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Date : 20090129

Dossier : T-1239-08

Référence : 2009 CF 99

 

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 29 janvier 2009

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

 

CORY STANCHFIELD

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans la présente demande, le ministre du Revenu national (le ministre) demande une ordonnance contre Cory Stanchfield en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) enjoignant à celui‑ci de fournir les renseignements et les documents énumérés dans la demande de renseignements que le ministre a envoyée à M. Stanchfield le 19 février 2008.

 

[2]               M. Stanchfield soutient qu’il a bel et bien répondu à la demande de renseignements. Il explique que les prétendues inexactitudes (mentionnées dans l’affidavit de Tove Mills) dans la réponse de Cory Stanchfield, le contribuable et défendeur en l’espèce, sont dues à la confusion du ministre qui lui attribue les actifs, le revenu et les activités d’une autre entité distincte qu’il désigne comme étant [traduction] « Cory Stanchfield en qualité de personne physique agissant à titre personnel et pour son propre avantage personnel ». Parce que ce n’est pas la première fois que des arguments semblables ont été avancés par Cory Stanchfield ainsi que par d’autres contribuables dans la région de Vancouver, il vaut la peine d’examiner assez en détail les arguments présentés par le défendeur.

 

[3]               Dans son dossier du défendeur, M. Stanchfield a inclus deux affidavits. Le premier est intitulé [traduction] « Affidavit de Cory Stanchfield (le défendeur) », tandis que le second est intitulé [traduction] « Affidavit de Cory Stanchfield, en qualité de personne physique (le témoin) ». Dans ce second affidavit, l’auteur affirme : [traduction] « Vu que nous avons des noms semblables, la même date de naissance du 17 mars 1971, la même signature et la même adresse postale. J’ai l’intention de clarifier cette confusion sur la question de savoir à qui appartiennent vraiment les biens et/ou les activités que l’on attribue à tort au défendeur. » Également, au paragraphe 7 de cet affidavit, l’auteur précise que lorsque des agents de l’Agence du revenu du Canada (ARC) sont venus chez lui pour signifier des documents au défendeur : [traduction] « J’ai ouvert la porte et je les ai informés que je n’étais pas la personne qu’ils cherchaient. Et les deux fois, les agents ont laissé tomber des documents devant moi ou les ont lancés dans ma demeure privée, avant de repartir. Dans les deux cas, j’ai transmis ces documents juridiques au défendeur. [Non souligné dans l’original.] » Conformément à une directive de la Cour, les signataires de chacun des affidavits devaient comparaître à l’audience. Il est apparu rapidement qu’il n’y avait qu’un seul être humain impliqué et que Cory Stanchfield, qui a comparu et défendu sa cause devant moi, avait signé les deux affidavits lui‑même.

 

[4]               Après avoir établi que le Cory Stanchfield mentionné dans le dossier du défendeur, les affidavits et les observations orales sous différents vocables comme [traduction] « personne physique », [traduction] « personne physique agissant à titre personnel et pour son propre avantage », [traduction] « le contribuable », [traduction] « le défendeur », etc., n’avait qu’un seul corps, une seule bouche, un seul cerveau, une seule paire de mains et était donc un seul être humain, nous devons maintenant examiner les arguments présentés par ledit Cory Stanchfield pour expliquer sa réponse à la demande de renseignements du ministre à la lumière du fait que, dans son affidavit signé [traduction] « en qualité de personne physique (le témoin) », il affirme clairement que : 1) il a une résidence et une adresse en Colombie‑Britannique; 2) il a été titulaire de divers postes, notamment, mais sans s’y limiter, président, secrétaire et trésorier de plusieurs entreprises Nevada créées par lui; 3) il a été rémunéré entre autres par M. Plotnikoff pour ce qu’il décrit comme de la [traduction] « formation concernant les enseignements sur les droits de la personne »[1]; 4) il était inscrit [traduction] « indemnisation et/ou consultation d’une personne physique comme remarque » sur les chèques reçus de M. Plotnikoff.

