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Date : 20071005

Dossier : IMM-868-07

Référence : 2007 CF 1034

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

CHINDER SINGH

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans sa conclusion selon laquelle Chinder Singh n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin d’une protection internationale, le tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a affirmé au moins à 14 reprises qu’il n’était pas crédible, qu’il ne pouvait pas être cru, que son récit était invraisemblable ou qu’il n’était pas un témoin fiable. Il arrive un moment où il est évident que quelqu’un cherche des raisons pour ne pas croire. C’est bien le cas ici.

 

[2]               L’avocat de M. Singh affirme qu’il y a seize motifs pour lesquels la décision devrait être infirmée. Sans qu’il y en ait réellement autant, la plupart des conclusions de fait qui ont mené à la décision sont manifestement déraisonnables. La demande a été rejetée au motif que M. Singh ne pouvait pas émettre des hypothèses satisfaisantes expliquant pourquoi des tiers avaient fait ou non quelque chose, que certains renseignements ne figuraient pas à son formulaire de renseignement personnel (FRP) et qu’une partie de la documentation provenant des tiers n’était pas suffisamment détaillée au goût du tribunal.

 

[3]               M. Singh a quitté l’Inde en direction de l’Écosse en 1991 où sa demande d’asile a en fin de compte été rejetée; il a été renvoyé en Inde en mai 2004. Malheureusement, nous n’avons aucune copie de la décision.

 

[4]               La demande présentée au Royaume-Uni était fondée sur l’allégation selon laquelle la police en Inde croyait que M. Singh aidait des militants sikhs. Il affirme avoir été torturé et forcé de signer des feuilles en blanc. Ses blessures ont nécessité des soins médicaux.

 

[5]               M. Singh est retourné en Inde muni d’un permis de voyage spécial qui aurait normalement dû attirer l’attention des autorités indiennes sur lui. Il n’a eu aucun problème à quitter l’aéroport de Delhi, peut-être parce que sa femme et un agent avaient soudoyé quelqu’un.

 

[6]               L’élément essentiel de la demande de M. Singh au Canada repose sur l’allégation selon laquelle la police l’a arrêté en décembre 2004 et accusé d’avoir envoyé de l’argent à des militants. Il aurait été sauvagement battu, à la suite de quoi il aurait dû recourir à des soins médicaux durant deux semaines, dont un jour passé à l’hôpital. Grâce à l’aide de certains de ses amis, M. Singh aurait été relâché et il aurait trouvé un moyen pour venir au Canada.

 

[7]               M. Singh a écrit dans son FPR les raisons pour lesquelles il avait été en Écosse, mais il n’a fait aucune mention concernant ce qui lui était arrivé, le cas échéant, pendant son séjour là‑bas de 1991 à 2004. Le tribunal a interrogé M. Singh au sujet de ces années et il a appris que, pendant les premières années, la police avait continué de faire des visites à sa famille et qu’elle avait affirmé qu’il s’était rendu au Pakistan pour suivre un entraînement supplémentaire. Comme l’affirme le tribunal, il aurait été souhaitable que ce renseignement ait été écrit dans le FPR. Cependant, elle exagère lorsqu’elle affirme que ce manquement fait de M. Singh un menteur.

 

[8]               M. Singh a affirmé que les membres de sa famille lui avaient fait savoir qu’ils n’avaient pas dit aux autorités où il était; ils avaient seulement dit qu’il était à l’étranger. Le tribunal n’a pas compris pourquoi les membres de la famille n’avaient pas informé la police du fait que le demandeur d’asile était parti pour le Royaume‑Uni. Pourquoi auraient-ils dû dire à la police où M. Singh se trouvait? On apprend dans les Country Reports que le Royaume-Uni était un terrain fertile pour le financement. La connaissance exacte du lieu où se trouvait M. Singh aurait pu faire en sorte qu’il soit exposé à un « agent provocateur ».

 

[9]               Le fond de la question est de savoir s’il a été torturé par la police en Inde en décembre 2004.

