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Date : 20081027

Dossier : IMM-4587-08

Référence : 2008 CF 1204

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

SONAM PALDEN LAKHA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Il s’agit d’une requête en sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi du demandeur, Sonam Palden Lakha, aux États‑Unis jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue relativement à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue le 13 août 2008 quant à un examen des risques avant renvoi (l’ERAR).

 

[2]               M. Lakha est né en Inde et a travaillé durant quelques années au Népal. Il est entré aux États‑Unis en juin 2004, pays qu’il a quitté pour venir au Canada le 17 janvier 2005, où il a présenté une demande d’asile dans laquelle il alléguait être citoyen de la République populaire de Chine (la Chine) et risquer d’être exposé à de la persécution du fait de sa race et de sa citoyenneté tibétaine. Il n’a jamais vécu au Tibet. Alors qu’il était aux États‑Unis, M. Lakha n’a pas présenté de demande d’asile ou essayé d’une autre façon de régulariser sa situation. Sa demande d’asile a été rejetée le 8 novembre 2006 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), et le 18 avril 2007 la Cour a rejeté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               La SPR a conclu que M. Lakha n’avait pas établi qu’il était citoyen d’un pays quelconque et qu’il n’y avait donc aucun pays de référence sur lequel la SPR aurait pu fonder l’examen de la demande d’asile. L’agente d’ERAR a conclu que M. Lakha avait omis de déposer quelque nouvelle preuve convaincante que ce soit qui aurait établi son identité en tant que citoyen de la Chine. Néanmoins, l’agente d’ERAR a effectué l’évaluation des risques possibles auxquels le demandeur pourrait faire face s’il était expulsé vers la Chine. Selon l’agente, le demandeur n’avait fourni aucune preuve établissant qu’il avait un profil semblable à celui des personnes qui sont actuellement exposées à des risques de persécution ou de préjudice au Tibet eu égard à la situation actuelle au Tibet.

 

[4]               La présente requête soulève la question de savoir si le demandeur respecte le critère à trois volets établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL). Pour que le demandeur obtienne gain de cause, il doit montrer que la requête est fondée sur une question sérieuse, qu’il subira un préjudice irréparable si la mesure de renvoi est exécutée et que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi du sursis.

 

[5]               Il est de droit constant que le critère quant à l’existence d’une question sérieuse est peu exigeant : Asali c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 860, paragraphe 8.

 

[6]               Les questions qui suivent ont été présentées par le demandeur comme étant des questions qui devraient être tranchées dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision défavorable quant à l’ERAR :

1.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en déclarant inadmissible la preuve dont elle disposait, au motif qu’elle n’était pas nouvelle en application de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR)?

2.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en négligeant de déterminer si la preuve dont elle disposait justifiait la rectification des conclusions de la SPR au sujet de l’identité et de la citoyenneté du demandeur?

3.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en négligeant ou en interprétant de façon erronée l’argument et la preuve du demandeur concernant une demande présentée sur place?

4.                  L’agente a‑t‑elle mal interprété l’argument de l’avocate du demandeur concernant l’admissibilité de certains documents au sujet de la situation au Tibet?

5.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ce sens que son analyse de la situation du Tibet a été effectuée de façon erronée ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

 

 

[7]               Pour les besoins de la présente requête, je suis prêt à accepter qu’au moins une de ces questions soulève une question sérieuse à trancher; mais cela ne règle pas l’affaire : M. Lakha doit satisfaire aux deux autres volets du critère établi par l’arrêt Toth avant que je puisse accorder le sursis demandé.

 

[8]               La présente requête a été présentée d’urgence en raison d’un contretemps dû à de l’inattention lors de la signification et du dépôt du dossier de requête du demandeur. Le défendeur n’a pas eu l’occasion de présenter des documents écrits avant l’audience, commencée le 22 octobre 2008. À la levée de la séance, j’ai avisé les avocates que je souhaitais recevoir des observations écrites relativement à la question du préjudice irréparable. J’ai accordé un sursis interlocutoire. Les avocates des deux parties ont déposé leurs observations écrites le 23 octobre 2008, et l’audience a repris. Le sursis interlocutoire a été prorogé et l’affaire a été mise en veilleuse jusqu’à aujourd’hui pour que je puisse tenir compte des jugements cités et des arguments.

