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Date : 20071019

Dossier : IMM-2761-06

Référence : 2007 CF 1079

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

DENEIVA OLIVIA RIGG

demanderesse

et

 

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Deneiva Olivia Rigg visant une décision rendue le 26 avril 2006 par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a conclu que Mme Rigg ne serait exposée à aucun risque si elle retournait en Jamaïque.

 

Historique

[2]               Mme Rigg a quitté la Jamaïque pour venir au Canada en 1975 avec sa famille. Elle était alors âgé de 10 ans. Mme Rigg est devenue résidente permanente en 1977, mais elle n’a jamais acquis la citoyenneté canadienne. Elle a maintenant 42 ans et pourrait être expulsée vers la Jamaïque en raison de ses nombreux antécédents criminels, notamment des déclarations de culpabilité pour prostitution, trafic de drogues et vol. De plus, Mme Rigg a été dépendante de la cocaïne pendant la majorité des 20 dernières années et elle soutient que cette dépendance [traduction] « y est pour beaucoup » dans son casier judiciaire. Elle est également lesbienne et parle assez ouvertement de son orientation sexuelle. Elle n’a pas de famille immédiate à l’extérieur du Canada.

 

[3]               Le 29 mars 2006, Mme Rigg a présenté une demande d’ERAR. Pour étayer sa demande, elle a présenté un grand nombre de preuves documentaires décrivant sa situation personnelle et les risques auxquels elle serait exposée en tant que lesbienne si elle retournait en Jamaïque, notamment une lettre de huit pages d’Amnistie internationale Canada qui exposait les graves risques auxquels font face les personnes homosexuelles en Jamaïque et qui tirait la conclusion brutale suivante à l’égard de Mme Rigg :

[traduction] En considérant ces facteurs, Amnistie internationale Canada estime qu’il est tout à fait plausible que la vie de Mme Rigg soit en danger si elle retourne en Jamaïque. En tant que lesbienne, elle ne pourra pas s’installer en toute sécurité dans ce pays. Elle sera considérée comme une étrangère parce qu’elle a habité au Canada pendant les 30 dernières années et plus. Elle sera une cible facile d’actes de persécution, y compris pour la violence sexuelle ou le meurtre.

 

La décision de l’agent d’ERAR

[4]               L’agent d’ERAR a évalué le risque auquel Mme Rigg serait exposée si elle retournait en Jamaïque, principalement en fonction de son orientation sexuelle. En réalité, les autres aspects relatifs à sa vulnérabilité ont été en grande partie rejetés au motif qu’ils étaient hypothétiques ou non pertinents pour l’évaluation des risques. Dans son analyse des risques, l’agent n’a donc pas tenu compte de la dépendance de la demanderesse à la cocaïne, du fait qu’elle n’avait pas de soutien familial et de sa longue période d’absence de la Jamaïque. Rejetant la demande de protection de Mme Rigg sur la question de son orientation sexuelle, l’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

Je suis convaincu que la demanderesse est bien qui elle prétend être. Je ne conteste pas sa crédibilité en ce qui concerne son orientation sexuelle, sa dépendance à la cocaïne ou sa situation familiale. Après avoir examiné attentivement la preuve fournie à l’appui de son ERAR, je pense que la demanderesse ne fera pas face à plus qu’une simple possibilité de persécution ou qu’il est peu probable qu’elle soit exposée au risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. À mon avis, la preuve présentée par la demanderesse ne démontre pas qu’elle sera exposée à un risque en Jamaïque en tant que lesbienne. Vu l’absence d’actes antérieurs de persécution en Jamaïque, la crainte de la demanderesse repose sur des conjectures. Je ne crois pas que les risques auxquels elle sera exposée en Jamaïque atteignent le seuil lui permettant d’être considérée comme étant une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger.

 

Les preuves documentaires révèlent que bien que la Jamaïque connaisse encore des problèmes sérieux liés à la violence criminelle, à la violence liée aux drogues et aux gangs ainsi qu’à la discrimination sociale contre les personnes homosexuelles, elle est un pays du Commonwealth doté d’une démocratie parlementaire constitutionnelle et ayant généralement une magistrature indépendante. Le Département d’État déclare que le gouvernement respecte, de façon générale, les droits de la personne.

