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Date : 20071009

Dossier : T-1620-06

Référence : 2007 CF 932

Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

 

BERNARD DROPSY,

en sa qualité de représentant de CD2I COOPÉRATIVE DE SERVICES EN

DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL et d’administrateur de

WARRINGTON

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

VUE D’ENSEMBLE

[1]               Une demande de renseignements, faites aux termes du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la LIR ou la Loi), « […] investit le ministre du pouvoir de contraindre un contribuable à fournir tout “renseignement” […] » (Tower c. M.R.N. (C.A.F.), [2004] 1 R.C.F. 183; [2003] A.C.F. no 1153 (QL)).

            Le ministre ne peut, cependant, demander que les renseignements supplémentaires pertinents à l’assujettissement à l’impôt du contribuable (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627).

 

[2]               La Cour d’appel fédérale a reconnu ceci : « Une demande de production est valide si les renseignements demandés peuvent se rapporter à l’évaluation de la dette fiscale du contribuable visé. » Ce seuil peu élevé permet au ministre d’obtenir des renseignements pouvant être pertinents pour évaluer la dette d’un contribuable dans le cadre de la Loi (arrêt Tower, précité).

 

[3]               En outre, la personne à qui une demande de renseignements est signifiée, et à qui on accorde un délai raisonnable pour fournir les renseignements ou les documents, devra s’y conformer si le ministre agissait pour l’application et l’exécution de la LIR (1144020 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2005 CF 813; [2005] A.C.F. no 1018 (QL)).

 

LE CONTEXTE

[4]               M. Bernard Dropsy est un représentant de CD2I Coopérative de services en développement international (CD2I) et un administrateur de Warrington Security Securities Limited (Warrington).

 

[5]               L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) tente de vérifier si CD2I s’est conformée à la LIR, et ce, pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005.

 

[6]               Dans le cadre de l’enquête du ministre au sujet des activités commerciales de CD2I, on a aussi vérifié l’ensemble des relations d’affaires du défendeur avec ses membres et ses partenaires commerciaux, en l’occurrence Warrington.

 

[7]               Le 29 juin 2006, le ministre a envoyé deux demandes de renseignements (DR) à M. Dropsy; la première en sa qualité de représentant de CD2I et la seconde en tant qu’administrateur de Warrington, en vertu des alinéas 231.2(1)a) et b) de la LIR.

 

La demande de renseignements adressée à CD2I

[8]               On a exigé que CD2I fournisse au ministre, dans les 30 jours de la signification de la DR, les renseignements et documents suivants :

§         Le nom de tous les membres faisant partie des personnes ayant investi un montant nominal (membres autres que ceux qui ont transféré un REER ou tout autre placement enregistré à CD2I) à un moment ou à un autre et faisant partie des membres de la coopérative pour les années 2003, 2004 et 2005. Nous aimerions obtenir à leur égard leur adresse ainsi que leur pourcentage de participation pour chacune des années 2003, 2004 et 2005.

 

§         Tous les relevés bancaires de tous les comptes bancaires de la coopérative CD2I pour l’année 2005 ainsi que les livres comptables et pièces justificatives expliquant les dépôts et les retraits.

 

(Dossier du demandeur, onglet A, p. 4)

 

 

La demande de renseignements adressée à Warrington

 

[9]               On a exigé que Warrington fournisse au ministre, dans les 30 jours de la signification de la DR, les renseignements et documents suivants :

·        Relevés bancaires

·        Chèques retournés par la banque

·        Grand livre

·        Journal général

·        Écritures de régularisation

·        Chiffriers

·        Livre des minutes

·        Caisse-recettes

·        Caisse-déboursés

·        Nom de tous les administrateurs de la compagnie

·        Description des principales activités de la société et services offerts aux clients

 

(Dossier du demandeur, onglet B, p. 8)

 

 

[10]           Des copies des DR susmentionnées ont également été signifiées aux avocats de CD2I.

 

[11]           Ni CD2I ni M. Dropsy n’ont fourni les renseignements demandés.

 

[12]           Le demandeur précise que les dettes fiscales de CD2I font l’objet d’une enquête de caractère administratif et que les renseignements ainsi que les documents demandés à M. Dropsy sont considérés comme nécessaires pour compléter la vérification fiscale, de même que pour vérifier l’admissibilité des investissements des membres.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           (1)   Aux termes de l’article 231.7 de la LIR, le défendeur était‑il tenu, en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi, de fournir les documents et les renseignements demandés dans les demandes péremptoires?

