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Date : 20071009

Dossier : IMM-4148-06

Référence : 2007 CF 1040

Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

 

ENTRE :

VAITHY PHILIP SOOSAIPILLAI

MARGARET SOOSAIPILLAI,

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR ou la Commission), en date du 5 juillet 2006, dans laquelle la Commission a décidé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la Loi, ni des [traduction] « personnes à protéger », en application de l’article 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs, âgés respectivement de 74 et 70 ans, sont mari et femme, citoyens tamouls du Sri Lanka, et allèguent craindre d’être extorqués aux mains des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) du fait de leur appartenance à un groupe social : les Tamouls ayant de la parenté qui vit à l’étranger.

 

[3]               Les demandeurs allèguent qu’ils sont devenus des victimes d’extorsion après que les TLET ont pris le contrôle de Jaffna, en 1990.

 

[4]               En octobre 1995, selon les demandeurs, ils ont été déplacés vers Kilinochchi et leur fille aînée a quitté pour le Canada. Par la suite, ils ont fui à Mankulam, où les TLET ont continué à leur extorquer de l’argent et les ont forcés à travailler. Les demandeurs ont fui à Mallavi, puis à Vavuniya, tout en étant interrogés et harcelés par la police. Ils ont atteint Colombo et une autre de leurs filles a quitté pour aller vivre au Canada.

 

[5]               Un accord de cessez‑le‑feu a ensuite été négocié entre le gouvernement et les TLET, après quoi les TLET ont ouvertement extorqué de l’argent à des personnes, dont les demandeurs, enlevé des gens et tué des adversaires politiques.

 

[6]               Le 9 novembre 2004, les demandeurs sont arrivés au Canada avec des visas de visiteurs.

 

[7]               Le 4 février 2005, ils ont demandé l’asile au Canada.

 

[8]               Dans une décision rendue le 5 juillet 2006, la CISR a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des [traduction] « personnes à protéger », parce qu’ils n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[9]   Les conclusions quant à la crédibilité et à l’invraisemblance constituent des questions de fait et sont donc susceptibles de révision selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1701, [2005] A.C.F. no 2127 (QL), au paragr. 5; Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, [2005] A.C.F. no 129 (QL), au paragr. 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, [2005] A.C.F. no 98 (QL), au paragr. 19). Une conclusion susceptible de révision selon cette norme ne sera pas modifiée à moins qu’elle soit « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, aux pages 963 et 964).

 

[10]           Il ne faut pas examiner les motifs de la Commission à la loupe (Boulis c. Canada (Ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration), [1974] R.C.S. 875, à la page 885). La décision doit être appréciée dans son ensemble, au regard de la preuve et dans le contexte. Comme l’a précisé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gagnon, 2006 CSC 17 :

 

[…] l’examen en appel ne commande pas l’analyse de chaque mot, mais bien que l’on détermine si une erreur justifiant l’annulation se dégage des motifs dans leur ensemble.

 

[11]           La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, et ce, pour différents motifs. Elle a mentionné que le témoignage de la demanderesse était hésitant et improvisé lorsqu’elle a été interrogée au sujet de la réaction des TLET à leur départ, à elle et à son mari, du Sri Lanka. La Commission a également fait ressortir le témoignage contradictoire de la demanderesse à l’égard de la date de la dernière extorsion de la part des TLET. L’affirmation selon laquelle les demandeurs seraient enlevés à Colombo pour être emmenés à Vanni en cas de non‑paiement aux TLET a été jugée peu plausible, étant donné la grande distance et les points de contrôle multiples entre les deux régions. En outre, la Commission a demandé comment les TLET pouvaient savoir où les demandeurs résidaient et qu’ils avaient des enfants vivant à l’étranger, étant donné le grand nombre de Tamouls vivant à Colombo.

 

[12]           Je suis convaincue que, considérées dans leur ensemble, ces conclusions sont étayées par le dossier et qu’on ne peut affirmer qu’elles sont « clairement irrationnelles ».

 

[13]           Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du risque de persécution future, puisqu’elle a accepté leur identité et leur situation de famille. Dans la décision Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 694 (QL), au paragr. 11, j’ai décidé que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle avait rejeté la demande de la demanderesse sans apprécier d’autres éléments de preuve crédibles provenant de sources autres que le témoignage de la demanderesse. Toutefois, lorsque le témoignage d’un demandeur est la seule preuve liant celui‑ci à sa demande, le fait de conclure que le demandeur manque de crédibilité indiquera qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1990] 3 C.F. 238).

[14]           Les demandeurs ont finalement soutenu que la Commission avait commis une erreur en ne procédant pas à une analyse distincte fondée sur l’article 97 de la Loi. Il est bien établi que l’exigence de procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97 doit être appréciée en fonction de chaque cas et en tenant compte des antécédents du pays concerné en matière de respect des droits de la personne; l’appréciation doit cependant être individualisée (Bouaouni c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. no 1540 (QL), au paragr. 41).

[15]           En outre, dans la décision Bouaouni, précitée, aux paragr. 41 et 42, le juge Blanchard a clarifié le lien entre des conclusions quant à la crédibilité et l’exigence d’une analyse indépendante fondée sur l’article 97 :

 […] Il s'ensuit qu'une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l'article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). […] Mis à part les éléments de preuve déclarés non crédibles par la Commission, il n'y en avait pas d'autres dont celle-ci disposait et découlant de la documentation sur le pays ou de toute autre source qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger.

 

[16]           En l’espèce, Il n’y avait aucun élément de preuve indépendant méritant une analyse indépendante fondée sur l’article 97. La preuve présentée à la Commission ne soulevait aucune question étrangère à la demande d’asile des demandeurs. Comme il n’y avait aucun élément de preuve indépendant, la Commission n’avait pas besoin de procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97.

JUGEMENT

 

[17]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié soit rejetée.

 

                                  « Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4148-06

 

INTITULÉ :                                                               VAITHY PHILIP SOOSAIPILLAI ET AUTRE

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 3 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 9 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Grice                                                                    POUR LES DEMANDEURS

 

Negar Hashemi                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice                                                              POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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