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Date : 20071025

Dossier : IMM-805-07

Référence : 2007 CF 1105

Montréal (Québec), le 25 octobre 2007

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

JAMIN DARRYL SHELTON BELL

(Alias OLUSEGUN BOLARINWA AIKULOLA)

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi) à l’encontre de la décision du commissaire Yves Dumoulin (le commissaire) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (C.I.S.R.), Section de l’immigration, rendue le 13 février 2007 et ordonnant la libération du défendeur moyennant certaines conditions.

 

FAITS PERTINENTS

 

[2]               Le défendeur est arrivé au Canada le 18 juin 2003 en demandant l’admission au point d’entrée de St-Bernard-de-Lacolle à titre de visiteur.

 

[3]               Le 5 avril 2006, il a été arrêté et accusé de vol à l’étalage ainsi que d’entrave notamment pour s’être identifié aux policiers avec des cartes de débit et une carte d’assurance maladie portant le nom de Martin Savaria alors qu’une fouille a permis aux policiers de trouver un permis de conduire américain au nom de Jamin Darryl Shelton Bell, né le 7 octobre 1982.

 

[4]               La vérification de ses empreintes digitales auprès des autorités américaines a démontré que le défendeur était connu aux États-Unis sous le nom de Olusegun Bolarinwa Aikulola, né au Nigeria le 7 mars 1972, ainsi que sous 15 autres noms d’emprunt.

 

[5]               Le 29 août 2006, une ordonnance de libération sous conditions a été émise par le même commissaire dont la décision est aujourd’hui contestée. Parmi ces conditions, on pouvait lire :

You will also have to keep the peace. Meaning if ever you’re convicted of any other infraction you’ll find yourself back into detention. You will also not be within twenty kilometers of the Canadian/U.S. border.

 

You will have to continue to help the department in clarifying the identity.

 

 

[6]               Le 31 janvier 2007, le défendeur est arrêté par la police de Montréal. Cette arrestation était basée sur deux mandats non exécutés. Il a déclaré aux policiers se nommer Jamin Darryl Shelton Bell, ce qui lui a valu une accusation d’entrave à la justice.

 

[7]               Le 5 février 2007, il plaide coupable à l’accusation d’entrave. Il est à noter que les deux autres chefs d’accusation concernaient des évènements antérieurs à l’ordonnance de libération moyennant conditions du 29 août 2006.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[8]               Lors de la révision de détention, le 13 février 2007, le commissaire en est venu à la conclusion que les efforts du ministre afin d’identifier le défendeur n’étaient pas raisonnables et qu’il n’y avait pas eu de bris de conditions puisque lors de l’émission de l’ordonnance du 29 août 2006, les conditions de garder la paix et de ne pas être trouvé coupable d’aucune autre infraction ne signifiaient pas qu’il ne pouvait utiliser le nom inscrit sur son ordonnance de libération. Il a donc maintenu la libération sous conditions.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

            1. Le demandeur a-t-il la qualité requise pour agir?

            2. Le commissaire a-t-il commis une erreur dans sa décision du 13 février 2007 justifiant l’intervention de cette Cour?

 

NORME DE CONTRÔLE

[9]               Il s’agit ici de déterminer si le commissaire a erré dans l’interprétation des conditions imposées dans son ordonnance de libération du défendeur en date du 29 août 2006. C’est donc une question mixte de fait et de droit axée davantage sur les faits puisque le commissaire devait déterminer si le défendeur avait commis un bris des conditions imposées dans cette ordonnance de libération. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision manifestement déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2003 CF 1225, aux paragraphes 57 et 58).

 

ANALYSE

1. Le demandeur a-t-il la qualité requise pour agir?

[10]           C’est le ministre de la citoyenneté et de l’immigration qui doit prouver sa qualité pour intenter le recours en l’espèce puisque la question de la qualité pour agir a été soulevée en réponse à sa demande de contrôle judiciaire (Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 2 C.F. 211, au paragraphe 24).

 

[11]           Le paragraphe 5 (2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés DORS/93-22 (les Règles) dicte ce qui suit:

5 (2) Sauf dans le cas où il est lui-même le demandeur, le ministre chargé de l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est, à l’égard de la mesure visée par l’autorisation recherchée, le défendeur dans toute demande d’autorisation.

5 (2) Unless he or she is the applicant, the Minister responsible for the administration of the Immigration and Refugee Protection Act in respect of the matter for which leave is sought shall be the respondent in an application for leave.

 

[12]           Il est clair, à la lecture de ce paragraphe, que le ministre a l’intérêt requis pour contester la décision rendue par la Section de l’immigration. En effet, le ministre était partie à la première décision de libération datée du 29 août 2006, celle qui a été interprétée dans la décision contestée en l’espèce. Il est donc, à mon avis, le ministre chargé de la Loi.

 

 

 

2. Le commissaire a-t-il commis une erreur dans sa décision du 13 février 2007 justifiant l’intervention de cette Cour?

 

[13]           La lecture de la décision contestée permet de comprendre que le seul chef d’accusation relevant d’évènements postérieurs à la mise en liberté conditionnelle du 29 août 2006 concerne le fait que le défendeur se soit identifié auprès des policiers sous le nom de Jamin Daryl Shelton Bell.

