Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20071213

Dossier : T-1351-06

Référence : 2007 CF 1313

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

JEDRZEJ H. SELL

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE DÉVELOPPEMENT DES

RESSOURCES HUMAINES CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Jedrzej Sell (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire, aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, dans sa forme modifiée, d’une décision d’un tribunal de révision constitué en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC). Dans cette décision, datée du 5 juillet 2006, le tribunal de révision a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre de la décision par laquelle le tribunal de révision avait refusé sa demande d’obtention d’une pleine pension en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O-9, dans sa forme modifiée (la Loi). Dans son avis de demande, le demandeur décrit comme suit le redressement demandé :

[traduction

[…] le demandeur demande qu’on lui accorde une pleine pension de la SV et qu’on invalide la Loi sur la SV ou qu’on la réécrive parce qu’elle est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte.

 

I. Le contexte

 

[2]               Le demandeur est né en Pologne le 3 janvier 1940. Il est entré au Canada le 2 novembre 1979 à titre d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement. Le 11 mars 2004, il a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) en vertu de la Loi. Le 22 avril 2004, Développement des ressources humaines Canada (DRHC) a accordé au demandeur une pension partielle à un taux de 24/40 de la pleine pension de la SV. Dans une lettre datée du 23 juin 2004, ce dernier a demandé que l’on réexamine cette décision et qu’on lui accorde une pleine pension.

 

[3]               Par une lettre datée du 9 juillet 2004, DRHC a informé le demandeur qu’il maintenait la décision initiale de verser une pension partielle, plutôt qu’une pleine pension. Cependant, le montant de la pension a été majoré du taux de 24/40 au taux de 25/40. DRHC a motivé comme suit sa décision :

[traduction

Le 1er juillet 1977, la Chambre des communes du Canada a modifié la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour fonder les prestations de la Sécurité de la vieillesse sur les années de résidence au Canada. Comme vous n’avez pas demandé le statut d’immigrant ayant obtenu le droit d’établissement au Canada avant cette date-là, le montant de votre pension de la Sécurité de la vieillesse est établi en fonction du nombre d’années pendant lesquelles vous avez résidé au Canada entre la date de votre 18e anniversaire et le mois de votre 65e anniversaire. Nous avons déterminé que vous aurez 25 ans et 91 jours de résidence au Canada au dernier jour du mois de votre 65e anniversaire, ce qui vous donne donc droit au 25/40 d’une pension de la Sécurité de la vieillesse.

 

[4]               Le 9 août 2004, le demandeur a écrit une lettre au commissaire des tribunaux de révision, disant qu’il portait en appel la décision de DRHC exposée dans les lettres du 22 avril et du 9 juillet 2004. Sa lettre a été traitée comme un « avis d’appel », et l’appel a été entendu devant le tribunal de révision le 29 mars 2006.

 

[5]               Le demandeur s’est représenté lui-même à l’audience du tribunal de révision. Selon ses observations écrites datées du 20 janvier 2005, le demandeur contestait la constitutionnalité de l’article 3 de la Loi au motif que cette disposition était discriminatoire, ce qui allait à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte). Le demandeur a donné avis du dépôt d’une question constitutionnelle, ainsi que l’exige l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

[6]               Dans des observations écrites soumises au tribunal de révision, le défendeur - DRHC - a soulevé trois questions :

1)         la Charte s’applique-t-elle rétroactivement;

2)         le paragraphe 3(1) de la SV viole-t-il la garantie d’égalité prévue au paragraphe 15(1) de la Charte;

3)         si le paragraphe 3(1) va à l’encontre du paragraphe 15(1), le paragraphe 3(1) de la SV est-il justifié au regard de l’article premier de la Charte?

 

[7]               DRHC a appelé un témoin expert, M. Rodney Hagglund. Celui-ci a produit un rapport portant sur les conditions de résidence du programme de la SV, de même que sur leur raison d’être. Dans les observations écrites que DRHC a soumises au tribunal de révision, le rapport de M. Hagglund a servi à démontrer la justification des conditions de résidence au sens de l’article premier de la Charte.

