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Date : 20070706

Dossier : IMM-5258-06

Référence : 2007 CF 726

ENTRE :

JOAO CARLOS RIBEIRO LARANJO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

[1]               Le demandeur, Joao Carlos Ribeiro Laranjo, est de nationalité portugaise. Il est né en 1959. Il a immigré au Canada avec ses parents en 1961. Il avait le statut de résident permanent, mais il n’a jamais acquis la citoyenneté canadienne.

 

[2]               En 1981, le demandeur a été reconnu coupable de meurtre au premier degré pour l’agression sexuelle et l’assassinat d’une auto-stoppeuse. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle durant 25 ans. Il avait déjà été reconnu coupable d’infractions liées à l’alcool, de fraude, de vol et de voies de fait. Durant son incarcération, il a, semble-t-il, reconnu son implication dans deux agressions sexuelles antérieures. Il n’a pas été reconnu coupable de ces deux autres infractions.

[3]               En 1983, une mesure d’expulsion avait été prise contre le demandeur en raison de son casier judiciaire. La même année, il avait fait appel devant l’ancienne Commission d’appel de l’immigration de la mesure d’expulsion prononcée contre lui. Peu après, il s’était désisté de son appel. Selon la législation sur l’immigration en vigueur à cette époque, l’ancienne Commission d’appel de l’immigration avait le pouvoir discrétionnaire de faire droit à son appel ou de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, compte tenu de l’ensemble des circonstances de son cas : Loi sur l’immigration de 1976, L.C. 1976-77, ch. 52, article 72.

 

[4]               En raison de la mesure d’expulsion et du retrait de l’appel interjeté contre cette mesure, le demandeur a perdu son statut de résident permanent au Canada.

 

[5]               À la fin de 1991, alors qu’il était encore incarcéré et frappé d’une mesure d’expulsion, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. Son épouse était agente correctionnelle lorsqu’ils se sont rencontrés. Selon le dossier du tribunal, elle a apporté un soutien au demandeur tout au long de leur relation.

 

[6]               En 2006, le demandeur a obtenu une libération conditionnelle.

 

[7]               Les parents du demandeur, ses frères et sœurs, son épouse et d’autres proches vivent au Canada. Il travaillait auparavant dans le verger de ses parents. Il a été employé comme ouvrier agricole. Durant son incarcération, il travaillait comme soudeur et transformateur de métaux. Il a été bénévole dans un magasin d’aubaines et il connaît bien la technique du vitrail.

 

[8]               En janvier 2006, le demandeur s’est vu remettre un rapport d’examen des risques avant renvoi qui lui était défavorable. D’après le dossier, il n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[9]               Le 26 janvier 2006, le demandeur a déposé, conformément à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée le 12 septembre 2006. C’est contre cette décision défavorable que le demandeur a introduit la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

Analyse

 

[10]           Le demandeur soulève quatre points.

 

[11]           Au cours de l’audition de la présente affaire, l’avocate du demandeur a abandonné, à juste titre selon moi, un cinquième point où il était allégué que la décision contestée constituait « un avis déguisé de dangerosité ».

 

[12]           Le demandeur a également souscrit à l’avis du défendeur selon lequel la norme de contrôle applicable à la décision de rejeter sa demande fondée sur l’article 25 est celle de la décision raisonnable. Les points soulevés dans la présente instance qui concernent la Charte canadienne des droits et libertés sont des questions de droit.

 

[13]           Le demandeur affirme d’abord que la mesure d’expulsion prise contre lui enfreint les droits que lui confère l’article 7 de la Charte, parce qu’il serait privé des programmes de la Commission nationale des libérations conditionnelles pendant la durée de son emprisonnement à perpétuité.

 

[14]           Le fondement factuel du premier argument du demandeur est simple. Il est aujourd’hui en liberté conditionnelle, mais il fait toujours l’objet d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. Par conséquent, il dit qu’il a droit aux programmes de la Commission nationale des libérations conditionnelles et que, s’il est privé de l’accès à ces programmes, il en résultera une atteinte aux droits que lui garantit l’article 7 de la Charte.

