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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20090302

Dossier : T-1012-08

Référence  2009 CF 212

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

JOHN BRUCE GRUNDISON

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le Procureur général du Canada demande le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le TDFP) a conclu qu’un comité d’évaluation a commis un abus de pouvoir en évaluant la demande de John Bruce Grundison pour l’obtention d’un poste d’agent du service extérieur à Citoyenneté et Immigration Canada.

 

[2]               Le Procureur général du Canada soutient que le TDFP a commis plusieurs erreurs pour parvenir à sa décision. En particulier, le procureur général affirme que le TDFP a commis une erreur quant au critère qu’il a appliqué pour conclure qu’un comité d’évaluation aurait pu abuser de son pouvoir en l’absence de preuve d’inconduite, de motif répréhensible ou de mauvaise foi de sa part.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique. J’ai également décidé de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré de trancher les questions soulevées par le procureur général. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

 

Contexte

 

[4]               M. Grundison a participé à un concours à CIC visant à pourvoir divers postes d’agent du service extérieur (niveau quatre). Un comité d’évaluation convoqué par CIC pour évaluer les qualités des candidats a jugé que M. Grundison ne possédait pas le degré requis d’expérience à l’administration centrale et qu’il ne satisfaisait donc pas aux exigences d’expérience énoncées dans l’énoncé des critères de mérite pour les postes en question. Par conséquent, il a été éliminé du concours à l’étape préliminaire, et sa candidature n’a pas été examinée davantage.

 

[5]               M. Grundison a déposé une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique alléguant qu’il n’avait pas été nommé dans le groupe FS-04 à CIC à cause d’un abus de pouvoir dans l’établissement et l’application des qualités essentielles prévues dans l’énoncé des critères de mérite pour la bassin des postes de FS-04.

 

[6]               Le TDFP a conclu que l’allégation de M. Grundison, selon laquelle CIC avait commis un abus de pouvoir en exigeant comme qualité essentielle une vaste expérience à l’administration centrale pour l’obtention d’un poste de FS-04, n’était pas fondée.

 

[7]               Bien qu’il ait déterminé que le comité d’évaluation était sans mauvaise intention, le TDFP a conclu néanmoins que le comité avait abusé de son pouvoir dans son évaluation des qualités de M. Grundison. Selon le TDFP, il y a eu abus puisque le comité d’évaluation est allé bien au-delà d’une simple interprétation et évaluation d’une qualité essentielle pour le poste et a en réalité modifié la qualité en question. Selon le TDFP, il s’agit clairement d’une inconduite de la part du comité d’évaluation.

 

[8]               Par voie de mesure corrective, le TDFP a ordonné à CIC de réévaluer les qualités de M. Grundison liées à son expérience à l’administration centrale. Dans l’hypothèse où M. Grundison serait réputé avoir satisfait à l’exigence liée à l’expérience, le comité d’évaluation devait alors procéder à l’évaluation de sa demande quant aux autres critères de mérite.

 

[9]               Environ deux mois après que le TDFP eut rendu sa décision et après que la présente demande de contrôle judiciaire eut été déposée, M. Grundison a été nommé à un poste de FS-04 à CIC par voie d’un autre concours.

 

 

La demande de contrôle judiciaire est-elle théorique?

 

[10]           Le procureur général a concédé que l’issue de la présente demande n’aura aucune conséquence concrète sur M. Grundison, étant donné qu’il occupe maintenant un poste de FS-04. Ainsi, je crois comprendre qu’il n’y a vraiment rien à débattre quant au fait que la demande de contrôle judiciaire est effectivement devenue théorique.

 

[11]            En fait, l’argument principal du procureur général était de savoir si la Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire qu’il lui est conféré de trancher l’affaire, malgré le fait que l’issue était théorique en ce qui concerne M. Grundison.

 

 

La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire?

 

[12]           L’arrêt de principe sur la doctrine du caractère théorique et les circonstances dans lesquelles un tribunal peut exercer le pouvoir discrétionnaire qu’il lui est conféré de trancher des affaires qui sont théoriques, est l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

 

[13]           Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême a indiqué qu’un tribunal devrait être prudent lorsqu’il rend jugement, en l’absence d’un litige actuel ayant des conséquences sur les droits des parties. Elle a souligné également qu’un tribunal doit tenir compte de la raison d’être de la doctrine du caractère théorique lorsqu’il se demande s’il doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré de trancher une affaire qui est par ailleurs théorique.

 

[14]           À cet égard, la Cour suprême a fait remarquer que l’une des raisons pour lesquelles les tribunaux refusent de trancher des litiges tient à ce que leur capacité a sa source dans le système contradictoire. Elle a souligné que le contexte réellement contradictoire, dans lequel les deux parties ont un intérêt dans l’issue du litige, est un élément fondamental de notre système juridique : voir l’arrêt Borowski, au paragraphe 31.