 

[8]               Le tribunal de révision a rendu sa décision le 5 juillet 2006. Il a rejeté l’appel du demandeur par une majorité de deux membres. Il a qualifié l’entrée du demandeur au Canada le 2 novembre 1979 de [traduction] « événement » survenu avant l’entrée en vigueur de la Charte, et a statué que cette dernière ne s’appliquait pas rétroactivement à cet événement.

 

[9]               Par suite de sa conclusion concernant l’application rétroactive de la Charte, la majorité a jugé qu’il n’était pas nécessaire de décider si l’article 3 de la Loi enfreignait les droits que conférait au demandeur le paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[10]           Le troisième membre du tribunal de révision a rédigé une opinion dissidente, dans laquelle il a conclu que l’entrée du demandeur au Canada en 1979 était un [traduction] « statut en cours ». Il a procédé à une analyse du paragraphe 3(1) de la Loi au regard de l’article 15 de la Charte et a jugé que cette disposition allait à l’encontre de l’article 15 de la Charte et ne pouvait se justifier au regard de l’article premier de la Charte. L’article 3 de la Loi, a-t-il conclu, est inopérant aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et le demandeur a droit à une pleine pension en vertu de la Loi

 

II. Les observations

A. Les observations du demandeur

 

[11]           Le demandeur soutient que la majorité du tribunal de révision a commis une erreur en concluant que la Charte ne s’applique pas rétroactivement dans son cas. Fondant ses arguments sur l’opinion dissidente, il conteste le fait que son entrée au Canada le 2 novembre 1979 a été qualifiée de [traduction] « événement ». Il fait plutôt valoir que le fait d’être arrivé au Canada après le 1er juillet 1977 lui est reproché de manière discriminatoire.

 

[12]           Le demandeur conteste l’argument des défendeurs, auquel la majorité a souscrit, à savoir que le moment de son entrée au Canada était une question de choix personnel.

 

[13]           Le demandeur soutient par ailleurs que les défendeurs lui ont causé préjudice en soutenant que le « bon sens » implique que la date de son entrée au Canada était une question de choix. Il soutient en outre que les défendeurs ont omis à tort [traduction] « un terme important » en citant le paragraphe 54 de l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358.

 

[14]           Le demandeur est d’avis que la majorité s’est fondée à tort sur l’arrêt R. c. Stevens, [1988] 1 R.C.S. 1153. Il ajoute que cette décision traite de l’application rétroactive de l’article 5, et non du paragraphe 15(1) de la Charte.

 

[15]           Le demandeur se fonde sur la décision du membre dissident du tribunal de révision et exhorte la Cour à faire droit à la demande.

 

B. Les observations des défendeurs

 

[16]           Les défendeurs font valoir qu’étant donné que la présente demande soulève une question de droit, c’est-à-dire l’application rétroactive de la Charte, il convient de contrôler la décision du tribunal de révision selon la norme de la décision correcte.

 

[17]           Ensuite, les défendeurs soutiennent qu’eu égard aux éléments de preuve soumis au tribunal de révision et au libellé de l’article 3 de la Loi, les auteurs de la décision majoritaire ont déterminé à juste titre que l’appel du demandeur concerne l’application rétroactive de la Charte. Comme le demandeur était entré au Canada avant l’entrée en vigueur de la Charte, le tribunal de révision avait à décider si cette entrée était un [traduction] « événement » ou un [traduction] « statut en cours ». La décision de la majorité selon laquelle l’entrée du demandeur était un [traduction] « événement » est compatible avec la jurisprudence, dont les décisions rendues dans les affaires suivantes : Benner, Sutherland c. Canada, [1997] A.C.F. no 3, autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, [1997] C.S.C.R. no 377 (QL), et Bauman c. Nova Scotia (Attorney General), [2001] N.S.J. no 115 (C.A. N.-É.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, [2001] C.S.C.R. no 27 (QL).

