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Date : 20090211

Dossier : T-1652-07

Référence : 2009 CF 136

Ottawa (Ontario), le 11 février 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

RAJDEEP KANDOLA

 

demandeur

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Un employé qui a besoin de mesures d’adaptation en raison d’une déficience doit en informer son employeur, à moins que la déficience ne soit évidente, puis collaborer au processus d’élaboration des mesures d’adaptation, sans quoi, c’est l’employé qui doit en subir les conséquences. Admettre une déficience et solliciter l’aide de l’employeur est difficile pour certaines personnes. Cependant, lorsque la déficience n’a pas été révélée et qu’aucune demande de mesures d’adaptation n’a été présentée, l’employé ne peut ultérieurement demander à ce que l’évaluation de son rendement effectuée par l’employeur, qui n’était pas au courant de la déficience, soit annulée, et l’employé ne peut pas non plus demander à l’employeur d’évaluer rétroactivement quel aurait été son rendement si la déficience avait été connue et si l’employé avait bénéficié de mesures d’adaptation en milieu de travail. Il s’agit en grande partie des motifs justifiant le rejet de la présente demande d’annulation de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission).

 

Le contexte

[2]               Le contexte factuel de l’espèce n’est pas contesté. M. Kandola a commencé à travailler pour l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) le 18 février 2002 au niveau de classification PM‑01. Il a bénéficié de diverses mesures d’adaptation en raison de son apnée du sommeil et de son obésité. De juin à août 2002, M. Kandola et son superviseur, M. Wood, ont élaboré ensemble un programme d’une durée de 60 jours portant sur l’amélioration du rendement de M. Kandola. Le programme a réglé certains problèmes de rendement qui étaient, semble‑t‑il, en partie dus à des questions d’adaptation et qui étaient apparus dès l’embauche de M. Kandola.

 

[3]               Le 14 février 2004, M. Kandola a posé sa candidature au poste d’agent de perception. Le processus de dotation s’est effectué en trois étapes : 1) la présélection, où les candidats qui ne satisfaisaient pas aux préalables ont été écartés; 2) l’évaluation, où l’on a établi un bassin de candidats qualifiés au moyen d’évaluations standardisées des compétences, d’entrevues et de contrôle des références; 3) le placement, où le gestionnaire recruteur a choisi des candidats qualifiés pour combler les postes.

 

[4]               M. Kandola a déclaré avoir une déficience lorsqu’il a posé sa candidature pour le poste PM‑02 et, en même temps, il a appris à M. Wood qu’il souffrait d’un trouble d’apprentissage. L’ARC a mis en place des mesures d’adaptation tant à l’examen qu’à l’entrevue : notamment, M. Kandola a eu davantage de temps pour terminer l’examen sur les compétences et il a pu bénéficier de la technologie de conversion texte‑parole lors des évaluations écrites et orales. Résultat : M. Kandola a réussi tant l’entrevue que l’examen des compétences.

 

[5]               M. Kandola a été écarté du concours à l’étape du contrôle des références. Lors de cette étape, un membre du jury de sélection a communiqué avec M. Wood, le superviseur de M. Kandola, pour lui poser quatre questions sur le rendement au travail de M. Kandola, chaque question valant au maximum 20 points (sauf la quatrième question, voir ci‑dessous). Les questions posées au superviseur étaient les suivantes : 1) avez‑vous noté quelque problème d’assiduité que ce soit quant à l’employé en question? 2) jusqu’à quel point l’employé en question reconnaît‑il ce qui doit être fait et prend‑il la responsabilité d’entreprendre les mesures appropriées? 3) jusqu’à quel point l’employé en question règle‑t‑il les problèmes en mettant en place des mesures correctives plutôt que de tenter de trouver un coupable? 4) connaissez‑vous quelque raison que ce soit qui ferait en sorte que l’employé en question ne devrait pas être nommé au poste PM‑02? Une cinquième question avait été préparée, mais elle ne s’appliquait pas à M. Kandola, et elle a donc été écartée; le poids des autres questions a par conséquent été augmenté au prorata.

