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Date : 20071204

Dossier : IMM-5376-06

Référence : 2007 CF 1274

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

JUAN ZHENG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               À la lecture de la transcription de l’audience, il est clair qu’il y a eu une déconnexion entre ce que le tribunal a vu et entendu ainsi que ce qui a été mentionné dans la décision (p. ex. les photos corroborantes n’existeraient pas alors qu’en fait, elles ont été produites; à la suite d’une demande de démonstration des connaissances de la pratique du Falun Gong, les mouvements exécutés devant le tribunal n’ont pas été pris en compte.)

 

[2]               Ce qui est recherché, c’est la logique inhérente du tribunal, le décideur de première instance, et non pas celle de la Cour; toutefois, cette logique inhérente doit être évidente, même si elle va à l’encontre de celle de la Cour, sinon, une décision est considérée comme étant manifestement déraisonnable.

 

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), datée du 1er septembre 2006, dans laquelle la Commission a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

LES FAITS

[4]               La demanderesse, Mme Juan Zheng, est une citoyenne de la Chine, âgée de vingt ans. Elle allègue craindre avec raison d’être persécutée aux mains des autorités de l’État, du fait des opinions politiques qu’on lui impute en tant que membre du Falun Gong (lesquelles opinions sont contraires à celles de l’État).

 

[5]               Mme Zheng demande l’asile au motif que ses parents sont des adeptes du Falun Gong en Chine. En plus, depuis son arrivée au Canada, elle en est également devenue une adepte (pièce A jointe à l’affidavit de la demanderesse, dossier de la demande, aux pages 25, 26, 27 et 28; paragraphe 6 de l’affidavit de la demanderesse, dossier de la demande, aux pages 15a et 15b).

 

[6]               Le père de Mme Zheng est devenu un adepte du Falun Gong en mai 2003, sur la recommandation d’un ami de pratiquer le Falun Gong pour soulager son arthrite. Six mois plus tard, le père de Mme Zheng a commencé à le pratiquer. Une importante amélioration par rapport à son arthrite a influencé la mère de Mme Zheng, laquelle a ensuite commencé à pratiquer le Falun Gong en septembre 2003. Pour sa part, ce qui la motivait, c’était l’amélioration de son affection dorsale (pièce A, précitée, à la page 25).

 

[7]               Les parents de Mme Zheng pratiquaient à la maison mais participaient également à des sessions de groupe clandestines qui se tenaient une fois par semaine à la résidence d’un autre adepte. Mme Zheng a appris que le Falun Gong n’était pas un « culte néfaste » et elle a acquis ses connaissances de la pratique du Falun Gong à partir de l’expérience de ses parents (pièce A, précitée).

 

[8]               Un jour, en avril 2005, Mme Zheng a aidé ses parents à distribuer des dépliants traitant du Falun Gong (pièce A, précitée, à la page 26).

 

[9]               Le 25 juin 2005, les parents de Mme Zheng lui ont téléphoné pour lui expliquer qu’ils se cacheraient chez un ami pendant plusieurs jours; ils lui ont demandé de prendre soin de ses frères et sœurs pendant ce temps. Mme Zheng était effrayée, mais elle a dit à ses parents de ne pas s’inquiéter, puisqu’elle ferait tout ce qu’ils lui avaient demandé (pièce A, précitée).

 

[10]           Le 27 juin 2005, des représentants du Bureau de la sécurité publique (le BSP) sont allés chez Mme Zheng pour arrêter ses parents. Le BSP accusait ses parents de participer à un culte néfaste. Ils ont demandé à Mme Zheng où se trouvaient ses parents et lui ont ordonné de les aider, sans quoi on l’arrêterait (pièce A, précitée, aux pages 26 et 27).

[11]           Le 3 juillet 2005, les représentants du BSP sont retournés chez Mme Zheng, lui ont répété ce qu’ils lui avaient dit auparavant et, cette fois‑là, ont saccagé la maison. À la suite de cet événement, Mme Zheng a quitté le domicile avec ses frères et sœurs pour aller résider chez un oncle. Mme Zheng, craignant d’être arrêtée, a bien réfléchi à la possibilité de quitter la Chine. Avec l’aide de ses parents, elle a quitté clandestinement la Chine pour se rendre au Canada, où elle a demandé l’asile (pièce A, précitée, aux pages 27 et 28).

 

LA QUESTION EN LITIGE

[12]           Compte tenu de la preuve produite par la demanderesse, le tribunal a‑t‑il commis une erreur en tirant une inférence défavorable quant à la crédibilité?

