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Date : 20071115

Dossier : IMM-4315-07

Référence : 2007 CF 1199

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2007

En présence de monsieur le juge Frenette

 

ENTRE :

BIJOYA CHAKRABARTY

demanderesse

et

 

 

 LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

            VU la requête datée du 15 novembre 2007 pour obtenir une ordonnance accordant à la demanderesse un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi contre elle, prévue le 16 novembre 2007;

 

            ET APRÈS avoir examiné les documents écrits présentés par les parties et avoir entendu les observations orales des avocats le 15 novembre 2007.

Les faits

            La demanderesse est une citoyenne du Bangladesh. Elle est âgée de 55 ans, elle est mariée et mère de deux filles qui résident au Canada, dont une est citoyenne canadienne.

 

            La demanderesse est arrivée au Canada le 31 mars 2005 avec un visa de visiteur valide. Le 22 avril 2005, elle a revendiqué le statut de réfugié et demandé l’asile, au motif de persécutions religieuses au Bangladesh, mais sa requête a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR).

           

            Elle a demandé le contrôle judiciaire de cette décision, mais sa demande n’a pas été autorisée.  Elle a ensuite soumis une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), mais sa demande a été rejetée le 30 août 2007.  Elle a ensuite demandé le contrôle judiciaire de cette décision, demande qui n’a pas encore été autorisée.

 

            La demanderesse a déclaré qu’elle et son mari pratiquaient l’hindouisme dans un pays où 88 % de la population est de confession musulmane; ils ont été victimes de menaces et de violences physiques de la part de membres du Parti nationaliste du Bangladesh (PNB) et de terroristes membres du Jamat-e-Islami. 

 

            Son mari a déposé une plainte auprès de la police locale concernant ces menaces, mais aucune mesure n’a été prise.  La demanderesse a rappelé qu’à une occasion, le chef local du PNB est venu chez eux leur ordonnant de quitter leur maison dans les 48 heures, faute de quoi ils seraient brûlés à mort, et de quitter le Bangladesh.  Elle a fui pour le Canada en 2005 et son mari est entré dans la clandestinité.

 

            Durant les audiences de la SPR et de l’ERAR, elle a décrit sa crainte réelle d’être violée et tuée si elle retournait au Bangladesh.  Des documents émanant d’organisations réputées décrivent l’état de violence et les gestes posés contre les minorités religieuses au Bangladesh.

 

            Le 11 janvier 2007, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence en raison de violences dans le pays.

 

La norme de contrôle

            Il est bien connu en droit que les questions de crédibilité et de vraisemblance, tout comme les questions concernant le poids à accorder aux éléments de preuve, sont des questions de fait et qu’elles relèvent donc de la compétence et de l’expertise de l’agent d’ERAR.

 

            Par conséquent, un degré élevé de retenue doit être accordé aux décisions de l’agent d’ERAR qui sont fondées sur de telles conclusions de fait.

           

            La Cour n’interviendra dans l’appréciation de ces questions par l’agent d’ERAR que si elle est manifestement déraisonnable.  Elle ne sera susceptible de révision que si elle n’est pas appuyée par les éléments de preuve ou si elle est abusive ou arbitraire : Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315; Harb c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CAF 39, [2003] F.C.J. No 108.

 

            Pour que sa demande puisse être accueillie, un demandeur doit montrer que les conclusions sont irrationnelles ou illogiques et ne peuvent découler de la preuve : Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, 2004 CSC 23, [2004] S.C.J.  No 2.

 

Le droit relatif à une requête en sursis

            La demanderesse doit satisfaire au critère en trois volets établi dans Toth c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (CAF) et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à savoir :

1.                  s’il y a une question sérieuse à examiner;

 

2.                  si la partie qui cherche à obtenir l'injonction interlocutoire subirait, si elle n'était pas accordée, un préjudice irréparable;

 

3.                  d’après la prépondérance des inconvénients, laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond.

 

1. La question sérieuse

            a) Les documents

            La demanderesse fonde sa contestation de la décision de l’agent d’ERAR sur le fait qu’elle n’a pas accordé suffisamment de poids aux documents qu’elle a soumis et qui appuyaient sa crainte.  La réponse du défendeur est que l’agent d’ERAR a bien pris en considération tous les documents, dont certains montraient que des membres extrémistes du PNB étaient responsables d’actes de violence contre les hindous du Bangladesh.

 

            L’agent d’ERAR a maintenu que ces rapports étaient de nature générale et ne traitaient pas de la situation particulière de la demanderesse.  L’agent d’ERAR a également attaché peu d’importance aux lettres rédigées par les deux filles de la demanderesse, parce que les événements avaient été précédemment jugés non crédibles à deux occasions par la Commission de l’immigration du statut de réfugié (CISR).  Toutefois, la SPR n’avait pas les lettres quand elle a rendu sa décision.  L’agent d’ERAR a bien écrit que les hindous constituaient une minorité, avec 10 % de la population du Bangladesh, dont 88 % pratiquait la religion musulmane.

