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Date : 20071210

Dossier : IMM-4468-06

Référence : 2007 CF 1293

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

 

ENTRE :

RUPINDER SINGH TATHGUR

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]        En 2001, M. Rupinder Singh Tathgur (le demandeur) a fait une demande de visa de résident permanent à titre de membre d’une catégorie économique, la catégorie des travailleurs qualifiés. L’agente d'immigration, Heather Dubé (l’agente des visas), a estimé que le demandeur ne répondait pas aux conditions de l’immigration au Canada en tant que résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Le demandeur sollicite aujourd’hui le contrôle judiciaire de la décision de l’agente des visas de lui refuser un visa de résident permanent.

 

Les faits

[2]        Le demandeur est de nationalité indienne. Il détient un baccalauréat de l’Université technique du Pendjab, à Jalander, en Inde, où il a travaillé à son propre compte comme ingénieur, faisant des évaluations immobilières pour les banques et exécutant de petits travaux pour des particuliers. Il a demandé un visa de résident permanent au titre de la catégorie des parents assistés et de trois catégories de travailleurs qualifiés : entrepreneurs et contremaîtres en mécanique, techniciens en études de prix et technologues et techniciens du génie civil. L’agente des visas a estimé qu’il remplissait uniquement les conditions de la catégorie des technologues et techniciens du génie civil, et elle l’a évalué sur ce fondement.

 

[3]        Puisque le demandeur a présenté sa demande avant le 1er janvier 2002 et que sa demande était pendante le 1er décembre 2003, il a été évalué selon deux ensembles de critères ainsi que le prévoient les dispositions transitoires du paragraphe 361(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) : le premier ensemble est le RIPR, pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et le second est le Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement sur l’immigration de 1978), pris en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l’ancienne Loi).

 

[4]        Le demandeur était assisté par un conseiller en immigration qui a transmis sa demande à la Section de l’immigration du Haut-Commissariat du Canada à New Delhi le 19 janvier 2001. Le conseiller en immigration a dit que le demandeur parlait couramment l’anglais et il a demandé à l’agente des visas, à titre provisoire, pour le cas où le demandeur n’obtiendrait pas le nombre requis de points d’appréciation, d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur, comme le prévoit le paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978, qui était applicable lorsque le demandeur avait présenté sa demande.

 

[5]        Le 31 mars 2004, le demandeur a présenté ses résultats du International English Language Testing System (le IELTS), conformément au RIPR. Il a été informé le 15 juin 2004 qu’il n’avait pas obtenu suffisamment de points d’après le RIPR et serait évalué selon le Règlement sur l’immigration de 1978, et qu’il devait pour cela subir une entrevue. Le 5 juin 2006, l’agente des visas a fait passer une entrevue au demandeur. L’entrevue s’est déroulée en anglais, et, au cours de l’entrevue, l’agente des visas a fait subir au demandeur des tests de lecture et d’écriture en anglais.

 

[6]        Dans l’évaluation du demandeur selon l’ancienne Loi, l’agente des visas a attribué au demandeur 64 points d’après le Règlement sur l’immigration de 1978, c’est-à-dire six points de moins que le minimum de 70 points requis. Elle a attribué au demandeur deux points pour sa connaissance de l’anglais.

 

[7]        À la fin de l’entrevue, l’agente des visas a informé le demandeur qu’il n’avait pas obtenu le nombre minimum de points requis et qu’il ne remplissait pas les conditions pour immigrer au Canada selon le Règlement sur l’immigration de 1978. Elle lui a demandé s’il disposait d’autres renseignements qui selon lui devraient être pris en considération. Le demandeur lui a répondu qu’il trouvait la décision injuste, ajoutant qu’il avait les qualités requises pour immigrer. L’agente des visas a envoyé la lettre de refus, datée du 13 juin 2006, au demandeur, par l’entremise de son conseiller en immigration. Après avoir reçu cette lettre, le conseiller en immigration a écrit à l’agente des visas pour la prier de réexaminer la demande, affirmant que le demandeur devrait obtenir davantage de crédits pour son expérience technique et sa connaissance de l’anglais. Le conseiller en immigration lui a rappelé que le demandeur avait aussi un proche parent au Canada.

 

Les points litigieux

 

[8]        Le demandeur soulève deux points :

1.  L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en n’accordant au demandeur que deux points d’appréciation sur un total possible de neuf pour la connaissance de l’anglais, l’un des facteurs énumérés dans l’annexe I du Règlement sur l’immigration de 1978?

