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Date : 20071102

Dossier : T-509-07

Référence : 2007 CF 1140

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 2 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

JEFFREY CHEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demande de citoyenneté présentée par M. Chen a été rejetée. La juge de la citoyenneté (la juge) a conclu qu’il ne remplissait pas la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), et qu’il n’avait pas centralisé son mode de vie au Canada. M. Chen a interjeté appel de cette décision et soutient que la juge a manqué aux principes d’équité procédurale et a commis une erreur dans son application du critère « mode d’existence centralisé ». M. Chen ne m’a pas convaincue du bien‑fondé de ses deux arguments. Par conséquent, son appel sera rejeté.

I.   Les faits

[2]               M. Chen est un citoyen de la Chine âgé de 34 ans. Le 5 décembre 1999, il a obtenu le statut de résident permanent au Canada. Il est retourné en Chine le 3 janvier 2000. Le 19 avril 2000, il est revenu au Canada, mais il est retourné en Chine le 26 juin. En septembre 2000, il a entrepris des études à la Faculté de droit de l’Université de la Colombie‑Britannique (la UBC). Au cours de ses études, il est retourné en Chine fréquemment, tant pour des raisons personnelles que pour des raisons d’affaires.

 

[3]               Après avoir obtenu son diplôme en droit, en avril 2003, M. Chen a fait son stage chez Remedios and Company, un cabinet d’avocats à Vancouver. Au cours de cette période, il est retourné deux fois en Chine. Le 26 janvier 2004, il a présenté sa demande de citoyenneté et a déclaré s’être rendu neuf fois en Chine (402 jours à l’étranger) durant la période pertinente. Il a terminé son stage en mai 2004 et est retourné en Chine le 3 juin. Il est membre de la British Columbia Law Society.

 

[4]               Le 28 mai 2006, M. Chen a remis le Questionnaire sur la résidence (le Questionnaire) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ainsi que des pièces justificatives. Le 8 décembre 2006, la juge a examiné le dossier de M. Chen. Elle a décelé des écarts quant aux absences du Canada entre celles inscrites dans son questionnaire et celles de sa demande. Elle a recalculé les jours d’absence du demandeur et lui a accordé six autres jours de présence au Canada; il lui manquait donc 31 jours pour respecter le nombre de jours exigé. Vu que M. Chen ne remplissait pas la condition minimale de résidence et que [traduction] « son manquement à l’exigence pouvait être considéré comme insignifiant », la juge a estimé nécessaire de lui accorder une entrevue personnelle.

 

[5]               M. Chen s’est présenté à l’entrevue le 23 janvier 2007. Le 29 janvier, la juge a rejeté sa demande parce qu’il ne remplissait pas la condition de résidence. Elle a conclu que M. Chen n’avait pas centralisé son mode de vie au Canada.

 

II.   Les dispositions légales

[6]               L’alinéa 5(1)c) de la Loi prévoit, entre autres, que le demandeur doit avoir résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. Le paragraphe 5(1) précise ce qui suit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

(a) makes application for citizenship;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

 

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

III.   La norme de contrôle

[7]               Selon la jurisprudence dominante, la norme de contrôle qu’il faut appliquer pour trancher la question de savoir si le demandeur remplit la condition de résidence prévue par la Loi est la décision raisonnable; voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472; Rizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641; Morales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 284 (C.F.); Tshimanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1579; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85; Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536; Tulupnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439; Farrokhyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 697; Farschi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 487.

 

[8]               La Loi prévoit un droit d’appel devant la Cour. Certaines de ses dispositions posent le cadre et les conditions particulières en vertu desquels la citoyenneté est accordée. L’objectif n’est pas polycentrique. La question à trancher est une question mixte de fait et de droit. Il faut faire preuve de retenue judiciaire envers les connaissances spécialisées qu’utilise le juge de la citoyenneté pour décider si le demandeur a rempli la condition de résidence, pourvu que le juge fasse montre d’une compréhension du droit et de l’application du critère juridique. Je souscris aux décisions rendues dans la jurisprudence susmentionnée, soit que la mise en balance de ces facteurs aboutit à la décision raisonnable comme norme de contrôle.

 

[9]               L’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique pas aux questions d’équité procédurale. En général, une décision est infirmée dans les cas où il y a eu un manquement aux principes d’équité procédurale.