 

L’appartenance au Falun Gong

[13]           Le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir que Mme Zheng serait persécutée en raison des opinions politiques qu’on lui impute en tant que membre du Falun Gong (motifs, dossier de la demande, à la page 10).

 

[14]           Pour en arriver à la conclusion que Mme Zheng ne serait pas persécutée ou exposée à une menace à sa vie du fait des opinions politiques qu’on lui impute en tant que membre du Falun Gong, le tribunal a fait remarquer qu’il n’y avait aucune lettre émanant de l’organisation du Falun Dafa pour confirmer sa participation aux sessions de groupe ou son soutien financier à l’organisation. Le tribunal a également signalé que Mme Zheng n’avait présenté aucune photographie des lieux de pratique ni aucun témoin pour confirmer qu’elle pratiquait le Falun Gong (motifs, précités, aux pages 10 et 11).

 

[15]           La conclusion du tribunal, en ce qui a trait à la question de savoir si Mme Zheng serait persécutée parce qu’elle pratiquerait le Falun Gong, était erronée. L’absence d’une preuve corroborante ne peut, en soi, justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137, [1993] A.C.F. no 705 (QL)).

 

[16]           Mme Zheng a répondu aux questions concernant le mouvement du Falun Gong. Elle a également exécuté des exercices du Falun Gong lors de son audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR); toutefois, le tribunal n’a formulé aucune observation sur les réponses de la demanderesse et il n’a pas non plus analysé les exercices du Falun Gong qu’on avait demandé à Mme Zheng d’exécuter (affidavit de la demanderesse, précité, au paragraphe 7, page 15b).

 

[17]           En ce qui concerne la conclusion du tribunal selon laquelle Mme Zheng n’avait présenté aucune photographie des lieux de pratique, il s’agit d’une conclusion erronée. Au cours de l’audience, Mme Zheng a bel et bien présenté des photographies que le tribunal a lui‑même versées en preuve au dossier le jour de l’audience (affidavit de la demanderesse, précité, au paragraphe 3, page 15a; pièce B jointe à l’affidavit de la demanderesse, précité, aux pages 31, 32 et 33).

[18]           Le tribunal a clairement omis de tenir compte de la preuve lorsqu’il a tiré ses conclusions, puisqu’il a catégoriquement déclaré qu’il n’existait aucune photographie de la pratique concrète, alors qu’en fait, il en existait.

 

L’omission de produire les dépliants

[19]           Le tribunal a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que Mme Zheng n’avait produit aucun des dépliants traitant du Falun Gong qu’elle avait distribué en Chine. Le tribunal a conclu que, en l’absence d’une telle preuve documentaire clé, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour étayer sa demande d’asile (motifs, précités, à la page 11).

 

[20]           L’absence d’une preuve corroborante ne constitue pas, en soi, le fondement d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité, alors qu’aucun autre motif n’est mentionné pour mettre en doute le témoignage d’un demandeur. Le tribunal n’a énoncé aucun motif permettant de douter du témoignage de Mme Zheng, hormis l’absence d’une preuve corroborante (Ahortor, précitée).

 

[21]           Le fait de tirer une inférence défavorable du fait que Mme Zheng a omis de produire un dépliant traitant du Falun Gong qu’elle aurait distribué en Chine« fait fi de la logique inhérente de son exposé circonstancié. De par la nature même de son activité, si elle a « distribué » des dépliants au moment où des mesures de répression étaient appliquées, il est peu probable qu’elle ait conservé l’un ou l’autre des dépliants.

La cohabitation avec l’oncle

[22]           Dans ses motifs, le tribunal s’est demandé pourquoi Mme Zheng ne pourrait pas continuer à cohabiter avec la famille de son oncle (motifs, précités, à la page 11).

 

[23]           Il semble que cette conclusion ne tient pas compte, sans qu’une explication, une analyse ou une théorie convenable ne soit fournie, du fait que Mme Zheng est devenue une adepte du Falun Gong au Canada et que, par conséquent, elle ne serait pas en mesure de cohabiter avec la famille de son oncle en Chine tout en continuant à pratiquer le Falun Gong, et ce, sans être exposée à un préjudice grave. Lorsqu’il a tiré sa conclusion, le tribunal a tout simplement écarté cet élément clé de la preuve.

