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Date : 20080314

Dossier : IMM-2347-07

Référence : 2008 CF 348

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

PATRICK KADIMA WA KABONGO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Wa Kabongo, né en 1981, est un citoyen de la République démocratique du Congo (la RDC). Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), datée du 26 avril 2007.

 

[2]               Le demandeur a résidé à Kinshasa de 1993 à 1998 avec sa mère d’origine rwandaise (tutsie) et son père d’origine congolaise. Ses parents ont alors fui la situation qui se détériorait afin d’aller vivre à Goma, une ville située dans la région du Nord-Kivu (à la frontière rwandaise). M. Wa Kabongo est resté chez son oncle paternel à Kinshasa afin de terminer ses études. Le demandeur allègue qu’en 2001, il a été renvoyé de l’université et on lui a interdit de fréquenter l’établissement de nouveau en raison de sa participation à des manifestations contre l’augmentation des frais de scolarité. Il est allé vivre chez ses parents à Goma, où ces derniers dirigeaient un camp en vue d’aider les réfugiés rwandais. Lorsque des fusils ont été trouvés dans le camp en octobre 2005, le demandeur et ses parents ont été arrêtés, battus et emprisonnés. L’oncle du demandeur a par la suite obtenu sa libération en versant un pot-de-vin. Le demandeur s’est alors enfui au Canada, où il est arrivé le 3 février 2006, et a présenté une demande d’asile le même jour.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

 

[3]               Selon la SPR, le récit du demandeur manquait de crédibilité sur un bon nombre de points, notamment :

·        Il manquait d’éléments de preuve médicale objective concernant les blessures qu’aurait subies M. Wa Kabongo pendant qu’il était emprisonné.

·        Il existait des doutes quant à savoir pourquoi M. Wa Kabongo aurait rejoint ses parents dans le Nord-Kivu, vu la situation politique chaotique dans cette région et le fait qu’il devait y avoir une éruption volcanique.

·        Aucune explication crédible n’a été donnée quant à l’absence d’éléments de preuve sur les tentatives faites par le demandeur en vue de trouver ses parents.

·        Il manquait d’éléments de preuve permettant d’établir que M. Wa Kabongo subirait de la persécution fondée sur l’ethnie tutsie de sa mère.

·        M. Wa Kabongo n’a pas demandé l’asile dans les pays par lesquels il a transité, notamment le Royaume-Uni et les États-Unis.

 

 

[4]               Par conséquent, la SPR a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

 

Questions en litige

 

[5]               À l’audience, les questions soulevées par le demandeur étaient de savoir si la SPR avait commis une erreur en omettant d’évaluer le risque objectif auquel il serait exposé s’il retournait en RDC, en raison de sa nationalité rwandaise héritée de sa mère et du traitement réservé aux personnes expulsées retournant au pays, qui sont soupçonnées d’avoir critiqué le gouvernement congolais alors qu’elles se trouvaient à l’étranger. La question de savoir si la SPR avait correctement évalué les risques au regard des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), a été retirée lors de la plaidoirie.

 

Arguments et analyse

 

[6]               La présente affaire a été entendue avant que l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, ne soit rendu par la Cour suprême du Canada. Avant cet arrêt, la Cour avait généralement convenu des normes de contrôle applicables aux décisions de la SPR. Les conclusions de fait étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, les conclusions de fait et de droit étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter et les pures erreurs de droit étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, [1998] A.C.S. no 46.

 

[7]               L’arrêt Dunsmuir a pour effet de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité. De plus, selon l’arrêt, lorsque la nature de la décision faisant l’objet du contrôle a été examinée de façon approfondie pour l’établissement de la norme applicable, les décisions subséquentes peuvent se fonder sur cette norme. En appliquant ces principes, je conclus que les décisions de la SPR, sauf lorsqu’elles portent sur de pures questions de droit, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[8]               Le demandeur soutient que la SPR devait évaluer le risque objectif auquel serait exposé un membre du groupe auquel il appartenait, même si elle était d’avis que son récit en tant que tel n’était pas crédible : Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130, [1999] A.C.F. no 694. Il était possible de reconnaître le nom de la mère du demandeur qui figurait sur la carte d’identité de ce dernier comme étant de nationalité rwandaise. La commissaire a tenu compte de la preuve documentaire portant sur le traitement des Tutsis en RDC, mais elle n’a pas tenu compte expressément de la preuve qui portait sur la persécution des personnes de nationalité rwandaise.

 

[9]               Subsidiairement, le demandeur allègue que la SPR a commis une erreur en n’évaluant pas le risque objectif auquel il serait exposé s’il retournait en RDC en tant que demandeur d’asile débouté. La preuve documentaire dont disposait la commissaire établissait que le risque était réel. La SPR est chargée d’examiner toutes les questions pertinentes quant à la demande d’asile, même si les moyens précis ne sont pas soulevés au cours de l’audience : Viafara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1526, [2006] A.C.F. no 1914.

