Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20071022

Dossier : IMM-1438-07

Référence : 2007 CF 1090

Montréal (Québec), le 22 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

VIRASOUK KASISAVANH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 9 février 2007 par l’agente des visas, Marthe Dufour, qui a refusé la demande de résidence permanente.

 

HISTORIQUE

[2]               Virasouk Kasisavanh (le demandeur) est né le 16 décembre 1956 au Laos et est un citoyen français.

[3]               Le 26 avril 2005, des certificats de sélection ont été émis au demandeur et à quatre membres de sa famille par les autorités provinciales du Québec.

 

[4]               Le 15 mars 2006, il s’est présenté à une première entrevue à l’ambassade du Canada à Paris (France) et à une deuxième entrevue le 22 septembre 2006.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[5]               Dans sa lettre du 9 février 2007, l’agente des visas a refusé la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur en tant qu’entrepreneur sélectionné par la province de Québec, principalement au motif qu’il n’avait pas fourni les renseignements nécessaires permettant d’établir que les fonds déclarés dans sa demande avaient été obtenus licitement.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]               Les questions suivantes sont soulevées dans la demande de contrôle judiciaire :

1)      L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne remplissait pas les critères établis par le Règlement lui permettant d’obtenir un visa de résident permanent?

 

2)      L’agente des visas a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle le demandeur avait droit?

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

88. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

[…]

« entrepreneur » Étranger qui, à la fois : 

a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise;

b) a l’avoir net minimal et l’a obtenu licitement;

[…]

88. (1) The definitions in this subsection apply in this Division.

[…]

"entrepreneur" means a foreign national who 

(a) has business experience;

(b) has a legally obtained minimum net worth; and

[…]

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]               Il est bien établi en droit que les décisions des agents des visas constituent des décisions discrétionnaires fondées essentiellement sur l’appréciation de faits et que la Cour doit donc faire preuve de retenue lorsqu’elle les contrôle. C’est ce que le juge Yves de Montigny explique dans la décision Sadiki Ouafae c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 459, aux paragraphes 18 et 19 (qui sont également cités par la Cour d’appel fédérale dans Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, au paragraphe 7) :

18     La norme de contrôle applicable dans le cadre des décisions prises par les agents des visas ne fait pas l'unanimité et semble avoir donné lieu à des décisions en apparence contradictoires. Dans certains cas, on a retenu la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir, entre autres, Yaghoubian c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 615; Zheng c. Canada (M.C.I), IMM-3809-98; Lu c. Canada (M.C.I.), IMM-414-99). Dans d'autres décisions, on a plutôt opté pour la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir notamment Khouta c. Canada (M.C.I .), 2003 CF 893; Kalia c. Canada (M.C.I.), 2002 CFPI 731.

 

19     Pourtant, si l'on y regarde de plus près, ces décisions ne sont pas irréconciliables. Si l'on en est arrivé à des conclusions différentes, c'est essentiellement parce que la nature de la décision faisant l'objet de révision par cette Cour peut varier selon le contexte. Ainsi, il va de soi que la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d'un agent des visas appelé à évaluer l'expérience d'un immigrant éventuel au regard d'une profession sera celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la mesure où la décision de l'agent repose sur un examen des faits, cette Cour n'interviendra pas à moins que l'on puisse démontrer que cette décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

 

 

[8]               En l’espèce, la norme de contrôle qui s’applique quant à savoir si le demandeur peut obtenir la résidence permanente est la décision manifestement déraisonnable; il faut évaluer la source des fonds du demandeur, ce qui constitue une pure question de fait.

 

[9]               Cependant, la norme de contrôle qui s’applique aux allégations ayant trait à un manquement à l’obligation d’équité procédurale est la décision correcte (Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65).

 

ANALYSE

1) L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne remplissait pas les critères fixés par le Règlement lui permettant d’obtenir un visa de résident permanent?

 

[10]           Le demandeur soutient que la conclusion tirée par l’agente des visas à l’égard de sa demande de résidence et de son avoir net est manifestement déraisonnable.

 

[11]           Le demandeur a présenté plusieurs documents relatifs à son avoir net, mais ceux‑ci ne révélaient rien sur la source de ses fonds. Il n’a pas expliqué comment il avait réussi à épargner 301 164 $ en touchant le revenu déclaré dans les documents, bien qu’il n’ait pas travaillé depuis septembre 2003 et qu’il soit resté deux ans au Canada en tant que touriste.

 

[12]           Dans une autre décision concernant une demande de contrôle judiciaire, Martirossian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1119, j’ai rédigé ce qui suit aux paragraphes 35 et 36 :

[35]     L’agent des visas n’a jamais fait croire que le demandeur était impliqué dans des activités illégales. Mais, pour pouvoir éliminer cette possibilité, elle désirait que le demandeur fasse preuve de toute absence d’activité illicite. Voici pourquoi l’origine des fonds du demandeur était un élément extrêmement pertinent eu égard à son admissibilité, laquelle relevait de la compétence de l’agent des visas. En effet, sans accuser le demandeur de quoi que ce soit, il est raisonnable de croire, en absence de preuve contraire, que les importantes sommes acquises par le demandeur pourraient provenir d’activités illégales visées par l’article 19 de la Loi telles que, par exemple, le blanchiment d’argent, la fraude, le crime organisé ou des transactions sur le marché noir.