2.  L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire comme elle pouvait le faire en vertu du paragraphe 76(3) du RIPR ou en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978?

 

La norme de contrôle

[9]        La norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas a été abondamment analysée. La Cour suprême du Canada a jugé que, même si les décisions des agents d’immigration commandent une retenue considérable, l’absence d’une clause privative, la possibilité d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, ainsi que la nature individuelle de la décision font que la norme applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). S’agissant de la question plus étroite qui concerne la norme de contrôle applicable à la manière dont un agent des visas a évalué les connaissances linguistiques d’un demandeur de visa, il a été statué qu’il s’agit là aussi de la décision raisonnable simpliciter (Al-Kassous c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 541, paragraphe 22).

 

[10]      Le pouvoir discrétionnaire conféré aux agents des visas par le paragraphe 76(3) du RIPR et le paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978 peut être exercé d’au moins deux manières. Il y a d’abord le cas où l’agent des visas a l’obligation d’envisager l’exercice de son pouvoir discrétionnaire par suite d’une demande explicite en ce sens (Nayyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 342, paragraphe 13). Il y a ensuite le cas où l’agent des visas doit s’interroger s’il convient ou non d’exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa, au vu des faits révélés dans la demande de résidence permanente (Savvateev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 922, paragraphe 11). Dans l’un et l’autre cas, si l’agent des visas néglige de s’interroger sur l’opportunité pour lui d’exercer son pouvoir discrétionnaire, sa décision sera susceptible de contrôle judiciaire, car elle résulterait du non-accomplissement d’une obligation qu’il était tenu d’accomplir, en application du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications. En outre, la Cour a jugé dans la décision Nayyar, précitée, au paragraphe 8, que, lorsqu’un agent des visas néglige d’envisager l’exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire quand il est expressément invité à le faire dans une demande de résidence permanente, il en résultera un manquement à l’équité procédurale, qui sera réformable selon la norme de la décision correcte. Cependant, si l’agent des visas exerce effectivement le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3), alors la norme de contrôle sera celle de la décision raisonnable simpliciter (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 528, paragraphe 25).

 

L’évaluation des aptitudes linguistiques selon le Règlement sur l’immigration de 1978

 

[11]      Le paragraphe 8(1) de l’annexe I du Règlement sur l’immigration de 1978 prévoit ce qui suit :

(1) Pour la langue que la personne indique comme sa première langue officielle, le français ou l'anglais, selon son niveau de compétence à l'égard de chacune des capacités suivantes : l'expression orale, la lecture et l'écriture, des crédits sont attribués de la façon suivante :

a) la capacité de parler, de lire ou d'écrire couramment, trois crédits sont attribués pour chaque capacité;

b) la capacité de parler, de lire ou d'écrire correctement mais pas couramment, deux crédits sont attribués pour chaque capacité;

c) la capacité de parler, de lire ou d'écrire difficilement, aucun crédit n'est attribué pour cette capacité.

 

(1) For the first official language, whether English or French, as stated by the person, credits shall be awarded according to the level of proficiency in each of the following abilities, namely, speaking, reading and writing, as follows:

 

(a) for an ability to speak, read or write fluently, three credits shall be awarded for each ability;

(b) for an ability to speak, read or write well but not fluently, two credits shall be awarded for each ability;

(c) for an ability to speak, read or write with difficulty, no credits shall be

awarded for that ability.

 

 

[12]     L’agente des visas a accordé au demandeur deux crédits pour l’expression orale, deux crédits pour la lecture, et zéro crédit pour l’écriture. Le paragraphe 8(3) du Règlement sur l’immigration de 1978 dispose que les crédits sont convertis en points d’appréciation, de la manière suivante :

(3) Des points d'appréciation sont attribués sur la base du nombre total de crédits obtenus selon les paragraphes (1) et (2), d'après le barème suivant :

a) zéro ou un crédit, aucun point;

b) de deux à cinq crédits, deux points;

c) six crédits ou plus, un point par crédit

 

(3) Units of assessment shall be awarded on the basis of the total number of credits awarded under subsections (1) and (2) as follows:

(a) for zero credits or one credit, zero units;

(b) for two to five credits, two units; and

(c) for six or more credits, one unit for each credit.

 

 

Le demandeur avait obtenu quatre crédits, ce qui équivalait à deux points d’appréciation pour sa connaissance de l’anglais.