IV.   Analyse

[10]           Même si M. Chen avait soulevé la question de la partialité dans ses observations écrites, il a décidé de ne pas invoquer cet argument à l’audience. Par conséquent, je n’en parlerai pas. L’allégation qu’il avait soulevée selon laquelle la juge avait manqué aux principes d’équité procédurale se trouve dans son affidavit où il a affirmé avoir été informé au début de son entrevue qu’il ne pouvait pas acquérir la citoyenneté canadienne parce qu’il avait été accusé de voies de fait en 2003. Il soutient que vu que l’accusation avait été rétractée, elle ne pouvait pas être le motif justifiant le rejet de sa demande de citoyenneté canadienne. Je suis d’accord.

 

[11]           Il est clair que l’accusation a fait l’objet de discussion durant l’entrevue avec M. Chen, parce que la juge en a fait mention dans ses notes d’entrevue (dossier du tribunal, pages 23 et 25). Or, elle n’a pas mentionné l’accusation dans ses motifs de décision. Les motifs exposés pour justifier le rejet de la demande sont convaincants et détaillés et attestent un examen complet et une application détaillée des facteurs énoncés dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.). Rien dans les motifs de la juge ne laisse supposer qu’elle a tenu compte de l’accusation de voies de fait ou qu’elle s’est fondée ou s’est penchée sur cette accusation pour décider si M. Chen respectait le critère reposant sur la centralisation du mode d’existence. En l’absence de tout élément révélant que l’accusation de voies de fait constituait un facteur dans la décision de la juge et vu que les motifs détaillés fournis par la juge confirment qu’elle n’en constituait pas un, j’ai conclu que l’accusation n’était pas un facteur. Par conséquent, cet argument n’est pas fondé.

 

[12]           Le deuxième argument avancé par le demandeur, soit que la juge a mal appliqué le critère relatif à la centralisation du mode d’existence, est également non fondé. M. Chen n’accepte pas la conclusion de la juge et c’est son droit. Cependant, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve pour en arriver à une conclusion qui lui conviendrait. La question est de savoir si la juge a commis une erreur susceptible de contrôle dans le cadre de son évaluation de la preuve et de son application du critère.

 

[13]           Le point capital des affirmations de M. Chen est que la juge a tenu compte de faits qui ne s’étaient pas produits pendant la période prescrite pour le calcul visant à déterminer s’il remplissait la condition de résidence. En évoquant les facteurs exposés dans la décision Re Koo, la juge a conclu ce qui suit :

 

La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter pour la première fois? La plupart des absences sont-elles récentes et la personne s’est‑elle absentée juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

•           M. Chen s’est absenté pour la première fois peu de temps après son arrivée au Canada et il a continué à s’absenter durant la période pertinente et ultérieurement.

•           M. Chen avait un visa d’étudiant lorsqu’il est arrivé au Canada le 6 septembre 1999. Le 17 septembre, il est retourné en Chine. Il a déclaré s’être absenté en raison de l’état de santé de son père. Il est resté en Chine jusqu’au 19 avril 2000, exception faite d’un bref retour au Canada en vue d’obtenir son droit d’établissement comme résident permanent le 5 décembre 1999. Il a commencé ses études en droit à la UBC à l’automne 2000, où il a étudié jusqu’en avril 2003, mais il s’est absenté plusieurs fois pour se rendre en Chine pendant ses vacances. Il a fait son stage chez Remedios and Company de mai 2003 à mai 2004. Pendant cette période, il a effectué deux voyages d’affaires en Chine.

•           Au cours de la période pertinente de quatre ans, M. Chen s’est rendu neuf fois en Chine pour un total de 396 jours, ce qui fait en moyenne 44 jours par voyage. Son plus long retour en Chine a été du 24 avril 2001 au 2 septembre 2001, ce qui équivaut à 133 jours, pour occuper un emploi d’été auprès de son ancien employeur, le cabinet d’avocats de Baker McKenzie.

•           Après avoir terminé son stage, M. Chen est retourné en Chine et il est là depuis lors, exception faite de deux brèves visites au Canada afin de passer son examen pour l’obtention de la citoyenneté le 13 février 2006 et de se présenter à son entrevue le 23 janvier 2007.

 

Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du demandeur?

•           Ses parents habitent en Chine, il n’a pas de sœurs ni de frères et il est divorcé. Il n’a pas de famille au Canada. Par conséquent, il a des liens familiaux importants en Chine, mais n’en a pas au Canada.

