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Date :  20071016

Dossier :  IMM-6093-06

Référence :  2007 CF 1046

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

BAKAR OULD SIDNA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATON

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               La preuve déposée à l’audience révèle les nombreux crimes commis par l’armée mauritanienne pendant une période où le demandeur occupait des postes importants au sein de l’armée, soit de 1987 à 1995. La preuve documentaire rapporte des massacres perpétrés contre la population noire et parle d’épuration ethnique. De plus, la preuve documentaire rapporte que la torture était pratiquée tout comme les expulsions massives et la violence sexuelle envers les femmes.

 

[2]               Les forces de sécurité mauritaniennes sont composées des forces armées, de la Garde Nationale, de la gendarmerie (police paramilitaire) et de la police; ensemble, ces forces assurent aux autorités un pouvoir pratiquement illimité qui leur permet d'arrêter et de détenir arbitrairement n'importe quelle personne de leur choix. Les Noirs sont sujets à des perquisitions et à des arrestations sans mandat, souvent pour des faits montés de toutes pièces ou sans aucun motif ou base légale.

 

            Depuis la publication en avril 1986 d'un manifeste exposant de manière détaillée les doléances de la communauté noire (voir infra), le gouvernement a cherché à intimider la population noire afin de l'amener à se soumettre. Les arrestations massives ont été l'un des éléments de la stratégie gouvernementale, particulièrement dans la deuxième moitié des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix.

 

(Dossier de la Cour de la transcription de l’audition de la première instance, Pièce M-27, Human Rights Watch : Mauritanie (Campagne de terreur en Mauritanie - La campagne de répression des noirs africains soutenue par l’État, avril 1994, p. 429.)

 

[3]               Widespread human rights violations, including political killings, disappearances and the use of torture, were carried out by Mauritanian authorities over many years. In 1986, mass arrests of suspected government opponents from both black and Arab-Berber communities began and a high-level of human rights violations continued to be recorded in the early 1990s. Victims of such violations included black Mauritanians suspected of being members of the opposition, civil servants, as well as farmers and cattle herders from the south.

 

Between 1989 and 1991 hundreds of black African villagers, particularly those from the Senegal River Valley, were targeted by the Mauritanian authorities, who are dominated by the Moors or Beidane group. Political killings, arrests, disappearances and torture occurred in the context of mass expulsions of members of the black communities towards neighbouring countries.

 

The use of torture increased considerably during this period. A variety of torture techniques were used, such as electric shock, burning with hot coals and the jaguar, which involved suspending the victim upside down from a metal bar and beating the soles of the feet.

 

Tens of thousands of Mauritanians fled such violations to Senegal and other neighbouring countries, while those responsible for these crimes remained unpunished.

 

A similar case to the one brought against Ely Ould Dha has recently been brought to the attention of the judicial authorities in Paris. However in that case, Ould Hmeid Salem -- a Mauritanian army officer receiving specialist medical care in Paris -- was informed of the initiative by the French judicial authorities and fled to the Canary Islands.

 

The French tribunals had declared themselves competent to hear Ould Hmeid Salems case on the basis of the UN Convention Against Torture.

 

 

(Dossier de la Cour de la transcription de l’audition de la première instance, Pièce M-21, Mauritania: Investigation of Mauritanian army officer accused of torture -- a step towards truth and justice (Amnesty International, July 5, 1999), p. 256.)

 

[4]               Le demandeur a admis avoir eu connaissance des exactions commises par l’armée mauritanienne (pp. 859 à 867 du Dossier de la Cour de la transcription de l’audition de la première instance; également, pp. 817, 818 démontrent que l’armée est unifiée - « l’état-major » s’occupe de « toutes régions militaires »), et ce, à un moment où, dans sa carrière, il occupait des postes de haut-gradé et obtenait des promotions en gravissant les échelons de la hiérarchie.

 

[5]               C’est à bon droit que le tribunal a conclu que le demandeur était au courant des crimes perpétrés par l’armée et qu’il les a sciemment tolérés sans se dissocier des gestes posés à la première opportunité.

 

[6]               Ces principes furent repris dans la décision El-Kachi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 403, [2002] A.C.F. no 554 (QL) :

[18]      La question de la complicité a aussi été considérée par le juge Reed dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79. Suite à une analyse des arrêts Ramirez c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433, le juge Reed a conclu aux pages 84-85 :

 

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

 

 

INTRODUCTION

[7]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), rendue le 24 octobre 2006, selon laquelle le demandeur est exclu de la définition de « réfugié au sens de la Convention » aux termes de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), puisqu’il est visé par l’article 1Fa) et c) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention).

