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Date : 20071114

Dossier : IMM-6393-06

Référence : 2007 CF 1181

Toronto (Ontario), le 14 novembre 2007

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

 

PHANG SOKPHEARUM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle une gestionnaire du programme d’immigration (la décideuse) travaillant à la section des visas de Singapour a rejeté, en date du 21 novembre 2006, la demande présentée par le demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

Le contexte

 

[2]               Khorn Huong (la répondante) serait l’épouse du demandeur depuis le 22 juin 2006. Elle a présenté une demande de parrainage du demandeur à titre de membre de la catégorie des époux, mais il a été décidé qu’elle était inhabile à être partie à un parrainage parce qu’elle avait déjà parrainé un époux (un ex‑époux qui a demandé le divorce le 21 mars 2006) et qu’elle ne serait libérée de son engagement de trois ans que le 4 avril 2008.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[3]               La décideuse a déterminé que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi de la résidence permanente au demandeur ou la levée de tout ou partie des critères et obligations applicables, non seulement parce qu’elle avait des doutes au sujet de l’authenticité de la relation existant entre le demandeur et la répondante, mais aussi parce que le précédent mariage de cette dernière en était probablement un de convenance. De plus, elle n’était pas convaincue que le demandeur était le père de l’enfant que la répondante attendait.

 

La question en litige

 

[4]               La décideuse a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard du demandeur ou tiré une conclusion de fait déraisonnable?

 

La norme de contrôle

 

[5]               Le juge Richard Mosley a traité, aux paragraphes 6 et 7 de Terigho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1061, de la norme de contrôle qui s’applique à des décisions semblables à celle qui est contestée en l’espèce :

La norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions rendues en vertu de l’article 25 est celle de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193.

 

L’évaluation du caractère raisonnable de la décision ne consiste pas à se demander si le décideur est arrivé au bon résultat. Comme l’a déclaré le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 au paragraphe 56, est déraisonnable une décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, un tribunal de révision qui examine une conclusion suivant la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe des motifs au soutien de la décision. Voir également l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, aux paragraphes 55 et 56.

 

[6]               Les questions relatives à l’équité procédurale sont toutefois assujetties à la norme de la décision correcte (voir, par exemple, Shripnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 369, au paragraphe 19).

 

L’analyse

 

[7]               Le demandeur allègue que la décideuse ne lui a pas donné la possibilité de répondre aux questions qui la préoccupaient concernant le fait qu’il était un véritable étudiant ou que sa relation avec la répondante était authentique même si le précédent mariage de cette dernière ne l’était probablement pas. Finalement, il allègue qu’il aurait dû avoir la possibilité d’apaiser les doutes de la décideuse quant au fait qu’il est le père de l’enfant auquel la répondante a donné naissance le 31 janvier 2007.

 

[8]               Il incombe au demandeur de faire la preuve des motifs d’ordre humanitaire sur lesquels sa demande de dispense est fondée. Il est vrai que le certificat de naissance ne peut être obtenu avant la naissance de l’enfant et qu’il aurait pu être difficile d’effectuer des analyses génétiques à l’époque. Je ne pense pas cependant que la décideuse a manqué à l’équité procédurale en faisant des observations sur le manque de preuve que le demandeur est le père de l’enfant.

 

[9]               La décideuse s’est appuyée sur la décision de l’agent des visas de refuser de délivrer un visa d’étudiant au demandeur parce que celui‑ci n’était pas un véritable étudiant. Le demandeur était au courant de cette décision, et je ne peux pas croire que lui et la répondante ne connaissaient pas les renseignements figurant dans leurs propres demandes, qu’ils avaient signées. Un interprète a même aidé le demandeur à remplir sa demande.

 

[10]           Ni le demandeur ni la répondante n’ont eu droit à une entrevue.

 

[11]           Le défendeur s’appuie sur Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, où la Cour d’appel fédérale a écrit au paragraphe 8 :

Le demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. […]

 

[12]           Par contre, le juge John O’Keefe a statué, au paragraphe 23 de Hakrama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 85 :

Après avoir examiné les notes de l’agent et les documents au dossier, il m’est impossible de déterminer quels faits étaieraient la conclusion de l’agent selon laquelle le mariage n’était pas authentique. Le fait que les membres d’un couple ne possèdent aucun compte de banque conjoint ou que leurs noms ne figurent pas ensemble sur les factures de services publics ne signifie pas que leur mariage n’est pas authentique. Il ressort de documents déposés devant l’agent que les membres du couple étaient mariés et vivaient ensemble. Si l’agent doutait de la crédibilité de la preuve documentaire présentée en vue de démontrer que les membres du couple avaient contracté un mariage authentique, l’agent aurait dû communiquer avec eux afin de les convoquer à une entrevue étant donné qu’aucune preuve factuelle ne démontrait que les membres du couple n’étaient pas mariés.

 

 

[13]           Contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire citée ci‑dessus, le demandeur n’a jamais sollicité une entrevue en l’espèce, et la décideuse a écrit dans les notes versées dans le STIDI :

[traduction]

Bien que ce qui précède puisse donner l’impression que la relation actuelle est authentique, les nombreuses contradictions relevées dans le dossier et les antécédents négatifs du DP avec notre ministère laissent croire le contraire.

 

Par exemple, à la fin de mars 2006, le DP a demandé à nouveau un visa d’étudiant à Bangkok. Il n’a pas parlé de la répondante et de sa relation avec elle dans sa demande. Une telle attitude ne concorde pas avec l’existence d’une relation authentique.

