre d’entente indiquait que les parties devaient faire un suivi de certains points avant la signature du procès-verbal. Le ministère devait en particulier préparer une lettre d’emploi à l’intention du demandeur et indiquer les activités principales afférentes à un poste AS-4 auquel le demandeur allait être affecté. Le demandeur devait fournir une lettre certifiant son aptitude à reprendre le travail.

 

[8]               Le 1er mars 2006, le ministère a rempli les exigences susmentionnées et en a informé le conciliateur. Celui-ci a alors préparé le procès-verbal de règlement dont copie a été envoyée à chacune des parties pour signature. Les représentants accrédités du ministère ont signé. Le demandeur a refusé de signer le document.

 

[9]               Le conciliateur a alors produit son rapport de la conciliation en date du 7 juin 2006 dans lequel il recommandait à la Commission ce qui suit :

[traduction] Les parties se sont rencontrées en conciliation le 21 février 2006 et ont accepté de régler la plainte selon les termes de la lettre d’entente ci-jointe, qu’elles-mêmes et leurs avocats respectifs ont signée. Le conciliateur et les parties ont convenu que la lettre d’entente a été rédigée à titre de règlement provisoire en raison des contraintes de temps. Cette intention est clairement énoncée dans le préambule de la lettre d’entente. Après la conciliation, le défendeur a fourni quelques renseignements supplémentaires aux fins de précision et de réponse à certains des engagements contenus dans la lettre d’entente.

 

Le procès-verbal officiel de règlement, ci-joint, a par la suite été remis aux parties, mais le plaignant a refusé de signer le document.

 

Il est recommandé que, conformément à l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission approuve les conditions de règlement convenues entre les parties.

 

 

[10]           Les parties ont ensuite présenté à la Commission des observations écrites concernant le rapport de la conciliation, l’entente présumée et l’approbation des conditions de règlement conformément à l’article 48 de la LCDP.

 

 

[11]           L’article 48 de la LCDP est ainsi rédigé :

 

(1)        Les parties qui conviennent d’un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l’approbation de la Commission.

 

(2)        Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

 

(3)        Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle.

 

 

[12]           Par lettre datée du 11 août 2006, la Commission a informé les parties qu’elle avait approuvé les conditions de règlement conformément à l’article 48 de la LCDP. La décision de la Commission fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Motifs de la décision de la Commission

 

[13]           Dans une lettre datée du 11 aout 2006, la Commission a approuvé les conditions de règlement convenues entre les parties pour les motifs suivants :

            1.         L’entente a été conclue par les parties au moyen de la conciliation et les parties étaient représentées par leur avocat;

            2.         L’entente a été signée par les parties à la suite de longs pourparlers et sur les conseils de leur avocat;

            3.         L’entente prévoit que la Commission veillera à l’application du règlement afin de s’assurer que les conditions en soient respectées.

Questions en litige

 

[14]           Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

            1.         La lettre d’entente signée constitue-t-elle un règlement entre les parties que la Commission pouvait approuver en tant que règlement de la plainte du demandeur?

            2.         Si la lettre d’entente signée est une entente qui lie les parties, renfermait-elle les éléments nécessaires pour qu’elle soit approuvée par la Commission en tant que règlement de la plainte du demandeur?

            3.         Le demandeur a-t-il accepté les conditions formulées dans le procès-verbal de règlement lorsqu’il a signé la lettre d’entente?

            4.         Si le procès-verbal de règlement n’est pas une entente liant les parties, la Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a approuvé le règlement?

 

[15]           Je reformulerais les questions comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les parties avaient convenu d’un règlement comme l’exige l’article 48 de la LCDP?


Les prétentions du demandeur

 

[16]           Le demandeur a fait valoir qu’il n’a pas signé le procès-verbal de règlement, que pour cette raison il ne constitue pas un règlement convenu entre les parties et que, par conséquent, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle l’a approuvé conformément à l’article 48 de la LCDP.