 

[15]           Une deuxième raison d’être de la politique tient à l’économie des ressources judiciaires, ce qui oblige les tribunaux à se demander si, compte tenu des circonstances d’une affaire donnée, il y a lieu de consacrer des ressources judiciaires limitées à la solution d’un litige devenu théorique : arrêt Borowski, au paragraphe 34.

 

[16]           Enfin, les tribunaux doivent être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique et être sensibles à l’efficacité et à l’efficience de l’intervention judiciaire : arrêt Borowski, au paragraphe 40.

 

[17]           Appliquant les critères formulés par la Cour suprême du Canada aux faits de la présente affaire, je commencerais par souligner que, même si M. Grundison n’a plus d’intérêt dans l’issue du litige, son avocat a effectivement comparu et présenté des arguments à l’appui de la demande, ce qui atténue quelque peu la préoccupation quant à l’absence d’un contexte réellement contradictoire : arrêt Borowski, au paragraphe 43.

 

[18]           Cependant, il importe également de signaler que le fait que la Cour ait pris en délibéré sa décision quant à la question de la nature théorique et qu’elle ait entendu les arguments relatifs au fond de la demande ne justifie pas qu’on tranche la question de la nature théorique en faveur du procureur général. Comme l’a fait observer la Cour suprême au paragraphe 44 de l’arrêt Borowski, « il serait anormal qu’en mettant en délibéré la question de la nature théorique et en entendant le pourvoi au fond, la Cour compromette son pouvoir discrétionnaire de le décider ».

 

[19]           Plus fondamentalement, je ne peux pas convenir, avec le procureur général du Canada, que les questions soulevées dans la présente demande ne sont pas susceptibles à la fois de se répéter et de ne jamais être soumises aux tribunaux : voir arrêt Borowski, au paragraphe 45.

 

[20]           En fait, il ressort clairement de la jurisprudence citée par les parties que, même si le TDFP est établi depuis seulement un peu plus de trois ans, un grand nombre d’affaires d’allégations d’abus de pouvoir par des agents de dotation du gouvernement ont déjà été entendues. Les avocats m’ont informé que certaines de ces affaires sont aujourd’hui l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour.

 

[21]           En outre, le fait que la présente affaire soit la première décision du TDFP à conclure qu’une allégation d’abus de pouvoir par des agents de dotation a été établie ne signifie pas que la question ne sera pas soulevée encore une fois dans des affaires ultérieures. À mon avis, les ressources restreintes de la Cour seront mieux utilisées si on les consacre au règlement de ces affaires ultérieures, dans lesquelles les intérêts des parties en cause seront effectivement touchés par une décision rendue par la Cour.

 

[22]           J’ai également examiné l’argument du procureur général selon lequel la question du bon critère juridique à appliquer aux allégations d’abus de pouvoir est une question d’importance considérable pour les personnes qui œuvrent dans le domaine de la dotation au gouvernement. Bien que j’accepte que cela puisse être le cas, la question est, à mon sens, mieux résolue dans le contexte d’un litige actuel entre les parties.

 

[23]           Compte tenu des circonstances susmentionnées, je suis persuadée qu’il conviendrait en l’espèce que la Cour exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré de trancher une demande théorique.

 

[24]           Cela dit, le rejet de la présente demande en raison de son caractère théorique ne devrait pas être interprété comme un indice indicateur du bien-fondé des arguments des deux parties relativement aux questions juridiques sous-jacentes à la demande.

 

Dépens

 

[25]           M. Grundison demande des dépens taxés à la limite supérieure de la colonne IV, alléguant qu’il avait averti le Procureur général du Canada dès le départ que la présente demande de contrôle judiciaire était devenue théorique. M. Grundison affirme qu’il ne devrait pas assumer les frais découlant de la tentative du procureur général d’obtenir une opinion judiciaire sur une question qui est aujourd’hui clairement théorique pour autant qu’il est concerné.

 

[26]           Après un examen minutieux de l’argument de M. Grundison, je suis persuadée que la décision du Procureur général du Canada d’intenter le présent recours justifie un montant majoré des dépens en faveur de la partie ayant obtenu gain de cause.


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur de M. Grundison taxés selon le milieu de la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER:                                         T-1012-08                  

 

 

INTITULÉ :                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

                                                            JOHN BRUCE GRUNDISON

 

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 mars 2009           

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Sanderson Graham                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Paul Champ                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                    

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

RAVEN, CAMERON, BALLANTYNE &

YAZBECK, LLP/s.r.l. 

Avocats

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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