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Date : 20071105

Dossier : IMM-4093-06

Référence : 2007 CF 1148

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

SASITHARAN SUNDARARAJAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Sasitharan Sundararajah est un demandeur d’asile du Sri Lanka. Il introduit la présente demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable qui a été rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 4 juillet 2006.

 

Contexte

[2]               M. Sundararajah est un célibataire tamoul âgé de 39 ans. À son arrivée au Canada le 16 octobre 2004, il a immédiatement demandé l’asile. Ses problèmes de persécution ont commencé en 1983, lorsqu’il aurait été arrêté par l’armée sri-lankaise parce qu’il était soupçonné de faire partie des Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (les Tigres). Il affirme avoir été détenu pendant deux ans dans une prison de Colombo sans avoir été accusé et il allègue que, au cours de son incarcération, il a été torturé et maltraité.

 

[3]               En 1988, le frère de M. Sundararajah a été recruté par les Tigres, ce qui a eu pour effet d’intensifier le harcèlement que sa famille a subi de la part des autorités gouvernementales.

 

[4]               Au début de mars 2004, les Tigres se sont scindés en deux factions opposées qui se sont violemment affrontées. Comme le frère de M. Sundararajah faisait partie d’une des factions belligérantes, M. Sundararajah et sa sœur ont été ciblés par la faction adverse. M. Sundararajah affirme que, le 25 juillet  2004, sa sœur et sa nièce ont été agressées et que des menaces de mort ont été proférées contre lui pour le cas où il refuserait de se rendre aux Tigres. M. Sundararajah explique qu’après ces événements il s’est caché avec un ami, Yoga, chez les parents de ce dernier à Batticaloa. Les Tigres l’ont malgré tout retrouvé et ont fait une descente dans la maison où il se trouvait. Bien que lui et Yoga aient réussi à s’échapper par l’arrière, la mère de Yoga aurait été abattue par balles. M. Sundararajah s’est ensuite rendu à Polonnaruwa, puis à Colombo, où il s’est caché. Il a demandé à un autre ami, Balla, de l’aider à sortir du Sri Lanka, mais huit jours plus tard, Balla a lui aussi été assassiné par les Tigres. M. Sundararajah est demeuré caché pendant dix jours de plus et il s’est enfui du pays le 28 août 2004 avec l’aide d’un agent.

 

La décision de la Commission

[5]               La Commission n’a pas cru M. Sundararajah et a relevé dans sa décision plusieurs lacunes dans sa preuve.

 

[6]               La Commission s’est tout d’abord dite préoccupée par le temps que M. Sundararajah avait laissé s’écouler avant de partir pour Colombo après qu’il fut devenu évident que sa vie était en danger. Malgré le fait que des membres des familles des factions belligérantes des Tigres se faisaient tuer et qu’il était conscient qu’il était ciblé, M. Sundararajah n’a cherché à s’enfuir de la région qu’après que sa sœur ait été abordée et avertie pour la troisième fois. La Commission s’est également dite préoccupée par le fait qu’il avait négligé de mentionner dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) les deux premières tentatives faites par les Tigres pour le retrouver par le biais de sa sœur, alors qu’il soutenait que les visites en question l’avaient suffisamment troublé pour le convaincre de partir de la maison de sa sœur.

 

[7]               La Commission a par ailleurs relevé plusieurs divergences dans la preuve. Un exemple notable concernait les incohérences constatées au sujet du moment où M. Sundararajah avait décidé de quitter le Sri Lanka. La Commission d’asile a parlé du « témoignage mitigé et vague » que le demandeur avait livré quant à la façon dont il avait appris le meurtre de la mère de Yoga. La Commission a également trouvé peu crédibles les explications fournies par M. Sundararajah au sujet des contradictions constatées entre son témoignage et un article de journal récent sur ce meurtre.

 

[8]               La Commission a également exprimé ses réserves au sujet de la crédibilité de M. Sundararajah en raison du fait qu’il n’avait pas mentionné dans son FRP le fait que les Tigres et l’armée sri-lankaise le cherchaient activement depuis son départ du Sri Lanka. Comme il avait admis qu’il était au courant de ces faits avant de remplir son FRP, la Commission a estimé que cette omission était particulièrement significative.

 

[9]               Enfin, la Commission a exprimé des doutes au sujet du témoignage donné par M. Sundararajah au sujet d’une lettre d’un ministre de son église du Sri Lanka qui n’attestait que la qualité de son travail de bénévole. Interrogé au sujet de l’absence dans cette lettre de détails qui auraient corroboré ses dires, M. Sundararajah a confirmé que le ministre était au courant des problèmes qu’il avait eus avec les Tigres. Il a expliqué qu’il n’avait pas cherché à obtenir une corroboration du ministre parce que [traduction] « il ne convient pas de demander ça à un religieux et d’écrire sur toutes ces choses ».

 

[10]           En dernière analyse, il est tout à fait évident que la Commission n’a pas cru M. Sundararajah. Elle a qualifié son témoignage d’exagéré, de peu fiable, d’ambigu, de confus et de vague.

 

Questions en litige

[11]           a)         Quelle est la norme de contrôle appropriée dans le cas des questions soulevées par le demandeur?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la preuve?