 

[17]           Le demandeur a affirmé que, aux termes de l’article 48 de la LCDP, la Commission a seulement le pouvoir d’approuver un règlement intervenu entre les parties. Il a également fait valoir que la LCDP ne confère pas à la Commission le pouvoir d’imposer des termes de règlement aux parties. Le demandeur a souligné que la Cour a déjà statué que la LCDP doit être interprétée et appliquée de manière à garantir la pleine réalisation de ses objectifs réparateurs (voir Loyer c. Air Canada, 2006 CF 1172, 2006 Carswell Nat 3092 (Fed)). Le demandeur a soutenu que ces objectifs réparateurs ne peuvent pas être réalisés si les parties se voient imposer un règlement, sans qu’elles n’aient convenu de ses conditions.

 

[18]           Le demandeur a également fait valoir que de toutes les instances où l’on se posait la question de savoir si les parties avaient réellement convenu des conditions d’un règlement, il n’y en a aucune où la décision de la Commission d’imposer un règlement aux parties a été confirmée en contrôle judiciaire.

 

[19]           Le demandeur a avancé que la lettre d’entente ne constituait en aucun cas un règlement entre les parties que la Commission pouvait approuver aux termes de l’article 48 de la LCDP au titre de règlement de la plainte du demandeur. Le demandeur a fait valoir qu’une lettre d’entente est semblable dans la forme et la fonction à une lettre d’intention en ce qu’elle est rédigée au cours de négociations; elle énonce certaines des conditions dont les parties ont convenu et indique que celles-ci s’entendent pour créer dans l’avenir un contrat obligatoire fondé sur les conditions formulées dans la lettre d’entente.

 

[20]           Le demandeur a fait valoir que pour décider si une lettre d’intention constitue réellement un contrat obligatoire, les tribunaux examinent généralement le contexte dans lequel l’entente a été signée pour déterminer les intentions des parties (voir Modderman c. Ondaatje Corp, [1998] O.J. nº 3018 (Div. gén. Ont.). En ce qui concerne le contexte dans lequel la lettre d’entente a été signée, le demandeur a fait les observations suivantes :

            1.         La lettre d’entente comprenait la déclaration suivante : [traduction] « Aux fins d’un règlement provisoire devant mener au procès-verbal officiel du règlement, les parties conviennent de ce qui suit ». Cette formulation n’est pas celle que l’on trouve dans un contrat censé créer des relations ayant force de loi; elle indique qu’il y a encore des détails à mettre au point.

            2.         La lettre d’entente exigeait que le défendeur s’efforce de déterminer les activités principales que le plaignant pourrait reprendre dans un poste AS-4. Cette condition devait être remplie avant la signature du procès-verbal de règlement. Le fait que le défendeur devait s’acquitter cette tâche avant la signature démontre que les activités principales déterminées par le défendeur devaient par la suite être approuvées par le demandeur.

            3.         Le demandeur croyait que le document qu’il signait n’était qu’un document préliminaire, semblable à une lettre d’intention, et que le procès-verbal de règlement serait l’entente officielle liant les parties.

 

[21]           Compte tenu des facteurs contextuels ci-dessus, le demandeur a fait valoir que la lettre d’entente n’était pas un règlement ayant force exécutoire.

 

[22]           Le demandeur fait également valoir que même si la Cour estime que la lettre d’entente était une entente liant les parties, celle-ci ne comporte pas les éléments nécessaires aux fins d’approbation par la Commission. Le demandeur a souligné que la lettre de la Commission datée du 11 août 2006 mentionnait les motifs suivants pour approbation du règlement conformément à l’article 48 de la LCDP : (i) les parties étaient représentées par leur avocat (ii) l’entente a été signée par les parties sur les conseils de leur avocat, et (iii) l’entente prévoyait que la Commission veillerait à l’application du règlement afin de s’assurer que les conditions en soient respectées. Le demandeur soutient que la lettre d’entente signée ne disposait pas que la Commission devait veiller à l’application du règlement afin de s’assurer que les conditions en soient respectées. Cette clause a été insérée dans le procès-verbal de règlement et, de ce fait, la lettre d’entente à elle seule ne pouvait être considérée comme un règlement.