 

La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle qu’elle revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

•           La présence physique de M. Chen fait davantage penser à celle d’un visiteur qu’à celle d’une personne qui s’est établie au Canada.

-                     Il est retourné en Chine six fois pendant ses vacances lorsqu’il était étudiant à la UBC.

-                     Après avoir terminé son stage, il est retourné en Chine et y a passé le plus gros de son temps depuis lors.

-                     Bien qu’il ait déclaré deux fois reprendre sa carrière d’avocat au Canada, cela ne s’est pas encore produit.

-                     M. Chen n’a pas de foyer ni de liens sociaux au Canada.

 

Quelle est l’étendue des absences physiques?

•           Le nombre total possible de jours de résidence est 1460; le demandeur en a accumulé 1064, ce qui veut dire qu’il a été absent pendant 396 jours. Il lui manquait donc seulement 31 jours.

•           M. Chen s’est absenté pour diverses raisons (famille, santé, vacances, emploi d’été, mariage d’un ami et voyage d’affaires). Certains de ces voyages dépendaient uniquement de lui, par exemple ceux faits pour ses vacances.

 

L’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire?

•           Les absences de M. Chen sont structurelles et ne sont pas imputables à une situation temporaire. Elles ne sont pas liées à une urgence humanitaire, à un programme d’études particulier, à l’affectation par le gouvernement du Canada à des responsabilités à l’étranger ou à l’affectation temporaire par une société canadienne à des responsabilités à l’étranger. Elles sont plutôt liées à des choix sur les plans personnel, de la santé ou autre.

 

Quelle est la qualité des attaches du demandeur avec le Canada? Sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

•           Les attaches de M. Chen avec le Canada sont beaucoup moins importantes que ses attaches avec la Chine. Il a fait ses études au Canada en tant qu’immigrant admis et il avait droit aux frais de scolarité préférentiels. Pendant et après ses études, il a démontré peu d’attaches avec le Canada.

•           Durant la période pertinente de quatre ans, il a effectué plusieurs déplacements entre la Chine et le Canada. Après avoir présenté sa demande de citoyenneté, ses liens avec la Chine se sont accrus et il avait peu d’attaches avec le Canada.

 

[14]           M. Chen a raison de dire que la juge a mentionné des absences qui avaient eu lieu hors de la période pertinente. Cependant, à mon avis, ces remarques n’ont eu aucune conséquence. M. Chen n’avait pas accumulé le nombre total requis de jours de résidence et il ne soutient pas le contraire. Sa demande de citoyenneté aurait pu être rejetée uniquement pour ce motif. Toutefois, la juge a décidé d’examiner ses antécédents quant à sa résidence afin de pouvoir déterminer s’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. Si cela avait été le cas, conformément à un courant jurisprudentiel établi, la juge aurait pu compter ses absences du Canada comme des jours de présence au pays. Malheureusement, la juge n’a pas pu conclure qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada.

 

[15]           En mentionnant des absences hors de la période pertinente, la juge ne faisait que placer la demande de M. Chen dans son contexte. Rien dans ce contexte général ne permettait d’arriver à une conclusion différente de celle tirée à l’égard de la période pertinente. La juge se réfère souvent à la période pertinente de quatre ans dans son évaluation du respect de la condition de résidence. Au bout du compte, elle n’a pas pu conclure que M. Chen avait centralisé son mode d’existence au Canada durant cette période. Elle a conclu qu’il était venu au Canada pour faire ses études et devenir avocat, un point c’est tout. L’examen du contexte général n’a pas aidé M. Chen.

 

[16]           Une décision raisonnable est une décision dans laquelle un mode d’analyse étaye raisonnablement la conclusion tirée : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247. Les motifs exposés par la juge pour étayer sa décision peuvent résister à un examen assez poussé. Par conséquent, l’argument de M. Chen n’est pas fondé.

 

[17]           Il reste une question à trancher. À l’audience, M. Chen a présenté sans préavis une demande au titre des dépens. Cette demande n’était pas comprise dans son acte de procédure et elle n’était pas mentionnée dans son dossier. Par conséquent, même si son appel avait été accueilli, aucuns dépens n’auraient été adjugés. La façon dont M. Chen a présenté sa demande était inappropriée et inacceptable.

 

[18]           Pour les motifs exposés précédemment, l’appel de M. Chen sera rejeté.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-509-07

 

INTITULÉ :                                                   JEFFREY YU CHEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er novembre 2007

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   La juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wong Pederson Law Offices

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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