 

Analyse

[12]           Toutes les questions soulevées au nom de M. Sundararajah dans la présente demande sont axées sur la preuve. Pour les fins de la discussion, je suis disposé à accepter qu’il s’agit de questions auxquelles la norme intermédiaire de la décision raisonnable simpliciter s’applique. 

 

[13]           M. Sundararajah conteste la décision de la Commission et notamment la conclusion qu’elle a tirée au sujet de la crédibilité. Il soutient que la Commission a mal interprété la preuve et qu’elle a tiré des déductions spéculatives. Le mémoire soumis au nom de M. Sundararajah fait valoir ce qui suit :

            a)         il n’était pas déraisonnable de la part de M. Sundararajah d’attendre à la troisième visite des Tigres avant de se décider à partir;

            b)         M. Sundararajah a offert une explication raisonnable au sujet de son défaut de mentionner dans son FRP les deux visites antérieures des Tigres;

            c)         il était déraisonnable de s’attendre à ce que M. Sundararajah explique pourquoi l’article de journal faisant état du décès de la mère de Yoga avait été publié plusieurs semaines après l’événement et, en tout état de cause, M. Sundararajah a offert une explication raisonnable pour justifier la publication tardive de cet article;

            d)         il était déraisonnable de la part de la Commission de se préoccuper de la différence entre le nom de la mère de Yoga mentionné par M. Sundararajah et le nom de la victime du meurtre publié dans le journal.

 

[14]           Ces arguments ont été invoqués devant la Cour lors des débats, au cours desquels on a également reproché à la Commission d’avoir adopté une « approche modulaire » pour analyser la crédibilité en « empilant » essentiellement les conclusions défavorables les unes sur les autres.

 

[15]           Enfin, M. Sundararajah reproche à la Commission de ne pas avoir mentionné les éléments de preuve relatifs au meurtre de Balla survenu quelques jours après l’arrivée de M. Sundararajah à Colombo.

 

[16]           Tous les arguments avancés pour le compte de M. Sundararajah sont mal fondés.

 

[17]           Il n’y a rien à redire en ce qui concerne l’approche globale utilisée par la Commission pour évaluer la crédibilité de M. Sundararajah. Il est rare que la crédibilité d’une personne dépende d’un seul élément de preuve : plus souvent qu’autrement, l’évaluation de la crédibilité repose sur une appréciation cumulative de la preuve et c’est précisément ce que la Commission a fait en l’espèce.

 

[18]           M. Sundararajah qualifie de raisonnables ses diverses explications au sujet des réserves exprimées par la Commission au sujet de la crédibilité. Il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, de réévaluer la preuve ou de substituer son opinion au sujet de la preuve à celle de la Commission. Les réserves formulées par la Commission en ce qui concerne les délais et les omissions relevées dans le FRP étaient raisonnablement appuyées par la preuve et la Cour ne saurait les modifier. Il est par ailleurs significatif que la Commission ait formulé au sujet du témoignage de M. Sundararajah d’autres réserves légitimes qu’il ne conteste pas maintenant mais qui appuient également la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité. 

 

[19]           Je suis d’accord avec l’avocat de M. Sundararajah pour dire que la partie de la décision qui porte sur l’article publié tardivement au sujet du décès de la mère de Yoga est maladroitement rédigée, mais je ne puis déceler aucune erreur dans l’analyse que la Commission a faite de cet élément de preuve. Il me semble que la principale préoccupation exprimée par la Commission au sujet de cet article de journal était le fait qu’il semblait ne pas se rapporter à l’incident signalé par M. Sundararajah et qu’il ne corroborait donc pas son témoignage. Il s’agissait d’une déduction qui pouvait raisonnablement être tirée des contradictions relevées entre l’article de journal et le témoignage de M. Sundararajah, notamment en ce qui concerne les différences constatées au sujet du nom de la victime et du moment des faits. Bien que les doutes que la Commission a par ailleurs exprimées au sujet du caractère raisonnable des explications données par M. Sundararajah en ce qui concerne le délai écoulé avant que cet incident ne soit signalé soient quelque peu ténus, il ne s’agissait que d’un motif secondaire invoqué par la Commission pour écarter ces éléments de preuve et ce motif ne revêtait pas une importance suffisante pour nous justifier de modifier la conclusion générale.

 

[20]           Enfin, on ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir pris acte des éléments de preuve relatifs au meurtre de Balla à Colombo. M. Sundararajah n’a pas établi le moindre lien entre cet événement et les risques auxquels il affirme être exposé. D’ailleurs, dans l’exposé circonstancié de son FRP, il déclare dans les termes les plus nets qu’il n’est au courant d’aucun lien entre son contact avec Balla, après son arrivée à Colombo, et le meurtre de Balla survenu quelques jours plus tard dans la même ville. La Commission n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte d’un élément de preuve qui n’avait aucune valeur probante.

 

[21]           En résumé, je ne trouve dans la décision de la Commission aucune erreur qui justifierait notre intervention. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question certifiée et le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4093-06

 

INTITULÉ :                                                   SASITHARAN Sundararajah

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 5 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me John O. Grant

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Maria Borges

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me John O. Grant

Avocat

5627, Turney Drive

Mississauga (Ontario)  L5M 1A1

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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