 

[5]               Au paragraphe 37 de ses observations écrites, M. Stanchfield affirme qu’il sait qu’il est une personne au sens de la Loi et qu’en aucun temps il a soutenu que ce n’était pas le cas, contrairement à ce qui, selon lui, est prétendu au paragraphe 6 du mémoire des faits et du droit du ministre. Il soutient que, pour cette raison, la jurisprudence présentée par le ministre qui porte sur les arguments d’une partie qui prétend ne pas être une personne ou sur la question de savoir si le défendeur est une personne physique ou non est sans importance et dépourvue de pertinence, car ce n’est pas sa position en l’espèce. Il explique plutôt au paragraphe 38 de son mémoire des faits et du droit que, lorsqu’on examine la correspondance entre le représentant du ministre et lui‑même, la question posée est de savoir à quelle personne dans la définition de « personne » de la Loi était adressée la demande de renseignements.

 

[6]               Comme je l’ai mentionné précédemment, ce n’est pas la première fois que des personnes ont tenté de soutenir que les « personnes physiques » ne sont pas assujetties à l’application de la Loi. En fait, cette idée sous‑jacente a été expressément et minutieusement examinée dans un certain nombre de décisions, de sorte que l’on peut aujourd’hui affirmer qu’une telle idée est totalement dépourvue de fondement. Malgré cela, le défendeur tente de démontrer que chacune de ces affaires est de nature différente.

 

[7]               Dans Kennedy c. Canada Customs and Revenue Agency, [2000] 4 C.T.C. 186 (Kennedy), le juge G. Gordon Sedgwick de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que [traduction] « une “personne” au sens ordinaire du terme inclut l’être humain ou la personne physique ainsi que la personne morale, comme une société. Le premier sens du terme est la personne physique; le second sens, la personne morale comme une société » (au paragraphe 17). En conséquence, la Cour supérieure de justice a conclu que [traduction] « le terme “personne” dans une loi vise tant les personnes physiques que les entreprises » (au paragraphe 19) et [traduction] « la “personne” telle que définie au paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu comprend tant la personne physique que la personne morale » (au paragraphe 21).

 

[8]               Le défendeur tente d’établir l’inapplicabilité de cette décision apparemment claire en soutenant que, dans cette affaire, M. Kennedy affirmait qu’il n’était pas une personne assujettie à la Loi parce qu’il était une personne physique, tandis qu’en l’espèce, le défendeur soutient qu’il n’est pas une personne physique et reconnaît qu’il est assujetti à la Loi. Le défendeur ajoute en outre que les commentaires du juge Sedgwick ne s’appliqueraient pas en l’espèce parce qu’ils ont été formulés dans le contexte d’une partie avançant l’argument que les personnes physiques sont exemptées de la Loi alors que la partie n’était pas, selon le défendeur, une personne physique en raison du fait qu’elle était [traduction] « assujettie à un contrat de travail et avait un emploi ouvrant droit à pension » (transcription de l’audience, page 23, lignes 9 à 21).

 

[9]               Dans la décision M.N.R. c. Camplin, 2007 CF 183, [2007] 2 C.T.C. 205 (Camplin), le juge François Lemieux a déclaré le défendeur, M. Camplin, coupable d’outrage au tribunal parce qu’il ne s’était pas conformé à une ordonnance rendue par le juge Konrad Von Finckenstein relativement à une demande de renseignements. M. Camplin a semblé soutenir qu’il agissait à deux titres distincts, l’un qu’il a nommé « représentant légal du contribuable » et l’autre sa [traduction] « qualité de “personne physique” pour mon propre avantage ». Le juge Lemieux a repris l’opinion du juge Von Finckenstein en affirmant qu’une telle distinction est « dénuée de sens et […] n’établit pas de différence » (paragraphe 28) et que l’ordonnance enjoignait à M. Camplin de fournir des renseignements en réponse à la demande de renseignements au sujet de tous ses éléments d’actif en tant qu’être humain. Le refus insistant de M. Camplin à fournir de tels renseignements sur ce qu’il affirmait être sa qualité de personne physique a eu comme résultat qu’il n’a pas respecté cette ordonnance. Le défendeur en l’espèce soutient que cette affaire est tout aussi dépourvue de pertinence puisqu’il n’affirme pas être le représentant légal du contribuable, il reconnaît qu’il est le contribuable.