 

            L’agent d’ERAR a pris en considération les lettres écrites par les filles de la demanderesse, mais il n’a pas accordé de poids à ces lettres en raison de leur intérêt dans l’affaire.  L’agent d’ERAR a écrit qu’aucun de ces documents ne montrait que la demanderesse faisait face à un risque personnalisé si elle était renvoyée au Bangladesh.  En outre, les renseignements que contenaient ces lettres n’étaient pas « nouveaux » et uniquement fondés sur des opinions, sans autres détails pour appuyer la source de tels renseignements.

 

            La demanderesse affirme que son mari et elle ont fait l’objet de menaces à leur vie et à leur sécurité si elle retournait au Bangladesh. Il existe des documents étayant le fait de violences et les lettres de leurs filles et d’autres personnes montrent un risque personnalisé.

 

            b) La protection de l’État

            La demanderesse affirme craindre des préjudices pour elle-même et son mari si elle retourne au Bangladesh.  L’agent d’ERAR a reconnu la violence à laquelle sont exposés les hindous au Bangladesh.  Le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas fourni une preuve que le gouvernement du Bangladesh n’était pas présumé capable de protéger ses citoyens.

            Toutefois, la demanderesse a signalé que son mari avait tenté d’obtenir la protection de la police, en vain.

 

            c) Les nouveaux éléments de preuve

            La demanderesse avance que l’agent d’ERAR a écarté de « nouveaux éléments de preuve », c’est-à-dire les deux lettres de ses filles qui confirment le risque auquel elle serait exposée si elle retournait au Bangladesh, déclarant que les renseignements fournis par la famille étaient « intéressés ».  Il a également exclu les lettres rédigées par des organisations religieuses hindouistes. 

 

            Je ne souhaite pas me prononcer à l’avance sur une future analyse de cette affaire, si le contrôle judiciaire devait être accordé, et je réalise que les questions de crédibilité, de vraisemblance et de poids à accorder sont du domaine de l’agent d’ERAR, mais je crois que la demanderesse a soulevé une question sérieuse à examiner.  L’agent d’ERAR a déclaré ce qui suit :

[traduction] [L]’analyse confirme l’existence de violences dont les membres de la minorité hindoue au Bangladesh peuvent à l’occasion faire l’objet […]

 

[…]

 

[…] La situation objective au Bangladesh confirme l’existence de violences ciblant les minorités religieuses.  […]

 

 

            Si l’on combine ces faits aux craintes de la demanderesse et aux risques auxquels elle pourrait être exposée, il faut nécessaire évaluer pleinement les « éléments de preuve autres ou nouveaux » appuyant un risque personnalisé, comme les lettres des filles de la demanderesse et les autres renseignements.

 

            Je crois que l’agent d’ERAR ne pouvait pas en arriver vraiment à une décision juste, en écartant simplement de tels éléments de preuve.  Dans une affaire concernant des problèmes semblables, mon collègue le juge Martineau a autorisé le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’ERAR parce que ce dernier n’avait pas apprécié correctement la preuve d’un risque personnalisé : voir Osama Fi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1125, [2006] F.C.J. No 1401.

 

            Dans l’affaire précitée, l’agent d’ERAR n’avait pas jugé crédible une lettre émanant du maire de Beit-Lid écrite sur une feuille portant l’en-tête de l’Autorité palestinienne (AP) et confirmant les craintes du demandeur.

 

            Sur un autre point, un témoignage oral non contredit ne peut être simplement écarté sans raisons valables, à moins qu’il ne soit manifestement peu crédible : voir Maldonado v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1980] 2 FC 302 (C.A.).

 

            En résumé, il existe des questions sérieuses à examiner.

 

2. Préjudice irréparable

            La décision relative à l’ERAR confirme l’existence au Bangladesh de violence ciblant les minorités religieuses.  La demanderesse et son mari font partie de la minorité de confession hindouiste.

 

            Le pays est dans un état d’urgence depuis le 11 janvier 2007.  La demanderesse craint pour sa sécurité et sa vie si elle devait être renvoyée au Bangladesh.  Les éléments de preuve présentés confirment ses craintes de la probabilité qu’elle souffre d’un préjudice irréparable.

 

3. Prépondérance des inconvénients

            Il est dans l’intérêt public que les mesures de renvoi soient exécutées dès que possible (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C.  2001, ch. 27, paragraphe 48(2)).  Toutefois, en l’espèce, un sursis ne serait pas contre l’intérêt public.  La demanderesse subira des conséquences graves si le sursis n’est pas accordé.  La prépondérance des inconvénients joue en sa faveur.

           

 

                       


ORDONNANCE

 

            LA COUR accueille la requête en sursis relative à la mesure de renvoi qui doit être exécutée le 16 novembre 2007, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR présentée par la demanderesse.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4315-07

 

INTITULÉ :                                       BIJOYA CHAKRABARTY c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 NOVEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rezaur Rahman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Francis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rezaur Rahman

Avocat

1882, Hennessy Crescent

Ottawa (Ontario) K4A 3X8

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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