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Date : 20090106

Dossier : T‑197‑08

Référence : 2009 CF 12

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

SCFP, COMPOSANTE D’AIR CANADA

demandeur

et

 

AIR CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le Syndicat canadien de la fonction publique (Composante d’Air Canada) (SCFP) en vue de contester la décision par laquelle Transport Canada a refusé d’entreprendre une enquête sur la sécurité au travail suivant la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (Code), jusqu’à ce que soit achevé le processus de règlement interne des plaintes prévu à l’article 127.1.

 

[2]               Le SCFP soutient que rien n’exige que les plaintes en matière de sécurité soient dans tous les cas traitées au sein de l’entreprise avant qu’un agent de santé et de sécurité puisse entreprendre une enquête et ordonner des mesures correctives suivant l’article 145. Étant donné que Transport Canada a adopté la position selon laquelle il n’avait pas le pouvoir de mener une enquête à l’égard d’une telle plainte, le SCFP affirme que Transport Canada a interprété erronément sa compétence et a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

[3]               Air Canada affirme, en réponse, que Transport Canada n’a aucune compétence résiduelle lui permettant de mener une enquête sur la sécurité ou d’ordonner une mesure corrective suivant l’article 145 du Code jusqu’à ce qu’il ait été satisfait aux exigences énoncées au Code relativement au règlement interne des plaintes. En conséquence, Air Canada dit que la décision de Transport Canada était correcte.

 

a.                  Le contexte

[4]               Le 24 novembre 2007, une agente de bord d’Air Canada (l’employée) a refusé de travailler à bord d’un avion devant partir de Vancouver. L’employée était d’avis qu’un système de communication de cabine hors service créait un environnement de travail dangereux justifiant un refus de travailler suivant le paragraphe 128(1) du Code. L’avion en question a été cloué au sol et par la suite on l’a remplacé par un autre avion.

 

[5]               Le dossier de preuve indique que le processus de règlement interne des plaintes a été engagé par l’employée selon ce que prévoit l’article 127.1 du Code. L’employée a affirmé être préoccupée du fait que le protocole à suivre en vue de régler de telles situations n’a pas été scrupuleusement suivi, mais rien n’indique qu’Air Canada a rejeté sa préoccupation quant à sa sécurité, Air Canada ayant en fait accepté la validité de sa plainte en clouant l’avion au sol. Rien au dossier ne démontre que l’employée a été pénalisée du fait d’avoir adopté la position qu’elle a adoptée, si ce n’est que le personnel de cabine n’a pas été assigné à un autre vol ce jour et qu’il a plutôt été transporté par la compagnie au cours du prochain vol disponible pour retourner à la maison.

 

[6]               Le 25 novembre 2007, l’employée a déposé une plainte écrite au Comité de santé et de sécurité d’Air Canada à Winnipeg. Par cette plainte, l’employée s’insurgeait contre plusieurs manquements qui auraient été commis au protocole de sécurité et contre le temps écoulé avant qu’on s’occupe de ce qui l’inquiétait. Elle se plaignait en outre du comportement grossier et brusque du commandant et de l’équipe de maintenance et elle demandait qu’on lui donne l’assurance qu’elle recevrait son plein salaire pour son quart de travail. Rien dans ce dont je dispose n’indique ce que le Comité de santé et de sécurité a fait, s’il a fait quelque chose, pour traiter de la plainte de l’employée. Dans son affidavit, la coprésidente de ce comité, représentant l’employeur, et supérieure hiérarchique de l’employée, Patty Whitehall, déclare qu’elle menait une enquête à l’égard de la plainte lorsque, le 21 décembre 2007, le SCFP a inscrit auprès de Transport Canada une plainte par laquelle il demandait l’intervention d’un agent de santé et de sécurité. La plainte initiale déposée par l’employée était jointe à cette plainte qui alléguait en outre des contraventions aux paragraphes 128(10) et 128(13) du Code à l’égard du protocole établi quant au traitement d’un refus de travailler d’un employé. La plainte du SCFP mentionnait en outre que le processus de règlement interne des plaintes n’était [traduction] « pas applicable ». Dans sa plainte, le SCFP semble avoir tenté, en renvoyant au paragraphe 128(13) du Code, d’obtenir l’intervention immédiate d’un agent de santé et de sécurité sur le fondement d’un prétendu différent en cours avec Air Canada à l’égard du refus de travailler de l’employée.

