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Date :  20090105

Dossier :  IMM-2182-08

Référence :  2009 CF 6

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

EMMANUEL LALANE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               L’allégation des risques au sein d’une demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires (CH) doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH. En conclure ainsi constituerait une erreur à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et délégué notamment à l’agent d’Examen des risques avant renvoi (ERAR)  par le Ministre (Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, [2005] A.C.F. no 1153 (QL) au par. 10; également, le chapitre IP 5 du Guide de Citoyenneté et Immigration Canada sur le traitement des demandes au Canada intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » qui prévoit expressément que le risque identifié dans une demande CH doit être un risque personnalisé (section 13, p. 34), pièce « B » Affidavit de Dominique Toillon; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719, 149 A.C.W.S. (3d) 303).

 

[2]               Par ailleurs, tel que mentionné dans le Guide d’exécution de la loi (ENF) 10, sec. 11.2, un sursis temporaire est imposé lorsque le renvoi dans un pays ou un lieu déterminé expose la personne visée à un risque généralisé que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile juge dangereux et non sécuritaire pour l’ensemble de la population civile du pays ou du lieu en cause. Le risque personnel est différent du risque généralisé et est évalué pendant l’examen de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), des motifs CH ou pendant l’ERAR (Guide ENF 10, p. 23 : pièce « A » Affidavit de Dominique Toillon).

 

[3]               Il est à noter qu’en vertu du paragraphe 230(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), le sursis de la mesure de renvoi ne s’applique pas, entre autres, aux personnes interdites de territoire pour grande criminalité ou criminalité au titre du paragraphe 36.(1)a) de la LIPR. (Guide ENF 10, p. 23 : pièce « A » Affidavit de Dominique Toillon).

 

[4]               Dans une décision récente, le juge Luc Martineau faisait les commentaires suivants dans la décision Nkitabungi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 331, 169 A.C.W.S. (3d) 862 :

[12]      [...] D’autre part, le seul fait que les autorités responsables aient décidé de ne pas retourner au Congo des ressortissants congolais se trouvant au Canada sans statut légal ne crée aucune présomption de difficultés indues ou excessives comme le soutient le savant procureur du demandeur. En effet, chaque cas de demande CH est un cas d’espèce. Je note à cet égard que dans la décision Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, il a été décidé qu’un moratoire sur les renvois au Congo n’empêche pas en soi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit rejetée. (La Cour souligne.)

 

II.  Procédure judiciaire

[5]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de l’agent d’immigration du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada, rendue le 21 avril 2008, rejetant la demande pour résidence permanente.

 

III.  Faits

[6]               Le demandeur, monsieur Emmanuel Lalane, est citoyen d’Haïti.

 

[7]               En 1990, monsieur Lalane, devient résident permanent du Canada.

 

[8]               Entre 2003 et 2007, monsieur Lalane, est reconnu coupable de voies de fait, de bris de probation, de complot pour l’importation de stupéfiants, importation de stupéfiants, possession de stupéfiants dans le but de trafiquer et de possession de substances.

 

[9]               En juin 2007, un Rapport 44 est émis en vertu du paragraphe 36.(1)a) de la LIPR, « Interdiction de territoire pour grande criminalité ».

 

[10]           En 2008, monsieur Lalane, soumet sa demande CH en invoquant s’être bien intégré au Canada et parce qu’il est à risque en Haïti. Il allègue notamment être à risque :

  • en raison de la situation générale du pays;
  • en raison de sa qualité de déporté et d’ancien membre de l’armée;
  • en raison du fait qu’il porte un pacemaker et que le système de santé en Haïti met sa vie en péril.

 

IV.  Décision contestée

 

[11]           La LIPR requiert qu’un étranger qui désire s’établir de façon permanente au Canada demande et obtienne un visa de résidence permanente avant d’entrer au Canada, en vertu du paragraphe 25.(1) de la LIPR, le Ministre peut dispenser un étranger de faire sa demande de visa de résident permanent à l’extérieur du Canada en raison de considérations humanitaires. Il s’agit d’un processus qui est tout à fait discrétionnaire (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au par. 51).

 

[12]           Il appartient au demandeur de convaincre l’agent d’immigration qu’il existe des considérations d’ordre humanitaire justifiant une recommandation favorable de le soustraire du processus habituel prévu par la LIPR.

 

[13]           Plus particulièrement, il doit prouver que son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada serait (i) inhabituelle et injustifiée, ou (ii) excessive (Guide de l’immigration : (IP) Traitement des demandes au Canada, chapitre IP 05 au par. 5.1).