 

[14]           Cependant, la lecture du rapport de police démontre que, lors de son arrestation, le défendeur a mentionné aux agents qu’il avait changé de nom et qu’il avait des documents à la maison pour le prouver. Lorsque les agents ont tenté d’obtenir les documents, le défendeur a alors répondu qu’ils étaient dans un coffret de sécurité pour ensuite prétendre qu’ils étaient chez son avocat. Ces informations étaient évidemment erronées. De plus, il a fourni une fausse adresse aux policiers.

 

[15]           Étant donné que les documents n’ont jamais été fournis et que les policiers demeuraient incapables d’identifier le défendeur correctement, ils ont recommandé qu’une accusation d’entrave soit portée contre le défendeur.

 

[16]           Il est à noter que l’ordonnance de mise en liberté sous conditions du 29 août 2006 a été émise sous le même nom de D.S. Bell. Le défendeur a aussi fait une demande de statut de réfugié et s’est marié sous ce nom.

 

[17]           L’identité du défendeur n’avait pas été prouvée lors de l’émission de l’ordonnance du mois d’août 2006, le commissaire ayant déterminé qu’il ne pouvait garder le défendeur en détention en raison de cet aspect puisque les efforts du ministre afin d’éclaircir ce point n’avaient pas été raisonnables. En effet, le ministre avait attendu la veille de l’audition avant d’effectuer les vérifications concernant l’identité du défendeur.

 

[18]           Le demandeur insiste sur le paragraphe suivant de la décision présentement contestée :

The condition was imposed in view of avoiding involvement in the criminal activities of the type that had been mentioned in that decision on the 29th of August. We were talking at the time of the fact that in Quebec, you had been convicted of fraud, of threats and uttering forged documents. And after reading again my decision, it was the opinion then and it is still my opinion now that in my opinion it was clear that when I imposed the condition keep the peace and do not get convicted of any offences, that was in regards with do not get into any other criminal activities of the nature for which you would already have been convicted in Quebec.

 

[19]           Ce paragraphe est pour le moins équivoque : en effet, le commissaire explique et va même jusqu’à préciser, pour ne pas dire dénaturer, l’une des conditions imposées dans sa décision du 29 août 2006.

 

[20]           Le 26 août 2006, les conditions imposées se lisaient comme suit :

1)  Present himself or herself at the time and place that an Officer or the Immigration Division requires him/her to appear to comply with any obligation imposed on him/her under the Act.

 

2)  Provide the Department with his/her address and advise the Department before any change in that address.

 

3)      Report to an Officer at the Canadian Immigration Centre nearest to his/her residence the first working day following his/her release and then once a week thereafter.

(If the person concerned becomes a protected person, an Officer may, in writing, cancel this condition, change the reporting location or reduce the reporting frequency.)

 

4)      Keep the peace (do not get convicted of any offenses).

 

5)      Not to be found within 20 km of US-Canada border.

 

6)      Collaborate with CIC\CBSA to clarify identity.

 

7)      If decide to leave, has to inform CIC/CBSA of arrangement.

 

[21]           À la lecture de la condition no 4 soit “do not get convicted of any offenses”, il est difficile de conclure, comme le fait le commissaire, que les offenses visées concernaient seulement des activités criminelles de la même nature que celles pour lesquelles le défendeur avait déjà été condamné.

 

[22]           Interpréter ainsi, la condition pourrait mener à des résultats absurdes. Par exemple, si le demandeur commettait un crime de même nature que ceux qu’il a déjà commis, tel que la fraude, l’usage de faux, l’utilisation d’une fausse identité, il serait remis en détention. Par contre, s’il commettait un crime avec violence, pour lequel la détention est souvent la norme devant les cours criminelles, il serait alors libéré. Cette interprétation ne peut être soutenue en toute logique.

 

[23]           Il est dommage que le commissaire n’ait pas précisé dans sa décision du 29 août 2006 le type d’offense visé par les conditions imposées. Il ne semble pas les avoir modifiées davantage dans sa décision du 13 février 2007 libérant le défendeur.

 

[24]           Il m’apparaît évident que la décision du commissaire libérant le défendeur est manifestement déraisonnable et doit être annulée. En conséquence, le dossier sera remis à un autre commissaire pour un réexamen tenant compte des présents motifs.

 

[25]           Les parties n’ont soumis aucune question pour certification.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

-           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

-           La décision du commissaire rendue le 13 février 2007 est annulée.

 

-           Le dossier est retourné à la Commission afin qu’une nouvelle audience devant un autre commissaire soit tenue dans les meilleurs délais à la lumière des présents motifs.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-805-07

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 c.

JAMIN DARRYL SHELTON BELL

(Alias Olusegun Bolarinwa AIKULOLA)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               17-OCTOBRE-2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                   M. LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      25 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Pépin

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Jared Will

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Jared Will

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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