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Date : 20071030

Dossier : IMM-5173-06

Référence : 2007 CF 1122

Toronto (Ontario), le 30 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

LAI FAN CHAO

QIAO ZHEN WANG

JUN KIT WANG

JUN LIM WANG

 

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

 

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE 

 

[1]               La demanderesse principale, Mme Lai Fan Chao, et ses trois enfants (conjointement appelés les « demandeurs ») sont citoyens de la République populaire de Chine (Chine). Ils prétendent craindre de retourner en Chine en raison de l’adhésion du mari de la demanderesse principale et père des enfants au mouvement Falun Gong. Conformément à ce qu’elle explique en détail dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse principale soutient qu’elle sera persécutée par le bureau de la sécurité publique (BSP) si elle retourne en Chine parce que son mari est un adepte du Falun Gong qui vit dans la clandestinité.

 

[2]               Dans une décision datée du 23 août 2006, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande. La Commission a fondé sa décision sur la présence d’un certain nombre d’incohérences entre le témoignage oral de la demanderesse principale et son FRP et l’invraisemblance, de l’avis de la Commission, de plusieurs parties de son histoire et a conclu que « la demandeure d’asile principale n’est pas un témoin crédible ou digne de foi et que ni elle ni son mari ne sont recherchés par le BSP en Chine en vue d’être arrêtés ».

 

[3]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

[4]               La question déterminante est de savoir si la conclusion de la Commission relative à la crédibilité était manifestement déraisonnable en ce sens qu’elle a été prise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la décision ne devrait pas être maintenue.

 

[5]               Il est bien établi que la norme de contrôle concernant l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir, par exemple, Ogiriki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 342, paragraphe 5). La Commission est certainement en droit de s’appuyer sur la présence d’incohérences et d’invraisemblances dans le dossier pour parvenir à sa conclusion. La même norme de contrôle élevée s’applique aux conclusions fondées sur des invraisemblances. Comme l’énonce le juge Décary dans l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), « [d]ans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire ». Je suis également d’avis que, dans la mesure où le dossier confirme des incohérences, celles‑ci ne seront pas non plus remises en question, même si la Cour pourrait avoir perçu différemment les incohérences.

 

[6]               Gardant à l’esprit cette déclaration de principe, j’examine la décision. La Commission a souligné un certain nombre d’incohérences et d’invraisemblances. Plusieurs d’entre elles n’étaient, à mon avis, pas confirmées par le dossier ou, à tout le moins, pas expliquées. Le résumé qui suit présente les conclusions de la Commission que j’ai de la difficulté à accepter :

 

1.         La conclusion de la Commission selon laquelle les explications de la demanderesse principale concernant les raisons pour lesquelles le BSP pourrait l’arrêter étaient contradictoires ne résiste pas à un examen minutieux du FRP et de la transcription. La demanderesse principale a exposé de nouveau les motifs figurant dans son FRP, mais je ne constate aucune incohérence quant au fond – seulement une légère différence dans les mots employés.

 

2.         La Commission a écrit qu’elle jugeait « peu vraisemblable que le mari de la demandeure d’asile principale n’ait pas fait en sorte qu’elle essaie elle aussi de s’initier au Falun Gong s’il le pratiquait sérieusement depuis plus de cinq ans ». Elle n’explique pas cette affirmation. Elle aurait pu renvoyer par exemple à une preuve documentaire (si elle existe) indiquant que les adeptes du Falun Gong feraient pression sur les autres membres de leurs familles pour qu’ils adhèrent au mouvement. La Commission n’explique pas en quoi il serait logique pour un père de mettre son épouse et ses enfants en danger en les convainquant de pratiquer le Falun Gong. Bien que l’inférence de la Commission puisse être justifiable, je ne suis tout simplement pas en mesure, en l’absence d’explication supplémentaire, de voir comment cette inférence peut être tirée.

 

3.         La Commission remet en question la vraisemblance du fait que seuls deux membres du groupe Falun Gong auquel appartient le mari ont été attrapés et que celui-ci a pu s’échapper lorsque le BSP a découvert qu’ils pratiquaient clandestinement le Falun Gong depuis longtemps. La seule raison invoquée par la Commission relativement à ses préoccupations était que « le tribunal se serait attendu dans ces circonstances à ce qu’il y ait davantage d’arrestations pour que le mari de la demandeure d’asile principale ait pu être capable de s’enfuir ». La Commission n’explique pas pourquoi la possibilité qu’il ait pu échapper au BSP doit être exclue. Le bon sens pourrait tout aussi bien m’amener à conclure qu’il est très plausible qu’une personne puisse échapper à une descente de police. La Commission dispose peut-être de connaissances spécialisées des pratiques opérationnelles du BSP susceptible de justifier sa conclusion; je ne le sais pas. L’explication de la Commission est inadéquate.

 

4.         La Commission s’appuie sur l’absence de mention, dans le FRP, du fait que la demanderesse principale « avait dû payer des amendes pour avoir mis au monde un deuxième, puis un troisième enfant et qu’elle avait ensuite été stérilisée par injection ». La Commission a estimé qu’il s’agissait d’une « d’une omission importante, tous les incidents devant être clairement mentionnés dans le FRP ». Il ne m’est jamais venu à l’esprit qu’un demandeur soit obligé d’inscrire tous les problèmes auxquels il s’est heurté au cours de sa vie dans le FRP. Comme l’indiquent les instructions, le demandeur est tenu d’« expose[r] […] tous les événements importants et les raisons qui [l]’ont amené à demander l’asile au Canada ».  Si les demandeurs sollicitaient l’asile et avaient fui la Chine en raison de la politique de ce pays à l’égard des enfants supplémentaires, l’omission aurait été pertinente. Toutefois, ce n’est pas la raison pour laquelle ils disent avoir quitté la Chine. Une réponse directe de la part de la demanderesse principale indiquant qu’elle craint pour ses enfants ne modifie pas le fondement de sa demande. Par conséquent, il était manifestement déraisonnable pour la Commission de s’appuyer sur cette omission. Il était loisible à la Commission d’examiner la question de savoir si l’inquiétude de la demanderesse principale pour ses enfants pouvait étayer une conclusion de fait selon laquelle les demandeurs avaient fui la Chine pour des raisons autres que celles exposées dans le FRP. Toutefois, si c’est ce qu’elle a voulu faire, les motifs qu’elle expose sont loin de fournir une explication adéquate pour une telle conclusion.

 

[7]               Aucune des autres conclusions tirées par la Commission ne justifie, à mon avis, l’intervention de la Cour. Toutefois, quatre défauts importants ressortent des motifs de la Commission. Ces quatre problèmes m’empêchent de conclure que la décision, dans son ensemble, n’est pas manifestement déraisonnable. Par conséquent, je vais faire droit à la demande et renvoyer la décision devant un tribunal différent de la Commission pour qu’il procède à un réexamen.

 

[8]               Même si l’avocat des demandeurs a d’abord laissé entendre que la décision pourrait justifier la certification d’une question, il a reconnu, après réflexion et discussion, que la décision est avant tout fondée sur les faits. Aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différent effectue un nouvel examen.

 

  1. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

   « Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-5173-06

 

INTITULÉ :                                       LAI FAN CHAO ET AL C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 24 octobre 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       la juge Snider

 

 

DATE DES MOTIFS :                      le 30 octobre 2007

 

 

COMPARUTIONS

 

Marvin Moses                                                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Amina Riaz                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 

 

Marvin Moses

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims

Sous‑procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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