 

FAITS

[8]               Monsieur Bakar Ould Sidna, le demandeur, est citoyen de Mauritanie. Il allègue craindre d’être persécuté en raison de ses opinions politiques imputées. De façon plus spécifique, monsieur Ould Sidna allègue craindre le pouvoir militaire mauritanien.

[9]               Monsieur Ould Sidna a joint les rangs de l’armée mauritanienne de façon volontaire le 30 janvier 1976 pour y faire carrière, y assurer sa subsistance et faire vivre sa famille.

 

[10]           Monsieur Ould Sidna a été membre de l’armée mauritanienne durant plus de 20 ans, soit jusqu’en 1999. Dans l’armée, monsieur Ould Sidna apprendra le maniement d’armes automatiques, le lancer des grenades et des armes au mortier de 81mm. Il a également suivi une formation en technique de combat et en stratégie militaire.

 

[11]           Monsieur Ould Sidna a déclaré avoir occupé essentiellement une position de gestionnaire dans l’armée. Toutefois, au cours de son témoignage, monsieur Ould Sidna a déclaré avoir gravi les échelons de l’autorité militaire. Ainsi, de 1976 à 1982, monsieur Ould Sidna était sous-lieutenant; il passera par la suite au grade de lieutenant jusqu’en janvier 1990 et il sera ensuite promu capitaine, soit le quatrième rang le plus élevé de l’armée mauritanienne. Il travaillera pour l’armée jusqu’à son départ du quartier général des forces militaires en octobre 1999.

 

[12]           Durant la période allant de 1987 à 1995, la preuve documentaire fait état de violations des droits humains par l’armée mauritanienne qui s’en prend à la population noire. La preuve documentaire parle d’épuration ethnique (massacres, tortures, arrestations et détentions, expulsions et expropriations des terres, violence sexuelle subie par les femmes.

 

[13]           Monsieur Ould Sidna a admis avoir été au courant des actions de l’armée à l’endroit de la population noire. Monsieur Ould Sidna est cependant demeuré au sein des forces armées militaires jusqu’en 1999.

 

[14]           Le 14 octobre 1999, monsieur Ould Sidna quitte son pays à destination des États-Unis où il y dépose une demande d’asile en mai 2000. Ladite demande d’asile sera rejetée en 2003 pour des raisons de non-motifs politiques. En décembre 2004, monsieur Ould Sidna se présente à la frontière canadienne et revendique le statut de réfugié.

 

[15]           Le tribunal ayant de sérieuses raisons de croire que monsieur Ould Sidna s’est rendu complice de crimes contre l’humanité et d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, l’a exclu du bénéfice du statut de réfugié, en application des alinéas 1Fa) et c) de la Convention.

 

POINT EN LITIGE

[16]           L’exclusion de monsieur Ould Sidna est-elle raisonnable?

 

LES NORMES DE CONTRÔLE APPLICABLES

[17]           Les questions purement factuelles décidées par le tribunal pour parvenir à la décision attaquée sont contrôlables selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. (Harb. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (QL) au par. 14; Stadnyk c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration) (2000), 257 N.R. 385 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 1225 au par. 22.)

 

[18]           Par ailleurs, les questions purement juridiques de portée générale tranchées par le tribunal sont contrôlables selon la norme de la décision correcte. (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] R.C.S. 982, p. 1019; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] CSC 3, [2002] A.C.F. no 1 (QL).)

 

[19]           Les décisions ultimes, mixtes de faits et de droit, du tribunal, selon lesquelles les demandeurs n’ont pas une crainte bien fondée de persécution et qui sont par ailleurs visés par l’article 1Fa) et c) de la Convention, ne peuvent être annulées que si elles sont déraisonnables. (Harb, ci-dessus, au par. 14.)