 

[6]               Vu les réponses données par M. Wood aux questions ci‑dessus – M. Woods a mentionné de fréquentes absences, des congés annuels à découvert, de trop nombreux congés maladies, de longues pauses café, des problèmes avec un collègue, un délai manqué pour une soumission et le besoin de mettre en place un plan d’amélioration du rendement –, M. Kandola reçu un résultat [traduction] « très faible » pour les questions 1, 2 et 3, et il a été écarté du concours. Il en a été informé par une lettre datée du 8 octobre 2004. Alléguant que, lors de l’étape du contrôle des références, on aurait dû tenir compte de ses déficiences, M. Kandola a déposé une demande d’examen de la décision, par suite de laquelle le nombre de points accordé à la première question a été augmenté de trois points, mais ce n’était toujours pas suffisant pour qu’il soit réadmis en tant que candidat au poste PM‑02, comme le mentionnait la lettre du jury de sélection du 13 janvier 2005. Dans sa décision rendue le 22 novembre 2004, le comité de révision de la sélection a noté ce qui suit :

                        [traduction]

Je crois comprendre que certains renseignements concernant vos déficiences ont été révélés à des gestionnaires lorsque vous avez commencé à travailler pour l’ARC et, par conséquent, des mesures d’adaptation ont été prises […]. Cependant, votre trouble d’apprentissage n’avait pas été formellement révélé à vos gestionnaires avant l’étape du contrôle des références, par conséquent, aucune mesure d’adaptation concernant cette déficience n’a été demandée ou fournie. Étant donné que vos déficiences connues avaient été formellement révélées et que vous aviez bénéficié de mesures d’adaptation, il était raisonnable que le jury de sélection ne tienne compte que de votre rendement réel lors du contrôle des références.

 

[7]               Un grief présenté par M. Kandola concernant le processus de sélection a été rejeté au premier palier le 24 février 2005. Par la suite, M. Kandola a déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant, entre autres, qu’il y avait eu discrimination lors du contrôle des références.

 

[8]               M. Kandola, M. Wood et l’expert de l’ARC qui a aidé M. Kandola dans le cadre de ses demandes de mesures d’adaptation ont participé à des entrevues menées par l’enquêteuse chargée de l’enquête portant sur la plainte de M. Kandola. Dans son rapport, l’enquêteuse a mentionné l’allégation de M. Kandola selon laquelle le jury de sélection avait omis, lors du contrôle des références, de tenir compte de la façon dont sa déficience avait nui à son rendement au travail et que les mesures d’adaptation qu’il avait demandées auraient dû suffire pour que le comité de sélection comprenne que son rendement au travail avait été gêné en raison d’une déficience. L’enquêteuse a également noté la position du défendeur, selon laquelle, au cours de la période pertinente quant au contrôle des références, M. Kandola avait bénéficié de mesures d’adaptation pour son obésité et son apnée du sommeil, mais qu’il n’avait pas informé l’ARC de son trouble d’apprentissage et que l’ARC n’avait donc pas pris de mesures d’adaptation pour ce trouble.

 

[9]               Sur le fondement de la preuve dont elle disposait, l’enquêteuse a tiré une conclusion de fait selon laquelle l’ARC ne pouvait pas deviner après coup quel aurait été le rendement de M. Kandola pendant la période pertinente quant au contrôle des références si M. Kandola avait révélé son trouble d’apprentissage et s’il avait bénéficié de mesures d’adaptation. Elle a également noté que certains mauvais rendements décrits par le superviseur ne pouvaient pas être attribués aux déficiences (p. ex. les retards, le fait qu’il tente de trouver un coupable, le manque d’expérience). Elle a donc recommandé que la plainte soit rejetée en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[10]           L’enquêteuse a communiqué son rapport aux deux parties, qui ont été invitées à présenter des observations. Le conseiller juridique de l’Alliance de la Fonction publique du Canada a présenté des observations au nom de M. Kandola, selon lesquelles l’enquêteuse n’avait pas reconnu que le trouble de M. Kandola constituait la source du problème de rendement soulevé par M. Wood lors du contrôle des références et qu’elle n’avait pas appliqué le critère jurisprudentiel énoncé dans la décision Watt c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. no 791, 2006 CF 619, critère selon lequel il faut se demander si le plaignant a établi qu’il y avait eu discrimination à première vue, et si c’est le cas, si l’employeur a établi un moyen de défense à l’encontre de cette apparence de discrimination afin de démontrer par exemple que la ligne de conduite est une exigence professionnelle justifiée. L’ARC a également présenté de brèves observations alléguant, entre autres, que les lacunes notées par M. Wood n’étaient liées à aucune déficience. 

