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Date : 20030213

 

Dossier : IMM-4546-01

 

Référence neutre : 2003 CFPI 161

 

 

ENTRE :

 

                                                                  MI SOOK OH

                                                                     BORA OH

                                                               YOONHWAN OH

 

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

 

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

LE JUGE MacKAY 

 

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire et une ordonnance annulant la décision d’un agent d’immigration rendue le 21 août 2001, dans laquelle la demande d’établissement au Canada des demandeurs pour des raisons d’ordre humanitaire a été rejetée.

 


[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la République de Corée. Ils sont arrivés au Canada en novembre 1996 pour visiter les parents de Mme Oh. Ils vivent au Canada depuis ce temps. Mme Oh a par la suite retenu les services d’un consultant en immigration, a formulé une demande de permis de travail pour elle et de permis de séjour pour étudiant pour ses enfants et elle a également formulé des demandes de résidence permanente pour eux trois. En avril 1997, elle a obtenu un permis de travail et, par la suite, les visas d’étudiant pour ses enfants, qui ont commencé à fréquenter l’école pendant que Mme Oh commençait à travailler.

 

[3]               La demande de résidence permanente a été rejetée au début de 1999.

 

[4]               En février 1999, Mme Oh a lancé une entreprise à Toronto qu’elle a exploitée jusqu’à l’été 2000, moment où elle a été accusée d’exploiter une maison de débauche en contravention du Code criminel. Cette accusation, pour laquelle elle clame son innocence, était toujours pendante lorsque la décision en cause a été rendue en août 2001.

 


[5]               En mars 1999, Mme Oh a rencontré un agent d’immigration à l’aéroport Pearson qui, après l’avoir interrogée, a émis en fin de compte une directive en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), c. I-2, et modifications, pour la conduite d’une enquête. Le 12 janvier 2000, Mme Oh a déposé de l’intérieur du Canada une demande d’établissement pour elle et ses enfants en invoquant des raisons d’ordre humanitaire. En mars 2000, lors de l’enquête menée en vertu de l’article 27, un arbitre a conclu que les documents d’immigration des demandeurs étaient faux et qu’ils se trouvaient illégalement au Canada. Une mesure d’expulsion a été prise contre eux le 5 mars 2001. La décision de l’arbitre a fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour, mais elle a été rejetée.

 

[6]               Le 26 juillet, Mme Oh, accompagnée d’un avocat et d’un interprète, s’est présentée à une entrevue avec un agent d’immigration au sujet de sa demande de prise en compte de raisons d’ordre humanitaire. L’avocat qui accompagnait Mme Oh déclare dans un affidavit que l’agent a fait plusieurs commentaires, dont les suivants :

 i)         lorsqu’il a remarqué que les enfants n’étaient pas présents à l’entrevue, l’agent a déclaré : [traduction] « Je suppose que les enfants ne comptent pas. » L’avocat fait remarquer que les enfants n’avaient pas été convoqués et que l’agent a refusé, à ce moment‑là et par la suite, de faire venir les enfants.

 

ii)         alors qu’il était question de l’accusation criminelle portée contre Mme Oh, l’agent a fait cette remarque : [traduction] « J’ai eu à traiter les dossiers d’un grand nombre de femmes qui travailleraient pour quelqu’un comme Mme Kim. »

 

iii)         après que Mme Oh a fait référence au fait que, en tant qu’aînée, elle avait la responsabilité de prendre soin de ses parents malades, l’agent a fait ce commentaire : [traduction] « N’est‑ce pas toujours le cas? Si la cadette était présente, elle me dirait que les soins sont de la responsabilité de la cadette. »


iv)        en faisant référence au mariage de la soeur de Mme Oh avec un Canadien, l’agent a fait ce commentaire : « N’est-ce pas ce qu’elles font dans cette situation? Se marier à un Canadien pour éviter l’expulsion? »

 

[7]        Au moment de l’entrevue, aucune objection n’a été formulée à l’encontre de ces remarques. L’avocat a ensuite présenté à l’agent des documents concernant l’établissement des demandeurs au Canada. Après l’entrevue, l’avocat a écrit à l’agent une lettre de trois pages lui présentant un résumé du dossier des demandeurs, dans lequel il était question, entre autres, du contexte factuel, du soutien financier, de l’établissement des demandeurs au Canada et des difficultés excessives auxquelles ils seraient confrontés s’ils devaient retourner en Corée.

 

[8]        Par la suite, soit le 21 août 2001, la demande présentée par les demandeurs pour la prise en compte de raisons d’ordre humanitaire a été rejetée.