 

On a considéré que le DP n’était pas un véritable étudiant. Son anglais était mauvais malgré le fait qu’il détenait un visa d’étudiant depuis quelques années. Manifestement, il n’assistait pas à ses cours.

 

 

[14]           À mon avis, la décideuse disposait de faits suffisants pour conclure que la relation n’était pas authentique.

 

[15]           Contrairement à l’affaire citée précédemment, il ne s’agissait pas du premier mariage de la répondante en l’espèce. En outre, le fait que la répondante avait envoyé le certificat de mariage au soutien de sa demande de parrainage précédente en décembre 2004, alors que le demandeur a écrit, à la question 11 du « Questionnaire de l’époux, du conjoint de fait ou du partenaire conjugal », qu’elle l’avait présenté à son frère le 31 octobre 2004, a donné à la décideuse une raison de ne pas croire que le premier mariage de la répondante était authentique.

 

[16]           Le juge Richard Mosley a statué, au paragraphe 13 de Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 816 :

Je suis convaincu qu’en l’espèce, il n’y a pas eu un manquement à l’équité procédurale. M. Bui a eu une possibilité suffisante de présenter des éléments de preuve pertinents à l’appui de sa demande et il a été tenu compte d’une façon complète et équitable des éléments qu’il a soumis. Il est malheureux que le technicien juridique que M. Bui a initialement consulté l’ait mal conseillé, mais c’est M. Bui qui a choisi ce conseil. Il ne suffit pas de dire maintenant qu’il ne savait pas ce qui avait été signé et déposé : Cove c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2001 CFPI 266. Il lui incombait de s’assurer que les renseignements soient exacts. On ne saurait blâmer l’agente de ne pas avoir convoqué le demandeur à une entrevue afin de savoir ce qui était faux et ce qui était exact dans les observations écrites.

 

[17]           En l’espèce, le demandeur essaie d’expliquer les renseignements que lui et la répondante ont donnés dans le passé. Dans l’affidavit qu’il a déposé au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire, il a déclaré qu’il était allé vivre avec la répondante en juillet 2005. Il a toutefois écrit, à la question 9 du « Questionnaire de l’époux, du conjoint de fait ou du partenaire conjugal » : [traduction] « Le 18 février 2005, nous habitons ensemble à Hamilton ». Il a rempli ce formulaire avec l’aide d’un interprète et l’a signé. La répondante a, pour sa part, écrit à la question 12 du « Questionnaire du répondant – Parrainage d’un époux, d’un conjoint de fait ou d’un partenaire conjugal » : [traduction] « J’ai habité avec mon mari, Phang Sophirum, du 18 février 2005 au 15 juillet 2006 ».

 

[18]           Le demandeur explique dans son affidavit qu’il n’a rien dit de sa relation avec la répondante lors de l’entrevue qui a eu lieu à Bangkok le 28 mars 2006 – concernant sa demande de visa d’étudiant – parce qu’il n’allait se marier avec elle que le 22 juin suivant. J’aimerais faire remarquer que, selon les notes datées du 25 avril 2006 (soit moins d’un mois après l’entrevue, mais avant le mariage) qui ont été versées dans le STIDI, le demandeur a parlé de sa fiancée au cours d’une autre entrevue ayant trait à sa demande de visa d’étudiant qui s’est déroulée à Singapour :

[traduction]

A dit qu’il avait quitté le Canada le 15 mars parce qu’il devait dire à ses parents qu’il voulait se marier le 6 juillet au Canada. Comme il n’assiste pas aux cours depuis six semaines, il ne connaît pas les dates des congés scolaires au Canada.

 

[19]           J’estime que l’explication fournie par le demandeur est incohérente et n’aide aucunement sa cause. Même si je concluais à un manquement à l’équité procédurale en l’espèce, il ne fait aucun doute que la décideuse ne serait pas arrivée à une conclusion différente si des prétentions écrites additionnelles lui avaient été présentées ou qu’une entrevue avait eu lieu.

 

[20]           Je ne suis pas convaincu que la décideuse a commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas une entrevue en l’espèce.

 

[21]           Le demandeur ne peut prétendre que l’agent des visas a omis de prendre en considération des éléments de preuve importants comme des photographies du mariage ou une liste d’appels téléphoniques faits au Cambodge. En fait, l’agent des visas n’était pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve et de faire des commentaires sur chacun. La décision est fondée sur l’ensemble de la preuve présentée. Les photographies d’un mariage peuvent être la preuve qu’un mariage a effectivement été célébré, mais elles ne prouvent pas en tant que telles que la relation entre la répondante et le demandeur était authentique.

 

[22]           Il ne s’agit pas d’un cas où le décideur a omis de tenir compte de la preuve qui lui avait été présentée, mais plutôt d’un cas où la présomption que tous les éléments de preuve ont été considérés n’a pas été réfutée (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 16 (QL)).

 

[23]           Le demandeur demande essentiellement à la Cour de prendre en considération les doutes soulevés par la décideuse dans sa décision et les explications qu’il a données dans le cadre du présent contrôle judiciaire et de soupeser de nouveau la preuve pour arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas là le rôle de la Cour. Après avoir examiné avec soin la décision de la décideuse, je ne puis conclure que cette dernière a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

[24]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[25]           Aucun avocat n’a demandé la certification d’une question.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est rejetée.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

      « Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-6393-06

 

INTITULÉ :                                                       PHANG SOKPHEARUM

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 13 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 14 NOVEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Lam                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mary et Peter Lam                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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