 

La demanderesse n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État. Bien que je reconnaisse que la discrimination sociale contre les personnes homosexuelles soit un problème sérieux en Jamaïque, la demanderesse n’a jamais sollicité la protection de l’État dans ce pays et la preuve qu’elle m’a présentée ne me convainc pas qu’elle ne pourrait pas l’obtenir. La Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit dans l’arrêt Ward :

 

En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.  En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. […] Bien que cette présomption accroisse l'obligation qui incombe au demandeur, elle ne rend pas illusoire la fourniture par le Canada d'un havre pour les réfugiés.  La présomption sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange.  Les revendications du statut de réfugié n'ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà.

 

Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 66 de la version électronique (format pdf)

 

J’accepte la preuve de mauvais traitements infligés aux personnes homosexuelles et les rapports révélant un manque d’attention de la part de la police face aux problèmes. Cependant, je constate que la demanderesse n’a pas sollicité la protection et que la preuve contient des exemples de mesures prises par la police pour protéger les personnes homosexuelles contre la violence liée aux gangs. La preuve révèle également que la loi ne traite pas des activités sexuelles entre femmes et que même si les personnes homosexuelles sont l’objet de discriminations par la société, rien ne démontre que les lesbiennes sont, d’une façon générale, victimes de graves mauvais traitements.

 

[traduction]

Bien qu’il ne soit pas illégal d’être homosexuel en Jamaïque, la loi intitulée Offences Against the Person Act criminalise les rapports sexuels entre hommes et ceux‑ci sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de dix ans avec travaux forcés. Cette loi criminalise également les « actes grossiers indécents » entre hommes – tant en public qu’en privé. Le nombre de poursuites, s’il y en a eu, engagées en vertu de cette loi n’est pas déclaré. Les activités sexuelles entre femmes ne sont pas mentionnées. 23

 

[…]

 

Rien ne démontre que les lesbiennes sont, d’une façon générale, victimes de graves mauvais traitements en Jamaïque et, vu l’absence de preuves contraires, cette observation peut être déclarée officiellement non fondée. Lorsqu’une lesbienne est en mesure d’établir l’existence d’un risque véritable de traitements équivalant à de la persécution ou de traitements énoncés à l’article 3, on ne peut pas présumer que la protection est suffisante. Lorsque la crainte d’une demanderesse est fondée et localisée, il lui est peut-être possible de déménager dans une autre région de la Jamaïque pour se soustraire à la menace. Toutefois, une demande peut seulement être accueillie pour ce motif s’il est clair que l’on ne peut raisonnablement soutenir qu’une demanderesse subirait des persécutions ou des mauvais traitements et qu’elle ne subirait pas d’épreuves indues si elle décidait de déménager. Lorsque, dans des circonstances exceptionnelles, on conclut que la crainte exprimée par une lesbienne d’être persécutée en Jamaïque est effectivement fondée et qu’elle ne pourrait pas se soustraire à cette menace en déménageant dans une autre région du pays ou qu’il serait déraisonnable pour elle de le faire, étant donné que les lesbiennes en Jamaïque peuvent être considérées comme étant un groupe social particulier, l’octroi de l’asile serait approprié. (Janvier 2006, UK Operational Guidance Note.)

 

 

Les questions en litige

[5]               a)         Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par la demanderesse?

b)         L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a traité la preuve?

 

 

Analyse

[6]               À titre d’énoncé général décrivant la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à l’ERAR, j’adopte le passage ci-après tiré de la décision de la juge Carolyn Layden‑Stevenson dans Nejad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1444, [2006] A.C.F. no 1810, au paragraphe 14 :

Dans la décision Nadarajah c. Canada (Solliciteur général) (2005), 48 Imm. L.R. (3d) 43, j'ai adopté l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par le juge Mosley dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 272 F.T.R. 62, en ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à l'ERAR. La norme de contrôle applicable aux questions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable; celle qui s'applique aux questions mixtes de fait et de droit est la décision raisonnable; quant aux questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte. Lorsque la décision est examinée « dans sa totalité », comme l'a noté le juge Martineau dans la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 R.C.F. 387 (C.F.), la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

 

 

[7]               Les questions soulevées par Mme Rigg ne mettent pas en cause de pures conclusions de fait, mais elles ont plutôt trait à la manière générale dont l’agent a traité la preuve. Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit auxquelles s’applique la décision raisonnable.