 

Dispositions applicables concernant les causes d’exclusion

[20]           La Section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés se lit comme suit :

F.      Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
 

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
 

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;
 

 

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

F.      The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

Définition du crime contre l’humanité et d’actes contraires aux buts et aux principes des Nations Unies

 

[21]           Le paragraphe 150 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Guide) précise ce qui suit à propos de l’alinéa 1Fa) :

150.      La mention des crimes contre [...] l'humanité s'accompagne d'une référence générale aux «instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes». Il existe un nombre considérable de ces instruments, conclus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à l'époque actuelle. Tous contiennent des définitions des crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

150.      In mentioning crimes against peace, war crimes or crimes against humanity, the Convention refers generally to “international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes”. There are a considerable number of such instruments dating from the end of the Second World War up to the present time. All of them contain definitions of what constitute “crimes against peace, war crimes and crimes against humanity”.

 

(Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Guide), Genève, Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 1979.)

 

[22]           Les paragraphes 162 et 163 du Guide précisent ce qui suit à propos de l’alinéa 1Fc) :

162.     Cette clause d'exclusion rédigée en termes très généraux recouvre en partie la clause d'exclusion de la section F, alinéa a) de l'article premier. Il est évident, en effet, qu'un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité est également un acte contraire aux buts et principes des Nations Unies. Si l'alinéa c) de la section F n'introduit concrètement aucun élément nouveau, il vise de manière générale les agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies qui ne seraient pas entièrement couverts par les deux clauses d'exclusion précédentes. Si l'on rapproche l'alinéa c) des deux clauses précédentes, il apparaît, bien que cela ne soit pas dit expressément, que les agissements visés par cet alinéa doivent être également de nature criminelle.

 

163.      Les buts et principes des Nations Unies sont énoncés dans le préambule et dans les articles premier et 2 de la Charte des Nations Unies. Ces dispositions énumèrent les principes fondamentaux qui doivent régir la conduite des Membres de l'Organisation dans leurs relations entre eux et dans leurs relations avec la communauté internationale dans son ensemble. Cela implique que, pour s'être rendu coupable d'agissements contraires à ces principes, une personne doit avoir participé à l'exercice du pouvoir dans un État Membre et avoir contribué à la violation des principes en question par cet État. Cependant, les précédents font défaut en ce qui concerne l'application de cette clause.

162.      It will be seen that this very generally-worded exclusion clause overlaps with the exclusion clause in Article 1 F (a); for it is evident that a crime against peace, a war crime or a crime against humanity is also an act contrary to the purposes and principles of the United Nations. While Article 1 F (c) does not introduce any specific new element, it is intended to cover in a general way such acts against the purposes and principles of the United Nations that might not be fully covered by the two preceding exclusion clauses. Taken in conjunction with the latter, it has to be assumed, although this is not specifically stated, that the acts covered by the present clause must also be of a criminal nature.

 

 

 

 

163.      The purposes and principles of the United Nations are set out in the Preamble and Articles 1 and 2 of the Charter of the United Nations. They enumerate fundamental principles that should govern the conduct of their members in relation to each other and in relation to the international community as a whole. From this it could be inferred that an individual, in order to have committed an act contrary to these principles, must have been in a position of power in a member State and instrumental to his State's infringing these principles. However, there are hardly any precedents on record for the application of this clause, which, due to its very general character, should be applied with caution.

 

[23]           L’annexe VI du guide précise que le Statut du Tribunal militaire international (STMI), appelé Accord de Londres et la Loi no 10 du Conseil de contrôle pour l’Allemagne (Loi no 10) fait partie des principaux instruments internationaux concernant l’alinéa 1Fa). (Guide, précitée, p. 99 – Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe, 8 août 1945, 82 N.U.R.T. 279.)

 

[24]           Dans l’arrêt Harb, ci-dessus, au paragraphe 10, la Cour d’appel a conclu que pour appliquer l’alinéa 1Fa), on peut également avoir recours aux définitions du crime contre l’humanité contenues dans le STMI, la Loi no 10 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

 

[25]           Concernant ce dernier instrument, la Cour d’appel, toujours dans l’affaire Harb, ci-dessus, au paragraphe 8, a précisé que l’alinéa 1Fa) doit être interprété de manière à inclure les instruments internationaux conclus depuis son adoption en 1951, de sorte que pour appliquer cette disposition, on doit aussi tenir compte de la définition du crime contre l’humanité contenue dans le Statut de Rome adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1 juillet 2002.