 

[10]           Cette question a également été examinée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt R. c. Lindsay, 2006 BCCA 150, [2006] 3 C.T.C. 146 (Lindsay). La juge Mary V. Newbury, pour la Cour d’appel, s’est penchée sur les observations de M. Lindsay dans cette affaire, lequel affirmait qu’il n’était pas une « personne » au sens de la Loi, en expliquant, au paragraphe 3 :

[traduction]

[…] le sens ordinaire de « personne » est la personne physique (ce qui comprend, du moins le croirais-je, l’« être vivant en chair en en os possédant libre arbitre et entière responsabilité ») et que l’objectif d’une définition dans une loi est d’élargir le sens pour inclure aussi d’autres entités juridiques précises. La position de M. Lindsay selon laquelle il n’est pas une « personne » pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu est simplement indéfendable. [Souligné dans l’original.]

 

Encore une fois, le défendeur soutient que la position de M. Lindsay est différente de la sienne dans la mesure où, encore une fois, il ne nie pas être une personne au sens de la Loi.

 

[11]           Enfin, le défendeur lui‑même a tenté de soutenir devant la Cour, dans le cadre d’une autre demande d’ordonnance introduite contre lui par le demandeur, qu’il n’est pas, en tant que personne physique, une « personne » au sens de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15 (M.N.R. c. Stanchfield (le 26 septembre 2007), Vancouver T‑1179‑07). Le juge Frederick E. Gibson a rejeté cette proposition, au motif que [traduction] « le défendeur est clairement une “personne” incluse dans les définitions de “personne” et “individu” de l’article 123 de la Loi sur la taxe d’accise » (page 4). Le défendeur tente d’établir l’inapplicabilité du résultat de sa propre [traduction] « première tentative » en soutenant qu’il souscrit à la décision du juge Gibson puisqu’il se rend maintenant compte qu’il a en fait comparu devant lui en qualité de contribuable. Il prétend que c’est l’avocat du demandeur qui a mené la Cour à croire qu’il comparaissait en qualité de personne physique et c’est pour cette raison qu’il a présenté les arguments qu’il a présentés devant le juge Gibson.

 

[12]           Il est important de noter que, dans une décision rendue après l’audition de la présente affaire, le défendeur a été déclaré coupable d’outrage pour n’avoir pas respecté l’ordonnance de la Cour susmentionnée. Dans la décision M.N.R. c. Stanchfield, 2009 CF 72, le juge Yves de Montigny a conclu que « [l]a distinction qu’établit M. Stanchfield entre sa qualité de personne physique et sa capacité d’agir à un autre titre est entièrement son invention et n’est aucunement appuyée par la jurisprudence » (paragraphe 27).  

 

[13]           Au paragraphe 39 de son mémoire des faits et du droit, M. Stanchfield affirme :

[traduction]

Pour plus de certitude, le défendeur ne croit pas qu’il est une « personne physique », pas plus que le défendeur croit avoir une quelconque qualité existentielle. Le défendeur croit qu’il est un « contribuable » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, et est assujetti à la Loi et que la demande de renseignements lui a été signifiée par courrier recommandé.

 

Enfin, au paragraphe 42, M. Stanchfield affirme que [traduction] « [l]e défendeur est d’avis qu’il y a des motifs raisonnables de conclure que » ceux qu’il qualifie de témoin et de défendeur sont des personnes distinctes, c’est‑à‑dire :

a) Selon la Déclaration canadienne des droits, les droits de l’individu s’appliquent uniquement aux personnes physiques, comme il est précisé à la page 129 du Canadian Law Dictionary, 4e éd., par John. A. Yohis, c.r., et dans la décision R. v. Colgate-Palmolive Ltd. (1972), 8 C.C.C. (2d) 40 (Ont.Co.Ct.).

