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Date : 20081212

Dossier : IMM-2673-08

Référence : 2008 CF 1368

Toronto (Ontario), le 12 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

ANATOLIY DUBOVTSEV
OLGA DUBOVTSEVA

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue le 30 avril 2008 par une agente d’ERAR relativement à la demande des demandeurs pour que leurs demandes de résidence permanente soient traitées au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs ci-dessous, je suis d’avis que la demande doit être rejetée.


Contexte

[2]        M. Dubovtsev a travaillé de façon régulière depuis son arrivée au Canada et a le même employeur depuis 2001. Mme Dubovtseva n’a travaillé au Canada que pendant une période d’un mois en 2005. Cet emploi a pris fin brusquement à la suite d’un accident de travail grave qui lui a causé une invalidité cognitive permanente et lui a fait perdre pour toujours sa solidité sur ses jambes. Depuis cet accident, elle reçoit une indemnité d’accident du travail. Selon une lettre d’un médecin en date du 10 février 2008, sa condition, qui est chronique, ne s’améliorera pas. Il écrit : [traduction] « Mme Dubovtseva a été grièvement blessée à la tête et de multiples séquelles permanentes subsistent.  Elle a constamment besoin de soins et de surveillance. » 

 

[3]        Les demandeurs ont aussi présenté une preuve selon laquelle ni l’un ni l’autre ne sont en bonne santé psychologique. Sans aucun doute, cela est en grande partie, si ce n’est pas entièrement, causé par l’accident de Mme Dubovtseva et ses conséquences.

 

[4]        L’agente a conclu qu’il n’y avait aucune preuve indiquant une participation importante à la société ou d’autres facteurs qui montrerait un degré d’établissement au delà de ce à quoi on s’attend des personnes qui résident et travaillent au Canada depuis novembre 1999.

 

[5]        L’agente s’est fondée sur la preuve documentaire pour conclure que les demandeurs ne seraient vraisemblablement pas exposés à un risque sérieux à leur retour au Kazakhstan à cause de leur origine ethnique et de leur appartenance religieuse. Elle a aussi noté, toujours en se reposant sur la preuve documentaire, l’existence d’un système de sécurité sociale au Kazakhstan auquel les demandeurs pourraient avoir recours si M. Dubovtsev était incapable d’obtenir un emploi à son retour. L’agente a tenu compte de la disponibilité de logements, compte tenu de l’allégation des demandeurs selon laquelle leur maison avait été endommagée par le feu en 2001. Elle s’est aussi reportée à leurs liens familiaux et à l’intérêt supérieur des enfants qui seraient affectés par leur expulsion. Tout en reconnaissant que les demandeurs partagent une maison avec leur fille et leurs petits-enfants, l’agente était néanmoins d’avis que l’absence d’information détaillée à cet égard empêchait de conclure à l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. 

 

[6]        La plus grande partie des motifs de l’agente concerne, naturellement, la situation médicale de Mme Dubovtseva. L’agente a examiné à fond les documents figurant dans le dossier relativement à son accident et sa condition, et a accepté la preuve que Mme Dubovtseva est incapable de travailler, de conduire ou d’utiliser le transport en commun et qu’elle souffre de changements de personnalité en raison d’un trauma au cerveau. L’agente a aussi accepté la preuve voulant que la santé de Mme Dubovtseva [traduction] « ne pourrait s’améliorer davantage ». Néanmoins, l’agente a noté l’absence d’information concernant les besoins et exigences quotidiens de Mme Dubovtseva, ce qui permettait difficilement de conclure qu’on ne pourrait répondre à ces besoins et exigences au Kazakhstan. L’agente a accordé peu d’importance à l’information plus ancienne sur les services médicaux au Kazakhstan, notant que de toute manière, elle n’établissait pas que des soins médicaux généraux étaient inaccessibles. Finalement, elle a accepté l’opinion du médecin qui dit que Mme Dubovtseva est incapable de voyager à cause de son manque de d’équilibre, mais elle a noté que les questions de son état de santé et de sa capacité physique pour quitter le Canada peuvent être soulevées et évaluées à l’étape de la préparation du renvoi. Elle fait référence à cet égard au guide opérationnel ENF 10.

 

Question en litige

[7]        Les demandeurs soulèvent une seule question : le caractère raisonnable de la décision de l’agente.

 

Analyse

[8]        Les demandeurs plaident que la décision de l’agente quant à leur établissement au Canada est déraisonnable. Bien que je sois prêt, au vu des faits de l’espèce, à accepter que l’accident de Mme Dubovtseva ait nui à son établissement, cet accident n’explique pas l’absence d’éléments de preuve qui montrent un degré d’établissement au delà de ce à quoi on s’attend normalement.

 

[9]        L’agente note et reconnaît les admirables antécédents de travail de M. Dubovtsev au Canada. Elle note en outre leur référence à leur participation au sein de l’Église, mais fait remarquer l’absence de toute lettre d’appui d’une église ou d’un chef d’une église. De plus, elle relève le manque d’information indiquant le niveau de participation ou d’intégration dans la société, ce qui permettrait de conclure à un degré important d’établissement au Canada. Étant donné l’absence de preuve autre que celle mentionnée ci-dessus, on ne saurait dire que la décision de l’agente en ce qui concerne l’établissement est déraisonnable. 