 

V.  Point en litige

[14]           Est-ce que la décision de l’agent d’immigration est déraisonnable ?

 

VI.  Analyse

[15]           Monsieur Lalane invoque les raisons suivantes au soutien de sa demande de révision à l’encontre de la décision CH :

  • L’agent d’ERAR a fait une mauvaise appréciation de la preuve;
  • L’agent d’ERAR n’a pas pris en considération ni commenté le fait qu’Haïti est sur la liste des pays moratoires;
  • L’agent d’ERAR n’a pas accordé d’importance à la question de l’intérêt supérieur des enfants;
  • Le fait que monsieur Lalane porte un pacemaker devant être remplacé en 2010 le condamnera à un décès par manque de soins spécialisés.

 

Preuve nouvelle postérieure à la décision

[16]           Les quatre pièces déposées comme pièces « A », « B », « C » et « D » à l’affidavit de madame Gilberte Charles (la conjointe du demandeur) constituent des nouvelles preuves.

[17]           Plusieurs faits énoncés dans cet affidavit constituent en soi de la nouvelle preuve puisque cet affidavit ne se trouvait pas en preuve devant l’agent chargé de l’ERAR.

 

[18]           Les pièces « A », « B », « C » et « D » jointes à cet affidavit constituent de la nouvelle preuve puisqu’elles n’ont pas été portées à la connaissance de l’agent d’ERAR. L’affidavit de madame Dominique Toillon démontre sans être contredit ainsi que ces quatre pièces ne figurent aucunement dans le dossier du tribunal.

 

[19]           Plus évident encore est le fait que la pièce « B » est datée du 22 mai 2008 et que la pièce « C » est datée du 6 mai 2008, soit postérieurement à la décision d’ERAR, datée du 21 avril 2008.

 

[20]           Il ne fait aucun doute que les documents joints à cet affidavit de madame Charles ne sauraient être considérés par cette Cour alors que l’agent d’ERAR n’en était pas saisi au moment de rendre sa décision.

 

[21]           En outre, il est clair que par le biais de cet affidavit, monsieur Lalane tente surtout de répondre aux préoccupations soulevées par l’agent d’ERAR dans sa décision, en ajoutant des renseignements ou en clarifiant les renseignements qu’il avait déjà donnés dans sa demande CH. Ainsi, monsieur Lalane tente de présenter une nouvelle preuve à la Cour.

 

[22]           Or, il est bien établi que dans le cadre d’un contrôle judiciaire, cette Cour ne peut pas prendre en considération des éléments de preuve dont le décideur ne disposait pas (C.D. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 501, [2008] A.C.F. no 631 (QL) au par. 40; Alabadleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 716, 149 A.C.W.S. (3d) 470 au par. 5; Mijatovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 685, 149 A.C.W.S. (3d) 290 au par. 22).

 

La preuve

[23]           Monsieur Lalane invoque que l’agent d’immigration a fait une mauvaise appréciation de la preuve. Il allègue plus spécifiquement sous cette rubrique :

  • que l’agent a utilisé un mauvais critère dans son appréciation à savoir si monsieur Lalane aurait de la difficulté ou non à réintégrer le marché du travail en Haïti;
  • que l’agent n’a pas tenu compte du fait que monsieur Lalane ait occupé plusieurs autres emplois, dont celui à titre de bénéficiaire auprès d’un organisme venant en aide aux populations inuites lors de son incarcération
  • que l’agent n’a pas tenu compte des critères réglementaires et jurisprudentiels de la LIPR concernant son épouse et le motif de mariage;
  • qu’il a une expectative raisonnable de voir sa demande étudiée et motivée à la lumière du moratoire;
  • que l’agent d’ERAR, en ayant « deux chapeaux », contourne les règles de justice naturelle, car il s’appuie sur une décision qu’il a rendue lui-même, sans pour autant en aviser monsieur Lalane et ne lui laissant aucunement la chance de faire des représentations à l’encontre de celle-ci.

(Dossier du demandeur aux pp. 166, 168 par. 8, 10, 13, 15-16, 22, 27 et 30).

[24]           Premièrement, concernant sa réintégration en Haïti, l’agent d’immigration conclut :

[...] Le demandeur a obtenu un diplôme en génie en Haïti. Ainsi, j’estime que ses antécédents d’emploi et sa formation tant au Canada comme en Haïti, pourront l’aider à réinsérer le marché du travail dans son pays de nationalité [...]

