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Date : 20081222

Dossier : IMM-945-08

Référence : 2008 CF 1382

Ottawa (Ontario), ce 22e jour de décembre 2008

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Saeb Ozdemir BACHA

 

Demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) d’une décision d’un agent d’évaluation de risques avant renvoi (« l’agent ERAR »), rendue le 30 novembre 2007, rejetant la requête de monsieur Bacha et sa famille en vue d’être autorisés à présenter leur demande de résidence permanente depuis le Canada.

[2]          Le demandeur, Saeb Ozdemir Bacha, et sa famille – son épouse, Sahar Fleifel Bacha, et ses enfants Ihsan, Izdomir et Karim – sont citoyens du Liban. L’enfant cadet, Loay, est né au Canada en juillet 2007.

 

[3]          L’agent ERAR a rejeté la demande parce que « les requérants ne se sont pas déchargé du fardeau de démontrer que le fait de déposer la demande de résidence permanente à l’étranger, tel que la Loi le prévoit, les exposera à des difficultés inhabituelles, injustifiées et/ou excessives ».

 

[4]          Plus particulièrement, sur la question d’établissement, l’agent a trouvé que les cinq années passées au Canada n’ont pas donné aux demandeurs le temps d’adopter une « façon de vivre et de penser » si canadienne que leur retour au Liban serait « comme une deuxième immigration ». De plus, l’agent a trouvé qu’ils n’avaient pas démontré une saine gestion financière, notant que la preuve ne contenait pas de comptes de banque avec les transactions de plusieurs mois, de factures des services essentiels de la dernière année, de relevés de cartes de crédit, investissements ou autre. L’agent constate que les demandeurs n’ont pas soumis de rapports d’impôt aux gouvernements fédéral et provincial, ni aucune preuve officielle de leur revenu et de sa source, à part des lettres de leurs employeurs. Finalement, la preuve ne contient aucune indication de participation dans des activités sociales, récréatives ou caritatives.

 

[5]          Concernant leurs liens au Canada, l’agent note que les parents de la demanderesse habitent au Canada, ainsi que son frère, des oncles, tantes et cousins. Cependant, il ne trouve rien dans la preuve montrant « le niveau de soutien réel dont les requérants bénéficient », à part une demande d’engagement signée par un frère.

[6]          Se tournant vers l’intérêt supérieur des enfants, l’agent trouve que les deux enfants adolescents, bien qu’ils auraient sûrement certaines difficultés à se réadapter au Liban, ne rencontreraient pas d’obstacles excessifs s’ils étaient obligés d’y retourner. Les deux enfants cadets, âgés de sept ans et de un an respectivement, sont, à son avis, « trop jeunes pour parler de déracinement ».

 

[7]          L’agent a aussi considéré les risques de renvoi auxquels font face les demandeurs. Cependant, il n’y a que l’aspect concernant les considérations humanitaires (« CH ») de la décision qui est présentement contesté.

 

[8]          La disposition suivante de la Loi est pertinente en l’espèce :

  25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

  25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

 

 

[9]          Dans un premier temps, et principalement, le demandeur plaide que l’agent ERAR ne s’est pas acquitté de son obligation d’équité envers lui, notamment en raison du fait qu’il ne lui a pas offert l’occasion de fournir des renseignements et documents manquants à sa demande initiale.

 

[10]      Je suis tout à fait d’accord avec le défendeur qu’il n’y aucune base dans la jurisprudence pour une telle proposition. Dans l’affaire Serda c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 356, le juge de Montigny écrit, au paragraphe 20 :

     L'une des pierres angulaires de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est l'obligation, pour les personnes qui souhaitent s'établir de manière permanente au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident permanent et d'obtenir un visa de résidence permanente. L'article 25 de la Loi donne au ministre la possibilité d'autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifient, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure se veut clairement une mesure d'exception, comme l'indique le libellé de cette disposition : . . .

                                                            (C’est moi qui souligne.)

 

 

 

[11]      Pour sa part, le juge Lemieux résume la jurisprudence sur ce point dans l’affaire Singh c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 1356, au paragraphe 32 :

     Il est de jurisprudence constante, à la Cour fédérale, que :

 

- C'est au demandeur qu'il incombe d'établir l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense d'application des obligations légales habituelles de la LIPR;

- Concrètement, le demandeur doit soumettre à l'examen du décideur suffisamment d'éléments de preuve probants et fiables pour démontrer l'existence des raisons d'ordre humanitaire qu'il invoque. Le demandeur doit présenter ses meilleurs arguments et ne peut se plaindre par la suite s'il n'a pas présenté suffisamment d'éléments de preuve convaincants. Saisie d'une demande de contrôle judiciaire, notre Cour ne peut se lancer dans une nouvelle pondération de ces éléments de preuve en vue de remplacer la décision du tribunal par la sienne (Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 567; voir également Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1158). En corollaire à l'obligation imposée au demandeur de présenter ses meilleurs arguments, le décideur doit examiner et pondérer les éléments de preuve qui lui sont soumis.

