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Date : 20071003

Dossier : IMM-3832-07

Référence : 2007 CF 1017

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 3 octobre 2007

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

ENTRE :

SOHAIL SYED RIZVI, ANNE SOHAIL RIZVI,

 MIKAELEH SOHAIL RIZVI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

            LA COUR STATUANT SUR une requête, en date du 26 septembre 2007, présentée pour le compte des demandeurs et sollicitant :

 

1.                  l’obtention d’une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre eux, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire;

2.                  toute autre réparation que la Cour peut estimer juste dans les circonstances.

 

APRÈS avoir pris connaissance des documents dont dispose la Cour;

 

ET APRÈS avoir entendu les observations orales des avocats des demandeurs et du défendeur;

 

[1]               Les demandeurs souhaitent obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au Pakistan dont ils font l’objet, renvoi prévu le 16 octobre 2007, jusqu’à ce la Cour entende leur demande d’autorisation, et si elle est accueillie, rende une décision finale relativement au contrôle judiciaire de la décision sous-jacente liée à l’examen des risques avant renvoi.

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Pakistan et ont demandé l’asile au motif qu’ils sont chrétiens et qu’ils risqueraient d’être persécutés s’ils retournaient au Pakistan. Sohail Syed Rizvi (le père demandeur) est âgé de 67 ans, Anne Sohail Rizvi, (la mère demanderesse) est âgé de 66 ans et Mikaeleh Sohail Rizvi (la fille demanderesse) est âgée de 35 ans. La famille demanderesse a vécu durant un certain nombre d’années à Dubaï où le père demandeur a travaillé, jusqu’à ce que le gouvernement de Dubaï exige que tous les étrangers non occidentaux de plus de 60 ans quittent le pays à moins qu’ils ne satisfassent à certaines exigences pour obtenir la résidence. La famille demanderesse est alors venue au Canada. Ils ont revendiqué le statut de réfugié, qui leur a été refusé.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a jugé qu’ils étaient de confession religieuse mixte, le père et la fille demandeurs étant musulmans et la mère étant catholique romaine. Le commissaire de la SPR a reconnu que le père et la fille demandeurs pouvaient avoir été baptisés comme chrétiens, mais décidé qu’ils étaient musulmans parce qu’ils n’avaient pas exercé leur foi chrétienne et que leurs passeports indiquaient que leur religion était l’islam. Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire de la SPR, demande qui a été rejetée.

 

[4]               Les demandeurs ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et soumis de nouveaux éléments de preuve à l’agent d’ERAR. Ces éléments de preuve consistaient en une lettre adressée par le pasteur d’une église chrétienne de Toronto attestant de leur présence à des services religieux chrétiens et en des copies de leurs passeports modifiés, qui indiquent que leur religion est le christianisme.

 

[5]               L’agent d’ERAR a accordé peu de poids aux nouveaux éléments de preuve présentés par le père et la fille demandeurs, parce qu’il s’agissait d’éléments de preuve obtenus après la décision de la SPR. Il a affirmé ce qui suit :

[traduction] J’ai estimé que les demandeurs ont fait modifier leurs passeports et commencé à assisté régulièrement à des services religieux à Toronto uniquement après la décision rendue par la SPR, qui traitait précisément de ces deux questions. Compte tenu de la date de ces événements et de leur lien avec les conclusions de la SPR, j’accorde à la lettre et aux passeports peu de poids pour ce qui est d’établir que les demandeurs sont exposés à un risque au Pakistan en raison de leur foi chrétienne.

 

[6]               L’agent d’ERAR a ensuite pris en considération le International Religious Freedom Report (rapport sur la liberté de religion dans le monde) portant sur le Pakistan, publié en 2006 par le Département d’État américain, notant qu’on y déclarait que quatre millions de chrétiens vivaient au Pakistan et que 120 000 catholiques vivaient à Karachi.