 

[23]           Le demandeur a ensuite abordé la question de savoir s’il avait accepté les conditions du procès-verbal de règlement lorsqu’il a signé la lettre d’entente. Il a fait valoir que le procès-verbal de règlement contenait plus de détails et lui imposait de nouvelles obligations qu’on ne retrouvait pas dans la lettre d’entente. Le demandeur a particulièrement mentionné les clauses 9, et 12 à 15. Il a soutenu qu’en raison de ces clauses additionnelles, le fait d’avoir signé la lettre d’entente ne pouvait pas être interprété comme un assentiment à toutes les conditions contenues dans le procès-verbal (voir Bawitko Investments Lted. c. Kernels Popcorn Ltd. (1991), 79 D.L.R. (4th) 97 (C.A. Ont.), aux pages 103 et 104).

 

[24]           Le demandeur a fait valoir que la Commission a commis une erreur en droit lorsqu’elle a approuvé le procès-verbal de règlement car les parties ne s’étaient pas entendues sur le procès-verbal et donc que l’article 48 ne s’appliquait pas. Le demandeur a soutenu qu’en général la question de savoir si une entente a été conclue entre les parties est une question de droit. De plus, le demandeur a fait valoir que la question de savoir si une entente a été conclue n’est pas du ressort de la Commission, dont les fonctions administratives typiques sont de vérifier si la preuve est suffisante pour justifier l’examen de la plainte, et que par conséquent sa décision sur ce point n’appelle pas le haut degré de déférence normalement accordé (voir Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, aux pages 889 à 893, [1996] S.C.S. nº 115 (QL)).

 

Les prétentions du défendeur

 

[25]           Le défendeur a fait valoir que la décision de la Commission était raisonnable. Il a soutenu que la véritable raison sous-tendant la présente demande est que le demandeur a maintenant changé d’avis quant au caractère raisonnable du règlement et qu’il n’est pas satisfait des conseils de son ancien avocat. Le défendeur a soutenu qu’il ne s’agit pas là d’un motif suffisant pour annuler la décision de la Commission et que la demande devrait par conséquent être rejetée.

 

[26]           En ce qui concerne la norme de contrôle appropriée, le défendeur a présenté les observations suivantes relativement à l’approche pragmatique et fonctionnelle. Il a fait valoir que la LCDP ne comporte pas de clause privative, mais que ce silence est un facteur neutre (voir Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 27; Loyer c. Air Canada, [2006] A.C.F. nº 1473 (Q.L), au paragraphe 46). Le défendeur a soutenu que la question de savoir si les parties ont conclu une entente valide ayant force obligatoire à l’étape de la conciliation en est une qui tombe dans le champ d’expertise de la Commission et que cette expertise appelle une grande déférence (voir Dr Q, précité; Loyer, précitée; Moussa c. Canada (2006) A.C.F. nº 1169 (1re inst.)(Q.L.), au paragraphe 32). Pour ce qui est de l’objet de la loi, le défendeur a fait valoir que la LCDP est censée empêcher la discrimination et accorder réparation (voir Loyer, précitée). La Cour a souligné que l’objet de l’article 48 en particulier est de faire en sorte que la Commission intervienne dans le règlement d’une plainte pour s’assurer que les objectifs réparateurs de la LCDP sont bien pris en compte dans la solution apportée à la plainte en matière de droits de la personne. Le défendeur a fait valoir que la nature discrétionnaire de l’article 48 indique qu’il faut faire preuve d’un haut niveau de déférence.

 

[27]           Enfin, en ce qui concerne la nature du problème, le défendeur a soutenu que la décision de la Commission portait sur les conditions de règlement et les circonstances entourant la conciliation. À ce titre, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, mais d’une question qui dépend largement des faits propres à l’espèce. Par conséquent, il y a lieu de faire preuve d’un haut niveau de déférence. Le défendeur a déclaré que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748).

 

[28]           Le défendeur a fait valoir qu’il existe un principe bien établi qui milite en faveur du maintien et de l’exécution des règlements intervenus entre les parties en litige. Favoriser les recours indirects pour faire annuler ces règlements est contraire à la politique judiciaire et aux politiques publiques (voir Perrin c. Cara Operations Ltd. (2004) O.J. nº 1582 (Cour sup.) (Q.L.), au paragraphe 24).