 

[10]           Le défendeur admet qu’il aurait été préférable que la commissaire fasse référence à la question de risque objectif en fonction de la nationalité, ainsi que de l’ethnie, mais soutient qu’il ressort clairement de la transcription de l’audience que le demandeur avait lié le risque en question à l’ethnie de sa mère et non à son pays d’origine. En outre, comme la preuve documentaire faisait à la fois référence aux « Tutsis » et aux « Rwandais », elle tendait à indiquer que les deux termes étaient utilisés de façon interchangeable pour faire référence aux réfugiés persécutés en RDC.

 

[11]           Selon le défendeur, le demandeur se fonde à tort sur la décision Seevaratnam, puisque la juge Danièle Tremblay-Lamer a récemment précisé sa conclusion dans cette affaire de façon à exclure les situations où le témoignage du demandeur constitue la seule preuve le liant à sa demande : Soosaipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1040, [2007] A.C.F. no 1349.

 

[12]           Le défendeur soutient qu’en ce qui concerne l’argument subsidiaire du demandeur, la jurisprudence montre que la SPR ne commet pas d’erreur lorsqu’elle omet de se pencher sur une question n’ayant pas été soulevée lors de l’instruction de la demande, particulièrement dans une situation où le demandeur est représenté par un conseil : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [2001] 2 C.F. 164, [2000] A.C.F. no 2118. Le demandeur ne devrait pas être autorisé à soulever de nouvelles allégations de risque à l’étape du contrôle judiciaire, mais il peut le faire à bon droit lors de l’examen des risques avant renvoi : Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. no 1632.

 

[13]           Le demandeur prétend qu’il ne peut faire valoir son argument subsidiaire lors d’un ERAR, puisqu’il ne l’a pas soulevé devant la SPR. Je ne suis pas d’accord. L’agent d’ERAR peut évaluer les risques auxquels serait exposé le demandeur, s’il devait retourner dans son pays d’origine, dans une situation où les moyens invoqués n’ont pas été utilisés antérieurement : Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1715, [2005] A.C.F. no 2133. En fait, comme l’agent d’ERAR dans cette situation serait le premier décideur à évaluer la nouvelle allégation de risque, il aurait à examiner tous les éléments de preuve pertinents et non seulement ceux qui satisfont aux exigences énoncées à l’alinéa 113a) de la LIPR : Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176, [2007] A.C.F. no 244.

 

[14]           Pour ce qui est des questions soulevées dans la présente demande, comme l’a souligné le juge Robert L. Barnes dans sa décision récente Krishnapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 563, [2007] A.C.F. no 760, l’évaluation du risque généralisé auquel serait exposé le demandeur n’est pas nécessaire dans les cas où, comme en l’espèce, la SPR a catégoriquement rejeté les allégations du demandeur.

 

[15]           En l’espèce, la SPR a même conclu que le demandeur n’avait pas résidé à Goma pendant les trois années indiquées et que ni lui ni ses parents n’avaient été emprisonnés. Comme la SPR a jugé que le demandeur n’avait pas été persécuté, et puisqu’il n’a pas contesté les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR, il n’était pas nécessaire, compte tenu des faits en l’espèce, d’évaluer le risque objectif fondé sur l’identité du demandeur. Si une évaluation du risque objectif était nécessaire, je suis convaincu que la SPR a procédé à une évaluation suffisante en examinant les éléments de preuve portant sur le traitement des réfugiés persécutés en RDC en raison de leur ethnie tutsie.

 

[16]           Pour ce qui est de la deuxième question, je ne crois pas que la SPR a commis une erreur en omettant d’évaluer le risque de persécution auquel serait exposé le demandeur en tant que demandeur d’asile débouté. La preuve documentaire au dossier portant sur le fondement objectif de ce risque était insuffisante et était liée à la perception que les demandeurs d’asile en Europe avaient critiqué la RDC. Rien n’indiquait que M. Wa Kabongo faisait partie de cette catégorie de personnes. En outre, le demandeur et son conseil n’ont manifestement pas cru qu’il valait la peine d’en parler durant le témoignage du demandeur. À mon avis, l’affaire Viafara se distingue de la présente espèce, puisque dans cette affaire la SPR n’avait aucunement tenu compte du fondement subjectif de la demande.

 

[17]           Aucune question de portée générale n’a été soulevée aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

            Traduction certifiée conforme

 

                Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2347-07

                                                           

                                                           

INTITULÉ :                                                               PATRICK KADIMA WA KABONGO          c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 27 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE MOSLEY   

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 14 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

    POUR LE DEMANDEUR

John Provart

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

   POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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