 

[7]               L’agent d’ERAR a également déclaré ce qui suit :

[traduction] J’ai également pris en considération le risque allégué par le demandeur principal, selon lequel il sera tué en raison du changement de religion sur son passeport, et pris en note que selon le rapport sur la liberté de religion dans le monde, il n’existe aucune loi contre l’apostasie au Pakistan.

 

 

 

[8]               Malgré qu’il ait accordé peu de poids aux nouveaux éléments de preuve, l’agent d’ERAR semble avoir reconnu que le père et la fille demandeurs sont chrétiens, contrairement à la SPR qui a estimé que le père et la fille demandeurs étaient musulmans. En outre, il a reconnu que le père et la fille demandeurs pouvaient être considérés comme des apostats en raison de la modification de leur identité religieuse dans leurs passeports.

 

[9]               Le rôle de l’agent d’ERAR lors de l’examen des risques avant renvoi n’est pas de réexaminer la décision de la SPR, mais d’apprécier les nouveaux éléments de preuve et de décider s’ils prouvent une modification du risque auquel sont exposés les demandeurs. Dans la décision Hausleitner c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 641, le juge Mactavish a affirmé ce qui suit :

Il me semble plutôt que la question que doit trancher l’agente d’ERAR à cette étape de la procédure est celle de savoir si le nouvel élément de preuve produit par les demandeurs établit que la situation dans le pays d’origine des demandeurs a changé à un point tel que l’analyse de la protection de l’État faite par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’est plus d’actualité.

 

Cette interprétation du régime établi par la Loi est confirmée par le libellé de l’alinéa 113a) de la LIPR qui indique clairement que, dans un tel cas, l’évaluation des risques à l’étape de l’ERAR ne doit pas être un réexamen de la décision de la Commission, mais qu’elle doit plutôt se limiter à l’examen des nouveaux éléments de preuve qui n’existaient pas au moment où la demande d’asile a été entendue ou qui n’étaient pas normalement accessibles au demandeur avant cette date : H.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1945, 2004 CF 1612; Bolubo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 459, 2005 CF 375.

 

[10]           Les demandeurs souhaitent obtenir une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, de manière à pouvoir contester la décision de l’agent d’ERAR, qui aurait commis une erreur en affirmant que les demandeurs ont accès à une protection de l’État adéquate au Pakistan.

 

[11]           Le critère applicable en matière de suspension de mesures de renvoi a été exposé dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1988), 86 N.R. 302 (CAF). Les demandeurs doivent montrer qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’ils subiront un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

 

Question sérieuse

[12]           Les demandeurs allèguent que l’évaluation faite par l’agent d’ERAR était superficielle et qu’il a omis d’évaluer correctement le caractère inadéquat de la protection de l’État offerte aux demandeurs s’ils devaient être renvoyés au Pakistan.

 

[13]           Ce premier volet du critère est exposé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc., [1994] 1 R.C.S. 311, où la Cour a expliqué que le seuil applicable est bas puisqu’il s’agit de savoir si la demande est futile ou vexatoire.

 

[14]           L’agent d’ERAR a accordé peu de poids aux nouveaux éléments de preuve présentés par le père et la fille demandeurs, notamment à la modification de leur identité religieuse, de musulmans à chrétiens. Pourtant, il s’est ensuite écarté de la conclusion de la SPR, selon laquelle la famille était de confession religieuse mixte, soit de confession musulmane et catholique romaine, estimant plutôt que la famille demanderesse était de foi chrétienne. Pour tirer cette conclusion, il semble avoir reconnu les nouveaux éléments de preuve comme étant importants.

 

[15]           En outre, le père demandeur a affirmé qu’il risquait d’être tué en raison du changement de religion sur son passeport, de l’islam au christianisme. L’agent d’ERAR a accordé peu d’importance à cette question, soulignant simplement que selon le rapport sur la liberté de religion dans le monde, il n’existe pas de loi contre l’apostasie au Pakistan. Ici, il semble accorder peu de poids aux nouveaux éléments de preuve et adhère essentiellement à la décision de la SPR.

