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Date : 20030619

 

Dossier : T‑1116‑01

 

Référence : 2003 CFPI 762

 

 

ENTRE :

 

                                                          MCQ HANDLING INC.

 

                                                                                                                                demanderesse

 

                                                                          ‑ et ‑

 

                                                          CHARLES MOULTON

 

                                                                                                                                         défendeur

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE LEMIEUX

 

 

CONTEXTE FACTUEL

 

 

[1]               MCQ Handling Inc. (la demanderesse ou MCQ), est une compagnie de collecte et d’élimination des ordures ménagères. Elle a embauché le défendeur, Charles Moulton, le 25 janvier 1999 à titre de conducteur de camion long parcours et a mis fin à son emploi le 2 février 2001.

 


[2]               Le défendeur s’est senti lésé. Il s’est présenté aux bureaux du ministère du Travail de l’Ontario situés à London, en Ontario. On lui a alors demandé si les conducteurs de camions de MCQ avaient à se déplacer à l’extérieur de l’Ontario. Il a répondu « oui » car, à sa connaissance, un conducteur travaillant pour MCQ, H. DeVries, se rendait fréquemment au Michigan. Le ministère du Travail de l’Ontario l’a alors référé au ministère du Travail du Canada.                      

 

[3]               Charles Moulton a déposé une plainte le 10 février 2000, conformément à la partie III du Code canadien du travail (le Code) alléguant qu’il avait été victime d’un congédiement injustifié.

 

[4]               Le dossier a été entendu en arbitrage par Michael Lynk qui a été nommé pour instruire la plainte conformément au paragraphe 242(1) du Code. Les avocats n’ont pas pris part au dossier devant l’arbitre Lynk. Les parties reconnaissent que MCQ n’a pas soulevé d’objection concernant la compétence de l’arbitre d’instruire la plainte au motif que MCQ n’était pas une entreprise fédérale puisque toutes ses activités se déroulaient entièrement en Ontario.

 

LA DÉCISION ARBITRALE

 

[5]               Dans sa décision du 25 août 2000, l’arbitre a tranché en faveur du défendeur au motif que son congédiement constituait une mesure disproportionnée compte tenu de la faute ayant mené à son congédiement. Selon l’arbitre, la mesure disciplinaire appropriée était une suspension de deux jours sans salaire accompagnée d’une lettre de réprimande.


 

[6]               L’arbitre a conclu de la façon suivante :

[traduction]

Ainsi, en vertu du pouvoir de redressement qui m’est conféré conformément au Code canadien du travail, j’ordonne que la plainte de M. Moulton soit accueillie et que l’employeur le réintègre dans le poste qu’il occupait au moment de son congédiement injustifié. J’ordonne également à l’employeur de payer à M. Moulton, avec intérêts, tous ses arrérages de salaire et ses avantages (moins les deux jours de salaire résultant de la suspension), le tout sujet à la règle qui établit qu’un employé réintégré doit limiter le montant de ses dommages et intérêts.

 

 

Si les parties éprouvent des difficultés à mettre en œuvre la présente décision arbitrale, je demeure saisi du dossier afin de le régler de manière définitive.  

 

 

 

[7]               À la suite de son congédiement, Charles Moulton a rapidement trouvé un nouvel emploi de conducteur de camion auprès de deux compagnies et il est par la suite devenu propriétaire exploitant. Il n’est pas intéressé à réintégrer MCQ et il a plutôt choisi de recevoir des dommages et intérêts afin de compenser la perte de son salaire et de ses avantages. La question de la limitation des dommages et intérêts est donc devenue une question fondamentale à résoudre. MCQ prétend qu’elle ne doit rien au défendeur car, il gagnait plus d’argent chez d’autres employeurs que chez MCQ.

 

[8]               Les parties ont présenté des arguments écrits à l’arbitre. Dans une lettre datée du 26 avril 2001, en réponse aux prétentions de Charles Moulton, MCQ fait valoir que le défendeur ne peut déduire des dépenses encourues à titre de propriétaire exploitant. MCQ conclut ses arguments, préparés par un de ses dirigeants, en déclarant : 

[traduction]

De plus, notre avocat nous a informés que MCQ Handling n’était pas régi par le Code canadien du travail au moment de la plainte. Néanmoins, nous avons tenté d’être justes et francs dans notre façon de traiter les points toujours en litige.