 

[18]           Répondant à l’argument du demandeur selon lequel ils ont omis les mots « en général » en citant le paragraphe 54 de l’arrêt Benner et n’ont pas fait référence au paragraphe 56 de cette décision-là, les défendeurs font valoir qu’il ressort des motifs de la majorité que les membres comprenaient le droit et les principes directeurs découlant de Benner. La majorité a cité un extrait du paragraphe 54 de l’arrêt Benner et a dit que les caractéristiques découlant d’un choix à faire sont « plus susceptibles » d’être qualifiées d’événements. En outre, ils sont d’avis que les conclusions de la majorité, à savoir que l’entrée du demandeur au Canada et les changements apportés aux conditions de résidence dans la Loi sont survenus avant l’entrée en vigueur de la Charte, cadrent avec le paragraphe 56 de l’arrêt Benner. Cela montre que la majorité était au courant des paragraphes censément « manquants » de l’arrêt Benner et qu’elle les a appliqués.

 

[19]           Pour ce qui est de l’opinion dissidente, les défendeurs estiment que cet avis n’est pas convaincant, ni déterminant en ce qui concerne la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[20]           Les défendeurs ont formulé des observations sur l’examen que le tribunal de révision a fait des éléments de preuve ainsi que sur le respect de l’équité procédurale. Premièrement, ils disent qu’aucun élément de la décision ne donne à penser que le tribunal de révision a omis de prendre en compte les éléments de preuve ou de les examiner dans le contexte des arguments fondés sur la Charte qui ont été invoqués. Le demandeur ne peut demander à la Cour de réévaluer les éléments de preuve dans une demande de contrôle judiciaire. À cet égard, ils se fondent sur la décision rendue dans Osborne c. Canada (Procureur général), (2005) CAF 412 (QL).

 

[21]           Deuxièmement, les défendeurs font valoir que rien ne montre que le tribunal de révision a agi de manière préjudiciable. Ce dernier a aidé le demandeur en lui fournissant des exemplaires d’éléments jurisprudentiels relatifs à la Charte à l’audition de l’appel, le tribunal de révision a expliqué l’objet de l’audience et il a encouragé le demandeur à présenter des observations et à poser des questions au cours de l’audience.

 

[22]           Enfin, les défendeurs soutiennent que la Cour ne peut pas accorder au demandeur la réparation qu’il sollicite dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Si la Cour trouve une erreur susceptible de contrôle, la seule réparation possible est une ordonnance renvoyant l’affaire en vue d’une nouvelle audience devant un tribunal de révision constitué de membres différents.

 

III. Analyse et décision

 

[23]           Le demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur en rejetant son appel au motif que ce dernier impliquerait une application rétroactive de la Charte. Je suis d’avis que cette question, principalement parce qu’elle est de nature aussi juridique, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[24]           Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Chhabu (2005), 280 F.T.R. 296, la juge Layden-Stevenson a eu recours à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer selon quelle norme il fallait contrôler la décision d’un tribunal de révision concernant la résidence en vertu de la Loi. Aux paragraphes 20 à 24 de la décision Chhabu, la juge a écrit ce qui suit :

 

Les pouvoirs du tribunal de révision ne sont pas prévus dans la Loi. Comme nous l'avons mentionné plus haut, le tribunal de révision est plutôt constitué en vertu de l'article 82 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC). Le paragraphe 84(1) du RPC contient une sorte de clause privative, renforcée par le fait que la décision du tribunal de révision sur un appel en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi ne peut faire l'objet d'un nouvel appel devant la Commission d'appel des pensions (paragraphe 83(1) du RPC). Le paragraphe 84(1) du RPC et le paragraphe 28(3) de la Loi reconnaissent toutefois explicitement qu'un contrôle judiciaire des décisions du tribunal de révision est possible. Quoi qu'il en soit, l'existence de cette clause privative permet de croire que la retenue s'impose à l'égard d'une décision du tribunal de révision sur un appel formé en vertu de la Loi.

