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Date : 20071115

Dossier : T-903-06

Référence : 2007 CF 1175

 

ENTRE :

JEAN-RENÉ RIVET

 

Demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Défendeur

et

 

 

TRANSPORT CANADA,

SÉCURITÉ ET SÛRETÉ

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Pinard

 

[1]                           Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (le ministre), suite à la recommandation de l’Organisme consultatif de Transports Canada (l’Organisme consultatif) d’annuler l’habilitation de sécurité en matière de transport (HST) du demandeur.

Les faits

[2]                           Le demandeur est pilote depuis 1973 et pilote de ligne depuis 1979. En avril 2000 il a commencé à travailler pour Air Transat. Pour les fins de son emploi, il devait avoir accès aux zones de sécurité à l’Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. En conséquence, il détenait une HST qui était valide jusqu’à la fin de l’année 2009. Le 23 mars 2005, il a signé une demande d’autorisation de sécurité pour renouveler son HST.

 

[3]                           Selon le paragraphe 4.3(1) de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, (la Loi), le programme de l’habilitation est administré par le directeur du renseignement de Transports Canada. Le directeur a effectué une vérification de sécurité auprès de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au sujet du demandeur. Cette vérification a révélé que ce dernier avait été antérieurement le sujet de deux accusations de fraude ainsi que d’une accusation de méfait public. Le premier chef d’accusation de fraude était pour un montant supérieur à 5 000 $, tandis que le second l’était pour un montant inférieur à 5 000 $.

 

[4]                           Le demandeur a été accusé d’avoir fait des fausses déclarations de plus de 26 000 $ lorsqu’il travaillait à titre de comptable et aussi d’avoir gardé le solde du montant dû au gouvernement pour les impôts d’une compagnie d’électricité. De plus, il a faussement rapporté à la police que son véhicule tout terrain (VTT) avait été volé en décembre 1998, ce qui a aussitôt amené sa compagnie d’assurances à lui en rembourser la valeur. Quelques années plus tard, au cours d’une enquête reliée au chef d’accusation de fraude de plus de 5 000 $, la police a découvert le VTT dans son garage. Cette découverte a donné naissance aux deux autres chefs d’accusation contre le demandeur, soit celui de fraude de moins de 5 000 $ et celui de méfait public.

[5]                           Le 23 juin 2005, le demandeur a reçu une lettre de Transports Canada l’informant que son dossier allait être soumis à l’Organisme consultatif pour qu’il en fasse étude et formule une recommandation au ministre concernant le risque qu’il posait vis-à-vis la sécurité à l’aéroport. Cette lettre indiquait au demandeur qu’il pouvait consulter la Politique relative au programme d’autorisation de sécurité en matière de transport qui se trouvait « en ligne », pour se familiariser avec le processus entamé à son égard. Finalement la lettre informait le demandeur qu’il pouvait fournir des renseignements additionnels pour appuyer sa position et offrir des explications.

 

[6]                           Le 3 août 2005, le demandeur a communiqué avec Transports Canada afin de fournir des explications quant aux accusations portées contre lui concernant la fraude de moins de 5 000 $ et le méfait public, mais n’a fourni aucune information au sujet de la fraude commise lorsqu’il travaillait pour son ancien employeur. Le 30 septembre 2005, le demandeur a reconnu sa culpabilité aux trois chefs d’accusation. Il été condamné à respecter une ordonnance de sursis de 23 mois. Le 21 novembre 2005, l’Organisme consultatif a décidé de retarder l’émission d’une recommandation au sujet du demandeur en attendant plus de renseignements sur son dossier criminel. Le 10 mars 2006, la GRC a informé Transports Canada que le demandeur avait été condamné sur les trois chefs d’accusation.

 

[7]                           En conséquence, le 28 mars 2006, après avoir complété l’étude du cas du demandeur, l’Organisme consultatif a recommandé au ministre que son HST soit annulée. L’Organisme consultatif a souligné dans sa recommandation que le demandeur avait été reconnu coupable de fraude de plus de 5 000 $ pendant qu’il occupait une position de confiance pour son ancien employeur et que ses activités criminelles avaient continué alors qu’il détenait une HST. Le 29 mars 2006, la recommandation de l’Organisme consultatif a été entérinée par le ministre et la décision a été communiquée au demandeur le 31 mars 2006. Il a reçu l’avis d’annulation de son HST le 7 avril 2006. Le 30 mai 2006, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Les questions en litige

[8]                           Cette affaire soulève les questions en litige suivantes :

  1. La décision de l’Organisme consultatif d’annuler la HST du demandeur est-elle une erreur de fait ou de droit?

 

  1. Le processus suivi par le ministre dans sa prise de décision respecte-t-il les principes de l’équité procédurale?

 

 

[9]                           Pour répondre à ces questions, il importe d’abord de préciser le contexte législatif et réglementaire pertinent et de déterminer la norme de contrôle applicable.