 

[13]      Selon le demandeur, l’agente des visas aurait dû lui accorder davantage de points d’appréciation pour sa connaissance de l’anglais. Il fait valoir que l’agente des visas lui a, déraisonnablement, accordé zéro crédit pour sa capacité à écrire en anglais, selon le Règlement sur l’immigration de 1978, malgré les résultats obtenus par lui à l’IELTS, qui sont un élément de l’évaluation faite en vertu du RIPR, résultats qui montraient que le demandeur avait une compétence modérée pour chacune des quatre capacités suivantes : l’écoute, la lecture, l’écriture et l’expression orale.

 

[14]      Le demandeur avait le droit d’être évalué selon le Règlement sur l’immigration de 1978 et le RIPR. Le paragraphe 361(4) du RIPR est ainsi rédigé :

 

Demandes pendantes — travailleurs qualifiés

(4) À compter du 1er décembre 2003, l’étranger qui est un immigrant et qui, avant le 1er janvier 2002, a présenté conformément à l’ancien règlement une demande de visa d’immigrant à titre de personne visée au sous-alinéa 9(1)b)(i) ou à l’alinéa 10(1)b) de l’ancien règlement, autre qu’un travailleur autonome au sens du paragraphe 2(1) de ce règlement, et dont la demande est pendante le 1er décembre 2003 et qui n’a pas obtenu avant cette date de points d’appréciation en vertu de l’ancien règlement doit, pour devenir résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

a) soit obtenir au moins le nombre minimum de points d’appréciation exigés par l’ancien règlement à l’égard d’une personne visée au sous-alinéa 9(1)b) de l’ancien règlement, autre qu’un travailleur autonome au sens du paragraphe 2(1) de ce règlement;

b) soit satisfaire aux exigences du paragraphe 75(2) et de l’alinéa 76(1)b) du présent règlement et obtenir un minimum de 67 points au regard des facteurs visés à l’alinéa 76(1)a) de ce présent règlement. [Non souligné dans l’original.]

 

Pending applications — skilled workers

(4) Beginning on December 1, 2003, a foreign national who is an immigrant who made an application under the former Regulations before January 1, 2002 for an immigrant visa as a person described in subparagraph 9(1)(b)(i) or paragraph 10(1)(b) of those Regulations, other than a self-employed person within the meaning of subsection 2(1) of those Regulations, and whose application is still pending on December 1, 2003 and who has not, before that day, been awarded units of assessment under those Regulations must, in order to become a permanent resident as a member of the federal skilled worker class,

(a) be awarded at least the minimum number of units of assessment required by those Regulations for a person described in subparagraph 9(1)(b)(i) or paragraph 10(1)(b) of those Regulations, other than a self-employed person within the meaning of subsection 2(1) of those Regulations; or

(b) meet the requirements of subsection 75(2) and paragraph 76(1)(b) of these Regulations and obtain a minimum of 67 points based on the factors set out in paragraph 76(1)(a) of these Regulations (emphasis added).

 

 

[15]     Cependant, ces deux évaluations réglementaires se déroulent séparément à l’intérieur du contexte de leurs régimes respectifs, étant donné le libellé de la disposition transitoire, qui prévoit deux évaluations concurrentes. La différence entre les deux méthodes d’évaluation des aptitudes linguistiques est que, s’agissant du Règlement sur l’immigration de 1978, l’agente des visas applique une norme plus subjective, notamment en administrant un test de compréhension de l’anglais et en évaluant un échantillon d’écriture, tandis que, s’agissant du RIPR, l’agente des visas suit une approche objective faisant intervenir des tests normalisés d’anglais administrés et évalués par une tierce partie indépendante.

 

[16]     Pour l’évaluation faite en vertu du Règlement sur l’immigration de 1978, l’agente des visas a évalué la compétence du demandeur en anglais au cours d’une entrevue menée en anglais, à la demande du demandeur. L’agente des visas savait que le demandeur avait affirmé avoir une connaissance modérée de l’anglais. Elle lui a fait subir un exercice de lecture et d’écriture. Les notes de l’agente des visas montrent qu’elle a évalué les capacités du demandeur en anglais, à savoir l’écoute, l’expression orale, la lecture et l’écriture, d’après les niveaux de compétence linguistique canadiens. Vu ce qui précède, il m’est impossible de dire que la conclusion de l’agente des visas sur la compétence du demandeur en anglais, évaluée d’après le Règlement sur l’immigration de 1978, et en particulier sur sa capacité à écrire en anglais, était déraisonnable.