 

Les déclarations faites au PDE

[24]           Le tribunal a tiré la conclusion suivante concernant les déclarations faites par Mme Zheng au PDE :

[…] [Le tribunal] est d’avis que la demande d’asile de la demandeure est motivée par son désir d’une plus grande liberté personnelle et d’une meilleure sécurité financière plutôt que par une crainte fondée de persécution. Dans les notes prises au point d’entrée, la demandeure d’asile déclare ce qui suit :

 

[traduction]

 

Je suis l’aînée et je me sens tenue de subvenir aux besoins de mes frères et sœurs et d’obtenir un emploi. Je ne crois plus à la Chine. Je suis gênée de vivre chez mon oncle. Je n’ai pas peur de retourner en Chine […], mais les gens font du commérage parce que je vis chez mon oncle.

 

Ce témoignage contredit directement le témoignage ultérieur selon lequel elle craint d’être arrêtée. Invitée à expliquer cette contradiction, la demandeure d’asile a répondu ce qui suit :

 

[traduction]

 

J’étais extrêmement nerveuse lorsque j’ai parlé avec l’agent d’immigration et je ne sais pas pourquoi j’ai fait ces déclarations, mais je crains de retourner.

 

(Motifs, précités, à la page 12)

 

 

[25]           En plus de la réponse citée par le tribunal dans ses motifs, lorsqu’on a interrogé Mme Zheng, à l’audience devant la SPR, au sujet de sa déclaration au PDE, elle a témoigné qu’elle était devenue très nerveuse devant l’agent d’immigration alors qu’elle venait d’arriver, du fait qu’au cours de l’interrogatoire, l’agent avait posé une paire de menottes sur la table (affidavit de la demanderesse, précité, au paragraphe 8, page 15b).

 

[26]           Dans l’arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL), on a décidé que lorsqu’une preuve importante et pertinente, se rapportant aux conclusions proprement dites, n’est pas mentionnée dans les motifs du tribunal, les conclusions sont alors considérées comme ayant été tirées sans que l’on ait tenu compte de la preuve en soi.

 

La perception selon laquelle Mme Zheng est une disciple du Falun Gong en Chine

[27]           Le tribunal a conclu que Mme Zheng ne serait pas considérée comme étant une disciple du Falun Gong, parce qu’il ne disposait d’aucune preuve comme quoi les autorités auraient été informées que ses parents étaient eux‑mêmes des disciples du Falun Gong et qu’en fait, les autorités les recherchaient (motifs, précités, à la page 13).

[28]           La conclusion susmentionnée ne tient pas compte du fait que Mme Zheng est devenue une adepte du Falun Gong au Canada et qu’elle serait donc considérée comme telle à son retour en Chine. Encore une fois, il se peut que le tribunal n’ait pas pris en compte cette partie du témoignage de Mme Zheng lorsqu’il a tiré sa conclusion, puisqu’il n’a pas cru qu’elle était devenue une adepte du Falun Gong au Canada; toutefois, cette conclusion du tribunal semble erronée, comme il a été expliqué précédemment, lors de l’analyse de la question de l’appartenance au Falun Gong.

 

[29]           La conclusion du tribunal, selon laquelle il n’y avait aucune preuve que les autorités avaient été avisées du fait que les parents de Mme Zheng étaient des disciples du Falun Gong ni aucune preuve qu’elles étaient, de fait, à leur recherche, constitue clairement une erreur. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), Mme Zheng a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

[…] Le 27 juin 2005, les représentants du BSP se sont subitement présentés chez moi, dans l’intention d’arrêter mes parents. Ils les accusaient d’appartenir au culte néfaste et de faire du recrutement. Ils ont posé des questions pour savoir où ils se trouvaient et si quelqu’un était venu les chercher. Les représentants du BSP nous ont ordonné de ne pas taire le lieu où ils se trouvaient, sans quoi ils nous arrêteraient également. Ils ont aussi accusé mes parents de s’opposer à l’interdiction promulguée par le gouvernement et de troubler la stabilité sociale.

 

(Pièce A, précitée, aux pages 26 et 27)

 

 

 

[30]           Au contraire, il ressort de la preuve au dossier que les autorités recherchaient les parents de Mme Zheng. Par conséquent, conjuguée avec les autres conclusions susmentionnées, il s’agit d’une conclusion manifestement déraisonnable, puisque cela apparaît clairement à la lecture du dossier.

 

CONCLUSION

[31]           Il est évident que, dans les motifs, soit on a fait abstraction de parties importantes de la preuve soit on les a analysées de manière inadéquate. Les conclusions, à l’égard de constatations, doivent être correctement motivées pour que des motifs soient jugés suffisants.

 

[32]           En raison de tout ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-5376-06

 

INTITULÉ :                                                               JUAN ZHENG

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 27 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 4 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker                                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Gotkin                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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