 

[26]           Selon la définition que l’on retrouve à l’article 6c) du STMI, les crimes contre l’humanité comprennent :

c)  [...] l’assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

(c) … murder, extermination, enslavement, deportation, and other inhumane acts committed against any civilian population, before or during the war, or persecutions on political, racial or religious grounds in execution of or in connection with any crime within the jurisdiction of the Tribunal, whether or not in violation of the domestic law of the country where perpetrated.

 

[27]           Cette définition fut adoptée par la Cour d’appel fédérale dans la jurisprudence suivante : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1994] 1 C.F. 433, [1993] A.C.F. no 1145 (QL); Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1994] 3 C.F. 646, [1994] A.C.F. no 765 (QL); Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [2000] 3 C.F. 66, [2000] A.C.F. no 10 (QL).

 

Norme de preuve

[28]           Relativement à l’application de l’alinéa 1Fa) et c) en l’espèce, le Ministre doit seulement se conformer à la norme de preuve comprise dans l’expression « raisons sérieuses de penser ». Cette norme est bien inférieure à celle requise dans le cadre du droit criminel (« hors de tout doute raisonnable ») ou du droit civil (« selon la prépondérance des probabilités » ou « prépondérance de preuve »). (Voir les arrêts de la Cour d’appel fédérale suivants : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1994] 1 C.F. 298, [1993] A.C.F. no 912 (QL) ; Sivakumar, ci-dessus; Gonzalez, ci-dessus; Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [1996] A.C.F. no 1209 (QL); Sumaida, ci-dessus.)

 

[29]           Par ailleurs, cette norme exige plus qu’un soupçon ou une conjecture. (Sivakumar, ci-dessus; Sumaida, ci-dessus.)

 

Degré de participation requis

[30]           Une personne peut être tenue responsable d’un crime sans l’avoir commis personnellement, à savoir à titre de complice. Il est par conséquent possible d’appliquer la clause d’exclusion 1F à un demandeur d’asile, si ce dernier s’est rendu complice d’un crime y mentionné. (Sivakumar, ci-dessus.)

 

[31]           Contrairement à ce que monsieur Ould Sidna prétend aux paragraphes 31 à 38 de son mémoire, le défendeur soumet que le droit canadien en matière d’exclusion du statut de réfugié reconnaît l’existence du concept de complicité par association.

 

[32]           Dans l’arrêt Sivakumar, ci-dessus, la Cour a mentionné que « la complicité par association, laquelle s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres, et ce en raison de son association étroite avec les auteurs principaux. »

 

[33]           Comme l’a souligné la Cour d’appel dans ce même arrêt, Sivakumar, ci-dessus, c’est la connaissance des crimes contre l’humanité commis par une organisation à laquelle appartient un individu qui rend celui-ci complice par association de la commission de ces crimes. La Cour s’exprimait ainsi :

[13]      En bref, l'association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés... (La Cour souligne.)

 

 

[34]           L’élément essentiel pour qu’il y ait complicité est la « participation personnelle et consciente » du demandeur d’asile. Il s’agit là de la mens rea nécessaire. (Ramirez c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration) (C.A.), [1992] 2 C.F. 306, [1992] A.C.F. no 109 (QL); Sivakumar, ci-dessus.)

 

[35]           La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ramirez a mentionné que « la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont. » (Ramirez, ci-dessus, cité avec approbation dans l’arrêt Bazargan, ci-dessus.)

 

[36]           Monsieur Ould Sidna a admis avoir eu connaissance des exactions commises par l’armée mauritanienne et ce, à un moment où, dans sa carrière, il occupait des postes de haut-gradé et obtenait des promotions en gravissant les échelons de la hiérarchie.

 

[37]           C’est à bon droit que le tribunal a conclu que monsieur Ould Sidna était au courant des crimes perpétrés par l’armée et qu’il les a sciemment tolérés sans se dissocier des gestes posés à la première opportunité.

 

[38]           Le tribunal a trouvé invraisemblable l’affirmation de monsieur Ould Sidna à l’effet qu’il ait obtenu des promotions à cause de son ancienneté, d’autant plus que monsieur Ould Sidna avait allégué avoir été accusé de complicité à renverser le régime, avoir été suspendu et détenu pour réintégrer les rangs de l’armée en mai 1979.

 

[39]           Le tribunal pouvait remettre en question l’absence de document militaire émis postérieurement à 1982 pour étayer ses dires.