 

[10]    Les demandeurs soutiennent de plus que l’agente a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle a omis de prendre en considération leur situation exceptionnelle, faisant référence à la sérieuse blessure subie par Mme Dubovtseva. Une lecture de la décision de l’agente indique qu’elle a bel et bien examiné et pris en compte toute la preuve médicale qu’on lui a présentée. La jurisprudence est claire et bien établie : il incombe aux demandeurs de présenter toute preuve pertinente nécessaire pour établir le bien-fondé de leur demande. Il appert des motifs que, malheureusement, les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’ils devaient être exemptés des exigences habituelles de la Loi. Les passages suivants tirés des motifs de l’agente illustrent cette omission :

 

[traduction]

 

  • « Même si “des détails relatifs aux traitements et aux soins que Mme Dubovtseva reçoit actuellement” étaient précisément demandés dans une lettre le 22 janvier 2008,  ils n’ont pas été fournis. »
  • « […] [A]ucune information claire n’a été fournie à propos du type exact de soins et de traitements que la demanderesse reçoit actuellement des professionnels de la santé ou de sa famille au Canada. »
  • « […] [O]n ne sait pas exactement quels sont ses besoins quotidiens en soins et en traitements, ce qui permet difficilement de déterminer quels sont ses besoins et exigences afin de vérifier si le Kazakhstan pourrait y répondre. »
  • « De même, la lettre du mois de février 2008 du médecin de famille de la demanderesse […] fournit peu de détail sur le plan actuel des soins et des traitements […] »
  • « Je note que même si les avocats se sont engagés, en octobre 2006, à fournir une lettre contenant une évaluation personnalisée du manque de soins de santé pour les besoins de la demanderesse, aucune information de ce genre n’a été fournie. »
  • « Je ne dispose pas suffisamment de preuve actuelle pour établir que la demanderesse serait incapable d’avoir recours aux traitements ou aux soins médicaux dont elle pourrait avoir besoin au Kazakhstan. »
  • « [Le médecin] affirme qu’elle ne pourrait pas supporter un long voyage, mais ne donne aucun détail comme la raison de cette conclusion ou la durée du voyage. »
  • « […] [A]ucune information précise n’a été fournie au sujet des médicaments ou d’autres traitements qu’elle reçoit, de la personne qui la traite et de la fréquence des traitements. »

Les motifs de l’agente sont remplis de déclarations et d’observations similaires au sujet de l’absence d’éléments de preuve autres que les déclarations générales sur la condition et l’état de santé de Mme Dubovtseva.

 

[11]    Les demandeurs ont soutenu que l’agente aurait dû [traduction] « inférer » de la preuve dont elle disposait que Mme Dubovtseva ne pouvait pas être renvoyée du Canada, et ont laissé entendre que ce fait en soi justifiait une décision favorable sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il n’appartient pas à la Cour en l’espèce de décider si l’incapacité de voyager justifie ou non en soi une décision favorable sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ce qui est certain, cependant, c’est que l’agente avait le droit de s’attendre à une preuve claire, convaincante et détaillée pour appuyer la demande. Les demandeurs n’ont tout simplement pas fourni une telle preuve, malgré le fait qu’une preuve détaillée ait été demandée et qu’ils aient promis de la fournir.

 

[12]    En dernier lieu, les demandeurs ont prétendu que l’agente aurait mis la barre trop haute relativement à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il serait impossible de l’atteindre. Ils ont plaidé qu’une demande pour des motifs d’ordre humanitaire n’est pas le recours extraordinaire que l’agente en a fait. D’une part, l’agente, selon moi, n’a pas mis la barre plus haute dans sa décision. D’autre part, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est un recours extraordinaire. Si elle était acceptée, les demandeurs ne seraient pas tenu de présenter leur demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada. Les demandes venant de l’étranger sont la norme; les demandes présentées à l’intérieur du pays sont l’exception.

 

[13]    Pour tous les motifs énumérés ci-dessus et quoique l’accident de Mme Dubovtseva et ses conséquences pour les demandeurs soient vraiment déplorables, la présente demande doit être rejetée.

 

[14]    Comme l’ont noté l’agente dans ses motifs et l’avocat du défendeur à l’audience, les demandeurs auront l’occasion de présenter une preuve, si c’est possible, selon laquelle la santé de Mme Dubovtseva est telle qu’elle ne peut pas supporter le voyage aérien jusqu’au Kazakhstan. S’ils décident de le faire, ils sont fortement encouragés à s’assurer que la preuve fournie soit précise, détaillée et actuelle.

 

[15]    Aucune partie n’a proposé de question à certifier et les faits présentés n’en soulèvent aucune.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.             Aucune question n’est certifiée.

                                                                                                                « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2673-08

 

INTITULÉ:                                       ANATOLIY DUBOVTSEV et OLGA DUBOVTSEVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                                

                                                                       

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 12 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robin Morch

POUR LES DEMANDEURS

 

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robin Morch
Avocat et notaire

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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