 

(Décision à la p. 3).

 

[25]           Monsieur Lalane alléguait notamment, dans ses soumissions écrites au soutien de sa demande CH, que :

Dans ce contexte d’insécurité et d’anarchie quasi totale, je ne pourrais aucunement gagner ma vie [...] »

 

(Soumissions écrites du demandeur au soutien de sa demande CH, page 3; pièce « C » Affidavit de Dominique Toillon).

 

Ainsi, on ne peut reprocher à l’agent d’immigration d’avoir considéré ce facteur pertinent dans son évaluation.

 

[26]           Deuxièmement, contrairement à ce qui est allégué, l’agent d’immigration a noté, entre autres, que monsieur Lalane avait commencé à travailler en 2005 pour le centre Inuultisivik. L’agent d’immigration indique notamment que monsieur Lalane avait soumis un relevé de paie et un avis de dépôt pour étayer cet aspect. Or, l’agent d’immigration a conclu :

[...] Je suis d’avis que le fait d’occuper un emploi est un point positif dans une demande de considérations humanitaires mais il ne constitue pas un facteur décisif [...]

 

(Décision à la p. 3 aux par. 2 et 3).

 

[27]           Le fait que monsieur Lalane ait progressé dans son adaptation au sein de la société canadienne, qu’il travaille et qu’il est devenu autonome financièrement ne pouvait permettre à l’agent d’immigration de conclure automatiquement à la présence de motifs d’ordre humanitaire. Comme l’a décidé cette Cour dans la décision Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 185 F.T.R. 161, 96 A.C.W.S. (3d) 112, l’autonomie seule ne garantit pas qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires soit accueillie en l’absence d’autres facteurs permettant de conclure que le rejet de la demande CH entraînerait des difficultés inhabituelles ou excessives.

 

[28]           Troisièmement, concernant son épouse et la raison de mariage, l’agent d’immigration a conclu :

Il allègue que son épouse est affectée psychologiquement et physiquement par son incarcération et qu’elle doit maintenant supporter ses deux enfants. Il affirme qu’elle désire qu’il reste au Canada. Cependant, il ne montre pas de document pour démontrer l’état de santé de celle-ci ni des détails concernant la nature de leur relation. Aussi, il n’a pas soumis de lettre du support de la part de celle-ci.

 

[...]

 

[...] Peu d’information est donnée concernant sa relation avec son épouse et son ex-épouse. En ce sens, le mariage n’est pas motif humanitaire suffisant pour accorder une dispense.

 

(La Cour souligne).

 

(Décision à la p. 3 aux par. 6 et 8).

 

[29]           En l’absence de preuve devant lui que la séparation de monsieur Lalane d’avec son épouse causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, il était raisonnable pour l’agent d’immigration de conclure comme elle l’a fait.

 

[30]           De plus, la jurisprudence a reconnu que la seule séparation en soi des membres de la famille n’est pas un motif d’ordre humanitaire justifiant une dispense, en l’absence de preuve permettant de conclure que cette séparation entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (Aoutlev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 111, [2007] A.C.F. no 183 (QL) au par. 20).

 

[31]           D’ailleurs, dans la décision Aoutlev, ci-dessus, cette Cour s’est référée à l’une de ses décisions antérieures pour rappeler que le fait qu’une personne qui quitte des membres de sa famille et un emploi ne constituait pas nécessairement un préjudice pour justifier une décision favorable au sujet des raisons humanitaires.

 

[32]           Toujours sur cet aspect, monsieur Lalane ne précise pas quels critères réglementaires et jurisprudentiels de la LIPR, l’agent a omis de considérer.

 

[33]           Finalement, la jurisprudence de cette Cour a déjà conclu qu’il n’y a aucune obligation pour un agent d’ERAR de communiquer sa décision relative à la demande d’ERAR au demandeur lorsque le même agent se prononce également sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires. Plus spécifiquement, dans Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1274, 241 F.T.R. 289, au paragraphe 24, le juge Martineau indiquait que l’agent d’ERAR n’avait pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité de faire des commentaires avant qu’une décision finale soit rendue sur sa demande (Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 583, 139 A.C.W.S. (3d) 112 au par. 21; Vasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 91, 268 F.T.R. 122; Aoutlev, ci-dessus au par. 39;  Akpataku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 698, 131 A.C.W.S. (3d) 496; c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 389, 218 F.T.R. 264; Pannu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, 153 A.C.W.S. (3d) 195 au par. 37; Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1045, 141 A.C.W.S. (3d) 118 au par. 41).