 

 

[9]               Le 30 mai 2001, l’arbitre a émis une décision arbitrale supplémentaire concernant les dommages. Il a tranché en faveur de la position de M. Moulton et lui a octroyé des dommages de 17 421 $ plus intérêts.

 

LA PROCÉDURE

 

[10]           MCQ a entrepris la présente procédure le 22 juin 2001. Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, la demanderesse déclare que la demande porte sur la décision arbitrale et sur la décision arbitrale supplémentaire prononcées respectivement le 25 août 2000 et le 30 mai 2001.

 

[11]           À titre de réparation, MCQ demande :

(1)        une ordonnance « annulant ou renversant la sentence arbitrale et la sentence arbitrale supplémentaire prononcées en faveur du défendeur le 25 août 2000 et le 30 mai 2001... » ;

(2)        une ordonnance « accordant un délai supplémentaire afin de présenter une demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, si nécessaire ».

 

[12]           Dans sa demande, sous le titre « Motifs de la demande » MCQ déclare :          

[traduction]

3. La demanderesse n’était pas représentée dans le cadre de la procédure entreprise en vertu du Code canadien du travail... à laquelle la présente demande de contrôle judiciaire fait référence. De plus, elle n’était pas consciente de ne pas être un employeur régi par le Code canadien du travail et, qu’en raison de ce fait, le plaignant ne pouvait obtenir un arbitrage concernant sa plainte pour congédiement injustifié. En conséquence, l’arbitre a agi sans compétence lorsqu’il a prononcé la décision arbitrale ainsi que la décision arbitrale supplémentaire;

 

 

 

[13]           Dans le cadre de la présente procédure, MCQ conteste les deux décisions arbitrales prononcées par l’arbitre au motif que le Code ne s’appliquait pas à la compagnie au moment des faits en cause puisqu’elle était alors une entreprise provinciale et non une entreprise fédérale.

 

[14]           MCQ n’a pas contesté devant moi le bien‑fondé de la décision de l’arbitre.

 

[15]           MCQ présente les motifs suivants afin d’appuyer sa prétention à l’effet que le Code ne s’applique pas à elle :

 


(1)        Au cours de la période d’emploi du défendeur chez MCQ, cette dernière louait de Harold Marcus Trucking Ltd. (Marcus Trucking), une compagnie détenant un permis de la Interstate Commerce Commission, l’organisme fédéral des États‑Unis, un camion conduit exclusivement par H. DeVries. Cette location s’effectuait au moyen d’un contrat de courtage qui a débuté le 17 décembre 1998 pour se terminer le 18 janvier 2001. Il est admis qu’en ce qui a trait aux déplacements concernant Marcus Trucking, les clients et les expéditeurs appartenaient à Marcus Trucking et non pas à MCQ.

 

(2)        Au moment du congédiement de Charles Moulton par MCQ, le statut des déplacements effectués par Marcus Trucking importe peu, car le contrat était terminé et les affaires de MCQ étaient menées exclusivement à l’intérieur des frontières de l’Ontario.

 

(3)        La même situation prévalait lorsque M. Moulton a déposé sa plainte en vertu du Code canadien du travail.

 

(4)        MCQ a obtenu un permis de l’Interstate Commerce Commission le 24 mars 2001.

 

CONCLUSIONS

 

[16]           Pour deux motifs, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[17]           Le premier motif porte sur la nécessité pour MCQ d’obtenir une autorisation de cette Cour pour qu’elle accorde à la compagnie un délai supplémentaire afin d’entamer la procédure de contrôle judiciaire.

 

[18]           Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale stipule qu’une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au demandeur.

 

[19]           Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur lorsqu’il dit que la décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire est la décision du 25 août 2000. Dans cette décision, l’arbitre Lynk concluait que M. Moulton avait été congédié de manière injustifiée, qu’il devait être réintégré et qu’il devait recevoir son salaire rétroactivement avec ses avantages, le tout sujet pour lui à l’obligation de limiter ses dommages.

