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Date : 20071115

Dossier : T-2066-03

Référence : 2007 CF 1184

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN–STEVENSON

 

ENTRE :

Nawal haj khalil,

ANMAR EL HASSEN et ACIL EL HASSEN,

représentée par sa tutrice à l’instance, NAWAL HAJ KHALIL

            demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Le 18 septembre 2007, j’ai rejeté l’action des demandeurs. J’ai différé la décision sur la question des dépens. Dans mes motifs, j’ai écrit qui suit :

Les deux parties à la présente instance ont partiellement obtenu gain de cause, mais la défenderesse l’emporte sur la plupart des points soulevés. Les avocats sont encouragés à régler de gré à gré la question des dépens. La défenderesse doit se rappeler que Mme Haj Khalil bénéficie d’une aide juridique. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur la question des dépens, leurs avocats devront signifier et déposer des prétentions écrites, ne dépassant pas cinq pages à double interligne, dans un délai de 35 jours après la date du jugement. Les réponses auxdites prétentions devront être signifiées et déposées dans un délai de 10 jours après la signification des premières prétentions, ou dans un délai de 45 jours après la date du jugement, au choix des avocats. Je reste saisie de la présente affaire pour ce qui concerne le calcul des dépens.

 

 

[2]        Aucun règlement n’a été conclu. J’ai reçu, examiné et pris en considération les observations des parties ainsi que la réponse de la défenderesse. Les demandeurs n’ont pas déposé de réponse.

 

[3]        Le principe fondamental est que l’adjudication des dépens constitue un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1988), 159 F.T.R. 233 (1re inst.), conf. par (2001), 199 F.T.R. 320 (C.A.). En règle générale, les dépens doivent suivre l’issue de l’affaire et, à moins de circonstances exceptionnelles, devraient être adjugés à la partie qui a gain de cause sur la base des dépens partie‑partie. Il n’en reste pas moins que les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour : Règles de la Cour fédérale, DORS/98–106 (les Règles). Les facteurs non exhaustifs qui peuvent être pris en compte dans l’adjudication des dépens sont énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, notamment « toute autre question [que la Cour ] juge pertinente » : alinéa 400(3)g) des Règles.

 

[4]        La défenderesse sollicite des dépens partie‑partie pour deux avocats pour chaque jour de présence en cour et le double des dépens (à l’exception des débours) à compter du 16 mars 2007, date à laquelle la défenderesse a signifié une offre officielle de règlement.

 

[5]        Les demandeurs sollicitent des dépens contre la défenderesse en raison de [traduction] « conclusions de fait solides quant au retard », du fait que l’action constitue une cause type et des questions d’accès à la justice découlant du fait que le deuxième avocat des demandeurs s’est chargé gratuitement d’une partie de l’affaire. Subsidiairement, ils demandent à la Cour de n’adjuger de dépens à aucune des parties.

 

[6]        Comme je l’ai souligné plus tôt, la défenderesse a eu gain de cause sur la plupart des questions. Les demandeurs n’ont obtenu gain de cause qu’en rapport avec une conclusion partielle de retard (depuis juillet 2002). Leurs demandes ont été entièrement rejetées. Plus précisément, les demandes de plus de 3 000 000 $ en dommages‑intérêts (liées aux allégations de négligence et de violation des droits garantis par la Charte) et la demande de jugement déclarant que l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) est inconstitutionnel ont été rejetées. Selon moi, il ne s’agit pas d’une affaire de succès partagé.

 

[7]        Nul ne conteste que l’instance a donné beaucoup de travail aux deux parties. Le procès a duré 36 jours. Les demandeurs affirment que les questions étaient nouvelles et complexes tandis que la défenderesse soutient que des questions similaires avaient été tranchées auparavant. De plus, les demandeurs font valoir que leur action était financée par l’aide juridique parce qu’il s’agissait d’une cause type. Ils insistent sur le fait qu’il s’agissait de la première affaire portant sur la question de la « responsabilité délictuelle du gouvernement » envers des demandeurs de résidence permanence à titre de réfugiés ainsi que le premier procès concernant [traduction] « la question des droits des réfugiés garantis par l’article 7 de la Charte lorsque le traitement de leurs demandes de résidence permanente accuse un grand retard ».

 

[8]        Je reconnais que les questions étaient nouvelles dans le contexte d’une action. Toutefois, comme je l’ai signalé dans mes motifs, il existe des recours en droit administratif pour traiter les questions de retard. Les arguments des demandeurs relatifs à la Charte auraient pu être présentés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. En ce qui concerne le financement de l’aide juridique, je ne dispose d’aucun renseignement quant aux critères de financement ou au fondement sur lequel le financement a été accordé.

 

[9]        Les demandeurs qualifient leur action de litige ayant un intérêt public parce qu’il existe un [traduction] « intérêt public certain dans la détermination de questions de responsabilité délictuelle et de questions liées aux droits garantis par la Charte ». La défenderesse décrit l’affaire comme étant une action privée dans laquelle les demandeurs ont réclamé des dommages–intérêts de plus de 3 000 000 $. Du point de vue de l’État, le simple fait que l’action mette en cause une autorité publique ne suffit pas à transformer la [traduction] « nature de ce litige relatif à la négligence ou à un préjudice personnel ». Je suis d’accord avec la défenderesse sur ce point. 