 

[11]           Dans une lettre datée du 10 août 2007, la Commission a informé M. Kandola qu’elle avait rejeté sa plainte en vertu du sous‑alinéa 44(3)(b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a souscrit aux conclusions de l’enquêteuse et a affirmé qu’elle rejetait la plainte de M. Kandola pour le motif suivant :

                        [traduction]

[L]a preuve établit que l’intimé n’était pas au courant des troubles d’apprentissage du plaignant avant le commencement du processus de dotation ayant débuté en février 2004 et que, par conséquent, il ne pouvait pas prendre des mesures d’adaptation qui auraient permis au plaignant d’être à son meilleur.

 

La question en litige

[12]           M. Kandola n’a soulevé qu’une seule question en litige : y a‑t‑il eu manquement à son droit à l’équité procédurale en raison de l’omission de la Commission et de l’enquêteuse d’effectuer une enquête approfondie de sa plainte?

 

Analyse

[13]           Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte : Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404.

 

[14]           Les deux parties acceptent également que si, comme en l’espèce, la Commission souscrit, sans analyse indépendante apparente, au rapport de l’enquêteur, ce rapport est considéré comme étant les motifs de la décision : Herbert c. Canada (Procureur général), [2008] A.C.F. no 1209, 2008 CF 969.

 

[15]           Sur le fondement de l’arrêt Sketchley, M. Kandola soutient que l’obligation d’effectuer une enquête approfondie renferme aux moins deux volets. Premièrement, l’enquêteur a l’obligation d’enquêter sur l’ensemble des éléments soulevés par le plaignant dans sa plainte et, deuxièmement, l’enquêteur a l’obligation d’examiner toute [traduction] « preuve cruciale », notamment en menant des entrevues avec les personnes nécessaires pour obtenir les renseignements permettant à la Commission de rendre sa décision. M. Kandola allègue que l’enquêteuse a commis des erreurs dans les deux volets.

 

[16]           M. Kandola soutient que la Commission a de facto omis de procéder à une enquête relativement à sa plainte parce qu’elle l’a mal qualifiée. Comme je l’ai déjà noté, la Commission a rejeté la plainte parce qu’elle a conclu que, selon la preuve, l’employeur n’était pas au courant des troubles d’apprentissage de M. Kandola avant le concours PM‑02 et qu’il aurait donc été impossible pour lui de prendre des mesures d’adaptation avant le concours, lesquelles mesures auraient pu donner l’occasion à M. Kandola d’être à son meilleur.

 

[17]           M. Kandola allègue que, ce faisant, sa plainte a été qualifiée à tort comme portant sur l’omission de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour l’aider dans son travail en tant que PM‑01. Aux paragraphes 49 et 50 de son mémoire des faits et du droit, il décrit les erreurs de qualifications alléguées de la façon suivante :

                        [traduction]

M. Kandola soutient qu’il y a eu discrimination pendant le processus de dotation même. Il s’est plaint que l’ARC n’avait pas tenu compte de sa déficience lors de l’évaluation de son rendement, et non qu’il n’avait pas bénéficié de mesures d’adaptation appropriées avant le processus de dotation.

 

Cependant, la Commission, dans son enquête, a mis l’accent sur des faits s’étant produits bien avant l’étape d’évaluation du processus de dotation, en particulier sur la période de temps qui faisait l’objet du contrôle des références de M. Kandola. Il s’agissait d’une qualification fondamentalement erronée du point crucial de la demande du demandeur, laquelle demande portait plutôt sur la façon dont l’employeur avait évalué le contrôle des références eu égard à ses déficiences. [Renvois omis.]

