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Date : 20071022

Dossier : IMM-3790-06

Référence : 2007 CF 1092

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

ENTRE :

OSARENREN KELVIN JESUOROBO

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Le demandeur en l’espèce, M. Osarenren Kelvin Jesuorobo, prévoyait rendre visite à son frère, un avocat spécialisé en droit de l’immigration à Toronto, pour une période de trois semaines environ à l’été de 2006. Il lui a été impossible de faire son voyage, car un agent du Haut-Commissariat du Canada, à Londres (Angleterre), a refusé sa demande de visa. M. Jesuorobo sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent.

 

[2]               La Cour a passé en revue les documents déposés par les parties et a pris en considération les observations de leurs avocats. Le demandeur soulève deux grandes questions :

[traduction

i)                    un manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu la possibilité de commenter des renseignements extrinsèques que l’agent des visas avait obtenus en consultant la base de données du SSOBL, à savoir : premièrement, que, contrairement à ce qui était indiqué dans sa demande de visa au sujet de son état civil (célibataire), il avait indiqué dans une demande antérieure qu’il allait se fiancer; deuxièmement, qu’un message « Attention » avait été émis à l’endroit de son frère parce que ce dernier, censément, avait été officiellement prévenu en 2003 contre le fait d’embaucher dans son cabinet d’avocats des personnes non munies d’un permis de travail en cours de validité;

 

ii)                  la décision a été prise sans tenir compte de la totalité de la preuve que le demandeur a fournie. Plus particulièrement, l’agent n’a pas pris en compte les documents concernant la capacité financière de son frère de payer la totalité de ses dépenses lors de sa visite au Canada.

 

 

[3]               Le demandeur soutient également que, en l’espèce, comme l’agent a déposé un affidavit trompeur qui a nécessité un long contre-interrogatoire, il y a des circonstances spéciales qui justifient l’octroi de dépens contre le défendeur, de façon à sanctionner la grave injustice et les dépenses que le demandeur a subies.

 

[4]               La Cour a été saisie de preuves directement contradictoires quant au fait de savoir s’il y avait eu ou non une entrevue à Londres. D’une part, le 8 septembre 2006, le demandeur a souscrit un affidavit indiquant que, étant donné que l’agent ne l’avait pas interviewé, il n’avait pas eu la possibilité d’expliquer que sa fiancée avait mis un terme à leur relation avant qu’il parte pour le Royaume-Uni, un an plus tôt; il n’a pas pu non plus rectifier la note relative à son frère, qui nie avoir été prévenu de la manière indiquée. Dans son affidavit, le demandeur fournit de nombreux documents au sujet du seul employé du cabinet d’avocats de son frère auquel cet énoncé pourrait se rapporter.

 

[5]               D’autre part, le 2 mai 2007 (environ dix mois après les événements), l’agent des visas a souscrit un affidavit indiquant qu’il avait bel et bien mené une brève entrevue (d’une vingtaine de minutes) dans laquelle la question de l’état matrimonial du demandeur avait été expressément soulevée

 

[6]               Les notes du STIDI dans cette affaire n’indiquent ni explicitement ni implicitement qu’une telle entrevue a eu lieu. La case spéciale qui est destinée à cet effet n’a pas été utilisée. L’agent se fonde plutôt sur le souvenir qu’il a d’une entrevue; il a dit très bien se souvenir du dossier [traduction] « parce qu’un appel a été rapidement interjeté après la décision et que le dossier est resté longtemps sur [son] bureau, de sorte [qu’il] se rappelle de ce qu’il y a dans le dossier ».

 

[7]               La Cour signale aussi que le dossier certifié produit en vertu de l’article 317 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, ne contient pas les états bancaires que le frère du demandeur a produits à l’appui de son offre de financer la visite. Dans son affidavit, le demandeur jure que cette information a été produite avec sa demande; elle est incluse dans le dossier de demande et le demandeur n’a pas été contre-interrogé sur ce point.