 


[9]        Dans la présente demande, on fait valoir que l’agent a mal interprété la preuve et que, à plusieurs égards, il n’a pas tenu compte des faits pertinents. Ces objections sont, en grande partie, liées au poids à donner aux aspects de la preuve. Les critiques découlent largement des notes sommaires rédigées par l’agent et datées du même jour que la décision. Les allégations selon lesquelles l’agent a omis d’examiner certains éléments de preuve ne sont pas étayées par le simple fait que les notes de l’agent ne font aucunement mention de ces même éléments de preuve. Dans la mesure où les éléments de preuve ont été présentés à l’agent, il faut de façon générale supposer qu’ils ont été examinés et, en effet, les notes font bel et bien référence à la plupart des sujets auxquels réfère la demanderesse. Le seul sujet sur lequel je conviendrais peut‑être que l’agent a commis une erreur, c’est concernant les notes de l’agent selon lesquelles il n’y avait pas de preuve de mise à jour des compétences ou d’engagement communautaire de la part de Mme Oh. Dans les faits, il y avait certains éléments de preuve d’une mise à jour : l’agent a noté que Mme Oh prétend avoir suivi un programme d’anglais, langue seconde, et d’avoir achevé un programme d’aromathérapie de la Canadian School of Natural Health Sciences. De plus, il y avait des éléments de preuve qu’elle était membre d’une église à Toronto, aux activités de laquelle elle participait. Cependant, la décision n’était pas basée de manière significative sur cette erreur de la part de l’agent. Il n’y a là aucun fondement à une intervention de la Cour.

 


[10]      Une autre erreur est alléguée relativement à l’omission de la part de l’agent de rencontrer les enfants mineurs de Mme Oh. Il est bien établi qu’aucune entrevue ou audience n’est nécessaire dans le cadre d’une demande de prise en compte de raisons d’ordre humanitaire. (Voir : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 843). L’omission de rencontrer les enfants ne constituait pas, en l’espèce, une erreur de droit. L’inquiétude des demandeurs concerne le fait que les intérêts des enfants puissent ne pas avoir été examinés de manière adéquate, c.‑à‑d. eu égard aux années d’études faites au Canada, y compris le fait que le fils a fait toutes ses études au Canada, et aux difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils devaient retourner en Corée. Pourtant, les notes de l’agent mentionnent clairement que ces sujets ont été examinés. À mon avis, les objections des demandeurs ont trait au poids à accorder aux éléments de preuve relatifs aux enfants. Dans les circonstances, il n’y a aucune raison de conclure à une erreur de droit, ou à un manquement à l’équité, dans le processus du fait qu’il ne comprenait pas d’entrevue avec les enfants demandeurs.

 

[11]      Le principal argument, présenté avec insistance lors de l’audition de la présente affaire, c’est que les remarques faites par l’agent lors de l’audience, attestées par l’affidavit de l’avocat de Mme Oh, étaient inappropriées et qu’elles démontraient un préjudice et de la partialité de la part de l’agent dans l’examen de la demande des demandeurs. Dans son affidavit, l’agent en question n’a pas reconnu avoir fait les commentaires qui lui sont reprochés, mais du même coup, il ne les a pas niés directement. Dans les circonstances, je suis disposé à accepter le témoignage de l’avocat de Mme Oh, présent lors de l’audience, au sujet des commentaires qui ont alors été faits.

 

[12]      De tels commentaires semblent, à tout le moins, inappropriés. Une personne raisonnable observant l’entrevue aurait bien pu avoir une crainte raisonnable de partialité. Cette crainte aurait pu découler de la perception selon laquelle il pourrait y avoir un déni des principes de justice naturelle de la part d’un décideur qui n’apparaissait pas impartial. Aux fins de la présente décision, je conclus que les commentaires de l’agent ont fait naître une crainte raisonnable de partialité.

 


[13]           Une crainte raisonnable de partialité qui naît au cours d’une audience d’un tribunal, ou d’une entrevue de la part d’un agent d’immigration, dont les décisions ont une importance réelle pour l’intéressé peut entraîner l’annulation de la procédure. Cependant, lorsque l’intéressé est au courant des circonstances, qu’il a une crainte raisonnable et qu’il connaît son droit de se plaindre, mais qu’il ne le fait pas quand une occasion raisonnable de le faire se présente, il peut, en fait, se trouver à renoncer à son droit de s’opposer à la décision pour des motifs de partialité après que la décision a été rendue. (Voir : Abdalrithah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988) 40 F.T.R. 306; voir également Gill c. M.E.I. (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 82 (C.F. 1re inst.).)