 

[8]               La décision d’ERAR en cause recèle plusieurs problèmes et je suis convaincu qu’il faut procéder à une nouvelle évaluation.

 

[9]               À certains égards, la décision est étrangement rédigée. Malgré le fait que Mme Rigg ait quitté la Jamaïque à l’âge de 10 ans, la décision mentionne deux fois qu’elle n’a pas sollicité la protection de l’État avant son départ. Étant donné que sa demande d’asile était principalement fondée sur son orientation sexuelle, le fait que Mme Rigg n’ait pas sollicité la protection de l’État avant d’atteindre l’âge de la puberté n’avait rien d’étonnant et n’avait aucune pertinence quant au bien‑fondé de sa demande. Ces mentions sont quelque peu ambiguës et pourraient être interprétées comme une tentative de préciser ce qui est évident, soit que Mme Rigg n’avait jamais été exposée personnellement à un risque en Jamaïque. Cependant, je comprends difficilement pourquoi cette affirmation avait besoin d’être faite indirectement par mention du fait que Mme Rigg n’avait pas sollicité la protection de l’État. En considérant cette conclusion isolément, je ne serais pas disposé à infirmer la décision en raison de sa formulation maladroite. Toutefois, il y a des problèmes plus graves dans l’analyse des risques de l’agent d’ERAR. L’un d’eux se trouve dans la phrase suivante :

[traduction]

Vu l’absence d’actes antérieurs de persécution en Jamaïque, la crainte de la demanderesse repose sur des conjectures. Je ne crois pas que les risques auxquels elle sera exposée en Jamaïque atteignent le seuil lui permettant d’être considérée comme étant une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[10]           Il n’est pas exact de déclarer qu’en raison de l’absence d’expériences personnelles de persécution, la crainte que Mme Rigg prétendait avoir reposait sur des conjectures. Les preuves documentaires qu’elle avait présentées ne reposaient pas sur des conjectures. Elles provenaient de sources probantes fiables et elles corroboraient fortement sa crainte d’être persécutée en raison de son orientation sexuelle. En considérant ces preuves comme des conjectures au lieu d’en évaluer l’importance en fonction des autres preuves sur la situation dans le pays, il est clair que l’agent a commis une erreur.

 

[11]           La décision contestée comporte bien d’autres problèmes. Il était déraisonnable que l’agent ne tienne pas compte de la situation personnelle de Mme Rigg dans son évaluation du risque auquel elle serait exposée en raison de son orientation sexuelle. Vu qu’elle était une étrangère isolée ayant été dépendante de la cocaïne et possédant un casier judiciaire chargé, la situation de Mme Rigg, si celle‑ci retournait en Jamaïque, ne pouvait être que terrible. Il était naïf de laisser penser que se retrouver à la rue et qu’une rechute quant à sa dépendance n’étaient que des hypothèses. Le risque qu’elle courrait d’être victime d’actes violents et de mauvais traitements dans la société très homophobe de la Jamaïque ne pouvait pas être évalué à juste titre sans considération des autres obstacles qu’elle aurait à surmonter dans ce pays. Le fait que l’agent n’ait pas tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse pour évaluer le risque auquel elle serait exposée en raison de son orientation sexuelle était déraisonnable et constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[12]           Dans cette décision, l’évaluation de la preuve est absolument insuffisante quant aux risques courus par les lesbiennes en Jamaïque. La conclusion de l’agent selon laquelle [traduction] « des sources reconnues comme fiables sur la situation de la Jamaïque révèlent que les lesbiennes ne sont pas, d’une façon générale, victimes de mauvais traitements en Jamaïque » n’est appuyée que par une déclaration ambiguë et non étayée tirée du rapport intitulé 2006 United Kingdom Operational Guidance Note :