 

[34]           La position de monsieur Lalane sous cette rubrique est l’expression d’un désaccord avec l’appréciation des divers éléments de preuve dont l’agent d’immigration disposait pour rendre sa décision et une demande à la Cour de se substituer face à la décision avec une reconsidération de la matière.

 

Le moratoire

[35]           Tel que mentionné plus haut, monsieur Lalane allègue qu’il a une expectative raisonnable de voir sa demande étudiée et motivée à la lumière du moratoire. Notamment, il allègue que l’agent d’ERAR aurait dû se référer au moratoire et appliquer ce critère additionnel d’évaluation en regard des faits soumis par celui-ci.

 

[36]           Les deux décisions, Isomi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1394, 157 A.C.W.S. (3d) 807 et Alexis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 273, [2008] A.C.F. no 493 (QL), citées au mémoire de monsieur Lalane émanent des évaluations d’ERAR et non des demandes de motifs humanitaires.

 

[37]           En raison des considérations humanitaires, l’agent d’immigration n’avait pas l’obligation de se référer au moratoire dans sa décision.

 

[38]           L’allégation des risques au sein d’une demande CH doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH. En conclure ainsi constituerait une erreur à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la LIPR et délégué notamment à l’agent d’ERAR par le Ministre (Mathewa, ci-dessus; également, le chapitre IP 5 du Guide de Citoyenneté et Immigration Canada sur le traitement des demandes au Canada intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » qui prévoir expressément que le risque identifié dans une demande CH doit être un risque personnalisé (section 13, p. 34), pièce « B » Affidavit de Dominique Toillon; Hussain, ci-dessus).

 

[39]           Par ailleurs, tel que mentionné dans le guide ENF 10, sec. 11.2, un sursis temporaire est imposé lorsque le renvoi dans un pays ou un lieu déterminé expose la personne visée à un risque généralisé que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile juge dangereux et non sécuritaire pour l’ensemble de la population civile du pays ou du lieu en cause. Le risque personnel est différent du risque généralisé et est évalué pendant l’examen de la CISR, des motifs CH ou pendant l’ERAR (Guide ENF 10, p. 23 : pièce « A » Affidavit de Dominique Toillon).

 

[40]           Il est à noter qu’en vertu du paragraphe 230(3) du Règlement, le sursis de la mesure de renvoi ne s’applique pas, entre autres, aux personnes interdites de territoire pour grande criminalité ou criminalité au titre du paragraphe 36.(1)a) de la LIPR. (Guide ENF 10, p. 23 : pièce « A » Affidavit de Dominique Toillon).

 

[41]           Dans une décision récente, le juge Martineau faisait les commentaires suivants dans la décision Nkitabungi, ci-dessus:

[12]      [...] D’autre part, le seul fait que les autorités responsables aient décidé de ne pas retourner au Congo des ressortissants congolais se trouvant au Canada sans statut légal ne crée aucune présomption de difficultés indues ou excessives comme le soutient le savant procureur du demandeur. En effet, chaque cas de demande CH est un cas d’espèce. Je note à cet égard que dans la décision Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, il a été décidé qu’un moratoire sur les renvois au Congo n’empêche pas en soi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit rejetée. (La Cour souligne.)

 

[42]           La question n’est pas de savoir quand, ni où le demandeur sera renvoyé. La question en cause est de déterminer si le fait de demander un visa de l’extérieur du Canada causerait au demandeur des difficultés injustifiées et inhabituelles ou excessives. C’est le demandeur qui a le fardeau de démontrer des faits particuliers à sa propre situation, lesquels font en sorte que le fait de demander un visa de l’extérieur du Canada représenterait pour lui une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive. Il n’existe pas de point particulier à prouver. Il appartient au demandeur de déterminer les motifs, qui, selon lui, sont des facteurs CH pertinents dans ses circonstances particulières et de présenter des observations à leur propos.

 

[43]           Tel que mentionné dans Hussain, ci-dessus :

[12]      Également, un principe bien reconnu veut qu’il ne suffise pas de simplement faire référence aux conditions dans le pays en général sans lier ces conditions à la situation personnelle du demandeur (voir, par exemple, Dreta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239, et Nazaire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 416). (La Cour souligne.)