 

[14]      Dans la décision Khakh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 548 (1re inst.), M. le juge Nadon, maintenant juge à la Cour d’appel, a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un arbitre dont il a jugé les commentaires à l’audience susceptibles de créer une crainte raisonnable de partialité, alors que l’intéressé ne s’était pas plaint des commentaires avant que la décision de l’arbitre fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. La demande a été accueillie. Je remarque que le juge Nadon a précisément déclaré que, dans cette affaire, l’intéressé n’était pas au courant que les commentaires formulés par l’arbitre lui donnaient le droit de se plaindre et que, si le requérant avait été représenté par un conseiller juridique qui aurait pu se plaindre de cette apparence de partialité en temps utile, mais qui ne l’aurait pas fait, la décision aurait pu être différente.

 


[15]      Dans la décision Khakh, le juge Nadon a examiné la jurisprudence et un certain nombre de traités dans lesquels les auteurs analysent le concept de renonciation. Parmi eux, Dussault et Borgeat, dans Traité de droit administratif, t. 3 Presses de l’Université Laval, 1989, aux pages 418 et 419, énoncent la règle comme suit :

Selon la common law, c’est aussi une règle fondamentale de justice naturelle qu’un organisme ou tribunal inférieur soit impartial et désintéressé : Nemo judex in sua causa. Contrairement à l’existence d’une partialité réelle qui, comme nous l’avons vu, a un effet sur la capacité d’agir du tribunal et pourrait pour cette raison atteindre sa compétence, une simple crainte raisonnable de partialité n’est susceptible de lui enlever sa capacité d’agir que si elle est soulevée en temps utile.

 

David J. Mullan fait les commentaires qui suivent sous la rubrique « Administrative Law », titre 3, tome 1, du Canadian Encyclopedic Digest, 3e éd., (Ontario, Carswell, 1979), en page 57 :

[traduction]

Un moyen de défense possible contre l’allégation de parti pris est la renonciation. Si la partie à l’instance, qui possède tous les faits, consent néanmoins à la présence continue du juge administratif qu’on peut raisonnablement soupçonner de parti pris, elle est irrecevable par la suite à se plaindre de la présence de ce juge et de sa participation à la décision. En effet, le défaut de protester a été parfois jugé suffisant pour constituer une renonciation à tout droit de se plaindre à l’avenir.

 

[16]      En l’espèce, les commentaires dont on se plaint dans la présente demande de contrôle judiciaire ont été faits lors d’une entrevue alors que l’avocat était présent et sans qu’aucune objection ne soit alors formulée. L’avocat ne s’est pas plaint non plus après l’entrevue lorsqu’il a écrit à l’agent en question pour lui présenter des observations écrites additionnelles à l’appui de la demande des demandeurs. La crainte de partialité a été soulevée pour la première fois lors du dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, quelque quarante jours après la décision en question et plus de deux mois après l’entrevue.

 


[17]      Dans les circonstances, il n’y a pas de doute que la demanderesse, assistée d’un avocat, a eu amplement l’occasion de soulever toute crainte de partialité qu’elle pouvait avoir au sujet de l’agent d’immigration. Le défaut d’agir avec diligence raisonnable implique le consentement au processus suivi par le décideur. Ce consentement implicite peut, en effet, être considéré comme une renonciation au droit de contester la validité de la procédure. À mon avis, les demandeurs en l’espèce ont implicitement consenti à la procédure de l’entrevue en omettant de se plaindre lors de l’entrevue ou avec diligence raisonnable par la suite. En ce faisant, lors du dépôt de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ils ont renoncé au droit de se plaindre.

 

Conclusion

 

[18]      Par une ordonnance distincte, la Cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[19]      Les conseillers juridiques n’ont proposé aucune question pour la certification prévue par l’article 74 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et modifications, à titre de question grave de portée générale. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

         « W. Andrew MacKay »                                                 Juge

 

OTTAWA (Ontario)

Le 13 février 2003

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4546-01

 

INTITULÉ :                                       MI SOOK OH et al c. LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 mai 2002

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : Le juge MacKay

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 février 2003

 

 

COMPARUTIONS :

 

Young H. Lee                                                                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Amina Riaz                                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEE TOMLINSON                                                                                POUR LES DEMANDEURS

TORONTO (ONTARIO)                                                                                                                    

 

MORRIS ROSENBERG                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

SOUS‑PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

 

 

 

 

 

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