 


[20]           Cette cause est étrangement similaire à une cause décidée par le juge MacKay dans l’affaire Joudrey c. Canadian Atlantic Railway, [1995] A.C.F. no 1159, dans laquelle un arbitre nommé conformément à l’article 240 du Code a décidé, en septembre 1992, qu’un employé avait été congédié de manière injustifiée. L’arbitre n’avait pas émis d’ordonnance de réintégration, mais avait plutôt ordonné le paiement d’une année de salaire et déclaré que « dans l’éventualité où les parties sont incapables de fixer le montant d’un tel paiement, je demeure saisi de cet aspect du dossier ».

 

[21]           À l’alinéa 23 de ces motifs, le juge MacKay décide :

[traduction]

¶ 23      Selon moi, les conclusions de l’arbitre contenues dans la décision de septembre 1992 étaient sujettes à contrôle judiciaire et la procédure à cet égard aurait dû être entreprise dans les trente jours suivant la communication de la décision au plaignant, conformément au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale. Après la première décision, l’avocat s’est fié sur sa propre compréhension de la procédure que l’arbitre semblait vouloir appliquer ou selon le point de vue de l’avocat sur la procédure que l’arbitre avait accepté d’appliquer. Il ne s’agissait pas d’une approche raisonnable, surtout pas après qu’il soit devenu clair que l’avocat de la partie adverse et l’arbitre ne partageaient pas ce point de vue. Les questions soulevées par le demandeur dans la présente procédure portent sur la décision de septembre 1992. Par conséquent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire n’a pas été présentée à l’intérieur du délai prévu par la Loi.

 

 

 

[22]           Comme dans l’affaire Joudrey, précitée, les questions soulevées par le demandeur dans la présente cause portent sur les conclusions de l’arbitre dans la décision du mois d’août 2002 concernant le congédiement injustifié, la réintégration et le paiement rétroactif de salaire. La décision du 30 mai est accessoire à la première décision puisque l’arbitre a conservé sa compétence uniquement dans le but d’aider les parties à mettre en œuvre la décision.

 

[23]           Il faut alors se demander si la Cour devrait accorder un délai supplémentaire afin de permettre d’entamer une procédure de contrôle judiciaire. Le test qui s’applique est bien connu et il a récemment été réitéré par la Cour fédérale du Canada, section d’appel, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399, dans laquelle le juge MacDonald écrit à l’alinéa 3 ce qui suit :


¶ 3      Le critère approprié est de savoir si le demandeur a démontré :

 

 

1.  Une intention constante de poursuivre sa demande;

 

 

2.  Que la demande est bien fondée;

 

 

3.  Que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai;

 

 

4.  Qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

 

 

 

[24]           Je suis d’avis que MCQ n’avait pas une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire, pas plus qu’il ne lui a été possible d’offrir une explication raisonnable justifiant le délai.

 

[25]           L’étude du dossier me convainc que MCQ n’avait pas l’intention de contester la décision de l’arbitre après la décision du 31 août 2000 et avant sa décision supplémentaire du 30 mai 2001.

 

[26]           Placée devant la plainte de M. Moulton et la procédure d’arbitrage qui a suivi, MCQ a adopté une approche informelle et discrète. La position de MCQ cadrait tout à fait avec l’esprit du Code, qui a pour but de résoudre les conflits de manière rapide. Après la décision du mois d’août 2000, MCQ l’a acceptée et a mené des discussions concernant sa mise en œuvre. Après avoir obtenu les conseils d’un avocat, MCQ a présenté des suggestions à l’arbitre concernant la question des dommages et intérêts et de la limitation des dommages, plutôt que de contester la décision de l’arbitre. La compagnie espérait que l’arbitre tranche la question en sa faveur.

 

[27]           Dans les circonstances, l’intention constante de poursuivre la demande était absente et aucune explication raisonnable n’a été présentée par MCQ pour expliquer pourquoi la demande n’a pas été présentée dans les délais prévus.

 

[28]           Le deuxième motif pour rejeter la demande de contrôle judiciaire découle du fait qu’il s’agit d’une contestation soulevant une question constitutionnelle concernant l’application du Code canadien du travail et, plus précisément à savoir si MCQ est une entreprise fédérale tel que cela est défini à l’article 2 du Code. Comme il a été mentionné, cette question n’a fait l’objet d’aucune preuve et n’a même pas été débattue devant l’arbitre puisqu’elle a été soulevée pour la première fois au cours de la présente procédure de demande de contrôle judiciaire.