 

Contexte législatif et réglementaire

[10]                       En ce qui concerne le contexte législatif et réglementaire, le ministre est responsable d’assurer la sécurité dans les aérodromes canadiens suivant les dispositions de la Loi. L’accès à certaines zones des aérodromes est restreint aux personnes qui détiennent une HST émise par le ministre, lequel a la discrétion d’accorder, de refuser, de suspendre ou d’annuler une HST.

 

[11]                       Une directive intitulée « Mesures de sûreté relatives à l’autorisation d’accès aux zones réglementées d’aéroport » est incorporée par référence à l’article 4 du Règlement canadien sur la sûreté aérienne, DORS/2000-111, qui prévoit que seules les personnes qui détiennent une HST peuvent obtenir un laissez-passer afin d’accéder aux zones réglementées des aérodromes énumérés à son annexe « A », qui inclut l’Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. La politique intitulée « Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport » (le Programme) gouverne la façon dont les HST sont émises.

 

La norme de contrôle

[12]                       Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable pour la révision judiciaire de la décision en cause, il faut faire l’analyse de quatre facteurs : 1) l’existence d’une clause privative; 2) l’expertise du tribunal; 3) l’objet de la loi et 4) la nature de la question (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226).

 

[13]                       Premièrement, il n’existe ici aucune clause privative et il n’y a pas de droit d’appel; toutefois, la clause II.45 du Programme permet qu’une demande d’examen puisse être adressée à la Cour fédérale. Il faut aussi prendre en compte que le ministre dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 4.8 de la Loi qui se lit comme suit : « Le ministre peut, pour l'application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité. »

 

[14]                       Il faut aussi noter la spécialisation du décideur et l’expertise des membres du comité en matière de sécurité. Le comité était composé de cinq membres, notamment le directeur du renseignement, le directeur du renseignement ASFC, le chef du Programme de renseignement et de filtrage de sécurité ainsi qu’un conseiller juridique et un inspecteur de sécurité de Transports Canada.

[15]                       Par ailleurs, tant l’objet de la Loi que la nature de la question ont trait à la protection du public en prévenant des actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. Même si la décision du ministre vise directement les droits et les intérêts du demandeur, ce sont les intérêts du grand public qui sont en jeu et qui ont préséance sur la capacité du demandeur d’avoir son HST pour pouvoir travailler à titre de pilote. L’objectif de la Loi émane d’un problème élargi qui englobe les intérêts de la société toute entière et non seulement ceux du demandeur.

 

[16]                       Dans tout ce contexte, je suis d’avis que la décision du ministre d’annuler l’HST du demandeur devrait être assujettie à la norme de contrôle de la décision déraisonnable, sauf dans la mesure où l’équité procédurale est concernée, alors que la norme est celle de la décision correcte.

 

Erreur de fait ou de droit

[17]                       Le demandeur allègue que la décision du ministre d’annuler son HST est arbitraire et déraisonnable parce que le ministre n’a pas pris en compte l’ordonnance de sursis dont il a bénéficié et que sa condamnation pour fraude n’a aucun lien avec l’HST ou son emploi comme pilote. Le demandeur ajoute que sa condamnation n’ayant rien à voir avec le crime violent ou le terrorisme, elle ne rencontre pas les objectifs du Programme.

 

[18]                       Le demandeur soutient enfin que la décision du ministre est contraire à l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 [Charte québécoise], qui précise qu’une personne ne peut être pénalisée, dans le cadre de son emploi, pour avoir été déclarée coupable d’une infraction criminelle si cette infraction n’a aucun lien avec son emploi.

 

[19]                       Je ne suis pas d’accord avec ces arguments.

 

[20]                       Il est important de souligner qu’une règle est arbitraire si elle n’a aucun lien ou si elle est incompatible avec l’objectif qu’elle vise (Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791). En l’espèce, l’objectif du Programme est de prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile de façon à assurer la protection du public, ce qui, à mon avis, valide la décision en cause d’annuler l’HST du demandeur. L’Organisme consultatif avait la fonction très spécifique de déterminer si le demandeur constituait un risque pour la sécurité aérienne.

 

[21]                       Il faut aussi noter que la Charte québécoise ne vise que les matières qui sont de la compétence législative du Québec, et ne s’applique donc pas aux décisions du ministre en raison de sa compétence fédérale (article 55; voir aussi La Reine et Marie-Blanche Breton, [1967] R.C.S. 503, et Henri Brun et Guy Tremblay, Droit constitutionnel, 4e éd., Éditions Yvon Blais).