 

[7]               Le 2 janvier 2008, Transport Canada a répondu à la plainte du SCFP en déclarant ce qui suit :

[traduction]

Nous accusons réception de votre plainte déposée contre Air Canada, datée du 25 novembre 2007, que nous avons reçue à notre bureau le 21 décembre 2007.

 

Un agent de santé et de sécurité n’a pas le pouvoir de mener une enquête à l’égard d’une plainte avant que soit achevé le processus de règlement interne des plaintes, comme le prévoit l’article 127.1 de la partie II du Code canadien du travail. Par conséquent, la plainte précédemment mentionnée vous est renvoyée afin que vous en traitiez comme il convient.

 

 

[8]               C’est le caractère correct de cette décision qui est en litige dans la présente demande et notamment la question de savoir si l’achèvement du processus de règlement interne des plaintes est une condition préalable essentielle à une enquête menée par un agent de santé et de sécurité suivant l’article 127.1 du Code.

 

II.        Les questions en litige

[9]               La décision de Transport Canada de ne pas mener une enquête à l’égard de la plainte du SCFP constitue‑t‑elle une erreur de compétence ou une entrave à la compétence?

 

III.       Analyse

[10]           Les parties reconnaissent, comme je le reconnais aussi, que la norme de contrôle applicable à une erreur de compétence de la sorte de celle soulevée en l’espèce est la décision correcte : voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 59.

 

[11]           Il ressort clairement du dossier que la préoccupation initiale de l’employée à l’égard de la sécurité trouvait son origine dans les dispositions portant sur le refus de travailler prévues à l’article 128 du Code. La plainte officielle auprès de l’employeur, comme elle a par la suite été transmise à Transport Canada, a toutefois été faite suivant l’article 127.1 qui traite des contraventions qui auraient été commises à la partie II du Code. Cette disposition prévoit très clairement que toutes les questions à cet égard doivent d’abord être soumises au processus de règlement interne des plaintes avant que d’autres recours puissent être exercés. Le processus interne prévu à l’article 127.1 prévoit le renvoi immédiat de la plainte au supérieur hiérarchique de l’employé. Si le règlement n’a pas lieu à ce niveau, l’employé et le supérieur hiérarchique ont le droit de renvoyer la question afin qu’une enquête conjointe soit menée en matière de santé et de sécurité à la suite de laquelle un rapport écrit doit être établi. Si les enquêteurs concluent qu’une situation dangereuse continue d’exister, l’employeur est tenu de protéger tous ses employés exposés à un risque jusqu’à ce qu’il soit remédié à la situation. Le Code prévoit qu’un agent de santé et de sécurité doit intervenir dans le processus seulement lorsqu’une plainte en matière de sécurité n’a pas été réglée à la satisfaction de l’employé ou de l’employeur à la suite de l’enquête conjointe interne. Les dispositions de l’article 127.1 prévoyant l’intervention d’un agent de santé et de sécurité dans le processus de règlement des plaintes sont les paragraphes 127.1(8), 127.1(9), 127.1(10) et 127.1(11) qui sont rédigés en ces termes :

127.1 (8) La plainte fondée sur l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie peut être renvoyée par l’employeur ou l’employé à l’agent de santé et de sécurité dans les cas suivants :

 

a) l’employeur conteste les résultats de l’enquête;

 

 

b) l’employeur a omis de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation faisant l’objet de la plainte dans les délais prévus ou d’en informer les personnes chargées de l’enquête;



c) les personnes chargées de l’enquête ne s’entendent pas sur le bien-fondé de la plainte.

 

 

 

Enquête

 

 

(9) L’agent de santé et de sécurité saisi de la plainte fait enquête sur celle-ci ou charge un autre agent de santé et de sécurité de le faire à sa place.

 

 

Pouvoirs de l’agent de santé et de sécurité

 

(10) Au terme de l’enquête, l’agent de santé et de sécurité :

 

 

a) peut donner à l’employeur ou à l’employé toute instruction prévue au paragraphe 145(1);

 

b) peut, s’il l’estime opportun, recommander que l’employeur et l’employé règlent à l’amiable la situation faisant l’objet de la plainte;

 

c) s’il conclut à l’existence de l’une ou l’autre des situations mentionnées au paragraphe 128(1), donne des instructions en conformité avec le paragraphe 145(2).

 

Précision

 

(11) Il est entendu que les dispositions du présent article ne portent pas atteinte aux pouvoirs conférés à l’agent de santé et de sécurité sous le régime de l’article 145.