[traduction] Rien ne démontre que les lesbiennes sont, d’une façon générale, victimes de graves mauvais traitements en Jamaïque et, vu l’absence de preuves contraires, cette observation peut être déclarée officiellement non fondée. Lorsqu’une lesbienne est en mesure d’établir l’existence d’un risque véritable de traitements équivalant à de la persécution ou de traitements énoncés à l’article 3, on ne peut pas présumer que la protection est suffisante.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[13]           Il n’est pas facile de déterminer ce que les auteurs du passage susmentionné entendent par « d’une façon générale », mais s’ils voulaient laisser entendre qu’aucune preuve ne démontre que les lesbiennes sont exposées à un grave risque de violence physique en Jamaïque, c’est tout à fait faux[1]. Le dossier documentaire dont disposait l’agent d’ERAR révélait des antécédents lamentables de persécution et d’intolérance à l’égard des personnes homosexuelles en Jamaïque, en plus de décrire un climat très troublant d’indifférence et de violence policières. Ce dossier comportait les éléments suivants :

[traduction]

Amnistie internationale Canada

 

Amnistie internationale a reçu des rapports concordants qui révèlent que les policiers omettent régulièrement de prendre au sérieux les actes criminels signalés par des personnes homosexuelles, notamment des attaques homophobes, ainsi que de faire rapport et d’enquêter par la suite sur ces crimes.

 

Il est souvent impossible d’avoir la protection de la police. Dans certains cas, les policiers eux‑mêmes ont torturé ou maltraité des GLBT (gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres) victimes d’actes criminels qui demandaient leur aide. Souvent, les policiers n’enquêtent pas sur les crimes à caractère homophobe ou n’établissent pas de rapports écrits des témoignages sur ces incidents. Il semble aussi que la police s’en prenne aux fournisseurs de soins de santé qui travaillent auprès des GLBT et plusieurs rapports font état de situations où du personnel infirmier, des travailleurs sociaux et d’autres professionnels ont été détenus illégalement et maltraités par des policiers.

 

Selon Amnistie internationale, la réticence des victimes de voies de fait à signaler les mauvais traitements n’est pas la seule ou la principale raison à la base des enquêtes déficientes sur ces crimes. Le fait de ne pas enquêter adéquatement sur les crimes commis par les citoyens contre les personnes homosexuelles est aggravé par le fait que les autorités n’enquêtent généralement pas comme il le faudrait sur les plaintes de mauvais traitements ou de tortures infligés par les policiers; c’est ce que l’on peut constater dans de nombreux rapports d’Amnistie internationale.

 

 

Amnistie internationale croit que le fait de conserver les lois décrites ci‑dessous favorise l’impunité des policiers, qui sont régulièrement accusés de soumettre les personnes que l’on croit être homosexuelles à des mauvais traitements ou à des tortures, notamment au viol ou à d’autres types d’agressions sexuelles, et de ne pas enquêter adéquatement sur les crimes liés à l’homophobie.

 

 

Bien que les relations consensuelles entre femmes ne soient pas considérées comme étant un crime au sens de la loi, Amnistie internationale estime qu’il est important de noter que l’impression générale du public est que toute relation homosexuelle est illégale.

 

 

Les lesbiennes en Jamaïque demeurent à risque de subir des actes violents, notamment de violence sexuelle. Vu le nombre d’incidents rapportés en Jamaïque, on peut probablement affirmer qu’une lesbienne pourrait faire l’objet de ce genre d’attaques au motif qu’elle a des traits physiques « masculins » ou d’autres caractéristiques visibles donnant l’impression qu’elle est homosexuelle.

 

 

En Jamaïque, on peut s’attendre à ce qu’il y ait des variations qualitatives et quantitatives quant à l’expression ou à l’expérience de la violence chez les lesbiennes selon le rang social. On peut probablement affirmer que ces femmes feraient l’objet de mauvais traitements ou d’actes violents à cause de leur orientation sexuelle. Selon Amnistie internationale, une jeune lesbienne habitant dans un secteur pauvre d’un centre‑ville pourrait être exposée à un grand risque de tortures ou de mauvais traitements et même d’être assassinée si les gens de son milieu venaient à savoir qu’elle est homosexuelle. Elle serait encore plus vulnérable à ce genre d’attaques dû à un isolement sur les plans familial et social qui pourrait s’ensuivre si ses connaissances tentaient d’adhérer aux mœurs du milieu. Le risque de violence comprend la violence sexuelle.

