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Date : 20080625

Dossier : IMM-3276-07

Référence : 2008 CF 804

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

LEMIE JANE GADDI PACIA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

            Aperçu

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 19 juin 2007 par laquelle un agent d’immigration a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour permettre à la demanderesse de présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada.

 

[2]               Mme Pacia, une ressortissante des Philippines, est entrée au Canada en septembre 2002 munie d’un visa de résidence temporaire, sous prétexte de rendre visite à un ami. La durée de validité de ce visa a été prorogée jusqu’au 6 mars 2003. Mme Pacia a été arrêtée en septembre 2003 lorsqu’elle tentait d’entrer illégalement aux États‑Unis, et l’accès à ce pays lui a été interdit pour une période de 20 ans. Elle est revenue au Canada sans passeport, mais elle a été remise en liberté sur versement d’un cautionnement en espèces et s’est vu ordonner d’acheter ses propres titres de transport en vue de quitter le Canada au plus tard le 23 septembre 2003. Elle ne s’est pas présentée devant les agents d’immigration pour confirmer son départ et a plutôt demandé la prorogation de son visa. La demande a été rejetée.

 

[3]               Une demande d’asile a été soumise en février 2004 et considérée comme abandonnée le 11 juin 2004. Ayant omis de se présenter à une entrevue avant renvoi, Mme Pacia a fait l’objet d’un mandat d’arrestation en février 2006.

 

[4]               Mme Pacia a présenté une demande de dispense pour des considérations humanitaires (CH) et une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). La demande d’autorisation relative à l’ERAR a été rejetée le 14 novembre 2007. Une demande de contrôle judiciaire concernant le refus de reporter le renvoi de la demanderesse a été rejetée le 21 mai 2008 : Pacia c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile Canada) 2008 FC 629, [2008] A.C.F. no 788. La présente demande vise le contrôle judiciaire de l’autre décision, à savoir le refus d’accorder une dispense pour des considérations humanitaires.

 

 

Décision contestée

 

[5]               L’agent a examiné la demande de Mme Pacia, fondée sur les risques auxquelles elle serait exposée si elle était renvoyée dans son pays d’origine et les difficultés qu’elle subirait du fait qu’elle s’était établie au Canada, et elle a conclu que ni l’une ni l’autre de ces considérations ne justifiait l’octroi de la dispense. L’agent a conclu que l’État philippin était raisonnablement en mesure d’assurer la protection de la demanderesse.

 

Questions en litige

 

[6]               Avant l’audience, la demanderesse a fait valoir que la conclusion de l’agent quant à la question de la protection de l’État était déraisonnable étant donné qu’elle s’appuie sur l’existence de réformes qui, suivant la preuve, sont inefficaces. À l’audience, toutefois, elle a choisi de ne pas reprendre cet argument compte tenu de l’arrêt récent dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que le critère applicable est celui du caractère adéquat et non celui de l’efficacité : Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399.

 

[7]               La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en appliquant le critère de risque établi aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), qui s’applique aux réfugiés et aux personnes à protéger ainsi qu’en ce qui concerne les examens des risques avant renvoi, plutôt que le critère applicable aux demandes fondées sur des considérations humanitaires sous le régime de l’article 25.

 

Norme de contrôle

 

[8]               La détermination du critère juridique applicable pour examiner le contexte factuel d’une demande est une question de droit pur qui relève de l’interprétation des lois et de la jurisprudence et qui ne vise ni des faits particuliers ni les domaines d’expertise du tribunal. La décision à cet égard est donc susceptible de contrôle judiciaire suivant la norme la plus stricte, soit celle de la décision correcte.

 

Analyse

 

[9]               Selon la demanderesse, l’agent a commis une erreur en concluant qu’elle ne subirait pas un préjudice indu, excessif ou injustifié du fait de son renvoi aux Philippines parce qu’elle ne courrait pas de risques dans ce pays. Elle soutient que pour arriver à cette conclusion, l’agent a eu recours au critère plus exigeant, applicable à l’égard des demandes fondées sur les articles 96 et 97, plutôt qu’au critère moins exigeant propre à l’application de l’article 25.

 

[10]           La présente demande sera accueillie et l’affaire renvoyée à l’agent pour un nouvel examen portant uniquement sur la question du risque. La présente affaire se distingue de l’affaire El Doukhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1464, 304 F.T.R. 266, citée par l’intimé, dans laquelle il ressortait clairement de la décision que l’agent connaissait le critère moins exigeant et qu’elle l’avait appliqué pour déterminer si le risque que le demandeur prétendait courir constituait un préjudice indu, excessif ou injustifié. 

 

[11]           L’agent ayant examiné la demande CH de Mme Pacia n’a pas tenu compte de ce que la juge Johanne Gauthier a qualifié de « différence subtile » entre les deux examens relatifs aux facteurs de risque : Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 FC 1327, [2004] A.C.F. No 1600. La manière dont elle conclut son analyse témoigne de cette erreur :

[traduction] Ayant examiné l’ensemble de la preuve, je ne puis conclure que la vie de la demanderesse serait directement menacée ou que sa sécurité serait mise en danger si elle retournait aux Philippines. Par conséquent, je conclus, compte tenu de la situation personnelle de la demanderesse, de la preuve, de la situation actuelle aux Philippines et de la capacité de cet État d’assurer sa protection, que son retour au pays ne lui causerait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou des difficultés excessives.

 

[12]           L’existence d’une menace à la vie ou à la sécurité de la personne est le critère applicable aux demandes fondées sur les articles 96 et 97. L’existence d’un préjudice indu, excessif ou injustifié, même s’il découle d’une telle menace, est un élément clé du critère propre à l’analyse que requiert l’article 25. L’erreur de l’agent est due au fait qu’elle a procédé à une analyse en fonction du premier critère et que, conséquence directe de cette analyse, elle a tiré une conclusion défavorable à la demanderesse sur le fondement du deuxième critère. 

 

[13]           Il y aura des situations où cette différence subtile ne sera pas pertinente, par exemple, lorsque l’analyse fondée sur les articles 96 et 97 amène l’agent à conclure que la preuve n’a pas révélé l’existence d’un risque ou que les allégations de risque n’étaient pas crédibles. Dans ces circonstances, il ne serait pas nécessaire d’examiner la question de savoir si le risque allégué causerait un préjudice. Mais tel n’était pas le cas en l’espèce. L’agent a accepté le témoignage de la demanderesse concernant un différend de longue date qui déchirait sa communauté et les menaces qu’elle a reçues. La conclusion portant que la demanderesse pouvait bénéficier de la protection de l’État philippin ne règle pas la question de savoir si cette dernière subirait un préjudice indu à supposer qu’elle ait à s’en prévaloir.

 

[14]           Le défendeur a eu la possibilité après l’audience de demander la certification d’une question. Il a choisi de ne pas le faire et, par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que l’affaire soit renvoyée à l’agent d’immigration pour nouvel examen de la question du préjudice associé au risque auquel le retour aux Philippines expose la demanderesse. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                    IMM-3276-07

 

INTITULÉ :                                                                   LEMIE JANE GADDI PACIA

 

                                                                                        ET

 

                                                                                        LE MINISTRE DE LA

                                                                                        CITOYENNETÉ ET DE

                                                                                        L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                           Le 18 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                                               LE JUGE MOSLEY

 

DATE :                                                                           Le 25 juin 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingswell

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Kingswell

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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