 

[8]               Le Manuel des opérations de Citoyenneté et Immigration Canada (le Manuel) précise que les notes consignées dans le STIDI sont d’une importance cruciale, et ce, pour plusieurs raisons, notamment à titre de compte rendu en cas de contestation judiciaire. Il est ensuite dit aux agents de veiller à ce que les notes qu’ils consignent dans le STIDI reflètent clairement le processus qu’ils suivent pour prendre chacune de leurs décisions. Les agents doivent également s’assurer que ces notes ne comportent pas de [traduction] « commentaires […] non pertinents ».

 

[9]               On trouve des directives semblables dans de nombreuses autres sections du Manuel, y compris sous la rubrique « Procédure : Refus » (OP 11, section 14), où il est dit que les agents doivent « décrire brièvement la procédure suivie pour prendre la décision » et « s’assurer que les notes versées au STIDI sont complètes et exactes ». Sous la rubrique « Équité procédurale » (OP 1, section 8), il est signalé que les agents doivent tenir compte de tous les éléments et dossiers (dans le STIDI) sur lesquels ils ont fondé leur évaluation, et expliquer les raisons pour lesquelles ils n’ont pas tenu compte de certains des éléments. En ce qui a trait aux demandeurs d’un visa de visiteur, il est conseillé aux agents d’« exprimer leurs préoccupations et mentionner la réponse du demandeur au dossier ». Le Manuel indique aussi : « Le demandeur doit connaître l’affaire […]. Par exemple, si un agent se fie à des preuves extrinsèques (p. ex. des preuves provenant d’autres sources que du demandeur), il doit donner au demandeur la possibilité de s’expliquer ».

 

[10]           En ce qui concerne les renseignements et les documents à présenter à l’appui d’une demande de visa de résident temporaire (OP 11, section 7), ce qui s’applique à la situation du demandeur, le Manuel indique que, en évaluant la suffisance des ressources financières du visiteur, les agents peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire de demander des documents pertinents : « L’agent peut choisir de limiter le nombre de preuves ou de n’exiger aucune preuve documentaire […]. Lorsqu’il le juge nécessaire, l’agent peut accepter une combinaison de certains des documents suivants pour prouver que le visiteur pourra subvenir à ses besoins pendant sa visite ». La liste qui suit inclut une « preuve de revenu de l’hôte ou des membres de la famille au Canada ». Comme l’indiquent ces directives, les renseignements financiers concernant le frère du demandeur, qui parrainait celui-ci pour la visite proposée et qui, d’après la lettre écrite à Immigration Canada à l’appui de sa demande, allait payer la totalité des dépenses, étaient pertinents et auraient pu influencer l’évaluation par l’agent de la suffisance des ressources financières du demandeur.

 

[11]           Étant donné que les notes consignées dans le STIDI ne comportent aucune mention des renseignements financiers relatifs au frère du demandeur, et que ces renseignements ne figurent pas dans le dossier certifié, la seule conclusion que la Cour peut tirer est que l’agent n’a pas pris en considération les renseignements susmentionnés. Il ressort clairement de la lettre de refus et des notes consignées dans le STIDI que l’un des motifs de refus est l’insuffisance des ressources financières du demandeur ([traduction] « pas de fonds personnels relevés »). Compte tenu des renseignements contenus dans le Manuel (OP 11, section 7), la Cour est convaincue que l’agent n’a pas pris en considération des éléments de preuve importants.

 

[12]           Il est important de signaler que le défendeur ne peut maintenant se fonder sur de nouveaux éléments de preuve provenant de l’agent des visas pour changer, expliquer ou compléter la lettre de refus et les notes consignées dans le STIDI, surtout en ce qui concerne l’importance que l’agent a accordée à chacun des facteurs distincts qui y sont mentionnés. C’est exactement pour cela que le Manuel indique que tous le renseignements pertinents doivent être inclus dans les notes consignées dans le STIDI et qu’il faut exclure les renseignements qui ne sont pas pertinents. Voir aussi la décision bin Abdullah c. Canada (MCI), [2006] A.C.F. no 1482, aux paragraphes 12 à 15, où l’on explique pourquoi les tribunaux accorderont généralement peu d’importance aux éléments de preuve qu’un agent fournit plusieurs mois après les événements en question, et en sachant que la décision est contestée.