 

Le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978

[17]     Le conseiller en immigration qui avait à l’origine transmis la demande de visa de résident permanent au nom du demandeur a présenté la demande suivante :

[traduction]

Bien que nous ne l’envisagions pas, nous croyons, pour le cas où M. Rupinder Singh Tathgur n’obtiendrait pas les 65 points d’appréciation requis, que ce résultat ne refléterait pas ses chances de s’établir avec succès au Canada. Nous vous prions par conséquent d’exercer favorablement le pouvoir discrétionnaire qui vous est conféré par le paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978, pour le cas où M. Rupinder Singh Tathgur obtiendrait moins que 65 points d’appréciation. [Caractères gras ajoutés.]

 

[18]     La lettre de refus de l’agente des visas en date du 13 juin 2006 ne donne pas à penser que cette demande a été étudiée. Les notes de l’agente des visas et son affidavit subséquent ne révèlent pas non plus si elle a songé à exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

[19]     Après avoir reçu la lettre de refus, le conseiller en immigration a écrit à l’agente des visas pour la prier de réexaminer la demande de M. Tathgur, au motif qu’il aurait dû obtenir davantage de points pour l’expérience technique et la connaissance de l’anglais. Le conseiller en immigration disait que, puisque le demandeur justifiait d’une scolarité et d’une expérience et qu’il avait un proche au Canada, il était en mesure de réussir son établissement économique au Canada. Le conseiller en immigration n’a pas explicitement prié à nouveau l’agente des visas d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par le paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978. Ni le dossier du demandeur ni la lettre de refus de l’agente des visas ne font état d’une réponse à la demande de réexamen.

 

[20]     Puisque ni les notes d’entrevue de l’agente des visas ni sa lettre du 13 juin 2006 ne disent qu’elle a considéré la demande qui lui était faite d’exercer son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 11(3), je suis d’avis qu’elle n’a pas cherché à savoir s’il était opportun pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

[21]     Selon le demandeur, le fait pour l’agente des visas de ne pas avoir envisagé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que ce soit en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978 ou en vertu du paragraphe 76(3) du RIPR, constitue une erreur de droit.

 

[22]     Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, fait valoir que l’agente des visas n’avait pas à se demander s’il était opportun pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978, ou en vertu du paragraphe 76(3) du RIPR, et cela pour les raisons suivantes :

1)  la demande présentée par le demandeur à l’agente des visas pour qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire était simplement une demande pro forma faite dans sa lettre de demande;

2)  le demandeur n’a pas précisé les raisons qu’il avait de croire qu’il pourrait s’établir avec succès au Canada lorsqu’il a eu l’occasion de présenter des renseignements additionnels, et il n’a pas invoqué le pouvoir discrétionnaire de l’agente des visas lorsqu’il a fourni lesdits renseignements;

3)  le demandeur n’a pas réclamé l’exercice de ce même pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 76(3) du RIPR;

4)  l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne devrait être déterminant que dans les cas comportant des circonstances inusitées, ou lorsqu’un demandeur obtient un nombre de points d’appréciation très voisin du nombre requis.

[23]     C’est à titre provisoire que le conseiller en immigration avait prié, au début du processus de demande, l’agente des visas d’exercer son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 11(3). Cependant, cette demande était faite explicitement, il ne s’agissait pas d’une demande pro forma, en ce sens qu’elle n’était pas une simple formalité vide de sens. Par sa demande, le conseiller en immigration envisageait la possibilité que le demandeur échoue dans le processus ordinaire d’évaluation aux fins d’un visa d’immigrant, et il a été conduit à évoquer cette perspective.

 

[24]     Le demandeur n’a pas renouvelé la demande à la fin de l’ultime entrevue avec l’agente des visas, lorsque l’occasion lui fut donnée de présenter d’autres renseignements ou d’autres conclusions. Il est compréhensible que le demandeur, déçu du résultat de l’entrevue, n’ait pas pensé à prier à nouveau l’agente des visas d’envisager l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la loi. Au reste, le demandeur n’avait pas renoncé à l’idée que l’agente des visas envisage d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme il l’avait prié de le faire dans sa demande initiale. Pour qu’il soit réputé y avoir renoncé, il faudrait qu’il soit évident qu’il a réfléchi à la question. Ni l’invitation faite au demandeur par l’agente des visas pour qu’il présente d’autres renseignements, ni la réponse du demandeur, ne montrent que le demandeur a songé, puis renoncé, à sa demande initiale adressée à l’agente des visas pour qu’elle envisage d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Par ailleurs, il convient de noter que le conseiller en immigration a quant à lui présenté une demande de réexamen après que l’agente des visas eut rejeté la demande de visa le 13 juin 2006.