Le tribunal de révision est régulièrement appelé à trancher la question de la résidence eu égard à l'admissibilité aux prestations de la SV. Les circonstances propres à chaque cas l'amènent à tirer des conclusions qui relèvent de son champ d'expertise, ce qui milite en faveur de la retenue judiciaire. Pour ce qui est de l'interprétation de la définition de résidence, la Cour est toutefois aussi bien sinon mieux placée que le tribunal de révision.

La Loi confère un avantage à certaines personnes et détermine qui est habilité à recevoir des prestations et dans quelle mesure. À cette fin, elle exige la détermination des droits d'une personne. Cependant, l'attribution des prestations doit obéir aux principes de l'équité et de la responsabilité financière. Le ministre est chargé de faire appliquer la Loi et de protéger l'intérêt public en veillant à ce que les bénéficiaires ne reçoivent pas des prestations auxquelles ils n'ont pas droit. Ainsi, la Loi exige la détermination des droits des personnes, mais elle est également de nature polycentrique. Ce facteur n'exige donc pas un degré de retenue élevé ni un degré de retenue très faible.

De par sa nature, la question nécessite l'application du critère juridique pertinent à différents faits et il s'agit donc d'une question mixte de fait et de droit. Elle est davantage axée sur les faits que sur le droit (voir : Ding, précitée, et Perera c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) (1994), 75 F.T.R. 310 (C.F. 1re inst.), où il a été déterminé que la résidence est une question de fait qui doit être tranchée en fonction des circonstances). Ce facteur milite en faveur d'une plus grande retenue.

Après un examen de ces différents facteurs, je suis d'avis que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[25]           En l’espèce, je fais mienne l’analyse de la juge Layden-Stevenson au sujet de la norme de contrôle, avec deux variantes. Premièrement, en ce qui concerne le second facteur, je pense que la Cour a plus d’expertise que le tribunal de révision pour ce qui est d’interpréter et d’appliquer la Charte. Ce facteur commande donc une retenue moins grande.

 

[26]           Deuxièmement, en ce qui concerne le quatrième facteur, je conviens qu’en l’espèce la nature de la question consiste là aussi à appliquer le critère juridique pertinent aux faits et qu’il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit. Cependant, dans la présente affaire, la question en litige est de nature juridique. Le quatrième facteur commande une retenue moins élevée. Après avoir soupesé les quatre facteurs, je conclus que la norme de contrôle applicable est la décision correcte.

 

[27]           La disposition législative qui se situe au cœur de la présente demande est l’article 3 de la Loi. Le paragraphe 3(1) indique les personnes auxquelles une pleine pension mensuelle peut être payée aux termes de la Loi :

 

3(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes  :

a) celles qui avaient la qualité de pensionné au 1er juillet 1977;

b) celles qui, à la fois  :

(i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,

 

 

(ii) ont au moins soixante-cinq ans,

(iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

 

 

 

 

 

c) celles qui, à la fois  :

(i) n’avaient pas la qualité de pensionné au 1er juillet 1977,

(ii) ont au moins soixante-cinq ans,

(iii) ont, après l’âge de

dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins quarante ans avant la date d’agrément de leur demande.

 

 

3(1) Subject to this Act and the regulations, a full monthly pension may be paid to

 

 

(a) every person who was a pensioner on July 1, 1977;

 

(b) every person who

(i) on July 1, 1977 was not a pensioner but had attained twenty-five years of age and resided in Canada or, if that person did not reside in Canada, had resided in Canada for any period after attaining eighteen years of age or possessed a valid immigration visa,

(ii) has attained sixty-five years of age, and

(iii) has resided in Canada for the ten years immediately preceding the day on which that person’s application is approved or, if that person has not so resided, has, after attaining eighteen years of age, been present in Canada prior to those ten years for an aggregate period at least equal to three times the aggregate periods of absence from Canada during those ten years, and has resided in Canada for at least one year immediately preceding the day on which that person’s application is approved; and

(c) every person who

(i) was not a pensioner on July 1, 1977,

(ii) has attained sixty-five years of age, and

(iii) has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which that person’s application is approved for an aggregate period of at least forty years.