 

[15]           L’alinéa 50b) de la LIPR prévoit qu’il y a sursis d’exécution de la mesure de renvoi tant que n’est pas purgée la peine d’emprisonnement infligée au Canada à l’étranger. Cependant, pour l’application de l’alinéa 50b) de la LIPR, la peine d’emprisonnement du délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle est réputée être purgée, en application du paragraphe 128(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 :

128.

 

[…]

 

(3) Pour l’application de l’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés […], la peine d’emprisonnement du délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle d’office […] est, […] réputée être purgée […]

128.

 

 

(3) … for the purposes of paragraph 50(b) of the Immigration and Refugee Protection Act …, the sentence of an offender who has been released on parole, … is deemed to be completed ….

 

 

 

Pour l’application de cette loi, la libération conditionnelle comprend la semi-liberté.

 

[16]           Je suis également d’avis que l’invocation par le demandeur de l’article 7 de la Charte est hors de propos.

 

[17]           Même si le demandeur a établi que la mesure d’expulsion prise contre lui fait intervenir l’article 7, un point qu’il ne m’est pas nécessaire de décider, le fait de mettre effectivement fin à son droit de demeurer au Canada ne va nullement à l’encontre de la justice fondamentale : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, paragraphe 27 :

[…] L’une des conditions auxquelles le législateur fédéral a assujetti le droit d’un résident permanent de demeurer au Canada est qu’il ne soit pas déclaré coupable d’une infraction punissable d’au moins cinq ans de prison […] [Ces personnes] ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu’il leur soit permis de demeurer au Canada. En pareil cas, mettre effectivement fin à leur droit d’y demeurer ne va nullement à l’encontre de la justice fondamentale. Dans le cas du résident permanent, seule l’expulsion permet d’atteindre ce résultat […] Point n’est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au-delà de ce seul fait, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

 

 

[18]           Pareillement, s’agissant du demandeur, la privation de l’accès aux programmes de réadaptation ne transgresse pas « un principe juridique à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice » : R. c. Malmo-Levine, 2003 CSC 74, paragraphe 113.

 

[19]           Finalement, il serait pour le moins surprenant que le demandeur, condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité, puisse avoir, selon l’article 7 de la Charte, des droits supérieurs à ceux d’une personne dans le même cas que le sien qui a terminé de purger une peine plus courte de cinq, dix ou vingt ans ou, comme dans l’espèce Chiarelli, une peine de six mois.

 

[20]           Le paragraphe 128(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition répond intégralement, selon moi, aux conséquences absurdes que l’on obtiendrait si l’on pouvait dire que le demandeur, à cause de sa peine d’emprisonnement à perpétuité, a des droits fondamentaux plus élevés que ceux d’une personne dans le même cas que lui qui a purgé intégralement une peine d’emprisonnement de vingt ans. Le demandeur reconnaît que la constitutionnalité du paragraphe 128(3) n’est pas en cause dans la présente instance.

 

[21]           Le deuxième point que fait valoir le demandeur est que, en tant qu’immigrant qui a passé la quasi-totalité de sa vie au Canada, il devrait bénéficier d’une protection contre une mesure d’expulsion, par interprétation de la LIPR d’une manière conforme aux obligations internationales du Canada et aux autres instruments internationaux en matière de droits de la personne.

 

[22]           Ici, le demandeur invoque l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ») et l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »).

 

[23]           Le demandeur reconnaît que, à toutes fins, l’article 12 de la Charte (« Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ») reprend les dispositions des deux instruments internationaux qu’il invoque.

 

[24]           La Cour suprême du Canada a confirmé que l’expulsion n’est pas une peine : arrêt Chiarelli, précité, paragraphe 29. On ne saurait dire non plus que l’expulsion d’une personne telle que le demandeur porte atteinte aux normes de la décence : arrêt Chiarelli, paragraphe 31.