 

b) L’article 2 de la Déclaration canadienne des droits prévoit en fait que toute loi, qu’elle soit adoptée par le législateur ou par une autorité subordonnée, en l’absence de déclaration à l’effet contraire, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés des personnes physiques reconnus et déclarés à l’article 1.

 

c) L’article 2 de la Déclaration canadienne des droits rend inopérante toute loi non conforme à ce droit fondamental à moins que la loi mentionne qu’elle demeurera en vigueur nonobstant la Déclaration canadienne des droits.

 

d) S’il y a un conflit entre la Déclaration canadienne des droits et une autre loi, comme la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)), la Déclaration canadienne des droits doit prévaloir en tout temps sur la loi non conforme, comme il est écrit à la page 244 du livre d’Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2nd Ed., 1983

 

e) La Loi de l’impôt sur le revenu ne comporte aucune déclaration dans la forme prescrite à l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits précisant que la Loi s’applique nonobstant la Déclaration canadienne des droits.

 

f) La Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)) doit être interprétée et appliquée de manière à ne pas priver la personne physique de ses biens personnels sans application régulière de la loi, conformément aux articles 1 et 2 de la Déclaration canadienne des droits.

 

 

M. Stanchfield conclut ses observations devant la Cour en soutenant que la question de droit fondamentale à laquelle doit répondre la Cour avant de lui ordonner de se conformer à l’ordonnance est la suivante :

[traduction]

Une personne physique, telle que définie dans le Canadian Law Dictionary, 4e éd., par John A. Yogis, c.r., agissant à titre personnel pour son propre avantage personnel, est‑elle directement incluse dans la définition du terme « personne » énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada?

 

Le cas échéant, que fait la Cour de l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits, lequel dispose expressément que « [t]oute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés […] ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, », puisque la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada ne comporte aucune disposition de dérogation? [Souligné dans l’original.]

 

[14]      La réponse courte est oui, une personne physique agissant à titre personnel pour son propre avantage personnel est directement incluse dans la définition du terme « personne » énoncées au paragraphe 248(1) de la Loi. Cette conclusion ne contrevient pas à la Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, ch. 44 (la Déclaration des droits) malgré l’absence de disposition dérogatoire ou de déclaration dans la Loi parce que rien ne prouve que cette loi prive un « individu », à qui la Déclaration des droits s’applique, de la jouissance de ses biens sans application régulière de la loi.

 

[15]      En outre, les tentatives du défendeur pour établir l’inapplicabilité de la jurisprudence qui a, selon la Cour, déjà pleinement examiné cette question est vaine. En ce qui concerne la décision Kennedy, le juge Sedgwick a fondamentalement tranché que les « personnes physiques » ne sont pas exclues de l’application de la Loi. La particularité que le défendeur tente d’établir en l’espèce est futile. La différence entre l’argument présenté par M. Kennedy dans l’affaire susmentionnée et l’argument présenté par le défendeur en l’espèce est que le défendeur tente de convaincre la Cour de l’existence de deux personnes distinctes au sein du même corps, une assujettie à la Loi (définie en l’espèce comme étant le [traduction] « défendeur » ou le [traduction] « contribuable ») et l’autre qui n’est pas assujettie à la Loi (nommée en l’espèce le [traduction] « témoin », la [traduction] « personne physique » ou [traduction] « la personne naturelle agissant pour son propre avantage »).

 

[16]      En concluant que M. Kennedy n’était pas exempté de l’application de la Loi, le juge Sedgwick a expressément jugé que les « personnes physiques » étaient directement incluses dans la définition du terme « personne » énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi. Par conséquent, la distinction proposée par le défendeur est sans importance. Comme je l’expliquerai plus en détail plus bas, il n’est pas deux entités distinctes. En outre, la décision du juge Sedgwick selon laquelle les personnes physiques sont incluses dans la définition du terme « personne » énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi apporte une réponse définitive à l’argument avancé par le défendeur selon lequel [traduction] « Cory Stanchfield, en qualité de personne physique (le témoin) » ne peut pas être assujetti aux dispositions de la Loi. À la lumière de Kennedy, cet argument ne peut être accepté.