 

[10]           Le tribunal ne comprend pas comment M. Singh a bien pu quitter l’aéroport de Delhi en mai 2004 et comment il se fait que la police l’ait laissé tranquille jusqu’à son arrestation inopinée, huit mois plus tard. On lui a demandé comment il était possible que la police n’ait pas fait de descente chez lui ou qu’il n’ait pas été arrêté entre‑temps. Comment M. Singh aurait‑il pu savoir ce à quoi les policiers pensaient, ou bien quels renseignements ils avaient et quand ils les avaient reçus?

 

[11]           M. Singh avait une brève lettre d’un docteur indien qui mentionnait qu’il avait eu des traitements médicaux à l’époque où il aurait été brutalisé par la police. Le tribunal a affirmé ce qui suit :

Le rapport médical donne un aperçu général du type de blessures qu’avait le demandeur d’asile, de ses plaintes et du traitement appliqué. Il ne précise pas, pour chaque incident, quels ont été les blessures et le traitement. […] Le tribunal n’accorde aucune valeur probante au rapport médical. Cela mine davantage sa crédibilité.   

 

[12]           Comment est-ce que le fait que la Commission aurait aimé avoir un rapport plus détaillé peut miner la crédibilité de M. Singh?

 

[13]           M. Singh a écrit dans son FPR que, lors de sa détention par la police en décembre 2004, il avait été complètement déshabillé et battu avec des ceintures de cuir et des bâtons de bois. Pendant son témoignage, il a affirmé que les policiers avaient également fait passer des rouleaux sur tout son corps.  « [I]l n’est pas écrit dans son FRP qu’ils lui avaient passé des rouleaux partout sur le corps. […] Il n’est pas crédible. » Quel degré de précision dans les détails était-il nécessaire d’avoir pour convaincre le tribunal?

 

[14]           Aucune radiographie n’a été prise en Inde parce qu’il n’en a pas eu le temps, a affirmé M. Singh. Le tribunal ne l’a pas jugé crédible au motif que, puisqu’il aurait été traité du 8 au 24 janvier, il aurait sans doute eu le temps de faire prendre une radiographie. Peut-être que le tribunal connaît le délai d’attente pour avoir accès au service de radiologie en Inde, mais le dossier n’en fait aucunement mention.

 

[15]           Une conseillère municipale a écrit une lettre mentionnant comment elle en était venue à bien connaître M. Singh au fils des ans et comment elle l’avait aidé à quitter l’Inde en 2005. Étant donné que l’auteure de la lettre avait affirmé qu’elle était pleinement consciente des problèmes du demandeur, le tribunal a jugé qu’il manquait plusieurs précisions dans la lettre.

[P]ar exemple, le nombre d’arrestations du demandeur d’asile et leur moment exact, en particulier en ce qui concerne celle du 31 décembre 2004, ses hospitalisations et/ou traitements médicaux à la suite de chaque libération et, ce qui importe le plus, la condition de sa libération […]. […] Le tribunal n’accorde aucune valeur probante à la lettre et ne croit pas le demandeur d’asile.

 

La conseillère municipale n’a pas affirmé être docteure et on ne devrait pas la critiquer du fait qu’elle n’a pas écrit une lettre de quinze pages alors qu’un décideur raisonnable n’aurait eu besoin que d’une page ou deux.

 

[16]           À la suite de radiographies qui ont été prises à Montréal, un docteur a déclaré que M. Singh souffre d’arthrose légère. Cependant, il n’a pas été en mesure de confirmer si les douleurs chroniques que M. Singh ressent aux genoux avaient été causées par les actes de violences allégués. Par contre, le docteur n’a pas affirmé que l’état de M. Singh était incompatible avec des actes de violence. Comment cette conclusion peut-elle miner la crédibilité de M. Singh?

 

[17]           La demande de M. Singh a été rejetée au motif « [qu’il] n’a pas démontré le bien-fondé de sa crainte avec des éléments de preuve crédibles ». On pourrait croire que, peu importe l’abondance de la preuve, seule une confession de la police aurait pu convaincre le tribunal que M. Singh était crédible, et même alors cette conclusion aurait été considérée comme étant suspecte.

 

[18]           Même si j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire, je recommande fortement à M. Singh de fournir une copie de la décision défavorable rendue au Royaume-Uni.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                 IMM-868-07

 

INTITULÉ :                                               CHINDER SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                      LE 2 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :          LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                              LE 5 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTION :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

Bassam Khouri

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand Deslauriers

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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