(2)  Le défendeur s’est‑il conformé aux demandes péremptoires?

(3)  Quelles sont les exigences qui doivent être satisfaites avant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 231.7 de la LIR pour ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi?

(4)  Les exigences afférentes à une ordonnance en vertu du paragraphe 231.2(1) de la LIR ont‑elles été satisfaites en l’espèce?

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[14]           Selon l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire AGT Ltd. c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1997] 2 C.F. 878; [1997] A.C.F. no 398 (QL) :

[27]     Le paragraphe 231.2(1) est libellé en des termes larges, mais sa portée a été restreinte, par application des règles d'interprétation, aux situations dans lesquelles les renseignements réclamés par le ministre sont utiles pour établir la dette fiscale d'une ou de plusieurs personnes déterminées, et lorsque la dette fiscale de cette ou ces personnes fait l'objet d'une enquête véritable et sérieuse. […]

 

[Renvoi omis.]

 

 

Par conséquent, « […] chaque avis de demande de production qui est envoyé en vertu de cette disposition doit satisfaire au critère de l'utilité et du caractère raisonnable » (arrêt AGT, précité, au paragr. 21).

 

[15]           La Cour doit donner effet à l’intention du législateur, qui accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire à cet égard. En examinant la décision du ministre, la Cour ne devrait pas apprécier à nouveau les facteurs ni intervenir uniquement parce qu’elle en serait arrivée à une autre conclusion.

Production de documents ou fourniture de renseignements

[16]           La LIR est une mesure de réglementation fondée sur le principe de l’autodéclaration et de l’autocotisation. L’intégrité du système doit donc permettre que s’exerce une certaine forme de surveillance qui soit efficace mais sans intrusion.

 

[17]           Le pouvoir d’enquête et de vérification que détient le ministre à l’égard des contribuables lui est conféré par l’article 231.2 de la LIR, lequel prévoit ce qui suit :

 

Production de documents ou fourniture de renseignements

 

231.2      (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application et l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

 

 

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

 

b) qu’elle produise des documents.

Requirement to provide documents or information

 

 

231.2      (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

 

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

 

 

 

(b) any document.

 

 

[18]           Une demande de renseignements, faites aux termes du paragraphe 231.2(1) « […] investit le ministre du pouvoir de contraindre un contribuable à fournir tout “renseignement” […] ». Le ministre ne peut, cependant, demander que les renseignements supplémentaires pertinents à l’assujettissement à l’impôt du contribuable (arrêts Tower, précité, et R. c. McKinlay, précité).

 

[19]           La Cour d’appel fédérale a reconnu ceci : « Une demande de production est valide si les renseignements demandés peuvent se rapporter à l’évaluation de la dette fiscale du contribuable visé. » Ce seuil peu élevé permet au ministre d’obtenir des renseignements pouvant être pertinents pour évaluer la dette d’un contribuable dans le cadre de la Loi (arrêt Tower, précité).

 

[20]           En outre, la personne à qui une demande de renseignements est signifiée, et à qui on accorde un délai raisonnable pour fournir les renseignements ou les documents, devra s’y conformer si le ministre agissait pour l’application et l’exécution de la LIR (décision 1144020 Ontario Ltd., précitée).

 

La demande de renseignements adressée à CD2I

[21]           Le défendeur soutient qu’il a fourni au demandeur une divulgation complète, détaillée et volontaire de la part de CD2I, dont des renseignements relatifs à ses relations avec les membres et Warrington. Il ajoute que les documents et les renseignements ont été fournis avant la réception des demandes et avec, pour l’avenir, un libre accès continu à tous les renseignements et documents en la possession ou sous la garde de CD2I.

 

[22]           Le ministre précise que, conformément à l’alinéa 231.2(1)a), il peut demander des renseignements supplémentaires afin de compléter, confirmer ou infirmer une vérification.

 

La demande de renseignements adressée à Warrington

[23]           Le défendeur soutient que ni lui ni CD2I n’ont la possession ou le contrôle, physique ou juridique, de documents qui appartiennent à Warrington, ou qui la concernent, hormis ceux que l’ARC a déjà obtenus. De la même manière, il déclare que, malgré son poste d’administration, il n’a [traduction] « aucun contrôle sur Warrington et sur les renseignements, quels qu’ils soient, qu’elle peut avoir en sa possession et [il n’a] aucune autorité au sein de l’entreprise, ni aucun renseignement au sujet de Warrington, et ce, en réponse aux questions qu’on [lui] a posées » (affidavit de M. Bernard Dropsy, paragr. 30).