 

127.1 (8) The employee or employer may refer a complaint that there has been a contravention of this Part to a health and safety officer in the following circumstances:

 

 

 

(a) where the employer does not agree with the results of the investigation;

 

(b) where the employer has failed to inform the persons who investigated the complaint of how and when the employer intends to resolve the matter or has failed to take action to resolve the matter; or



(c) where the persons who investigated the complaint do not agree between themselves as to whether the complaint is justified.

 

Investigation by health and safety officer

 

(9) The health and safety officer shall investigate, or cause another health and safety officer to investigate, the complaint referred to the officer under subsection (8).

 

Duty and power of health and safety officer

 

(10) On completion of the investigation, the health and safety officer

 

(a) may issue directions to an employer or employee under subsection 145(1);

 

(b) may, if in the officer’s opinion it is appropriate, recommend that the employee and employer resolve the matter between themselves; or

 

(c) shall, if the officer concludes that a danger exists as described in subsection 128(1), issue directions under subsection 145(2).

 

 

 

 

Interpretation

 

(11) For greater certainty, nothing in this section limits a health and safety officer’s authority under section 145.

 

 

[12]           Le SCFP soutient que le paragraphe 127.1(11), précédemment mentionné, reconnaît à l’agent de santé et de sécurité le pouvoir général d’examiner une plainte présentée suivant l’article 127.1 à toute étape du processus et d’ordonner, lorsque cela est approprié, une mesure corrective immédiate suivant l’article 145. Le SCFP affirme que l’omission de Transport Canada de reconnaître cet aspect de sa compétence résiduelle constitue une entrave à l’exercice de sa compétence. On peut supposer que le SCFP n’aurait pas été contrarié si Transport Canada avait plutôt dit que, malgré son droit d’intervenir, il refusait de le faire jusqu’à ce que tous les processus de règlement interne aient été achevés.

 

[13]           Il est vrai que le paragraphe 127.1(11) est mal rédigé et qu’il ne satisfait aucunement à l’objet énoncé, soit apporter une précision par l’ajout des mots « il est entendu ». Toutefois, je ne partage pas l’opinion du SCFP voulant que cette disposition visait à reconnaître suivant l’article 145 un pouvoir de faire intervenir un agent de santé et de sécurité au règlement de la plainte suivant l’article 127.1 avant que soient achevés les processus internes y prévus. Le pouvoir de réparation accordé à un agent de santé et de sécurité suivant l’article 127.1 se trouve à l’article 127.1(10). Les pouvoirs accordés à un agent de santé et de sécurité suivant l’article 145 vont bien au‑delà de l’étendue des pouvoirs reconnus à l’article 127.1(10), ce qui fait que l’objet probable du paragraphe 127.1(11) consistait à incorporer, en mentionnant de manière générale, ces pouvoirs additionnels prévus à l’article 145. Même s’il y avait sans aucun doute une méthode plus simple pour atteindre cet objectif de rédaction, la possibilité de simple répétition ne peut pas être écartée étant donné que cette partie du Code est complète sans un verbiage inutile, une mauvaise rédaction et un manque de clarté. De toute façon, je ne pense pas que la lecture combinée du paragraphe 127.1(11) et de l’article 145 suffise à passer outre l’intention visée à l’article 127.1, à savoir que les plaintes de ce type doivent faire l’objet d’un examen complet au sein de l’entreprise avant que l’intervention de Transport Canada puisse être obtenue.

 

[14]           Les dispositions du Code portant sur le règlement interne des plaintes créent une série de mesures visant le règlement d’une plainte en matière de sécurité déposée par un employé, dont la première est une discussion informelle et la dernière est un renvoi à un agent de santé et de sécurité. L’ensemble du langage utilisé à l’article 127.1 est de nature obligatoire. Par exemple, le paragraphe 127.1(1) exige qu’une plainte soit adressée au supérieur hiérarchique de l’employé avant que d’autres recours puissent être exercés. Suivant le paragraphe 127.1(8), une plainte peut être renvoyée à un agent de santé et de sécurité par l’employé ou l’employeur si l’une des trois conditions préalables est remplie :

a) l’employeur conteste les résultats de l’enquête;

 

 

b) l’employeur a omis de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation faisant l’objet de la plainte dans les délais prévus ou d’en informer les personnes chargées de l’enquête;

 

c) les personnes chargées de l’enquête ne s’entendent pas sur le bien-fondé de la plainte.

(a) where the employer does not agree with the results of the investigation;

 

(b) where the employer has failed to inform the persons who investigated the complaint of how and when the employer intends to resolve the matter or has failed to take action to resolve the matter; or

 

(c) where the persons who investigated the complaint do not agree between themselves as to whether the complaint is justified.