 

[16]           L’approche adoptée par l’agent d’ERAR concernant les éléments de preuve fait peu de sens. Je suis convaincu qu’une question sérieuse découle du traitement accordé par l’agent d’ERAR aux nouveaux éléments de preuve dont il disposait.

 

Préjudice irréparable

[17]           L’agent d’ERAR s’est appuyé sur le rapport sur la liberté de religion dans le monde de 2006 pour conclure qu’il n’existait aucune loi contre l’apostasie au Pakistan. Il a conclu que même s’il reconnaissait certains problèmes comme des restrictions relatives à la liberté de religion et les violences à l’égard des femmes, il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve montrant que les demandeurs seraient personnellement exposés à un risque lié à ces problèmes et à d’autres problèmes de droits humains au Pakistan.

 

[18]           Les demandeurs ont inclus le rapport sur la liberté de religion dans le monde de 2007 du Département d’État américain, à la page 211 de leur dossier de requête. Il s’agit probablement de la mise à jour du rapport sur lequel s’est appuyé l’agent d’ERAR. À tout le moins, il provient de la même source que le rapport utilisé par l’agent d’ERAR. À la page 213 du rapport de 2007, après un passage sur les mariages interreligieux au Pakistan, on lit cette sombre déclaration :

[traduction] De plus, une personne qui s’est convertie de l’islam devient un apostat et est admissible à la peine de mort.

 

La modification de la religion de l’islam au christianisme dans les passeports, lesquels sont des documents du gouvernement pakistanais, peut être vue comme une preuve d’une conversion ou d’une nouvelle conversion du père et de la fille demandeurs. En ce sens, ils seraient perçus comme des apostats aux yeux des musulmans. Il faut se rappeler que 96 pour cent de la population du Pakistan est composée de musulmans.

 

[19]           L’agent d’ERAR ne s’est pas penché de manière appropriée sur le risque auquel le père et la fille demandeurs seraient exposés du fait qu’ils soient perçus comme se convertissant ou se convertissant à nouveau de la foi musulmane à la foi chrétienne. Le risque pour le père et la fille demandeurs serait substantiellement différent s’ils étaient perçus comme des apostats qu’il ne le serait s’ils étaient perçus comme ayant toujours été chrétiens.

 

[20]           L’appréciation du risque faite par l’agent d’ERAR était inadéquate. Par conséquent, je suis convaincu qu’une question sérieuse découle de l’évaluation faite par l’agent d’ERAR du risque auquel seraient exposés les demandeurs au Pakistan.

 

[21]           Exiger des demandeurs qu’ils retournent au Pakistan en se fondant sur une évaluation viciée en matière d’ERAR les exposerait à un risque d’un niveau inacceptable. Je suis convaincu que les demandeurs pourraient être exposés à une possibilité réelle d’un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés au Pakistan.

 

Prépondérance des inconvénients

[22]           Les demandeurs contribuent à la société canadienne. Ils sont exposés à une possibilité de préjudice personnel grave s’ils devaient être renvoyés au Pakistan.

 

[23]           Même si le respect des procédures d’immigration du Canada est un point important à considérer, l’application adéquate de mesures de protection dans le processus d’immigration de réfugiés constitue un élément essentiel du système d’immigration canadien.

 

[24]            J’estime que la prépondérance des inconvénients joue en faveur des demandeurs.

 

Conclusion

[25]           La requête en vue d’obtenir une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs est accueillie, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision sous-jacente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE qu’une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs et prévue pour le 16 octobre 2007 soit accordée, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente.

 

                                                                                                            « Leonard S. Mandamin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3832-07

 

 

INTITULÉ :                                       SOHAIL SEYED RIZVI ET AL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1ER OCTOBRE 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                      LE JUGE MANDAMAIN

 

 

DATE :                                               LE 3 OCTOBRE 2007           

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                                              POUR LES DEMANDEURS

 

Angela Marinos                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Services d’assistance judiciaire, d’avocats et de litiges en matière d’immigration

Toronto (Ontario)                                                                     Pour les demandeurs

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           Pour le défendeur

 

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