 

[17]      La décision Camplin s’applique également en l’espèce. Le fait que le défendeur tente d’établir l’inapplicabilité de cette décision en soutenant qu’il n’a pas prétendu être le représentant légal du contribuable, mais avoir accepté qu’il est le contribuable, n’est rien de plus qu’un changement de vocabulaire qui n’a aucune signification en droit. M. Camplin dans l’affaire mentionnée ci‑dessus semble avoir soutenu, de la même façon que le défendeur, qu’il avait deux qualités, l’une qu’il désignait comme étant sa « qualité de “personne physique” pour mon propre avantage » et l’autre comme étant sa qualité de « représentant légal du contribuable ». En l’espèce, le défendeur se divise en les deux prétendues entités suivantes : 1) l’une ayant qualité de personne physique; 2) l’autre ayant qualité de contribuable. Le fait de supprimer les mots « représentant légal » de cette dernière prétendue entité n’établit pas de différence entre l’affaire Camplin et celle en l’espèce. Toute l’idée qu’il puisse exister une seconde entité ayant une qualité distincte de la qualité de personne physique ou d’être humain est pure invention, laquelle ne peut être approuvée par la loi. On peut décrire le vide dans les termes que l’on choisit, le vide demeure néanmoins le vide.

 

[18]      Pour ce qui est de Lindsay, il est clair que le raisonnement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’applique également en l’espèce. Encore une fois, l’argument du défendeur selon lequel sa position est fondamentalement différente de celle présentée devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique est vicié. Le fait que le défendeur reconnaisse qu’une de ses soi‑disant entités ayant capacité d’agir est assujettie à l’application de la Loi ne change rien à l’argument voulant que l’autre, celle ayant qualité de « personne physique », ne le soit pas. Les conclusions de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique sur la question de savoir si la Loi s’applique ou non aux « personnes physiques » sont importantes pour répondre à la question de savoir si la Loi s’applique ou non à ce prétendu second volet de la personnalité du défendeur, celui ayant qualité de « personne physique ». La modification légère qu’apporte le défendeur à l’argument pour ajouter une personnalité qui est, à son avis, assujettie à la Loi n’affecte pas la validité du raisonnement de la Cour d’appel dans Lindsay.

 

[19]      Enfin, la tentative par le défendeur de convaincre la Cour qu’une différence peut être établie entre l’affaire en l’espèce et les conclusions du juge Gibson dans M.N.R. c. Stanchfield, précitée, est tout aussi dépourvue de fondement. Cet argument repose sur ce que le défendeur affirme être sa propre erreur quant à la qualité en laquelle il comparaissait devant le juge Gibson. Cet argument doit inévitablement être rejeté parce qu’il n’y a aucun doute quant à la qualité qu’il avait. On ne peut se tromper en établissant en quelle qualité on se trouve devant un tribunal quand une personne n’a qu’une seule capacité d’agir. Comme le juge de Montigny l’a conclu dans sa décision sur la demande visant à déclarer M. Stanchfield coupable d’outrage, M.N.R. c. Stanchfield, précitée, accepter cet argument reviendrait à accepter que M. Stanchfield a la capacité de choisir « en quelle qualité il agit; c’est de toute évidence un argument indéfendable qui de plus va à l’encontre de toute interprétation défendable de la Loi » (paragraphe 27). Bien que la loi mentionnée par le juge de Montigny dans cette affaire soit la Loi sur la taxe d’accise, précitée, ces remarques s’appliquent tout à fait à la Loi en question en l’espèce.

 

[20]      Malgré la conclusion de la Cour selon laquelle les tribunaux ont déjà fourni une réponse claire à la question soulevée par le défendeur, j’apporterai néanmoins, parce qu’il vaut mieux se montrer trop prudent, quelques remarques additionnelles à ce sujet. Le Barron’s Canadian Law Dictionary[2], cité par le défendeur dans ses observations, définit le terme « personne physique » comme étant [traduction] « un être humain titulaire de droits et assujetti à des obligations ». Cette définition est tirée d’une décision de la Cour du Banc du Roi du Manitoba, Hague c. Cancer Relief & Research Institute, [1939] 4 D.L.R. 191 (Hague).