 

[44]           En l’espèce, il est clair dans la décision de l’agent d’immigration qu’il a considéré les conditions difficiles du pays en cause; toutefois, comme le mentionne le juge Yvon Blais dans l’arrêt Mathewa, ci-dessus, ce n’est pas suffisant en soi pour accepter toutes les demandes de dispense pour motifs humanitaires. Le demandeur doit faire face à un risque personnalisé et ce risque, ainsi que tous les autres facteurs allégués à titre de motifs humanitaires, doivent satisfaire l’agent que le fait de demander un visa de l’extérieur du Canada causerait au demandeur des difficultés excessives, inhabituelles ou injustifiées (Hussain, ci-dessus).

 

[45]           En l’espèce, l’agent d’immigration a conclu à l’absence d’un risque personnalisé donnant lieu à des difficultés injustifiées, inhabituelles ou excessives pour monsieur Lalane. Voici sa conclusion à cet égard :

Malgré cette situation, je considère que le demandeur n’a pas démontré que sa situation est différente de celle des autres citoyens haïtiens. Ainsi, je considère que les sources ainsi que la preuve déposée ne montrent pas l’existence d’une possibilité qu’il soit personnellement à risque en ce pays.

 

Conclusion

À la lumière de ce qui précède, je considère que les considérations humanitaires de la présente demande, que ce soit concernant l’établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants et les risques allégués, ne sont pas suffisantes pour accorder une dispense. Je suis d’avis que le demandeur n’a pas démontré qu’un départ du Canada pour déposer une demande de visa lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

(Décision aux pp. 6 et 7).

 

 

[46]           L’agent d’immigration a évalué les conditions du pays, a admis que la situation demeurait fragile et a conclu que monsieur Lalane n’était pas personnellement à risque advenant un renvoi en Haïti. L’agent d’immigration a soupesé l’établissement au Canada, relativement à la situation occupationnelle de monsieur Lalane, ses liens au Canada et son dossier criminel et a pris en compte l’intérêt supérieur des enfants, tel qu’il sera détaillé plus bas. L’agent d’immigration fait une conclusion générale englobant l’établissement englobant l’établissement au Canada et les risques allégés avec le test approprié. Bien que l’agent d’immigration ne mentionne pas le moratoire à sa décision, ceci ne constitue pas une erreur révisable; une décision CH et l’exécution éventuelle d’une mesure de renvoi étant deux choses complètement différentes :

[17]      [...] Au passage, je note que la décision d’imposer une suspension temporaire des renvois vers un pays relève du ministre de la Sécurité publique, tandis que la décision rendue par l’agente relativement à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire relève du pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Il s’agit de décisions qui relèvent de deux ministres distincts. D’autre part, tel que je l’ai souligné ci-haut, la jurisprudence indique qu’une suspension temporaire des renvois n’empêche pas en soi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit rejetée (Mathewa, ci-dessus, au paragraphe 9). (La Cour souligne.)

 

(Nkitabungi, ci-dessus).

 

 

            L’intérêt supérieur des enfants

[47]           Il est bien établi que la pondération des facteurs pertinents dans le cadre d’une demande CH demeure à l’agent d’immigration. L’intérêt des enfants est un facteur que l’agent doit examiner avec beaucoup d’attention et quand l’agent a bien mis en évidence et défini ce facteur, il appartient à l’agent d’immigration de déterminer quel poids lui attribuer dans les circonstances (Baker, ci-dessus; Canadian Foundation for Chidlren, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358 (C.A.); Bolanos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1031, 239 F.T.R. 122 au par. 14; Hussain, ci-dessus; Pannu, ci-dessus au par. 37).

 

[48]           Comme l’a clairement énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker, ci-dessus (au par. 75), le fait que le décideur doit accorder un poids considérable à l’intérêt supérieur des enfants ne veut pas dire que cet intérêt l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande CH, même en tenant compte de l’intérêt des enfants.

 

[49]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, ci-dessus, a réitéré ce principe juridique énoncé dans l’arrêt Baker, ci-dessus, en ces termes :

Il s’ensuit que le principe juridique qu’est l’« intérêt supérieur de l’enfant » peut être subordonné à d’autres intérêts dans des contextes appropriés.  Par exemple, une personne reconnue coupable d’un crime peut être condamnée à l’emprisonnement même si cette peine n’est peut-être pas conforme à l’intérêt supérieur de son enfant. La société estime qu’il n’est pas toujours essentiel que l’« intérêt supérieur de l’enfant » ait préséance sur tous les autres intérêts en cause dans l’administration de la justice.  Bien qu’il constitue un principe juridique important et un élément à prendre en considération dans de nombreux contextes, l’« intérêt supérieur de l’enfant » n’est ni primordial ni fondamental dans la notion de justice de notre société et n’est donc pas un principe de justice fondamentale. (La Cour souligne.)