 

[36]     L’agent des visas était insatisfaite par la preuve, car lors de son entrevue, le demandeur n’a produit que des états bancaires. Le demandeur ignorait et ignore toujours le fait qu’un état bancaire fait preuve uniquement de la possession de ressources financières et non de sa provenance. […]

 

 

[13]           Dans le présent litige, une partie des fonds peut avoir été obtenue au moyen d’activités licites, mais les documents fournis ne permettent clairement pas d’expliquer l’avoir net total du demandeur.

 

[14]           À l’entrevue du 15 mars 2006, lorsqu’on a posé des questions au demandeur concernant des renseignements essentiels sur la source des fonds (ses emplois antérieurs, la source des fonds qu’il avait prêtés à une entreprise et la question de savoir s’il avait déclaré la vente d’actions en 1994), il a répondu qu’il n’avait aucun souvenir de cela. Il a dit que l’argent qu’il possédait provenait essentiellement d’économies et n’a pas donné d’explication, outre les comptes d’épargne depuis 1990, un logement peu coûteux et des allocations familiales, quant à la façon dont il avait réussi à épargner une somme aussi élevée en touchant un revenu bien ordinaire de 1998 à 2002 pour subvenir aux besoins de sa famille.

 

[15]           Le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer que l’agente des visas avait commis une erreur manifestement déraisonnable en rendant sa décision. Par conséquent, je ne trouve aucune raison d’intervenir en ce qui concerne la décision de l’agente des visas.

 

2. L’agente des visas a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle le demandeur avait droit?

 

[16]           Le demandeur affirme que l’agente des visas n’a pas agi équitablement et que pendant l’entrevue, il n’a pas eu la possibilité de savoir ce qu’on lui reprochait.

 

[17]           Il ressort de l’examen du dossier que le demandeur connaissait l’importance de présenter des documents qui auraient prouvé que son avoir net provenait d’activités licites.

 

[18]           Dans sa lettre du 15 mai  2006 envoyée à l’ambassade du Canada, le demandeur a déclaré avoir apporté tous les documents nécessaires à l’entrevue du 15 mars 2006. Cependant, dans cette lettre, il a également admis que l’agente des visas lui avait demandé de fournir d’autres documents justifiant son revenu, particulièrement sa déclaration de revenus personnels pour la période allant de 1989 à 1997 et celle de revenus professionnels pour les années 2000, 2001 et 2002.

 

[19]           Dans sa lettre, pour justifier le fait qu’il ne pouvait pas fournir ces documents, le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas pu joindre la personne qui les détenait et que le centre fiscal ne conservait pas les dossiers pour une si longue période.

 

[20]           Il importe de noter que, selon les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), il est facile d’obtenir des copies de déclarations de revenus en France.

 

[21]           Le 2 octobre 2006, le demandeur a envoyé une autre lettre à laquelle il avait joint des documents, prétendant ainsi compléter les éléments de preuve dont disposait déjà l’agente des visas au moment des entrevues. Ces documents ne permettent pas d’expliquer la source des fonds du demandeur et révèlent qu’à cette date, le demandeur savait que la source de son avoir net était encore un point litigieux.

 

[22]           Le demandeur soutient que l’agente des visas n’a pas tenu compte de ces documents. Premièrement, comme je l’ai déjà mentionné, les documents ne permettaient pas de savoir si les fonds du demandeur provenaient d’une source licite et, deuxièmement, le demandeur n’a pas réfuté la présomption que l’agente a tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 946 (QL); Shah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 132, [2007] A.C.F. no 185 (QL)).

 

[23]           Le demandeur affirme que l’agente n’a pas tenu compte de l’entrevue du 22 septembre 2006. Bien que cette entrevue n’ait été mentionnée dans les notes du STIDI qu’en date du 16 octobre 2006, il ressort de la lettre de refus que la décision de l’agente des visas était fondée sur le fait que le demandeur n’avait pas fourni les documents légitimement demandés et nécessaires pour la vérification de l’admissibilité du demandeur.

 

[24]           Enfin, le fait de ne pas suivre les conclusions tirées par la Commission de l’immigration du Québec ne constitue pas un manquement à l’obligation d’équité. En réalité, le juge Gilles Létourneau (Cour d’appel fédérale) a conclu ce qui suit au paragraphe 1 de l’arrêt Biao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 43 :

Nous sommes d’avis que cet appel doit être rejeté avec dépens et qu’il y a lieu de répondre par la négative à la présente question certifiée par le juge des requêtes :

 

[traduction] L'Accord Canada-Québec limite-t-il la compétence de l'agent des visas de remettre en question la source des fonds d'une personne à destination du Québec qui demande à résider en permanence au Canada, afin d'établir l'admissibilité de cette dernière?

 

La compétence des autorités fédérales de remettre en question la source des fonds d’une personne afin d’établir son admissibilité n’étant pas limitée, de toute évidence, ces autorités ne doivent pas nécessairement suivre les conclusions tirées par la Commission du Québec quant aux critères de sélection ni s’y limiter, sauf si le demandeur ne remplit pas ces critères.

 

[25]           Pour les motifs susmentionnés, je conclus qu’il n’y a aucun manquement à l’obligation d’équité procédurale en l’espèce.

 

[26]           Par conséquent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée dans la présente affaire.

 

[27]           Aucune question à certifier n’a été proposée par les avocats.


JUGEMENT

[1]   La demande est rejetée.

[2]   Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1438-07

 

INTITULÉ :                                       VIRASOUK KASISAVANH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tony Manglaviti

 

POUR LE DEMANDEUR

Christine Bernard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ALLEGRA & MANGLAVITI

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-ministre

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.