 

 

Ces conditions prévoient clairement la tenue d’une enquête interne par les représentants appropriés en matière de santé et de sécurité, avant que Transport Canada s’engage dans le processus. Ce n’est que lorsque l’inaction de l’employeur ou lorsqu’un désaccord a fait obstacle à l’enquête interne que l’agent de santé et de sécurité peut être invité à intervenir. Ces dispositions visent de façon évidente à permettre aux parties de tenter d’arriver à une solution mutuellement acceptable, avant de solliciter une intervention extérieure, et à fournir à l’agent de santé et de sécurité un rapport d’enquête écrit ou, en cas de désaccord, deux rapports. Dans Caponi (Re), [2002] CCRI no 177, au paragraphe 24, le Conseil canadien des relations industrielles a déclaré que l’article 127.1 « prévoit un processus de règlement interne » qui doit être suivi avant que les recours prévus par la partie II puissent être exercés. Je partage cette opinion.

 

[15]           Je ne partage pas l’opinion du SCFP voulant que l’article 145 du Code visait à créer un fondement distinct pour l’intervention d’un agent de santé et de sécurité dans le règlement des plaintes présentées suivant l’article 127.1. L’article 145 est une disposition visant une mesure corrective qui n’est enclenchée que lorsqu’un agent de santé et de sécurité mène une enquête sous le régime d’une autre disposition du Code. Le juge Richard était de cet avis dans la décision Gilmore c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1995] A.C.F. no 1601, 104 F.T.R. 74[1], dans laquelle il a déclaré ce qui suit aux paragraphes 7 à 9 :

7          L’avocat du requérant se fonde en grande partie sur le libellé du paragraphe 145(1) qui se trouve à la partie II du Code :

 

Cessation d’une contravention

145. (1) S’il est d’avis qu’il y a contravention à la présente partie, l’agent de sécurité peut ordonner à l’employeur ou à l’employé en cause d’y mettre fin dans le délai qu’il précise et, sur demande de l’un ou l’autre, confirme par écrit toute instruction verbale en ce sens.

 

8          À mon avis, cette disposition, qui concerne les instructions verbales, ne peut s’appliquer qu’aux contraventions que l’agent de sécurité est autorisé à examiner et au sujet desquelles il peut rendre des décisions en vertu de la partie Il du Code.

 

9          Le rôle du Conseil et celui de l’agent de sécurité sont bien différents. La seule exception prévue dans le Code concerne les questions mentionnées au paragraphe 129(5), soit les cas dans lesquels le Conseil peut réviser une décision de l’agent de sécurité. Selon l’article 134, le Conseil a compétence exclusive pour examiner les contraventions à l’alinéa 147a) du Code (mesures disciplinaires). La partie II du Code ne renferme aucune disposition autorisant l’agent de sécurité à accorder des réparations à l’égard des mesures disciplinaires prises par l’employeur par suite de l’exercice des droits de l’employé sous le régime de cette partie. Il appert du dossier que le requérant en l’espèce a déposé une plainte auprès du Conseil, mais que celui-ci l’a jugée prescrite en raison des dispositions du paragraphe 133(2) du Code. Le paragraphe 145(1) n’offre pas à l’employé un autre recours devant un agent de sécurité en pareil cas.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Je ne partage pas l’opinion du SCFP selon laquelle la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, [2005] A.C.F. no 752, infirme en fait la décision dans l’affaire Gilmore. Dans Martin, la question de l’étendue de l’article 145 du Code n’était pas directement en litige et de toute façon la Cour a conclu au paragraphe 29 que le fondement du pouvoir de l’agent se trouvait à l’article 124 et non à l’article 145.

 

[16]           Je suis convaincu que, dans les cas où un employé présente une plainte suivant l’article 127.1 du Code, il faut que le processus de règlement interne des plaintes soit achevé avant que l’employé, ou le syndicat pour le compte de l’employé, puisse demander qu’un agent de santé et de sécurité mène une enquête. Toutefois, cela ne veut pas dire que seul l’article 127.1 du Code comporte le pouvoir pour un agent de santé et de sécurité d’entreprendre une enquête. Les articles 128 et 129 permettent une telle enquête lorsque l’employé a refusé d’effectuer un travail dangereux et lorsque l’employeur conteste le refus de l’employé. Si Air Canada n’avait pas acquiescé à la plainte de l’employé dans la présente affaire en clouant au sol l’avion en question, il est à peu près hors de doute qu’un agent de santé et de sécurité aurait été tenu suivant l’article 129(1) de mener sans délai une enquête sur la question.