 

[13]           Par conséquent, en ce qui concerne la mention « Attention », la Cour peut raisonnablement inférer de sa présence dans les notes du STIDI que cette information était pertinente à la décision de l’agent. Cela est logique, car l’agent avait à évaluer si le demandeur respecterait le droit de l’immigration du Canada et quitterait le pays à l’expiration de son visa temporaire.

 

[14]           Il est bien établi en droit que la loi ne reconnaît aucun droit d’entrevue à un demandeur de visa temporaire, et que les agents des visas ne sont pas tenus d’interviewer le demandeur sur des doutes que soulèvent des renseignements que le demandeur lui‑même a fournis : voir Toor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 733, au paragraphe 17. Comme il a été mentionné à l’audience, l’obligation d’agir équitablement est une norme variable, dont la teneur dépend des circonstances particulières de l’espèce : voir Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28. Dans la présente affaire, l’obligation d’agir équitablement qui incombait à l’agent des visas était minime, mais elle englobait néanmoins l’obligation de donner au demandeur la possibilité de rectifier toute préoccupation que soulevaient des éléments de preuve extrinsèques, ou d’en traiter; voir Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 637, au paragraphe 51.

 

[15]           Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’agent des visas a manqué à son obligation d’équité procédurale. Ainsi que l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley c. Canada, [2005] A.C.F. no 2056, les manquements à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle à titre de questions de droit selon la norme de la décision correcte, indépendamment des questions d’ordre pragmatique et fonctionnel qui seraient par ailleurs importantes.

 

[16]           La Cour est donc d’avis qu’il faut infirmer la décision de l’agent. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire qu’elle détermine quel souscripteur d’affidavit est plus crédible et si une entrevue a bel et bien eu lieu, car, même s’il y en avait eu une, il est évident qu’il n’a pas été question de la mention « Attention ».

 

[17]           Comme il a été signalé à l’audience, il ne conviendrait pas de renvoyer la présente demande pour nouvelle décision vu le temps qui s’est écoulé depuis que le visa a été refusé et le changement évident de circonstances qui est survenu depuis lors. Cependant, comme le demandeur a payé les frais de demande, il faudrait lui accorder un crédit à cet égard, au cas où il souhaiterait présenter une nouvelle demande de visa temporaire au cours des douze (12) prochains mois.

 

[18]           Il vaut aussi la peine de mentionner explicitement que, étant donné que la déclaration est déclarée nulle et non avenue, il ne faudrait pas en tenir compte lors du traitement de n’importe quelle demande de visa temporaire ou de résidence permanente que M. Jesuorobo pourrait présenter ultérieurement. Il faudrait faire une note à cet effet  dans le SSOBL ainsi que dans le STIDI.

 

[19]           Les parties ont confirmé que la présente affaire ne soulève aucune question qui mérite d’être certifiée. La Cour convient que la présente affaire est un cas d’espèce.

 

[20]           En ce qui a trait aux dépens, la Cour n’est pas convaincue qu’il faudrait faire une exception quelconque au principe général énoncé à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232, art. 11.

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

  1. la présente demande soit accueillie et que la décision de l’agent des visas soit annulée;
  2. le défendeur appliquera les directives de la Cour qui sont exposées aux paragraphes 17 et 18 des motifs.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3790-06

 

INTITULÉ :                                                  OSARENREN KELVIN JESUOROBO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 19 OCTOBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 22 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Boniface Ahunwan

Ochienmuan Okojie

Avocats

1280, avenue Finch Ouest

Toronto (Ontario)

 

Kinsley Jesuorobo (frère du demandeur)

 

  POUR LE DEMANDEUR,

  OSARENREN KELVIN JESUOROBO

Judy Michaely

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

  POUR LE DÉFENDEUR,

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ   

  ET DE L’IMMIGRATION

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Boniface Ahunwan

Ochienmuan Okojie

Avocats

1280, avenue Finch Ouest

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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