 

 

Il importe de noter qu’Amnistie internationale est d’avis que les données existantes sur la violence faite aux lesbiennes en Jamaïque ne donnent qu’un aperçu de la situation. Étant donné que les personnes homosexuelles et les femmes victimes de violence éprouvent beaucoup de honte et vu l’incrédulité à laquelle elles se heurtent, il faut présumer que le nombre de femmes qui signalent des mauvais traitements est beaucoup moins élevé que le nombre d’incidents réels.

 

La violence faite aux femmes dans des milieux qui condamnent particulièrement certains comportements, notamment les relations entre femmes, est un type de violence bien caché en Jamaïque. Même si un homme et une femme sont victimes de la même violation, la situation de la femme est souvent moins apparente et par conséquent, moins souvent dénoncée. C’est pourquoi nous estimons que les données à cet égard ne sont qu’un pâle reflet de la réalité. 

 

 

Human Rights Watch

 

[traduction]

Les lesbiennes sont aussi exposées au risque de violence au sein de leur collectivité et au harcèlement policier et, tout comme les gais, leurs plaintes de violence sont souvent négligées par la police.

 

 

Les femmes lesbiennes ou qui sont perçues comme lesbiennes sont exposées à un risque de viol encore plus grand que les autres femmes, car elles peuvent faire l’objet de violence sexuelle en raison non seulement de leur sexe, mais encore de leur orientation sexuelle.

 

 

La violence policière est une réalité brutale avec laquelle composent les personnes homosexuelles de toutes les collectivités de la Jamaïque visitées par des responsables de Human Rights Watch. Comme dans l’incident décrit précédemment, la violence homophobe exercée par la police peut être un catalyseur d’actes violents et de mauvais traitements de la part d’autres personnes; elle cause parfois la mort. La violence policière a également des effets très destructeurs parce qu’elle crée une atmosphère de peur et envoie aux autres GLBT le message qu’ils sont démunis de protection contre la violence.

 

 

Des lesbiennes ont déclaré faire l’objet de menaces constantes d’agression sexuelle. Dans certains cas, les menaces étaient graves au point de les obliger à quitter leur demeure et leur quartier. Plusieurs lesbiennes ont fait savoir à Human Rights Watch que le message qui leur avait été envoyé était clair : qu’elles n’avaient qu’à avoir des relations sexuelles avec un homme pour être « guéries » de leur homosexualité.

 

 

[14]           Il est clair que la conclusion tirée par l’agent d’ERAR, soit que Mme Rigg ne serait exposée à aucun risque, n’était fondée que sur une seule observation, ambiguë et prise hors contexte. De plus, cette conclusion était entièrement incompatible avec les autres preuves documentaires, dont l’agent n’a guère tenu compte. Ce traitement très sélectif de la preuve constitue également une erreur susceptible de contrôle; voir Babai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1341, [2004] A.C.F. no 1614, aux paragraphes 35, 36 et 37.

 

[15]           Bien que le passé de Mme Rigg soit encombré et encombrant, elle a néanmoins le droit à une évaluation des risques approfondie et équilibrée. Il y a également lieu de souligner que ses antécédents personnels sont issus du Canada et n’ont rien, ou presque rien, à voir avec son enfance en Jamaïque. C’est en raison de ces antécédents que la demanderesse en est au seuil de l’expulsion, mais on pourrait affirmer que ces mêmes antécédents permettent également d’établir, dans une certaine mesure, qu’elle court un plus grand risque de persécution en Jamaïque. Elle a droit à une évaluation de ce risque sur le même fondement d’objectivité qui s’appliquerait à tout autre étranger au seuil d’être renvoyé du Canada.

 

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen sur le fond.

 

[17]           Ni l’une ni l’autre partie n’ont proposé de questions à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen sur le fond.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2761-06

 

INTITULÉ :                                       Rigg c. Le solliciteur général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Carole Dahan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Carole Dahan

Avocate

Bureau du droit des réfugiés

375, av. University, bureau 206

Toronto (Ontatrio)  M5G 2G1

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] En fait, on peut lire dans le rapport en question que [traduction] « les présumés gais et lesbiennes dans les secteurs pauvres des centres‑villes sont particulièrement à risque de violence homophobe ».

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