 

[17]           Air Canada a adopté devant la Cour la position selon laquelle, au‑delà de l’étendue des dispositions portant sur le refus de travailler et de l’article 141, un agent de santé et de sécurité n’a pas de pouvoir résiduel de mener une enquête sur une préoccupation soulevée par un employé quant à la sécurité au travail. En fait, Air Canada a soumis dans son mémoire que [traduction] « l’article 127.1 a limité les pouvoirs d’enquête accordés à l’agent de santé et de sécurité suivant l’article 141 ». Bien qu’il y ait peu de préoccupations soulevées par des employés en matière de sécurité qui ne seraient pas visées par la portée de ces dispositions, j’estime difficile d’accepter qu’un agent de santé et de sécurité aux prises avec une situation à laquelle il n’a pas été remédié sur un lieu de travail ne puisse pas sans délai ordonner une mesure corrective suivant le paragraphe 145(1) ou le paragraphe 145(2) du Code. Dans la plupart des cas de ce type, si ce n’est dans tous ces cas, le pouvoir d’intervenir se retrouve au paragraphe 128(13). Mais, comme l’a souligné M. Robbins, cette disposition comporte une faille importante dans les cas où la préoccupation de l’employé concerne une « situation » dangereuse se rapportant à un autre employé. Dans ces cas, le plaignant n’a pas le droit de refuser de travailler et, lorsque l’employeur omet de poser un geste, cette disposition n’autorise pas un agent de santé et de sécurité à intervenir. Dans une situation où il y a un risque continu et imminent et où l’employeur est récalcitrant, la protection accordée par l’article 127.1 fournit une maigre consolation, mais on peut supposer que le droit d’un agent de santé et de sécurité de mener une enquête sur un lieu de travail suivant l’article 141 et d’ordonner une mesure corrective suivant l’article 145 suffit à régler cette apparente restriction réglementaire. Il s’ensuit que je n’accepte pas l’argument d’Air Canada selon lequel une enquête sur un lieu de travail menée suivant l’article 141 du Code est nécessairement limitée par les dispositions relatives au règlement interne des plaintes. Transport Canada peut engager de plein droit une enquête suivant l’article 141 et n’est pas tenu d’attendre qu’un employé dépose une plainte ou qu’une plainte ait été traitée au sein de l’entreprise avant d’exercer ce pouvoir.

 

[18]           Dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire de définir précisément les limites du pouvoir conféré par la loi à Transport Canada et en l’absence de quelque argument de cet organisme, il ne sera pas prudent de le faire. Il suffit de dire que pour une plainte de ce type qui ne concerne pas une situation de danger continu ou une enquête suivant l’article 141, le processus de règlement interne des plaintes doit être achevé avant que l’on puisse s’adresser à un agent de santé et de sécurité suivant le paragraphe 127.1(8) du Code. Je n’interprète pas la lettre de Transport Canada datée du 2 janvier 2008 comme disant quelque chose d’autre et par conséquent sa décision de ne pas intervenir était fondée en droit.

 

[19]           J’ajoute seulement que je partage l’opinion d’Air Canada selon laquelle la preuve de pratiques plus étendues en matière d’enquêtes menées dans le passé par Transport Canada ne peut lui conférer un pouvoir plus large que celui expressément prévu par le Code.

 

IV.       Conclusion

[20]           La présente demande est rejetée avec dépens payables à Air Canada. Je vais accepter des conclusions écrites additionnelles des parties (d’au plus 5 pages) sur l’évaluation des dépens dans les 7 jours de la date du présent jugement.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR REJETTE la présente demande avec dépens payables à Air Canada. L’évaluation des dépens payables sera effectuée après que j’aurai reçu les observations additionnelles des parties.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑197‑08

 

INTITULÉ :                                       SCFP, Composante d’Air Canada

                                                            c.

                                                            Air Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 janvier 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Robbins

416‑964‑1115

 

POUR LE DEMANDEUR

Rachelle Henderson

514‑422‑5828

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CAVALLUZZO HAYES SHILTON McINTYRE & CORNISH LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Air Canada

Service juridique

Dorval (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 



[1] Je souscris à l’argument d’Air Canada voulant que, même si le langage actuel du paragraphe 145(1) est légèrement différent de celui qui existait lorsque l’affaire Gilmore a été tranchée en 1995, il n’y a pas de différence importante en ce qui concerne la présente question.

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