 

[40]           Le tribunal a conclu à juste titre que monsieur Ould Sidna avait obtenu ses promotions parce qu’il avait vraisemblablement obéi aux ordres et agi en bon militaire. Le tribunal n’a pas cru que monsieur Ould Sidna était un opposant au régime (voir page 8 des motifs).

 

[41]           Enfin, si le témoignage de monsieur Ould Sidna était clair concernant la période allant jusqu’en 1987, il n’en est pas de même pour la suite. Le tribunal a relevé des contradictions entre son témoignage et son formulaire de renseignements personnels (FRP), ainsi que des invraisemblances en regard de son travail et surtout des actions commises par l’armée mauritanienne envers les noirs dans ce pays.

 

[42]           Lorsqu’il s’agit de la complicité d’un demandeur d’asile par association, c’est la nature des crimes reprochés à l’organisation à laquelle on lui reproche de s’être associé qui mène à son exclusion. (Harb, ci-dessus, par. 11.)

 

[43]           La nature des crimes commis par l’armée mauritanienne, principalement durant une période où monsieur Ould Sidna gravissait les échelons de la hiérarchie et obtenait des promotions, ne fait aucun doute.

 

[44]           Monsieur Ould Sidna qui avait connaissance de ces crimes était également dans une position hiérarchique faisant en sorte qu’il a mis sa propre roue dans l’engrenage des opérations menées par l’armée.

 

[45]           Rappelons en outre, qu’en matière d’exclusion, la jurisprudence n’a jamais exigé, pour conclure à la complicité par association d’un demandeur d’asile, qu’il soit lié à des crimes précis en tant que leur auteur réel ou que les crimes commis par une organisation soient nécessairement et directement attribuables à des omissions ou à des actes précis du demandeur d’asile. (Sumaida, ci-dessus; Sivakumar, ci-dessus; Bazargan, ci-dessus; In the matter of B, [1997] E.W.J. No. 700 (QL), par. 7 et ss. (C.A. d’Angleterre et du pays de Galles.)

 

[46]           Selon une jurisprudence constance, pour que le demandeur d’asile puisse obtenir le statut de réfugié, il doit s’être dissocié de l’organisation qui commet les crimes dès que possible, compte tenu de sa sécurité. (Sivakumar, ci-dessus; Moreno, ci-dessus; Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) (1995), 115 F.T.R. 161, [1995] A.C.F. n o 1457 (QL), par. 38, points 1 à 10; Allel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 370, [2002] A.C.F. no 479 (QL), par 7; Albuja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1707 (QL), par. 8-9; Srour c. Canada (Solliciteur général) (1995), 91 F.T.R. 24, [1995] A.C.F. no 133 (QL), par. 34f).)

 

[47]           Ces principes furent repris dans la décision El-Kachi, ci-dessus :

[18]      La question de la complicité a aussi été considérée par le juge Reed dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79. Suite à une analyse des arrêts Ramirez c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433, le juge Reed a conclu aux pages 84-85 :

 

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

 

 

[48]           Monsieur Ould Sidna ne s’est pas dissocié des gestes posés par l’armée et a attendu d’obtenir un visa pour partir aux États-Unis pour se faire soigner.

 

[49]           Finalement, la jurisprudence considère que ces questions sont purement factuelles. (Allel, ci-dessus, par. 55.)

 

L’exclusion du demandeur est raisonnable

[50]           C’est à bon droit que la SPR a conclu que monsieur Ould Sidna, capitaine dans l’armée mauritanienne et membre de l’armée depuis plus de 20 ans, ne peut être admis au bénéfice du statut de réfugié par l’application de l’alinéa 1Fa) et c). Cette conclusion est raisonnable compte tenu de la preuve et des principes de droit applicables.

 

Les crimes commis par l’armée mauritanienne sont des « crimes contre l’humanité »

[51]           La preuve déposée à l’audience révèle les nombreux crimes commis par l’armée mauritanienne pendant une période où le demandeur occupait des postes importants au sein de l’armée, soit de 1987 à 1995. La preuve documentaire rapporte des massacres perpétrés contre la population noire et parle d’épuration ethnique. De plus, la preuve documentaire rapporte que la torture était pratiquée tout comme les expulsions massives et la violence sexuelle envers les femmes.