 

[29]           La Cour fédérale, section d’appel dans l’affaire Halifax Longshoremen’s Assn., Local 269 c. Offshore Logistics Inc., [2000] A.C.F. no 1155, a fait face à un problème similaire alors que, dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire d’une décision du Conseil canadien des relations industrielles, la Cour a été confrontée à une question qui n’avait pas été soulevée devant le Conseil. La question était de savoir si le caractère véritable des opérations de Offshore Logistics était de la livraison intraprovinciale. Le juge Rothstein, au nom de la Cour, a écrit ce qui suit au paragraphe 59 :


¶ 59      Par conséquent, cette question n’était pas en litige devant le Conseil. La preuve pertinente n’a pas été produite. Le Conseil ne s’est pas prononcé sur la question et on demande maintenant à la Cour de trancher de novo et à partir d’un dossier incomplet. J’estime que les remarques suivantes formulées par le juge Dickson, dans Northern Telecom c. Travailleurs en télécommunication [1980] 1 R.C.S. 115, à la page 140, sont pertinentes en l’espèce :

 

 

Telecom n’a pas soulevé la question constitutionnelle devant le Conseil; elle n’a pas non plus prétendu que le Conseil manquait de données de base essentielles pour conclure qu’il était compétent. En l’absence de toute contestation sérieuse de sa compétence, le Conseil a rapidement tranché la question et présumé qu’il était compétent. Par son attitude, Telecom a effectivement privé la Cour siégeant en révision de la preuve des faits essentiels pour parvenir à une conclusion valable sur la question constitutionnelle.

 

 

            Après une analyse poussée des treize volumes de la preuve, un dossier que la Cour n’avait pas lors de l’autorisation d’appel, je conclus que la Cour n’est pas en mesure de trancher nettement la question constitutionnelle. Ce sera donc pour une autre fois et je suis donc en conséquence d’avis de rejeter le pourvoi pour l’unique motif que d’après le dossier, l’appelante n’a pas réussi à démontrer que le Conseil canadien des relations de travail avait commis une erreur donnant lieu à l’annulation de sa décision.

 

 

Il ne conviendrait pas, dans les circonstances, que la Cour tranche la question constitutionnelle touchant le caractère intraprovincial de l’expédition.

 

 

 

[30]           Je note que, dans la présente procédure, certains éléments de preuve concernant les opérations de MCQ ont été présentés à la Cour, mais je ne suis pas du tout convaincu que le dossier de preuve est complet, notamment en ce qui concerne l’entente de courtage avec Marcus Trucking et les circonstances qui ont amené MCQ à obtenir un permis de l’Interstate Commerce Commission en mars 2001.

 


[31]           Si la question avait été soulevée devant l’arbitre, il aurait eu l’occasion de se pencher sur tous les aspects pertinents afin de décider de la question constitutionnelle eu égard à l’applicabilité du Code. La Cour a devant elle un dossier écrit et elle n’a pas eu l’occasion d’explorer auprès des témoins certaines des préoccupations soulevées par les deux avocats sur cette question.

 

[32]           Sur un aspect subsidiaire, aucun avis de question constitutionnelle n’a été transmis au procureur général du Canada et au procureur général de chaque province comme l’exige l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale. La question constitutionnelle porte sur l’applicabilité du Code canadien du travail aux opérations du demandeur. C’était également le cas dans l’affaire Offshore, précitée, et je prends note de l’opinion du juge Rothstein à ce sujet, aux paragraphes 57 et 58 de ses motifs de jugement, où il explique pourquoi il est nécessaire de donner l’avis prévu à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

[33]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« François Lemieux »        

                                                                                                                                                                   

                                                                                                     Juge                   

OTTAWA (ONTARIO)

LE 19 JUIN 2003

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D’APPEL

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                           T‑1116‑01

 

INTITULÉ :                           MCQ HANDLING INC. v. CHARLES MOULTON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :    LONDON (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 11 JUIN 2003

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :         Le 19 juin 2003

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raymond F. Leach                                                               Pour la demanderesse

 

Andrew F. Camman                                                 Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SISKIND, CROMARTY, IVEY et DOWLER s.r.l.

Avocats et conseillers juridiques

London (Ontario)                                                                   Pour la demanderesse

 

 

POLISHUK CAMMAN et STEELE

Avocats et conseillers juridiques

London (Ontario)                                                                   Pour le demandeur

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