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Date : 20071220

Dossier : T-1670-04

 

Référence : 2007 CF 1347

 

ENTRE :

YVON DROLET

Demandeur/

défendeur reconventionnel

 

et

 

STIFTUNG GRALSBOTCHAFT

et

FONDATION DU MOUVEMENT DU GRAAL-CANADA

 

Défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

 

 

 

 

  Requête de la part des défenderesses/demanderesses reconventionnelles :

 

  1. Infirmant la décision du protonotaire du 5 décembre 2007;

  2. Autorisant la Stiftung Gralsbotchaft et la Fondation du mouvement du Graal-Canada à amender leur défense et demande reconventionnelle selon le projet joint à l’annexe A (l’onglet B du présent dossier de requête) en signifiant et déposant une défense et demande reconventionnelle amendée conforme dans les deux (2) jours suivants une décision à intervenir sur la présente requête;

  3. Autorisant le demandeur à amender sa réponse et défense reconventionnelle en signifiant et déposant une réponse et défense reconventionnelle amendée dans les quinze (15) jours suivants la signification de la défense et demande reconventionnelle amendée;

  4. Référant le dossier au protonotaire afin de modifier l’ordonnance relative à la conduite de l’instance du 3 novembre 2006 de manière à fixer un nouvel échéancier en vue de la tenue du procès le 14 avril 2008;

  5. Le tout avec entiers frais et dépens en faveur des défenderesses et demanderesses reconventionnelles.

 

[Articles 51, 75, 76, 77 et 210 des Règles des Cours fédérales]

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE JUGE PINARD

 

  • [1] Il s’agit ici d’un cas où, en tant que juge en révision, je dois me pencher de novo sur la question de la requête des défenderesses/demanderesses reconventionnelles aux fins d’amender leur défense et demande reconventionnelle pour y inclure essentiellement une nouvelle cause d’action en violation de droits d’auteur à l’encontre du demandeur. Comme le confirme l’extrait suivant de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459, semblable modification implique normalement une question déterminante pour l’issue de l’affaire, ce qui nécessite la révision de novo de la décision du protonotaire :

[25] Quand peut-on qualifier une modification de « courante » par opposition à « déterminante »? Il serait imprudent d’essayer de leur donner une classification formelle. Il est de loin préférable de trancher cette question au cas par cas (voir la décision Trevor Nicholas Construction Co. c. Canada (Ministre des Travaux publics), 2003 CFPI 255; [2003] A.C.F. no 357 (1re inst.) (QL), juge O’Keefe, au paragraphe 7, confirmée à 2003 CAF 428; [2003] A.C.F. no 1706 (C.A.) (QL)). Je remarque que la Cour fédérale du Canada a constamment conclu que les modifications susceptibles d’ajouter de nouvelles demandes ou causes d’action sont déterminantes aux fins de l’application du critère formulé dans l’arrêt Aqua-Gem (voir les décisions suivantes : Scannar Industries Inc. (syndic) c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 215 (C.F. 1re inst.), juge Denault, confirmée à [1994] 2 C.T.C. 185 (C.A.F.); Trevor Nicholas Construction Co., précitée; Bande indienne de Louis Bull c. Canada, 2003 CFPI 732; [2003] A.C.F. no 961 (1re inst.) (QL), (juge Snider)).

[26] En l’espèce, l’avocat d’Apotex a émis l’opinion que les modifications proposées sont des modifications courantes puisqu’elles n’introduisent pas un nouveau moyen de défense : elles ne font qu’ajouter des faits subsidiaires à l’appui d’un moyen de défense existant fondé sur l’absence de contrefaçon. Par ailleurs, l’avocat des appelantes invite la Cour à conclure que les modifications proposées étaient déterminantes puisqu’elles visaient la rétractation d’un aveu susceptible d’avoir une incidence importante sur l’issue de l’affaire et l’introduction d’un nouveau moyen de défense.

 

[27] Je suis d’avis que les modifications proposées s’éloignent considérablement de la position qu’avait fait valoir jusqu’à présent Apotex dans ses actes de procédure. Son moyen de défense fondé sur l’absence de contrefaçon reposait essentiellement sur les faits suivants : elle avait acquis le lisinopril avant la délivrance du brevet ‘350, le 16 octobre 1990, et elle l’avait fait conformément à la licence obligatoire délivrée à son fournisseur, Delmar. Apotex a toujours admis, dans les présents actes de procédure et autres procédures, qu’il y aurait eu violation du brevet ‘350 si ces faits n’avaient pas existé. L’interprétation du brevet et la composition chimique du lisinopril n’ont jamais été contestées.