 

[24]           Le ministre, en faisant directement référence à des extraits du contre‑interrogatoire, a allégué ce qui suit :

a)   Le défendeur a signé le contrat d’entreposage au nom de Warrington et il n’a fourni aucune justification logique de son geste;

b)   Le défendeur a signé une lettre au nom de Warrington, dans laquelle le prix d’une commande passée par CD2I à Warrington a été modifié et par laquelle il donne quittance de tout paiement additionnel;

c)   Le contrat d’achat de 223 caisses de vin nouveau à CD2I, en date du 24 août 2004, a été signé par le défendeur au nom de Warrington;

d)   Le demandeur a donné des instructions pour que de l’argent soit transféré à partir d’un compte bancaire de Warrington; bien qu’il ait donné de telles instructions, il prétend ne pas avoir le relevé bancaire en sa possession ou sous sa garde;

e)   Les états financiers de CD2I pour l’année terminée le 31 décembre 2004 constituent une preuve additionnelle, car ils mentionnent que CD2I a fait affaires avec une société étrangère administrée par un des membres.

(Dossier du demandeur, onglet 5)

 

[25]           Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, la Cour convient avec le demandeur que le défendeur a un accès suffisant aux documents et renseignements concernant Warrington et que, de ce fait, il a suffisamment d’autorité au sein de l’entreprise pour fournir les renseignements et documents touchant Warrington qui ont été demandés par le demandeur.

 

[26]           Le ministre précise que les renseignements et documents supplémentaires qu’il sollicite du défendeur, M. Dropsy, en sa qualité de représentant de CD2I et d’administrateur de Warrington, sont nécessaires pour compléter la vérification fiscale, de même que pour vérifier l’admissibilité des investissements des membres.

 

[27]           Le ministre explique que, bien que les DR aient été signifiées au défendeur le 29 juin 2006, ce dernier n’a pas encore fourni les renseignements et documents demandés.

[28]           Le défendeur ne s’est donc pas conformé à la demande de renseignements et n’a donc pas respecté l’article 231.2.

 

Les exigences relatives à une ordonnance

[29]           Lorsqu’on ne se conforme pas aux demandes de renseignements, le ministre peut demander à la Cour de rendre une ordonnance, conformément à l’article 231.7 :

Ordonnance

231.7      (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

 

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

Compliance order

231.7      (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

 

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor-client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

 

[30]           La Cour doit cependant être convaincue que la personne à qui la demande péremptoire a été signifiée était tenue, en application du paragraphe 231.2(1) de la LIR, de fournir les renseignements, que ceux‑ci n’ont pas été fournis et que, aux termes de l’alinéa 231.7(1)b) de la Loi, le privilège des communications entre client et avocat ne peut être invoqué à l’égard des renseignements ou documents (Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Marshall, 2006 CF 279; [2006] A.C.F. no 350 (QL)).

 

[31]           Vu ce qui précède, il est clair que, conformément au paragraphe 231.2(1), le défendeur est une personne tenue de fournir des renseignements ou des documents au ministre. Bien qu’il ait eu 30 jours pour se conformer, il n’a fourni aucun des documents ou renseignements demandés et le privilège des communications entre client et avocat n’a pas été invoqué.

 

[32]           Pour les motifs énoncés ci‑dessus, il convient que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et ordonne que le défendeur fournisse les renseignements et documents demandés par le ministre, aux termes des DR signifiées le 29 juin 2006.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1)         que, aux termes de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le défendeur se conforme à l’avis émis par le ministre et fournisse sans délai, et en tout état de cause au plus tard dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, les renseignements et documents demandés par le ministre du Revenu national dans les deux demandes concernant la communication de documents, datées du 29 juin 2006;

 

2)      que les frais soient assumés par le défendeur.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER:                                                                 T-1620-06

 

INTITULÉ :                                                               LE MINISTRE DU REVENU  NATIONAL

                                                                                    c.

BERNARD DROPSY, en sa qualité de représentant de CD2I COOPÉRATIVE DE SERVICES EN DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL et d’administrateur de WARRINGTON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 5 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 9 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Maria Bittichesu                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Me Emilio S. Binavince

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Law Offices of Frances M. Viele                                  POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

 

John S. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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