 

[29]           Le défendeur a fait valoir que la Commission a eu raison de conclure que le règlement intervenu entre les parties en conciliation était valide et les liait. Il a soutenu que les facteurs suivants indiquent tous que la décision de la Commission était raisonnable :

            1.         Les parties avaient convenu des conditions de règlement figurant dans la lettre d’entente.

            2.         Le demandeur était représenté par un avocat pendant la conciliation et il avait reçu des conseils juridiques avant de signer la lettre d’entente.

            3.         Le paragraphe 9 de la lettre d’entente dit expressément que le [traduction] « [p]laignant convient que le présent règlement constitue une indemnisation intégrale et finale à l’égard de tous les incidents allégués dans la plainte et le plaignant accepte de retirer sa plainte en matière de droits de la personne ».

            4.         Il n’y a aucune allégation selon laquelle le demandeur n’avait pas la capacité de signer ou qu’il n’avait pas compris les conditions contenues dans la lettre d’entente.

            5.         L’entente de règlement est juste et raisonnable. Elle prévoit une indemnisation financière, la réintégration du marché de l’emploi, et une garantie quant à une formation et au counseling pour le demandeur.

            6.         La Commission a examiné le dossier lorsqu’elle a rendu sa décision. Le dossier comprenait les observations écrites du demandeur. Il a donc eu pleinement la possibilité de voir sa cause entendue par le décideur.

 

[30]           Le défendeur a également fait valoir qu’on avait dit au demandeur qu’il n’était pas tenu de signer la lettre d’entente à cet instant-là, mais qu’il l’a signée sur-le-champ.

 

[31]           Quant au lien entre la lettre d’entente et le procès-verbal de règlement, le défendeur a fait valoir que les conditions de règlement ne diffèrent aucunement dans l’un ou l’autre. Le défendeur a fait valoir que la prétention du demandeur selon laquelle il y a eu d’[traduction] « importants ajouts » et des précisions quant à certaines questions dans le procès-verbal de règlement est tout simplement fausse. Il a soutenu que les seules clauses qui ont été insérées dans le procès-verbal de règlement étaient des clauses usuelles de la Commission comme celles qui portent sur la mise en œuvre, la confidentialité et l’approbation du règlement aux termes de l’article 48 de la LCDP.

 

[32]           Le défendeur a fait valoir que les termes de la lettre d’entente exigeaient du ministère de faire un suivi sur deux points : la lettre d’emploi et la description de travail. Il en a outre avancé que bien que ces tâches dussent être accomplies avant la signature du procès-verbal de règlement, elles n’étaient pas négociables car les conditions de la lettre d’entente étaient définitives.

 

[33]           Enfin, le défendeur a fait valoir que la véritable plainte du demandeur réside dans les conseils que lui a donnés son premier avocat. Cependant, cette frustration ne constitue pas un motif suffisant pour annuler la décision de la Commission. Le défendeur allègue que le demandeur doit se résigner à l’entente signée qui a été négociée de bonne foi entre les parties.

 

Analyse et décision

 

[34]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Conformément aux directives de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. nº 2056, 2005 CAF 404, un organisme de contrôle doit s’abstenir d’adopter la norme de contrôle appliquée par d’autres juges lors de la révision des décisions de la Commission en vertu de la même disposition législative. À ce titre, mon analyse commencera par ma propre évaluation de l’analyse pragmatique et fonctionnelle afin de déterminer le degré de déférence dont on doit faire preuve à l’égard de la Commission en l’espèce.

 

 

 

 

[35]           Clause privative

            Il n’existe ni clause privative, ni droit d’appel quelconque dans la LCDP. L’absence d’une clause privative est considérée comme un facteur neutre (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19).