 

[28] Il est évident que les modifications proposées ajouteraient un moyen de défense entièrement nouveau à la défense qui toucherait le cœur de la revendication du brevet ‘350 et commanderait des preuves d’experts, lesquelles n’auraient pas pu être prévues par les appelantes au stade des interrogatoires préalables, vu les aveux déjà faits dans les actes de procédure et les procédures. Elles sont, à mon avis, déterminantes pour l’issue de l’affaire. La révision de novo de la décision du protonotaire était par conséquent justifiée et le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’elle ne l’était pas. Je dois donc exercer de novo le pouvoir discrétionnaire que le juge de première instance n’a pas exercé.

 

 

  • [2] Le contexte pertinent à la requête pour amender est bien résumé dans la décision en cause du protonotaire, chargé de la gestion de l’instance :

[4] Le débat qui existe présentement entre les parties et pour lequel un procès de dix (10) jours doit se tenir à compter du 14 avril 2008, donc dans moins de quelques mois, touche une cause d’action différente de celle que veut introduire la défense amendée.

[5] Présentement, en effet, une publication projetée d’une nouvelle édition du demandeur amène les parties à s’affronter quant à la validité et à la contrefaçon de différentes marques de commerce enregistrées et détenues par les défenderesses à l’égard de l’œuvre littérale dont serait tirée la nouvelle édition du demandeur. Le litige présent en est donc un en tout premier lieu en marques de commerce. Toute référence à la question de droits d’auteur se limite à établir que les droits d’auteur dans l’œuvre originale sont maintenant dans le domaine public depuis 1991. Ainsi, bien que le volet droits d’auteur soit présent en ce sens aux plaidoiries écrites, il n’avait pas retenu l’attention des parties, et spécialement celle des défenderesses avant la mi-octobre 2007, pour en faire une attaque inter partes en plagiat.

 

[6] Voilà qui est le cas toutefois par la défense amendée, et ce, en raison du fait que le représentant des défenderesses aurait été requis à la mi-octobre 2007 par ses procureurs de procéder à une analyse comparative entre la traduction de l’œuvre des défenderesses et la traduction effectuée par le demandeur dans le cadre de son édition.

 

 

  • [3] Le demandeur reproche aux défenderesses/demanderesses reconventionnelles leur négligence et leur retard indu en regard du dépôt de leur requête pour amender. Le demandeur plaide que permettre d’amender la défense, à ce stage, lui causerait un sérieux préjudice, vu le fort risque de report du procès déjà fixé que cela entraînerait.

 

  • [4] Pour sa part, le protonotaire note justement que « le concours de circonstances ayant amené le représentant des défenderesses à l’étude comparative qu’il dit avoir entreprise arrive à une période très tardive ». Le protonotaire a aussi raison de conclure que « [c]eci démontre une négligence certaine dans le dossier quant à l’évaluation des recours possibles des défenderesses, d’autant plus qu’un autre volet en droits d’auteur (le fait que les droits d’auteur sur l’œuvre originale soient dans le domaine public) ait déjà été revu par les défenderesses au moment de la production de leur défense ».

  • [5] Le protonotaire fait enfin écho aux représentations du demandeur voulant que « les faits, les questions de droit et expertises que la défense amendée entraînera ne pourront être revus et mis en place dans le peu de temps disponible avant le procès vu, d’autant plus, les autres étapes ou obligations qui découlent déjà de l’ordonnance de cette Cour du 3 novembre 2006 » et que les défenderesses/demanderesses reconventionnelles peuvent toujours faire valoir leur droit d’action en violation de droits d’auteur contre le demandeur dans une procédure distincte.

 

  • [6] Pour ma part, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’un simple report du procès qui doit débuter le 14 avril 2008 lui causera un préjudice qui ne puisse être compensé par des dépens. Un report possible de quelques semaines, voire quelques mois, lui causera certes des inconvénients, mais cela n’est pas suffisant, selon la jurisprudence applicable, pour ne pas accorder la requête pour amender. Dans Visx Inc. c. Nidek Co., [1998] A.C.F. no 1766, 234 N.R. 94, au paragraphe 1, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Sexton, a clairement énoncé le droit applicable en la matière :

 Le présent appel a été interjeté dans le cadre d'interminables procédures interlocutoires dans une action en brevet qui a été entamée il y a plus de quatre ans. L'appelante interjette appel d'une ordonnance par laquelle la Cour lui a refusé le droit de modifier sa défense et demande reconventionnelle. Il convient de noter que la défenderesse a déjà modifié sa défense à au moins cinq reprises. Nous estimons que l'appelante a eu amplement l'occasion de présenter ses conclusions et nous déplorons les retards qui se sont produits. Quoi qu'il en soit, il nous faut tenir compte de l'arrêt Meyer c. Canada, (1985), 62 N.R. 70 (C.A.F.), à la page 72, dans lequel la Cour a souscrit à l'extrait suivant de la décision Steward v. North Metropolitan Tramways Co., (1886), 16 Q.B.D. 556 :