 

[18]           Malgré les observations habiles de l’avocat de M. Kandola, je conclus que la Commission n’a pas mal qualifié la plainte de M. Kandola. Même si la déclaration de la Commission citée au paragraphe 11 ci‑dessus aurait pu être formulée différemment, l’examen du rapport de l’enquêteuse révèle qu’elle avait effectivement qualifié la plainte de façon appropriée. Au paragraphe 24 de son rapport, l’enquêteuse a écrit ce qui suit :

                        [traduction]

Le plaignant affirme que tant M. Wood que le jury de sélection n’ont pas tenu compte des conséquences de sa déficience sur son rendement et qu’ils ont donc agi de façon discriminatoire à son endroit. Il affirme qu’il aurait dû bénéficier d’une évaluation personnalisée en fonction de ses besoins, laquelle aurait tenu compte des conséquences de sa déficience sur son rendement. Il affirme qu’une évaluation personnalisée utilisant une nouvelle norme tenant compte de ses déficiences, telle qu’un contrôle de ses références effectué d’une façon différente – à savoir d’une façon non discriminatoire n’a pas été envisagée.

 

[19]           En résumé, l’enquêteuse a compris que M. Kandola avait allégué dans sa plainte que M. Wood et le jury de sélection auraient dû tenir compte du trouble d’apprentissage de M. Kandola dans leur évaluation de son rendement. Comme l’ont noté l’enquêteuse et la Commission, cette allégation pose deux problèmes. Premièrement, l’enquêteuse a conclu que certains problèmes de rendement n’avaient aucun lien avec la déficience alléguée. Deuxièmement, dans la mesure où des problèmes de rendement auraient été causés ou aggravés par la déficience, il était impossible de faire une évaluation raisonnablement juste après coup quant à savoir quel aurait été le rendement de M. Kandola s’il avait bénéficié de mesures d’adaptation. M. Woods a judicieusement soulevé ce point, et cité par l’enquêteuse, il a affirmé [traduction] « [qu’]il ne pouvait pas déterminer ce qu’aurait été rendement du plaignant si le plaignant avait révélé cette déficience plus tôt et si le défendeur avait pris des mesures d’adaptation ». À mon avis, c’est ce que la Commission voulait dire dans le passage cité au paragraphe 11 ci‑dessus : puisque M. Kandola n’avait pas révélé sa déficience, il n’avait pas pu bénéficier de mesures d'adaptation, et sans mesure d’adaptation il n’avait pas pu être à son meilleur, mais qu’il n’y avait aucun moyen d’effectuer rétroactivement une évaluation de son rendement fondée sur l’hypothèse qu’il y avait bien eu une révélation et des mesures d’adaptation.

 

[20]           M. Kandola soutient également que l’enquête n’était pas complète parce que l’enquêteuse n’avait pas mené d’entrevue avec des témoins clés, à savoir les membres du jury de sélection. À mon avis, les membres du jury n’auraient pu fournir aucune preuve importante quant à la plainte. M. Kandola a soutenu que l’enquêteuse aurait dû poser des questions aux membres du jury pour vérifier quelle avait été leur évaluation de son rendement. Bien que M. Kandola ait affirmé que de nombreuses [traduction] « solutions créatives » auraient pu être mises en place par le jury de sélection lors de l’évaluation de son rendement, en fait leur évaluation ne consistait qu’à prendre les réponses de M. Wood et à leur assigner une valeur numérique. Bien que M. Kandola ait soutenu que les valeurs assignées par les membres du jury de sélection soulevaient des soupçons de discrimination, ni l’enquêteuse, ni la Commission ou la Cour ne disposaient d’aucune preuve selon laquelle le guide de cotation avait été mal utilisé ou utilisé d’une façon discriminatoire quant à l’évaluation que M. Wood avait faite de M. Kandola.

 

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée; les dépens seront adjugés en faveur du défendeur.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

1.       La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.       Les dépens sont adjugés en faveur du défendeur.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur. 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1652-07

 

INTITULÉ :                                                   RAJDEEP KANDOLA c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                                                                 

                                                                       

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 DÉCEMBRE 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 FÉVRIER 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Lynn Marchildon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne &

Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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