 

[50]           Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu’il incombe au demandeur de présenter tous les renseignements pertinents pour appuyer sa demande. Ainsi que la Cour l’a fait observer dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] R.C.F. 635 au paragraphe 8: « puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites » (Raji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 653, 158 A.C.W.S. (3d) 464 au par. 10).

 

[51]           Il ressort des notes au dossier que l’agent d’immigration a considéré l’intérêt supérieur des enfants dans le contexte des éléments qui lui avaient été soumis. L’agent d’immigration a noté :

  • Le demandeur avait quatre enfants issus de deux relations différentes;
  • Il n’invoque pas l’intérêt supérieur des enfants de sa première union;
  • Seul son jeune fils a l’autorisation par sa conjointe de lui rendre visite;
  • Le demandeur ne soumet aucune preuve concrète de son implication auprès de ses enfants;
  • Les enfants plus âgés vivent avec leur mère depuis longtemps; le demandeur n’a pas de droit de visite;
  • Les enfants plus jeunes sont séparés d’avec leur père depuis son incarcération en mai 2007 et vivent auprès de leurs mères respectives au Canada.

 

[52]           Or, en l’absence de preuve devant lui quant à la nature de la relation de monsieur Lalane développée avec ses enfants, il était raisonnable pour l’agent d’immigration de conclure comme il l’a fait.

 

[53]           Les motifs de la décision de l’agent d’immigration indiquent que cette décision a été rendue d’une manière réceptive à l’intérêt des deux enfants et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Le fait que l’agent d’immigration ne soit pas arrivé au résultat escompté par monsieur Lalane ne signifie pas qu’il aurait erré.

 

La question du pacemaker

[54]           Contrairement à ce que soumet monsieur Lalane à son mémoire d’arguments, aux paragraphes 37 et suivants, l’agent d’ERAR avait noté dans sa décision avoir consulté les documents relatifs au stimulateur cardiaque et les documents du Service correctionnel du Canada. Tels que mentionnés à ses motifs, ces documents indiquaient que monsieur Lalane était suivi environ tous les six mois par un cardiologue et que le temps de vie du pacemaker est d’environ 2 ans et demi (Décision à la p. 4, sous-titre « Risques »).

 

[55]           Or, ce que l’agent d’ERAR constate à ses motifs est que monsieur Lalane ne soumet aucun élément de preuve pour soutenir son allégation comme quoi « En Haïti des soins de par un cardiologue compétent et les instruments de remplacement de batteries n’existent pas comme cela est la norme au Canada » (Décision à la p. 4, sous-titre « Risques »).

 

[56]           L’agent d’ERAR a analysé la preuve documentaire au dossier qui indiquait notamment que les services de santé ne sont pas inexistants, mais qu’ils sont difficiles d’accès pour les citoyens les plus pauvres. Or, tel que mentionné par l’agent d’ERAR, monsieur Lalane n’a pas démontré qu’il faisait partie de cette catégorie de citoyens. De plus, il est originaire de Port-au-Prince, où la situation est moins difficile (Décision à la p. 5 au premier paragraphe).

 

[57]           Il est bien établi qu’il appartenait à l’agent d’immigration d’examiner les documents déposés en preuve et d’en évaluer leur force probante. C’est ce que l’agent d’immigration a fait, en donnant des motifs précis et complets pour appuyer sa conclusion (Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, 116 A.C.W.S. (3d) 929; Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937, 116 A.C.W.S. (3d) 930).

 

VII.  Conclusion

[58]           L’agent d’immigration a pris en considération toutes les preuves qui lui ont été soumises et a évalué tous les facteurs pertinents en regard des motifs d’ordre humanitaire.

 

[59]           Monsieur Lalane n’a pas fait ressortir d’éléments qui auraient pu permettre à cette Cour de conclure que la décision rendue est déraisonnable et il n’y a rien qui justifie l’intervention de la Cour dans la décision de l’agent d’immigration.

 

[60]           Pour toutes ces raisons, monsieur Lalane n’a pas fait la preuve qu’il existe des motifs qui invalideraient la décision CH de l’agent d’immigration. Ainsi, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2182-08

 

INTITULÉ :                                       EMMANUEL LALANE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 17 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-François Fiset

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Doyon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JEAN-FRANÇOIS FISET

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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