 

[36]           Nature de la question

            Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a approuvé le procès-verbal de règlement, comme prévu à l’article 48 de la LCDP, au motif que les parties n’avaient pas convenu d’un règlement. Par conséquent, la question dont est saisie la Cour est de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les parties avaient convenu d’un règlement. Bien que la détermination de ce qui constitue un règlement soit une question de droit, l’exigence selon laquelle les parties doivent convenir de ce règlement est une question de fait. En conséquence, je conclus que la présente question est une question mixte de droit et de fait; un degré moyen de déférence doit être accordé.

 

[37]           Expertise relative

            Lorsqu’on examine l’expertise de la Commission par rapport à celle de la Cour, on doit garder à l’esprit la nature de la question en litige. Comme on l’a souligné dans la décision Loyer c. Air Canada, [2006] A.C.F. nº 1473, au paragraphe 47, 2006 CF 1172, le mandat de la Commission est « de procéder quotidiennement à l’examen et à la résolution de plaintes de violation des droits de la personne ». Par conséquent, il semble que les questions de règlement relèvent de l’expertise de la Commission. Toutefois, la nature de la question en litige est celle de savoir si les parties ont, oui ou non, convenu du règlement. Je suis d’avis qu’il s’agit plus d’une question relevant du droit des contrats, qui relève l’expertise de la Cour. Cet examen invite à une norme faisant appel à un degré de déférence moindre.

 

[38]           L’objet de la loi et de la disposition

            L’article 2 de la LCDP énonce que l’objet de la Loi est d’assurer l’égalité en empêchant les pratiques discriminatoires fondées sur une série de motifs énumérés. Dans l’arrêt Sketchley, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que « la protection des droits humains et individuels est une valeur fondamentale au Canada et les institutions, organismes ou personnes qui ont reçu le mandat, en vertu de la loi, d’examiner ces questions sont assujettis à un certain contrôle de la part des autorités judiciaires ».

 

[39]           Relativement à l’objet de l’article 48, dans la décision Loyer, précitée, la juge Mactavish a émis les commentaires suivants au paragraphe 87 :

Il y a peu de jurisprudence sur l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, lorsqu’on lit la disposition dans son contexte, en tenant compte des objets de la Loi tout entière, et à la lumière du mandat de la Commission dans l’intérêt public, il est clair que l’objet de l’article 48 est de faire en sorte que les commissaires eux‑mêmes puissent intervenir dans le règlement d’une plainte, pour s’assurer que les buts réparateurs de la Loi sont bien pris en compte dans la solution apportée à la plainte.

 

 

[40]           Il semble que l’intention du législateur était d’accorder à la Commission, sous le régime de l’article 48, un large pouvoir discrétionnaire dans l’approbation ou le rejet du règlement d’une plainte. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire commande naturellement plus de déférence judiciaire. Toutefois, l’approbation semble mettre fin à la plainte devant la Commission, mise à part l’exécution du règlement prévue au paragraphe 48(3). Ces facteurs font appel à un degré moyen de déférence.

 

[41]           Conclusion

            Après avoir appliqué les quatre facteurs de l’approche pragmatique et fonctionnelle, je suis d’avis que la norme de contrôle appropriée en l’espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[42]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les parties avaient convenu d’un règlement comme l’exige l’article 48 de la LCDP?

            Pour se prononcer sur la question de savoir si la Commission a, oui ou non, commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les parties avaient convenu d’un règlement, il faut examiner les éléments de preuve dont elle disposait lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[43]           La Commission a été saisie de la question par suite du rapport de conciliation daté du 3 avril 2003, lequel était ainsi rédigé :

[traduction] Les parties se sont rencontrées en conciliation le 21 février 2006 et ont accepté de régler la plainte selon les termes de la lettre d’entente ci-jointe, qu’elles-mêmes et leurs avocats respectifs ont signée. Le conciliateur et les parties ont convenu que la lettre d’entente a été rédigée à titre de règlement provisoire en raison des contraintes de temps. Cette intention est clairement énoncée dans le préambule de la lettre d’entente. Après la conciliation, le défendeur a fourni quelques renseignements supplémentaires aux fins de précision et de réponse à certains des engagements contenus dans la lettre d’entente.

 

Le procès-verbal officiel de règlement, ci-joint, a par la suite été remis aux parties, mais le plaignant a refusé de signer le document.