 

[9]               Le demandeur soutient que son renvoi sera de facto un renvoi en Chine étant donné qu’il n’a pas le droit de rester aux États‑Unis et que ce ne serait qu’hypothèse que de tenir pour acquis que les autorités aux États‑Unis lui accorderaient l’asile ou bien le protégeraient en ne le renvoyant pas. Le défendeur soutient qu’il n’a pas la charge d’établir que le demandeur ne serait pas expulsé vers la Chine et que de prétendre le contraire ne serait nullement justifié. Il incombe encore au demandeur d’établir qu’il subirait un préjudice irréparable, et il ne l’a pas établi.

 

[10]           Le demandeur soutient que la jurisprudence de la Cour appuie l’argument selon lequel si un juge présidant à une audience relative à un sursis de l’exécution d’une mesure de renvoi conclut à l’existence d’une question sérieuse relativement à une décision défavorable quant à un ERAR – décision qui exposerait le demandeur à de la persécution ou l’exposerait personnellement à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitements cruels et inusités –, alors il en découlera nécessairement un préjudice irréparable, et la prépondérance des inconvénients penchera normalement en faveur du demandeur.

 

[11]           Le précédent cité en appui à cet argument est la décision Figurado c. Canada (Procureur général), 2005 CF 347, rendue par le juge Martineau. Le principe élaboré par le juge Martineau dans la décision Figurado a été cité et appliqué dans un certain nombre de décisions relatives à des sursis : voir, par exemple, Streanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 792.

 

[12]           Le principe selon lequel le renvoi aux États‑Unis entraînerait un renvoi dans un pays où le demandeur pourrait être exposé à de la persécution s’il n’a pas le droit de rester aux États‑Unis a été accepté dans plusieurs décisions. Le demandeur a entre autres cité les décisions suivantes : Asali, précitée; Ponnampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1174; Cortez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 946; Hatami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1755; Omar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 801, et Augusto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 801.

 

[13]           Selon mon interprétation des décisions susmentionnées, il y avait dans ces affaires une preuve selon laquelle le demandeur serait exposé à un risque dans le pays d’origine, et la Cour était persuadée, vu la preuve, qu’un renvoi des États‑Unis vers le pays d’origine était probable ou, à tout le moins, vraisemblable. Je souligne que dans la décision Augusto, par exemple, il y avait une preuve par affidavit selon laquelle le demandeur n’aurait pas légalement le droit de présenter une demande d’asile aux États‑Unis. Il n’y a aucune preuve de nature semblable en l’espèce.

 

[14]           Il existe également plusieurs décisions dans lesquelles la Cour a conclu qu’un renvoi aux États‑Unis ne constituerait pas un préjudice irréparable malgré la possibilité que le demandeur soit renvoyé vers son pays d’origine : Radji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 100; Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 97; Hussein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1266; Mughal c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 970; Choudary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 962; Joao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 880; Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 931; Aquila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n36, et Karthigesu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 153 F.T.R. 204, [1998] A.C.F. no 1038.

 

[15]           La Cour a également conclu que la question du préjudice irréparable doit être examinée en fonction du pays où le ministre veut renvoyer une personne : Kerrutt c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 53 F.T.R. 93, [1992] A.C.F. no 237; Radji, précitée, et Qureshi, précitée.

 

[16]           La preuve dont je dispose n’établit pas que le demandeur subirait un préjudice irréparable s’il était expulsé vers les États‑Unis. Aucun préjudice irréparable ne découle du fait que le demandeur pourrait avoir à faire appel au régime d’immigration des États‑Unis dans le cadre d’une demande de protection à l’égard d’un renvoi ou d’une demande d’asile : Mughal, précitée. 