 

[25]     Le défendeur dit que le demandeur n’a pas présenté sa demande de réexamen selon le paragraphe 76(3) du RIPR. Cependant, le paragraphe 361(4) du RIPR envisage une double procédure d’évaluation pour les demandeurs tombant sous le coup de la disposition transitoire assurant le passage de l’ancienne Loi à la LIPR. Cette disposition transitoire prévoit implicitement la possibilité de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire selon l’un ou l’autre des processus, que ce soit conformément au paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978, ou conformément au paragraphe 76(3) du RIPR. Je suis donc d’avis que le demandeur, ayant prié l’agente des visas d’envisager l’exercice de son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 11(3), et ayant été évalué à la fois d’après le Règlement sur l’immigration de 1978 et d’après le RIPR, était fondé à ce que sa requête soit considérée en fonction de ces deux textes réglementaires. Je relève aussi que le demandeur a présenté sa demande le 19 janvier 2001 et que le RIPR n’est entré en vigueur qu’en 2002. Il n’était pas possible pour le demandeur, à l’époque de sa demande, de prier l’agente des visas d’exercer également son pouvoir discrétionnaire selon le RIPR.

 

[26]      Le paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978 est ainsi formulé :

11(3)

(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier. [Non souligné dans l’original.]

11(3)

(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration Officer (emphasis added).

 

 

 

[27]     Selon le défendeur, le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 11(3) ne pourra être exercé que lorsqu’il sera susceptible de modifier le résultat. Il se fonde sur la décision Chen, précitée, au paragraphe 23, où le juge Evans, qualifiant de résiduel l’exercice du pouvoir discrétionnaire, écrivait ce qui suit :

Sans m'ingérer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 11(3) accorde aux agents des visas, je crois que le pouvoir en question est de nature résiduelle et qu'il ne peut être exercé pour emporter une décision que lorsque les faits d'une affaire sont très particuliers ou lorsque le demandeur a presque atteint les 70 points d'appréciation.

[28]     Dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1239, au paragraphe 6, le juge Rothstein faisait observer que, si un demandeur voulait qu’un agent des visas exerce son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 11(3), il lui faudrait alors donner de bonnes raisons expliquant pourquoi les points d’appréciation attribués ne rendaient pas compte de sa capacité de s’établir avec succès au Canada. Puis le juge Rothstein écrivait :

Dans le cas où le demandeur a des raisons de penser qu'il pourra s'établir avec succès au Canada, abstraction faite des points d'appréciation attribués, il peut faire part de ces raisons à l'agent des visas pour lui demander d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3).

 

[29]     Il n’appartient pas à la Cour de conjecturer l’issue de l’exercice par un agent des visas du pouvoir discrétionnaire conféré à celui-ci par le paragraphe 11(3). Ainsi que l’écrivait la juge Gauthier dans la décision Yan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n°  655, au paragraphe 24 :

Quoi qu'il en soit et même si les probabilités de réussite d'une telle requête semblent bien minces à ce stade-ci, la Cour ne peut conclure qu'un agent des visas refuserait nécessairement d'exercer en faveur de Jun Yan le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 11(3). La Cour devrait spéculer sur le résultat d'un tel exercice. On outrepasserait ainsi l'exception à la règle stricte prévoyant qu'un manquement aux règles de l'équité procédurale entraîne normalement l'annulation de la décision. (Se reporter à Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, et à Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.)). La décision doit par conséquent être annulée.