 

Il est recommandé que, conformément à l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission approuve les conditions de règlement convenues entre les parties.

 

[44]           Ce rapport démontre qu’au moment de sa décision la Commission disposait tant de la lettre d’entente que du procès-verbal de règlement.

 

[45]           La lettre d’entente a été signée par les parties à titre de règlement provisoire. Elle ne constituait pas un règlement définitif étant donné qu’il y avait encore des points à régler. La clause 6 de la lettre d’entente stipule que [traduction] « le défendeur accepte de fournir une lettre d’emploi qu’il préparera et sur laquelle les deux parties devront s’entendre avant de signer le procès-verbal de règlement ». La clause 7 énonce que [traduction] « le défendeur s’efforcera de déterminer les activités principales avant la signature du procès-verbal de règlement ». L’inclusion de l’exigence que ces tâches soient accomplies avant la signature du procès-verbal de règlement et l’obligation faite aux parties à la clause 6, « de s’entendre » sur la lettre d’emploi appuient la conclusion selon laquelle la lettre d’entente n’était qu’un document provisoire. Ces exigences accordaient au demandeur la possibilité de ne pas signer le procès-verbal de règlement si la lettre d’emploi ou les activités principales déterminées ne répondaient pas à ses attentes.

 

[46]           Le défendeur fait valoir que ce n’était tout simplement pas le cas et que ces documents ne nécessitaient pas l’approbation du demandeur. Je n’accepte pas cet argument. Ce n’est pas pour rien que ces exigences ont été ajoutées et en faire fi équivaudrait à priver le demandeur de son droit d’approuver ou de rejeter ces documents en signant ou en refusant de signer le procès-verbal de règlement.

 

[47]           Quant au procès-verbal de règlement, le demandeur a refusé de le signer et, à ce titre, je ne suis pas prêt à conclure qu’il constitue un règlement convenu entre les parties comme l’exige l’article 48 de la LCDP. En outre, lorsqu’elle a rendu sa décision, la Commission disposait d’une lettre de l’avocat du demandeur qui indiquait que la lettre d’emploi et la description de travail que le défendeur avait fournies ne répondaient pas aux attentes du demandeur, raison pour laquelle il a refusé de signer le procès-verbal de règlement.

 

[48]           Selon moi, la décision de la Commission d’approuver la lettre d’entente et le procès-verbal de règlement comme prévu à l’article 48 de la LCDP était déraisonnable. La preuve dont la Commission disposait comprenait un règlement provisoire signé exigeant la réalisation de certaines tâches par le défendeur et leur approbation subséquente par le demandeur, et un règlement définitif non signé. À la lumière de ces circonstances, je conclus que la décision de la Commission d’approuver le règlement en vertu de l’article 48 de la LCDP n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et la décision de la Commission datée du 11 août 2006 doit être annulée. L’affaire est renvoyée à la Commission afin qu’elle soit traitée conformément à la loi.

 

[49]           Le demandeur a droit aux dépens afférents à la demande.


 

JUGEMENT

 

[50]           LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission afin qu’elle soit traitée conformément à la loi.

            2.         Le demandeur a droit aux dépens afférents à la demande.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aude Megouo

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Voici les dispositions législatives pertinentes :

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 :

 

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

 

 

 

 

48.(1) Les parties qui conviennent d’un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l’approbation de la Commission.

 

(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

 

 

(3) Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle.

 

2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

 

48.(1) When, at any stage after the filing of a complaint and before the commencement of a hearing before a Human Rights Tribunal in respect thereof, a settlement is agreed on by the parties, the terms of the settlement shall be referred to the Commission for approval or rejection.

(2) If the Commission approves or rejects the terms of a settlement referred to in subsection (1), it shall so certify and notify the parties.

 

(3) A settlement approved under this section may, for the purpose of enforcement, be made an order of the Federal Court on application to that Court by the Commission or a party to the settlement.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1619-06

 

INTITULÉ :                                       VERNON JOHNSON

 

                                                            - et -

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip M. MacAdam

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Roach

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Philip M. MacAdam

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c. r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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