 

[25]           Selon moi, le demandeur n’a pas établi que son cas ne peut pas être assimilé à l’espèce Chiarelli ni que le fait pour lui d’être privé de services de réadaptation constitue une peine, encore moins une peine qui s’inscrit dans les paramètres de l’article 12.

 

[26]           Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme invoquée par le demandeur peut être écartée, pour les raisons énoncées aux paragraphes 75 à 79 de l’exposé complémentaire des arguments du défendeur.

 

[27]           Le troisième point soulevé par le demandeur est que l’agent d’immigration n’a pas considéré les conséquences de son expulsion vers le Portugal, l’État destinataire.

 

[28]           Le demandeur invoque une directive contenue dans le Manuel des politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles. On peut y lire que, lorsqu’ils examinent des cas à des fins d’expulsion, « les membres de la Commission doivent tenir compte des critères touchant le risque inacceptable pour la société (pas uniquement la société canadienne) et la réinsertion sociale du délinquant ».

 

[29]           Je rappelle que, aux fins de l’expulsion, la peine d’emprisonnement imposée au demandeur est réputée être purgée. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a signalé aucune disposition légale ou réglementaire imposant à l’agent d’immigration, dont la décision est ici contestée, une obligation semblable à celle qui est imposée par la directive ci-dessus aux membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

 

[30]           Encore une fois, il serait surprenant que, parmi les facteurs d’évaluation de la demande d’un trafiquant de drogue récidiviste, par exemple, qui sollicite depuis le Canada un visa de résident permanent, un agent d’immigration soit tenu de prendre en considération les conséquences de l’octroi d’un tel visa sur la société du pays d’origine du demandeur. Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la Directive IP 5 intitulée Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (la Directive), dont sa section 11.3.

 

[31]           Finalement, le demandeur n’a soulevé, dans ses conclusions écrites ou orales, aucun point nouveau propre à étayer son quatrième argument selon lequel la décision de l’agent d’immigration de ne pas faire droit à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était déraisonnable. Après examen du dossier du tribunal, de la Directive et de la décision de l’agent d’immigration, je suis d’avis qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’a été établie.

 

[32]           Pour conclure, comme l’avocate du demandeur le disait dans ses conclusions présentées en réponse, le cœur de son argument est que l’expulsion du demandeur porterait atteinte à ses droits garantis par la Charte, en le privant de services de réadaptation. Pour les motifs susmentionnés, je ne partage pas ce point de vue. Le renvoi dans son pays d’origine d’une personne qui a passé la quasi-totalité de sa vie au Canada est le résultat d’un principe adopté par le législateur. La constitutionnalité des dispositions applicables de la LIPR qui établissent ce principe n’a pas été contestée dans la présente instance.

 

[33]           Eu égard à l’issue de la présente instance, il n’est pas nécessaire d’étudier l’argument du défendeur pour qui la Cour n’avait pas compétence pour se prononcer sur les arguments du demandeur fondés sur la Charte, et pour qui le demandeur n’a pas signifié l’avis de question constitutionnelle comme l’y obligeait l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. En tout état de cause, il n’allait pas de soi que ces deux arguments étaient fondés, compte tenu des circonstances de la présente affaire.

 

[34]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Comme je l’ai dit au cours de l’audience, l’avocate du demandeur aura sept jours à compter de la date des présents motifs pour proposer que soit certifiée une question grave. Le défendeur aura trois jours à compter de la date de signification des conclusions du demandeur pour déposer une réponse.

 

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5258-06

 

INTITULÉ :                                                   JOAO CARLOS RIBEIRO LARANJO

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 30 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Fiona Begg

 

POUR LE DEMANDEUR

Caroline Christiaens

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fiona Begg

Avocate

134, rue Abbott, bureau 501

Vancouver (C.-B.)

V6B 2K4

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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