 

[21]      Dans cette affaire, le juge Dysart devait se pencher sur un obstacle considérable auquel était confronté le demandeur, soit la possibilité apparente que le défendeur duquel il tentait d’obtenir une réparation n’avait aucune existence juridique. Dans le cadre de son raisonnement sur la question, le juge Dysart a expliqué ceci au paragraphe 12 :

[traduction]

Les personnes ne peuvent appartenir qu’à deux catégories : les personnes physiques et les personnes morales. Une personne physique est un être humain qui a la capacité d’être titulaire de droits ou d’être assujetti à des obligations [d’où la définition proposée par M. Yogis]. Une personne juridique est toute personne à laquelle le droit confère une existence et une personnalité juridique ou fictive, ayant la capacité d’être titulaire de droits et d’être assujettie à des obligations.

 

[22]      Le terme « personne physique » n’est qu’un terme, parmi d’autres, décrivant une réalité tangible, également décrite d’une façon plus concrète par le terme « être humain ». Le Dictionary of Canadian Law[3] définit le terme « personne physique » par les simples mots [traduction] « un être humain ». En effet, il n’en faut pas plus pour définir adéquatement la notion. Comme l’a précisé avec exactitude le juge Dysart dans Hague, une personne est soit physique, soit morale. Lorsqu’une personne est physique, il s’agit d’un être humain. Par conséquent, tout être humain est une personne physique.

 

[23]      Lorsqu’on utilise simplement le terme « personne », on inclut nécessairement la notion d’être humain, car il s’agit de l’essence même de la réalité représentée par ce terme. Ceci explique pourquoi le paragraphe 248(1) de la Loi ne mentionne pas expressément le terme « être humain » dans sa définition du terme « personne ». Il n’est pas nécessaire de le préciser, car, comme l’ont expliqué les professeurs Duff, Alarie, Brooks et Philipps dans Canadian Income Tax Law[4], [traduction] « cette définition ne fait qu’élargir le sens ordinaire du mot “personne” » [non souligné dans l’original]. Ce point de vue est parfaitement conforme à l’approche adoptée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Lindsay (voir ci‑dessus, au paragraphe 10). Il ne fait absolument aucun doute qu’une personne physique est directement incluse dans la définition du terme « personne » au paragraphe 248(1) de la Loi.

 

[24]      Le défendeur, dans la question qu’il pose à la Cour, appose une qualification au terme « personne physique », dans la mesure où le défendeur ne demande pas seulement si la définition de « personne » de la Loi inclut les « personnes physiques » en soi, mais si elle inclut les personnes physiques [traduction] « agissant à titre personnel pour leur propre avantage personnel ». Par conséquent, la question que le défendeur à l’audience a qualifiée de fondement de la présente affaire est la question de la qualité. Fondamentalement, chaque être humain, ou personne physique, possède une capacité juridique. Comme l’établit clairement le Black’s Law Dictionary[5], un « individu » est quelque chose qui [traduction] « existe en tant qu’entité indivisible » [non souligné dans l’original]. Cory Stanchfield, l’être humain ou la personne physique comparaissant devant la Cour, est un individu dont l’entité est indivisible. Il possède une capacité juridique, mais celle‑ci est également indivisible. Il peut agir en d’autres qualités qu’en sa qualité d’individu, mais seulement si elles sont reconnues en droit.

 

[25]      La décision Hague illustre à quel point il est ardu de créer une entité dont la capacité est reconnue en droit. Dans cette affaire, la législature du Manitoba avait adopté une loi, la Cancer Relief Act, S.M. 1930, c. 1, dont l’article 2 prévoyait ceci :

[traduction]

Par la présente est créée une société qui s’appellera « Institut de traitement du cancer et de recherche sur le cancer » (l’Institut). L’Institut est une personne morale et politique et a une existence permanente, détient un sceau corporatif et peut poursuivre et être poursuivi, mettre en cause et être mis en cause devant tous les tribunaux.