 

[30]     La loi confère aux agents d’immigration, qui connaissent bien les questions d’immigration et qui ont l’habileté requise pour évaluer ce que peuvent être de bonnes raisons d’accorder un visa d’immigrant, le pouvoir discrétionnaire d’accorder un tel visa, sans égard aux résultats obtenus d’après l’ancienne Loi et son règlement. Dans la demande de visa de résident permanent présentée au nom du demandeur, le conseiller en immigration expose, d’une manière assez détaillée, les antécédents personnels du demandeur et donne une estimation des points d’appréciation auxquels, selon le conseiller, pouvait prétendre le demandeur. Le conseiller en immigration donne aussi une justification pour les points d’appréciation qu’il anticipe au regard des divers facteurs, à savoir études et formation, expérience professionnelle, connaissance de l’anglais et personnalité. Tout de suite avant de prier l’agente des visas d’exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire, le conseiller en immigration arrive à la conclusion que le demandeur répond aux exigences du Règlement sur l’immigration de 1978. Je suis d’avis que la justification donnée par le conseiller constitue une « bonne raison » pour l’agente des visas d’envisager l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’une « bonne raison » est donnée par un demandeur, comme c’est le cas ici, la Cour doit s’abstenir de conjecturer sur la valeur intrinsèque de cette bonne raison.

 

[31]      Les paragraphes 76(3) et 76(4) du RIPR sont ainsi formulés :

 

Substitution de l’appréciation de l’agent à la grille

(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a). [Non souligné dans l’original.] 

 

 

Confirmation

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

Circumstances for officer's substituted evaluation

(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada (emphasis added). 

Concurrence

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

 

 

[32]     La LIPR donne elle aussi aux agents d’immigration le pouvoir discrétionnaire d’accorder un visa d’immigrant quand bien même l’évaluation faite en vertu de son règlement se serait soldée par un résultat négatif. Encore une fois, il n’appartient pas à la Cour de supposer à quoi conduirait l’exercice par l’agent des visas du pouvoir discrétionnaire qu’il détient en vertu du paragraphe 76(3) du RIPR.

 

[33]     Je ferais aussi observer que, dans le RIPR, le législateur s’est écarté du libellé contenu dans le Règlement sur l’immigration de 1978 pour ce qui concerne l’exercice par l’agent des visas de son pouvoir discrétionnaire. Dans le Règlement sur l’immigration de 1978, l’agent des visas avait le pouvoir de délivrer un visa d’immigrant à un demandeur de visa qui n’avait pas obtenu le nombre requis de points d’appréciation, si, de l’avis de l’agent des visas, de bonnes raisons pouvaient expliquer pourquoi le nombre accordé de points d’appréciation ne donnait pas une idée exacte des possibilités qu’avait le demandeur de s’établir avec succès au Canada. Dans le RIPR, l’agent des visas peut passer outre aux critères d’évaluation prévus si le nombre de points obtenu ne reflète pas l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada.

 

[34]     Compte tenu du changement de libellé entre le Règlement sur l’immigration de 1978 et le RIPR, les précédents invoqués par le défendeur, en particulier la décision Chen¸ précitée, et la décision Lam, précitée, ne sont pas directement à propos car ils ne concernent que le paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978, alors que, en l’espèce, le demandeur était évalué d’après les deux ensembles de règlements. Le défendeur a fait valoir que le demandeur, lorsqu’il a prié l’agente des visas d’exercer son pouvoir discrétionnaire, n’a pas précisé les raisons qu’il avait de croire qu’il pouvait réussir son établissement économique au Canada même s’il ne remplissait pas les exigences d’évaluation. J’ai déjà exprimé l’avis que le demandeur a bel et bien indiqué une « bonne raison » justifiant l’exercice favorable, par l’agente des visas, de son pouvoir discrétionnaire, mais il est clair que le RIPR n’impose aucune exigence du genre.

 

Dispositif

[35]     Finalement, le conseiller du demandeur a prié l’agente des visas d’envisager l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 11(3) du Règlement sur l’immigration de 1978. L’agente des visas n’a pas accédé à cette demande. Elle n’a pas non plus envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 76(3) du RIPR. Ce faisant, elle n’a pas accompli une obligation légale qu’elle était tenue d’accomplir.

 

[36]     La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision de l’agente des visas de refuser la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur en tant que membre d’une catégorie de travailleurs qualifiés est annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas, qui réexaminera la demande conformément aux présents motifs.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente des visas est annulée;

2.         L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen;

3.         Aucune question n’est certifiée;

4.         Il n’est pas adjugé de dépens.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-4468-06

 

INTITULÉ :                                                    Rupinder Singh Tathgur 

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 25 SEPTEMBRE 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 10 DÉCEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee 

      POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Avocats

255 Duncan Mill Road, bureau 610

Toronto (Ontario)  M3B 3H9

 

 

      POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)  M5J 2Z4

      POUR LE DÉFENDEUR

 

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