 

[17]           Les États‑Unis jouissent d’un régime de freins et de contrepoids, d’un appareil judiciaire indépendant et de protections constitutionnelles assurant un processus équitable : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 171. En l’absence d’une preuve contraire, la Cour doit tenir pour acquis que les États‑Unis traitent leurs détenus et les demandeurs d’asile de façon équitable : Hisseine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 388. Il appartiendra aux autorités des États‑Unis de décider si le demandeur devra ultérieurement être renvoyé ou non dans un autre pays : Mikhailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 642; Akyol, précitée, et Qureshi, précitée.

 

[18]           Vu la preuve dont disposaient la SPR et l’agent d’ERAR et qui a été déposée de nouveau en l’espèce, il n’est pas clair du tout que le demandeur possède la citoyenneté chinoise du fait qu’il est Tibétain. Il incombe au demandeur d’établir qu’il serait renvoyé en Chine et que, en conséquence, il subirait un préjudice irréparable, ce qu’il n’a pas établi. Je ne suis pas prêt à avancer l’hypothèse que les autorités des États‑Unis le renverront en Chine.  

 

[19]           Le demandeur soutient également que sa contestation de la décision défavorable rendue par l’agent d’ERAR pourrait devenir inutile, étant donné qu’on pourrait conclure qu’elle serait sans objet s’il a quitté le Canada. L’avocat du défendeur a admis que, si la demande d’autorisation et contrôle judiciaire de la décision défavorable quant à l’ERAR est accueillie, le fait que le demandeur soit à l’étranger peut être soulevé par le défendeur en tant que moyen de rejet de la demande sous‑jacente : Figurado, précitée; Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 108, et Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 FC 526.

 

[20]           Au paragraphe 9 de la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2003) 33 Imm. L.R. (3d) 95, le juge James O’Reilly a noté que rien dans la LIPR ou dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ne fait obstacle au droit du demandeur d’un ERAR qui a été renvoyé du Canada et dont la demande de contrôle judiciaire a été accueillie d'obtenir un nouvel examen de sa demande d’ERAR. Voir également Nalliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 3 CF 759; Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 261; El Ouardi c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 42, et Golubyev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 394.

 

 

[21]           Les décisions susmentionnées ne me portent pas à conclure qu’une demande de contrôle judiciaire devient sans objet chaque fois que le demandeur a été renvoyé du Canada. Dans la présente affaire, peut‑être n’y aurait‑t‑il plus de « litige actuel » entre les parties en ce qui concerne la décision d’ERAR si le demandeur n’était plus au Canada : Perez, précitée, paragraphe 26. Cependant, la décision de la Cour que la demande de contrôle judiciaire est sans objet, ainsi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’entendre l’affaire – dans le cas où la Cour décide que la demande est effectivement sans objet – dépendront des faits de chaque affaire.

 

[22]           En l’espèce et vu la preuve dont je dispose, je ne suis pas prêt à conclure que le renvoi du demandeur aux États‑Unis rendrait sans objet la contestation de la décision de l’agente d’ERAR, contestation présentée par le demandeur. Cependant, même si j’acceptais cet argument, je ne serais pas d’accord avec le demandeur, qui soutient que d’une telle conclusion découlerait un préjudice irréparable. Il est encore loisible au demandeur de solliciter la protection des États‑Unis.

 

[23]           En raison de ma conclusion quant au préjudice irréparable, je n’ai pas besoin de trancher la question de la prépondérance des inconvénients.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE : la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-4587-08

 

INTITULÉ :                                                   SONAM PALDEN LAKHA

 

                                                                        c.

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

                                                                        et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO) (PAR TÉLÉCONFÉRENCE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LES 22 ET 23 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 27 OCTOBRE 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

 

POUR LE DEMANDEUR

Bridgette O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Czuma Ritter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                   

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