 

[22]                       Malgré le fait que le demandeur ait bénéficié d’une ordonnance de sursis, le ministre avait le rôle de déterminer s’il était un risque pour la sécurité aérienne. Considérant que le demandeur avait commis les infractions de fraude alors qu’il était dans une position de confiance dans un autre emploi, il n’était pas déraisonnable de conclure qu’il pourrait être un risque pour la sécurité aérienne. Le demandeur a eu l’opportunité d’informer l’Organisme consultatif de ses accusations de fraude et il a choisi de ne pas le faire de façon franche et complète. Il est ainsi l’auteur de son propre malheur. Il importe par ailleurs de noter que le demandeur n’a pas perdu sa licence ou son droit d’être pilote. Le ministre a seulement révoqué son HST. Même si le demandeur éprouvera probablement des difficultés, il n’est pas établi qu’il ne pourra pas éventuellement se trouver un autre emploi à un autre aéroport.

 

L’équité procédurale

[23]                       La norme de contrôle applicable aux questions de justice naturelle, comme je l’ai déjà souligné, est celle de la décision correcte. Toutefois, le contenu de l’obligation d’équité procédurale est néanmoins variable selon le contexte décisionnel (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653). Ce principe est particulièrement pertinent lorsque le législateur, comme en l’espèce, laisse à la discrétion de l’office fédéral l’élaboration de sa propre procédure.

 

[24]                       La Cour suprême du Canada dans Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 23 à 27, établit une liste non exhaustive de cinq facteurs qui peuvent être pris en considération afin d’établir le contenu de l’obligation d’équité procédurale : 1) la nature de la décision prise et du processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et 5) le respect des choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

 

[25]                       Considérant ces facteurs, je suis d’accord avec le défendeur que l’obligation d’équité procédurale, en l’espèce, est plus que minimale, sans exiger un niveau de protection procédurale élevé (voir, par exemple, DiMartino c. ministre des Transports, 2005 CF 635, [2005] A.C.F. no 876 (C.F.) (QL), au paragraphe 20). Ainsi, les protections procédurales dont bénéficie le demandeur en l’instance se limitent au droit de connaître les faits reprochés contre lui et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits. Ces garanties procédurales ne comprennent pas le droit à une audience.

 

[26]                       Ici, il est bien établi que le demandeur a reçu avis de l’enquête de l’Organisme consultatif et qu’il a été invité à faire des représentations avant la prise de décision. Bien que le demandeur soutienne que l’avis en question du 23 juin 2005 aurait pu être plus complet, relativement aux accusations criminelles portées contre lui, il importe de souligner qu’au moment de recevoir l’avis, le demandeur avait été trouvé coupable de deux accusations de fraude, dont une de plus de 5 000 $, et d’une accusation de méfait public. Il était donc alors en mesure de connaître la nature des faits qui lui étaient reprochés ainsi que la portée de l’enquête. Quoi qu’il en soit, il aurait pu soit demander des clarifications et/ou donner des explications complètes sur l’ensemble des accusations portées contre lui. À cet égard, comme le plaide le défendeur, il est instructif de rappeler l’information fournie par le demandeur en réponse à l’avis du 23 juin 2005 :

En ce qui concerne la fraude, cela remonte en 1998, je me suis fait voler un VTT et j’ai déclaré à la police de ma municipalité le vol. J’ai retrouvé ledit VTT quelques semaines plus tard et je n’ai jamais rien dit au service de police et j’ai été payé par la compagnie d’assurance. En 2002, j’ai eu la visite de la police et j’ai remis le VTT, et par le fait même, j’ai remboursé la compagnie d’assurance pour la dite réclamation.

 

 

 

[27]                       Or, la visite de la police à laquelle le demandeur fait référence était l’exécution d’un mandat de perquisition concernant l’accusation de fraude de plus de 5 000 $. Ainsi, le demandeur ne pouvait ignorer la possibilité que l’accusation de fraude mentionnée dans l’avis du 23 juin 2005 référait aux gestes posés lorsqu’il était comptable. Ainsi, malgré l’opportunité qui lui a été offerte de fournir des explications sur l’ensemble de son casier judiciaire, le demandeur a choisi de ne pas le faire. Dans les circonstances, le demandeur, en s’appuyant sur une omission délibérée de sa part, ne saurait prétendre que son droit d’être entendu n’a pas été respecté.

 

[28]                       Somme toute, le demandeur n’ayant pas demandé de clarifications et ayant omis de fournir des explications complètes sur l’ensemble des accusations portées contre lui, il ne saurait se plaindre comme il le fait d’une déficience dans l’avis de l’enquête de l’Organisme consultatif et invoquer l’absence d’équité procédurale.

 

Conclusion

[29]                       Pour toutes ces raisons, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, avec dépens.

 

 

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 15 novembre 2007

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-903-06

 

INTITULÉ :                                       JEAN-RENÉ RIVET c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et TRANPORT CANADA, SÉCURITÉ ET SÛRETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Le 16 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 novembre 2007

 

 

COMPARUTION :

 

 

Me Gilles W. Pinard

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Alexander Pless

Me Yolaine Williams

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Gilles W. Pinard

Avocat

Candiac (Québec)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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