 

À première vue, il semble clair qu’une telle entité possède une capacité reconnue en droit. Cependant, le juge Dysart a conclu que ce n’était pas le cas.

 

[26]      Malgré l’utilisation de termes très convaincants par rien de moins que la législature d’une province, certaines exigences juridiques pour la création d’une société n’avaient pas été remplies dans cette affaire et l’institut que la législature du Manitoba aurait créé et qui était alors poursuivi a été jugé comme n’étant, dans les faits, rien. Selon le juge Dysart, la législature :

[traduction]

[…] peut exercer ses pouvoirs créateurs seulement sur un matériau à partir duquel des sociétés peuvent être faites. Sans ce matériau, elle ne peut créer de société. Comme le poète, elle peut « donner un toit et un nom à des riens en l’air », mais elle ne peut donner au vide une personnalité morale ayant des pouvoirs à ce titre. Elle ne peut pas faire l’impossible. La prétendue création de l’Institut constitue une simple tentative de faire l’impossible. [au paragraphe 16]

 

[27]      Si c’est vrai pour une société, censément créée par une législature, c’est encore plus vrai pour une personne physique. La tentative de Cory Stanchfield d’établir devant la Cour que son corps comprend deux personnes qui agissent en des qualités distinctes est de deux choses l’une :  1) une division inadmissible de son entité indivisible; ou 2) une tentative de créer une seconde entité d’une manière qui n’est pas reconnue en droit, dont le résultat est nul aux yeux de la loi. Il s’agit d’un essai pour réaliser l’impossible et le défendeur ne peut pas réaliser l’impossible. Par conséquent, [traduction] « Cory Stanchfield (le défendeur) » et [traduction] « Cory Stanchfield, en qualité de personne physique (le témoin) » sont un seul et même homme en une seule personne, qui est directement incluse dans la définition de « personne » contenue au paragraphe 248(1) de la Loi.

 

[28]      En conséquence, les personnes physiques, agissant à titre personnel pour leur propre avantage personnel ou non, sont directement incluses dans la définition de « personne » énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi. Il en est ainsi parce que les termes qualificatifs [traduction] « à titre personnel » et [traduction] « pour son propre avantage personnel » sont totalement dépourvus de pertinence en droit.

 

[29]      Ce point de vue ne contrevient aucunement aux les dispositions de la Déclaration des droits. Les individus au Canada bénéficient des droits et des libertés fondamentales prévus dans la Déclaration des droits, dont l’un est le droit de jouir de ses biens. Cependant, ce droit n’est pas inconditionnel, car les individus peuvent se voir priver de ce droit par application régulière de la loi. Une disposition ou une déclaration de dérogation serait bel et bien requise dans une loi du législateur canadien par l’article 2 de la Déclaration des droits si cette loi avait pour effet de « supprimer, restreindre ou enfreindre [le droit d’un individu à jouir de ses biens] ou en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression » n’eût été l’application régulière de la loi. La Loi constitue une application régulière de la loi. Dans la décision Kennedy, le juge Sedgwick a également expliqué au paragraphe 23 :

[traduction]

La primauté du droit fait référence à la suprématie du droit sur l’exercice de pouvoirs arbitraires […] La Loi de l’impôt sur le revenu est une loi d’application générale adoptée par une législature élue. Elle ne représente pas l’exercice d’un pouvoir arbitraire.

 

[30]      Ainsi, la Loi s’applique d’une manière valide à toutes les personnes résidant au Canada pour toute partie de l’année d’imposition, que ces personnes bénéficient ou non des garanties de la Déclaration des droits. L’absence d’une disposition ou déclaration de dérogation dans la Loi n’affecte pas la validité ou la légalité de cette situation, laquelle ne peut être décrite d’une autre façon que comme représentant l’« application régulière de la loi ».