 

[28]           Le paragraphe 3(2) indique les personnes auxquelles une pension mensuelle partielle peut être payée :

 

3(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois  :

 

a) ont au moins soixante-cinq ans;

b) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

 

3(2) Subject to this Act and the regulations, a partial monthly pension may be paid for any month in a payment quarter to every person who is not eligible for a full monthly pension under subsection (1) and

(a) has attained sixty-five years of age; and

(b) has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which that person’s application is approved for an aggregate period of at least ten years but less than forty years and, where that aggregate period is less than twenty years, was resident in Canada on the day preceding the day on which that person’s application is approved.

 

[29]           Le demandeur se fonde sur le paragraphe 15(1) de la Charte pour faire valoir que l’article 3 de la Loi est discriminatoire. Le paragraphe 15(1) prévoit ce qui suit :

 

 

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

[30]           Dans la présente affaire, les faits cruciaux sont la date de l’arrivée du demandeur au Canada et celle à laquelle la Charte est entrée en vigueur. Le demandeur est arrivé au Canada le 2 novembre 1979. À cette époque, la SV imposait une condition de résidence préalable de dix ans pour l’octroi d’une pleine pension mensuelle de la SV. La Charte est entrée en vigueur le 17 avril 1982. Le tribunal de révision a indiqué que l’application rétroactive de la Charte était la principale question à trancher. À mon avis, le tribunal de révision a cerné comme il faut cette question car le demandeur invoque les avantages de la Charte à l’appui de sa demande d’une pleine pension mensuelle. La Charte n’était pas en vigueur lorsque la SV a été modifiée en 1977 pour introduire la condition de résidence à remplir pour avoir droit à une pleine pension mensuelle.

 

[31]           Il existe une règle générale selon laquelle une loi n’a pas d’application rétroactive; voir l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301. Dans l’arrêt Stevens, la Cour suprême du Canada a déclaré que la Charte ne s’applique pas rétroactivement.

 

[32]           Dans l’arrêt Benner, la Cour suprême du Canada a traité une fois de plus de la question de la rétroactivité et a statué que la Charte n’a pas d’effet rétroactif. La Cour s’est concentrée sur la question de savoir si une caractéristique susceptible d’attirer les avantages de l’article 15 est un « événement » ou un « statut en cours ». Au paragraphe 45 de l’arrêt, la Cour a décrit la différence entre ces deux statuts :

 

La question consiste donc à caractériser la situation : s’agit-il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s’agit-il simplement d’apprécier l’application contemporaine d’un texte de loi qui a été édicté avant l’entrée en vigueur de la Charte?

 

[33]           La majorité du tribunal de révision a qualifié d’événement la date de l’entrée du demandeur au Canada, c’est-à-dire un événement précis et isolé. Elle a conclu que cet événement ne donnait pas lieu à une application rétroactive de la Charte et que celle-ci ne s’appliquait pas à la plainte du demandeur. Par ailleurs, elle n’était pas tenue d’examiner l’application de l’article 15 en ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle l’article 3 de la SV est discriminatoire.

 

[34]           Au vu de la jurisprudence qu’a citée la majorité, je suis d’avis que cette dernière a interprété et appliqué correctement le droit applicable. Aucune intervention judiciaire n’est justifiée dans sa décision, et la présente demande est rejetée.

 

[35]           En vertu de mon pouvoir discrétionnaire, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.

 


ORDONNANCE

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1351-06

 

INTITULÉ :                                                   JEDRZEJ H. SELL

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 JUIN 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jedrzej H. Sell

(Se représentant lui-même)

 

DEMANDEUR

 

Marcus Davies

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S.O.

 

DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.