 

[10]      Une jurisprudence solide confirme qu’il est difficile de concevoir qu’un demandeur qui réclame des dommages‑intérêts s’élevant à plusieurs millions de dollars puisse être partie à un litige d’intérêt public. Le fait que les actions mettent en cause les autorités publiques et qu’elles soulèvent des questions d’intérêt public ne suffit pas à modifier la nature fondamentale du litige : Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263. De plus, en présence de questions d’importance pour le public, le fait de saisir les tribunaux de telles questions ne signifie pas que le plaideur a automatiquement droit à un traitement préférentiel en matière de dépens : Little Sister Book and Emporium c. Canada, [2007] 1 R.C.S. 38, paragraphe 35.

 

[11]      Notamment, les observations des demandeurs sont muettes en ce qui concerne leur demande de déclaration d’invalidité constitutionnelle de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, question qui a été tranchée par la Cour suprême du Canada : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3.

 

[12]      Les demandeurs font valoir que la présente action soulève une question « d’accès à la justice ». La justification sous–jacente est que l’avocat adjoint a été financé seulement pour deux semaines d’audience. À cet égard, ils se fondent sur les commentaires de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt 1465778 Ontario Inc. c. 1122077 Ontario Ltd. (2006), 82 O.R. (3d) 757 (C.A.) dans laquelle la Cour a déclaré que la possibilité d’obtenir des ordonnances relatives aux dépens en faveur d’un avocat bénévole constitue un outil pouvant réduire le sacrifice financier nécessaire qui est associé au travail bénévole et pouvant inciter davantage d’avocats à accepter de travailler bénévolement. Je ne suis pas d’accord avec cette proposition. Toutefois, je ne l’interprète pas comme voulant dire qu’un plaideur qui obtient gain de cause doive être privé de dépens parce que la partie qui succombe a été représentée par un avocat bénévole. Dans l’affaire citée, le plaideur représenté par un avocat bénévole a obtenu gain de cause.

 

[13]      Il est bien établi que l’État a droit à ses dépens s’il a obtenu gain de cause : R. c. James Lorimer & Co., [1984] 1 C.F. 1065 (C.A.); Canada (P.G.) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525 (C.A.). De plus, lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu d’adjuger des dépens, ni la capacité de payer les dépens ni la difficulté de les percevoir ne doit constituer un facteur déterminant. L’adjudication des dépens ou leur dispense devrait être basée sur le bien–fondé de l’affaire : Soloski c. La Reine, [1977] 1 C.F. 663 (1re inst.), conf. par [1978] 2 C.F. 632 (C.A.).

 

[14]      Cela étant dit, je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens devraient suivre l’issue de l’affaire. La défenderesse a déposé son mémoire de frais qui se situe au milieu de la fourchette de colonne III du tableau du tarif B. Les demandeurs ont choisi de ne pas déposer de réponse et n’ont pas contesté le mémoire de frais de la défenderesse. Le mémoire de frais semble être en règle et être raisonnable. En l’absence d’observations établissant que le mémoire de frais n’est pas en règle ou qu’il n’est pas raisonnable, je suis disposée à évaluer les dépens à partir de ce qui m’a été présenté.

 

[15]      Cela dit, il y a certains débours (le point 5 des « frais d’expert » et les points 1 et 3 des « frais de déplacement de l’avocat ») pour lesquels on n’a pas établi qu’ils étaient appropriés et raisonnables. De plus, en ce qui concerne l’alinéa 400(3)i) des Règles, la position de la défenderesse concernant les ordonnances antérieures de la Cour et sa demande afin que je « revoie » ces ordonnances ainsi que sa position ferme et rigoureuse sur la question du retard entraîneront une réduction des honoraires d’avocat.

 

[16]      Tout en reconnaissant que l’adjudication des dépens n’est pas une science exacte et en tenant compte des observations et des facteurs que j’ai déjà mentionnés, conformément à mon pouvoir discrétionnaire, je fixe les dépens à une somme forfaitaire de 125 000 $ et les débours à 180 000 $, pour un total de 305 000 $ que les demandeurs devront verser à la défenderesse.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE les dépens sont fixés à la somme forfaitaire de 125 000 $ et les débours à un montant de 180 000 $, pour un total de 305 000 $ que les demandeurs devront verser à la défenderesse.

 

 

                                                                                    « Carolyn Layden–Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-2066-03

 

INTITULÉ :                                       NAWAL HAJ KHALIL,

                                                            ANMAR EL HASSEN et ACIL EL HASSEN,

                                                            représentée par sa tutrice à l’instance, NAWAL HAJ KHALIL et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             du 16 au 19, du 23 au 27 et le 30 avril 2007,

du 1er au 4, du 7 au 11, le 14, le 18, du 22 au 24 et du 28 au 30 mai 2007,

                                                            du 5 au 8, le 13, le 14 et du 27 au 29 juin 2007

                                                            Observations supplémentaires : le 31 juillet 2007

                                                                                                              les 9, 24 et 31 août 2007

                                                            Observations sur les dépens : le 23 octobre et le 2 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE LAYDEN—STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                      le 15 novembre 2007

 

COMPARUTIONS :

Mme Barbara Jackman

Mme Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

 

M. John Loncar

Mme Lois Knepflar

Mme Marina Stefanovic

Mme Amy Lambiris

M. Tamrat Gebeyehu

Mme Janet Chisholm

Mme Ladan Shahrooz

 

 

 

 

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous–procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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