 

[31]      Cela dit, Cory Stanchfield s’est‑il conformé à la demande de renseignements que lui a envoyée le ministre le 19 février 2008? À la lumière de la preuve présentée à la Cour par M. Stanchfield (voir le paragraphe 4 ci‑dessus), il est par trop évident qu’il ne l’a pas fait. Cette preuve contient des contradictions flagrantes avec les renseignements fournis au ministre en réponse à sa demande de renseignements. La Cour est convaincue que le défendeur était tenu en vertu de l’article 231.2 de la Loi de fournir les renseignements demandés dans une demande de renseignements et qu’il ne s’est pas conformé pleinement à cette exigence. La Cour est également convaincue que les renseignements demandés n’étaient pas protégés par le secret professionnel. La Cour rendra donc l’ordonnance demandée par le ministre en vertu de l’article 231.7 de la Loi.

 

[32]      Le ministre demande les dépens dans la présente demande, lesquels sont évalués à 936 $. M. Stanchfield, s’appuyant encore une fois sur sa position juridique indéfendable, soutient que la Cour devrait prendre en considération le fait qu’il est sans emploi. Comme je l’ai mentionné, ce n’est pas la première fois que M. Stanchfield est partie à une procédure de cette nature. Le juge Gibson, dans son ordonnance, a adjugé les dépens en faveur du ministre. Il n’y a aucune raison valide de ne pas adjuger les dépens en faveur du demandeur en l’espèce. Je fixe donc le montant forfaitaire des dépens à 900 $.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.        Cory Stanchfield se conformera à la demande de renseignements reçue du ministre et fournira à l’agent de l’ARC, agissant en vertu des pouvoirs que lui confère la Loi, ou à toute autre personne désignée, dans les trente (30) jours suivants la date de la présente ordonnance les renseignements suivants :

a)      L’adresse municipale où réside actuellement Cory Stanchfield;

b)      Le nom de tous les employeurs de Cory Stanchfield du 1er janvier 2005 à aujourd’hui, ce qui doit inclure toutes les relations où un salaire ou des frais de contrat ont été versés, ainsi que le travail qui a été fait dans le cadre d’ententes pouvant être qualifiées de « troc »;

c)      La liste complète, y compris les noms et adresses de la source et le montant de tout autre revenu, cadeau, prêt ou autre source de revenu de Cory Stanchfield pour la période du 1er janvier 2005 jusqu’à aujourd’hui;

d)      La liste complète de tous les comptes de banque et comptes de placement, ce qui inclut tout compte de banque situé aux États‑Unis ou à l’étranger, pour lesquels Cory Stanchfield détient un pouvoir de signature pour la période du 1er janvier 2005 à aujourd’hui;

2.         Les dépens sont adjugés au demandeur et M. Stanchfield doit débourser le montant de 900 $.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1239-08

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                        c.

                                                                        CORY STANCHFIELD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 janvier 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   La juge Gauthier

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 janvier 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amanda Lord

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Ministre du revenu national

Cory Stanchfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

Pour son propre compte

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ministère de la Justice

900-840, rue Howe

Vancouver (Colombie‑Britannique)

V6Z 2S9

Télécopieur : 604-666-1462

 

POUR LE DEMANDEUR

Ministre du revenu national

Cory Stanchfield

a/s unité 584

185-911, rue Yates

Victoria (Colombie‑Britannique)

V8V 4Y9

Télécopieur : 708-842-9362

POUR LE DÉFENDEUR

Pour son propre compte

 



[1] L’auteur de l’affidavit pour le ministre, Tove Mills, décrit ces ateliers comme étant des ateliers sur la façon d’éviter de payer de l’impôt sur le revenu.

[2] John A. Yogis et Catherine Cotter, Barron’s Canadian Law Dictionary, 6e éd., New York, Barron’s Educational Series, 2009.

[3] Daphne A. Dukelow et Betsy Nuse, The Dictionary of Canadian Law, 2e éd., Scarborough, Carswell, 1995.

[4] David G. Duff et al., Canadian Income Tax Law, 2e éd., Markham, LexisNexis, 2006, à la page 22.

[5] Bryan A. Garner et al., éditeurs, Black’s Law Dictionnary, 8e éd., St‑Paul, Ouest, 2004.

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