 

[52]           Le tribunal n’a pas cru que monsieur Ould Sidna n’avait pas participé indirectement aux actes perpétrés par l’armée mauritanienne compte tenu de son poste de capitaine dans l’armée, le quatrième en importance dans la hiérarchie militaire. Monsieur Ould Sidna a en effet exercé ces fonctions pendant plus de 20 ans de plein gré, a eu des promotions en cours d’emploi et n’a jamais envisagé quitter ledit emploi, donc de se dissocier des gestes posés.

 

[53]           Le tribunal a conclu à juste titre que monsieur Ould Sidna s’était rendu complice de crimes contre l’humanité.

 

[54]           Les nombreuses exactions commises par l’armée mauritanienne sont des crimes contre l’humanité, tel que définis par la Cour d’appel dans les affaires Sivakumar, ci-dessus; Gonzalez, ci-dessus; et Sumeida, ci-dessus.)

 

Monsieur Ould Sidna connaissait les actes commis par l’armée mauritanienne et il partageait une vision commune

 

[55]           Monsieur Ould Sidna a admis connaître les exactions commises par l’armée mauritanienne. Le tribunal n’a pas cru monsieur Ould Sidna lorsque ce dernier a affirmé qu’il ne s’en était jamais pris aux noirs dans son pays et ce durant une période où la preuve documentaire fait état des nombreuses violations commises par l’armée. Cette période coïncide au surplus à un moment où monsieur Ould Sidna est récompensé et obtient des promotions et se retrouve capitaine, soit un poste de haut-gradé.

 

[56]           Le tribunal pouvait conclure à bon droit qu’il existait des raisons sérieuses de penser que monsieur Ould Sidna s’était rendu complice de crimes visés par les clauses 1Fa) et c), compte tenu de la durée du service de monsieur Ould Sidna, des promotions obtenues, de la connaissance que monsieur Ould Sidna avait des exactions commises par l’armée envers la population noire et du fait qu’il ne s’est pas affranchi de l’armée rapidement pour des raisons d’ordre économique. (Haddad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 34, [2007] A.C.F. no 61 (QL), décision du juge Johanne Gauthier.)

 

[57]           Dans l’affaire Sivakumar, ci-dessus, le juge Linden de la Cour d’appel a écrit, au paragraphe 10, que plus un individu occupait une fonction importante au sein de l’organisation, plus il était vraisemblable qu'il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l'organisation dans la perpétration de ce crime. »

 

[58]           Dans l’affaire Imama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 1207, [2001] A.C.F. no 1663 (QL), le demandeur avait travaillé au sein du ministère de l’État zaïrois de 1963 à 1998. Il avait notamment occupé différents postes dans des ambassades du Zaïre à l’étranger. La Cour a mentionné ce qui suit :

[14]      [...] Bien qu'étant au courant des actions prises par son gouvernement, le demandeur n'a fait aucun geste pour s'en dissocier. Au contraire, comme l'indique le tribunal, il est demeuré pendant plusieurs années au service du gouvernement de Mobutu, a été le président du MPR alors qu'il était ambassadeur. C'est à bon droit que la Section du statut concluait qu'il était complice par association de crimes contre l'humanité commis par le gouvernement de Mobutu.

 

 

[59]           Monsieur Ould Sidna est donc demeuré au sein de l’armée mauritanienne parce qu’il y trouvait son compte. Il se trouvait alors être associé aux auteurs de flagrantes violations des droits de l’homme. Son défaut de se dissocier de ce régime démontre qu’il partageait un but commun avec les principaux auteurs de ces crimes. Il n’était pas un simple spectateur, mais était plutôt partie intégrante des opérations de l’armée.

 

[60]           Dans l’arrêt Harb, ci-dessus, la Cour d’appel citait avec approbation le passage suivant de son arrêt Bazargan, ci-dessus :

[18]      [...]

[11] Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une "participation personnelle et consciente" puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318 C.F. [dans Ramirez], "dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont". Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

 

[61]           Compte tenu de la preuve et du droit applicable, il était raisonnable pour le tribunal de conclure que monsieur Ould Sidna était complice de crimes contre l’humanité et d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies.

 

CONCLUSION

[62]           Compte tenu de ce qui précède, les prétentions de monsieur Ould Sidna ne sont pas de nature à convaincre cette Cour qu’il existe des motifs sérieux, susceptibles de lui permettre d’accueillir le recours qu’il cherche à exercer.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6093-06

 

INTITULÉ :                                       BAKAR OULD SIDNA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Éveline Fiset

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Sylviane Roy

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ÉVELINE FISET, Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

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