 

 [Traduction]

 Dans un cas comme celui-là, la Cour doit avoir pour règle de conduite que, quelque négligente ou insouciante qu'ait été la première omission, et quelque tardive que soit la modification proposée, celle-ci devrait être autorisée si elle peut être apportée sans qu'il en résulte une injustice pour la partie adverse. Il n'y a pas d'injustice si la partie adverse peut être indemnisée au moyen d'une adjudication de dépens; cependant, si la modification aurait pour effet de placer la partie adverse dans une position telle qu'elle doive subir un préjudice, elle ne doit pas être faite.

 

Notre Cour a cité et approuvé cette décision dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Canderel Ltd., (1993), 157 N.R. 380 (C.A.F.).

  (C’est moi qui souligne.)

 

 

  • [7] En l’espèce, je suis d’avis, à l’instar du protonotaire, que les défenderesses/demanderesses reconventionnelles auraient pu agir beaucoup plus tôt et que leur négligence risque fort d’entraîner un report du procès. Toutefois, comme je l’ai souligné, le demandeur ne m’a pas satisfait qu’accorder la requête pour amender lui causerait un préjudice qui ne puisse être remédié par l’octroi de dépens appropriés. À mon sens, l’imposition des conditions suivantes m’apparaît constituer un remède approprié :

  • - Permettre aux parties de procéder à des interrogatoires additionnels relativement aux amendements permis, les frais reliés à ces interrogatoires additionnels devant tous être supportés par les défenderesses/demanderesses reconventionnelles, quelle que soit l’issue de la cause, et devenant payables dès leur taxation;

  • - Ordonner que les coûts reliés à la requête pour amender devant le protonotaire et ceux reliés au présent appel de sa décision soient tous à la charge des défenderesses/

demanderesses reconventionnelles, quelle que soit l’issue de la cause, ces frais devenant payables dès leur taxation.

 

  • [8] Dans ces conditions, la tenue d’un seul procès à moyen terme, permettant au même juge de considérer le fond du litige de propriété intellectuelle complet entre les parties, m’apparaît mieux servir l’intérêt de la justice que la tenue de deux procès distincts, un à plus court terme pour considérer le litige sur les marques de commerce, et l’autre à plus long terme, pour considérer le litige sur les droits d’auteur.

 


ORDONNANCE

 

  • [9] En conséquence, il est ordonné ce qui suit :

 

  1. La décision du protonotaire, en date du 5 décembre 2007, est annulée.

 

  1. Les défenderesses/demanderesses reconventionnelles sont autorisées à amender leur défense et demande reconventionnelle selon le projet joint à l’annexe A (l’onglet B de leur présent dossier de requête) en signifiant et déposant une défense et demande reconventionnelle amendée conforme dans les deux (2) jours suivants la communication à leur être faite de la présente décision.

 

  1. Le demandeur est autorisé à amender sa réponse et défense reconventionnelle en signifiant et déposant une réponse et défense reconventionnelle amendée dans les quinze (15) jours suivants la signification de la défense et demande reconventionnelle amendée.

 

  1. Il est permis aux parties de procéder à des interrogatoires additionnels en rapport avec les amendements ci-dessus autorisés, les frais en résultant devant tous être à la charge des défenderesses/demanderesses reconventionnelles, quelle que soit l’issue de la cause et payables dès leur taxation.

 

  1. Le dossier est retourné au protonotaire afin qu’il puisse modifier son ordonnance du 3 novembre 2006, relative à la conduite de l’instance, de manière à fixer un nouvel échéancier en vue de la tenue du procès, si possible, à la date prévue du 14 avril 2008, et si cela s’avère impossible, à une date ultérieure aussi rapprochée que possible.

 

  1. Les frais de la requête pour amender devant le protonotaire et ceux du présent appel sont tous adjugés à l’encontre des défenderesses/demanderesses reconventionnelles, quelle que soit l’issue de la cause, et sont payables dès leur taxation.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

OTTAWA (Ontario)

Le 20 décembre 2007

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-1670-04

 

INTITULÉ :  YVON DROLET c. STIFTUNG GRALSBOTCHAFT et FONDATION DU MOUVEMENT DU GRAAL-CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 17 décembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :  Le 20 décembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Claudette Dagenais

 

 

POUR LE DEMANDEUR/

DÉFENDEUR RECONVENTIONNEL

Me Pascal Lauzon

 

 

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMAN-

DERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Dagenais Jacob

Montréal (Québec)

 

BCF LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR/

DÉFENDEUR RECONVENTIONNEL

 

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMAN-

DERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

 

 

 

 

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