 

 

 

[12]      De plus, les extraits suivants du guide opérationnel concernant les demandes présentées par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire me semblent consistants avec cette jurisprudence :

5.1. Motifs d’ordre humanitaire

Il incombe au demandeur de prouver au décideur que son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada serait

 

(i) soit inhabituelle et injustifiée;

(ii) soit excessive.

 

Le demandeur peut exposer les faits qu’il juge pertinents, quels qu’ils soient.

 

[. . .]

5.1. Humanitarian and compassionate grounds

Applicants bear the onus of satisfying the decision-maker that their personal circumstances are such that the hardship of having to obtain a permanent resident visa from outside of Canada would be

 

(i) unusual and undeserved or

(ii) disproportionate.

 

Applicants may present whatever facts they believe are relevant.

 

[. . .]

 

5.26. Fardeau de la preuve

L’agent n’a pas à découvrir les facteurs CH par des questions et n’a pas à convaincre le

demandeur de la non-existence de ces motifs. Il incombe au demandeur de présenter tous les facteurs CH qu’il estime présents dans son cas.

 

Même si l’agent n’est pas tenu de creuser les points non soulevés à l’examen, il devrait essayer de clarifier tout point que le demandeur ne réussit pas à bien exposer.

 

[. . .]

5.26 Onus on applicant

Officers do not have to elicit information on H&C factors and are not required to satisfy applicants that such grounds do not exist. The onus is on applicants to put forth any H&C factors that they feel exist in their case.

 

Although officers are not expected to delve into areas that are not presented, officers should attempt to clarify possible H&C grounds if these are not well articulated by the applicants.

 

[. . .]

 

5.29. Les points à prouver

Il n’existe pas de point particulier à prouver. Il appartient au demandeur de déterminer les motifs qui, selon lui, sont des facteurs CH pertinents dans ses circonstances particulières et de présenter des observations à leur propos. L’agent n’a pas à tirer au clair les facteurs CH (c.-à-d.

creuser les points non présentés dans les observations du demandeur), mais il serait bon de préciser les motifs CH éventuels si ceux-ci ne sont pas bien exposés.

[. . .]

5.29 The “Case to be met”

There is no particular “case to be met.” Applicants determine what they feel are the H&C factors for their particular circumstances and make submissions on them. While officers do not have to elicit H&C factors (i.e., delve into areas that are not presented in the applicants' submissions), it is a good practice to clarify possible H&C grounds if these are not well articulated.

 

[. . .]

 

 

 

[13]      Il est évident que, malgré le fait qu’il soit « bon de préciser les motifs CH éventuels si ceux-ci ne sont pas bien exposés », c’est au demandeur de déterminer les facteurs CH pertinents dans ses circonstances et de les présenter à l’agent.

 

[14]      Je ne peux donc souscrire à l’argument du demandeur à l’effet que l’agent a erré pour ne pas avoir pris l’initiative de demander des documents ou informations manquants.

 

[15]      Dans un deuxième temps, et subsidiairement, le demandeur soutient que l’agent ERAR n’a pas correctement apprécié le degré d’établissement du demandeur et des membres de sa famille et qu’il n’a pas soupesé avec humanité et dans un esprit positif l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par sa décision, notamment celui de l’enfant né au Canada.

 

[16]      À cet égard, les demandeurs m’apparaissent être simplement en désaccord avec l’appréciation de la preuve faite par l’agent ERAR. Or, il est bien établi que cette Cour n’a pas à se substituer à semblable décideur pour apprécier les faits lorsque, comme en l’espèce, les demandeurs ont fait défaut d’établir que la décision rendue est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments mis en preuve (voir l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C (1985), ch. F-7). Dans les circonstances, la décision de l’agent ERAR m’apparaît être raisonnable.

 

[17]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’évaluation de risques avant renvoi rendue le 30 novembre 2007 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-945-08

 

INTITULÉ :                                       Saeb Ozdemir BACHA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luc R. Desmarais                          POUR LE DEMANDEUR

 

Me Thi My Dung Tran                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc R. Desmarais                                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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